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L’unique et le double : la répétition et la joie dans l’œuvre de Clément Rosset

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2016

ROXANNE BRETON*
Affiliation:
Université de Sherbrooke
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Abstract

This study of Clément Rosset’s work focuses on the concept of repetition with regards to notions such as duplication, uniqueness, tragedy and joy. Explaining how Clément Rosset’s philosophy relies on the conception of tragic knowledge and how it leads to a specific form of beatitude sheds light on the originality of his interpretation of Nietzsche, as well as the relationship between his thought and Deleuze’s.

Cette étude de l’œuvre de Clément Rosset prend pour point central le concept de répétition, qu’elle applique aux notions de duplication, d’unique, de tragique et de joie. Au moyen d’une explication sur la manière dont Clément Rosset organise sa pensée autour d’une conception du tragique aboutissant à une forme de béatitude, se laissent notamment apercevoir l’originalité de son interprétation de la pensée de Nietzsche et les points de contact et de friction entre sa pensée et celle de Gilles Deleuze.

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À propos de la philosophie de Clément Rosset il n’est pas rare d’entendre dire qu’elle est la philosophie d’«une seule idée» Footnote 1 , idée unique dont l’expression trouverait appui sur deux thèmes indissociables. C’est pourquoi elle est tout aussi souvent identifiée à deux idées fondamentales : «Rosset a d’ailleurs déclaré n’avoir jamais eu que deux idées : celle du tragique et celle du double» Footnote 2 . La question de savoir si la base de la philosophie de Clément Rosset se compose de deux idées ou d’une seule ne trouve son sens qu’en révélant le paradoxe qui l’anime, à savoir le paradoxe de la pensée de l’unique.

Pour l’auteur de La philosophie tragique, le tragique est l’«unique» : ce qui échappe à toute représentation, qui contrarie toute tentative de reproduction, et demeure par là étranger à la pensée. Le double est la négation du tragique, l’ambition d’une reprise qui trahit nécessairement l’unique. Entre la structure de l’unique et celle du double apparaît ainsi le principe de la répétition qui semble en déterminer, quoique négativement, le rapport. En tant qu’elle éclaire la distance qui les sépare, la répétition fournit, et ce sera ici notre pari, une approche privilégiée pour la compréhension des idées de tragique et de double telles que les conceptualise Rosset.

À première vue, la répétition paraît n’être rien de plus que l’autre nom du double et du processus de duplication dont il est le résultat. Il semble aller de soi que le double se dise de la répétition. Mais dès lors que l’on porte notre attention sur l’objet et la motivation de la répétition, le double se trouve exposé dans sa nature plus complexe. Il n’est pas qu’une simple copie de l’unique, et la répétition qui le fait advenir devra se comprendre dans un sens bien précis. Si, en une certaine mesure, le tragique se révèle par défaut dans la signification que l’idée de double confère à la répétition, il l’intéresse aussi directement, en dépit de ce que laisserait présupposer son caractère unique. «Il est en effet remarquable que [...] de manière immédiate, la répétition apparaisse aussitôt qu’il y a tragédie» Footnote 3 .

Saisir en quoi le tragique, ou encore le réel dont il est l’essence, est immédiatement concerné par le principe de la répétition amène par ailleurs à interroger l’influence majeure de la pensée de Nietzsche sur la philosophie de Rosset. «[O]mniprésent dans l’œuvre de Rosset» Footnote 4 , Nietzsche est à l’origine de l’intuition du tragique de même que du seul concept qui sera susceptible d’en offrir l’explication, c’est-à-dire celui d’éternel retour. Comment l’unique peut-il échapper à la contradiction qu’implique son retour? L’éternel retour, thème lui-même récurrent dans les réflexions de Clément Rosset, et de façon plus marquée dans l’ouvrage La force majeure, sera au centre de nos préoccupations. Évoqué dans Logique du pire où il contribue par exemple à caractériser le tragique, il fera l’objet d’une réinterprétation qui révélera à la fois l’évolution et la singularité de la pensée de Rosset. De concert, mais aussi en contraste avec la réception de l’œuvre de Nietzsche qui prévaut en France à partir des années 1960, Rosset entend en proposer une lecture originale qui, à notre avis, exprime en définitive l’idée maîtresse que partagent leurs philosophies : celle de la joie.

Afin d’interpréter le thème de la répétition chez Rosset, nous proposons donc d’explorer les notions de double et de tragique et, par la même occasion, de mettre en lumière une philosophie qui s’affirmera comme étant d’abord une philosophie de la joie, une pensée de l’«accord paradoxal avec [le tragique]» Footnote 5 .

Puisque le choix de cet angle d’approche engagera l’appréciation de certains des concepts dominants de la philosophie nietzschéenne, dont certains parmi les moins consensuels, il importe de signaler d’entrée de jeu que cet essai n’aura pas la prétention de rectifier la position exégétique de Rosset, encore moins lorsqu’elle se trouve en porte-à-faux avec les différents moments du parcours intellectuel de Nietzsche. Sur cet aspect, notre analyse demeurera avant tout guidée par l’objectif de traduire la façon dont la philosophie rossetienne tire sa couleur propre d’un décryptage novateur de l’univers conceptuel nietzschéen. La prudence dont nous nous réclamerons à l’égard des considérations herméneutiques de Rosset devra encore être invoquée en ce qui regarde l’ensemble de son projet philosophique. Sonder une pensée tournée vers la question du tragique exige d’assumer une part d’ambiguïté qu’il faudra éviter d’opposer d’emblée à un souci de rigueur. En raison de son caractère essentiellement évanescent, qui rappelle les voies sinueuses de la théologie négative, la notion de tragique chez Rosset ne peut se prêter tout au plus qu’à une perception diffuse, et le difficile exercice de sa définition contraint à l’adoption d’un langage elliptique, voire apophatique. La philosophie de Rosset est une enquête sur un objet rétif à toute conceptualisation et nous espérons faire voir comment les différentes figures de la notion de répétition, que vient fortement teinter l’interprétation de l’œuvre de Nietzsche, concourent de façon ingénieuse à l’aborder obliquement.

1. Le double comme répétition

Soulever le thème de la répétition dans la philosophie rossetienne renvoie spontanément à la notion de double, centrale dans son œuvre. Le double est ce qui procure une visibilité au réel en en masquant la qualité tragique. «Le réel est ce qui est sans double» Footnote 6 , avance Rosset. Le double rend ainsi par la négative le premier aspect qui découvre le réel comme tragédie, à savoir son idiotie. Le réel est littéralement «idiot» parce qu’il est avant tout le singulier et, en cela, ne peut être chargé d’aucun sens. Ainsi comprise, l’idiotie résume le caractère insignifiant de ce qui est unique, de tout ce qui n’est donné qu’une seule fois : «Le singulier est l’unique avant d’être l’idiot» (Rosset, Reference Rosset1979, p. 33).

Dès lors que le réel est donné comme singularité, le double s’entend déjà moins comme répétition que comme dissimulation. Car le réel, qui est l’unique, l’«ἄλογον» Footnote 7 , échappe à la raison et paraphe donc l’échec de tout processus mimétique. Le réel ruine la prétention à son imitation fidèle et laisse enfin comprendre le double dans sa mission essentielle de subterfuge.

Doubler le réel, à la rencontre des sens strict et familier de copie et de dépassement, apparaît comme la conséquence de sa cruauté : second aspect du réel qui s’inscrit, selon l’auteur, dans la suite logique du premier. «Par “cruauté” du réel, j’entends d’abord, il va sans dire, la nature intrinsèquement douloureuse et tragique de la réalité» Footnote 8 . Dans la mesure où il refuse à l’homme toute possibilité d’interprétation et, partant, une quelconque prise rationnelle sur lui, le réel est une condamnation à la souffrance, au sentiment d’impuissance qui prend le nom d’angoisse.

La notion d’être [...] ne porte-t-elle pas en elle-même toutes les caractéristiques d’une urgence tragique que nous retrouvons éparses dans tel ou tel évènement dont le contenu irrationnel et injustifiable ne nous a davantage frappés parce qu’il faisait vibrer en nous une corde plus particulièrement sensible, par exemple celle de la douleur (Rosset, Reference Rosset1964, p. 10)?

La douleur de cette épreuve de l’irrécupérable unicité du réel, de son insurmontable insignifiance, ouvre une brèche pour sa connaissance. Et cette connaissance sourde, en quoi consiste enfin l’expérience de l’angoisse en tant que souffrance originelle, est le moteur de l’incessant mécanisme de duplication dont la fonction morale vise à la faire définitivement taire. Le double se présente en somme comme l’effet d’une cause «invisible» et muselée, révélant le tragique du réel, dimension inatteignable que désigne imparfaitement la formule cruauté du singulier.

Entre ces quelques mots forcément superfétatoires, que Rosset se résout à employer pour évoquer le tragique, «silence» est de ceux qui suggèrent avec le plus de force la nature du double comme parole à la fois creuse et consolatrice : «Le silence du monde est probablement la source principale de l’angoisse» (Rosset, Reference Rosset1964, p. 51). «Fondement universel de toute chose» (ibid.), le silence expose l’identité du sens et de la valeur, c’est-à-dire l’instinct moral qui préside à toute quête de signification. «La morale, comme le romantisme, est essentiellement une allergie au silence» (ibid., p. 53). Non plus seulement insignifiant, le réel devient pour l’homme l’inqualifiable, au double sens du terme : ce qui résiste au sens mais qui, en outre, est par là condamnable.

Le double, refus stratégique du tragique, est donc toujours d’essence morale. «On le voit, c’est seulement lorsqu’on a commencé à nier le tragique que se révèle la possibilité d’une morale» Footnote 9 . Puissance illusoire, le double se dit autrement de toute entreprise intellectuelle portée par cette ambition intarissable de dissimuler les deux traits du tragique : l’irréconciliable (sans appel, inévitable) et l’irresponsable (sans cause, inexplicable). C’est en sa qualité d’illusion que le double réfute plus clairement encore l’idée de répétition entendue au sens premier de reproduction stricte. Car si «la technique générale de l’illusion est de faire d’une chose deux» Footnote 10 , il faut voir ce passage de l’unicité tragique au double du réflexe moral bien plutôt comme étant le fait d’une «partition» Footnote 11 . De même que l’illusion romantique nourrit la conception d’un ailleurs du monde, le double est le résultat d’une division du réel; il est cet autre du réel qui en recèle le sens et, surtout, réussit à lui en usurper le titre, et à s’y substituer. Le mécanisme de l’illusion se découvre ici dans son plein mouvement. La partition du réel en est toujours en même temps la subversion.

Le double et l’illusion sont révélés dans leur parenté par la «structure oraculaire» qu’ils partagent. Les sinistres présages que dévoile l’oracle dans les tragédies antiques, et dont l’accomplissement est l’expression de l’inéluctable singularité du réel, donnent invariablement lieu à l’anticipation d’une esquive illusoire; d’une esquive à ce point nourrie d’espoir qu’en est perdue la raison d’être. Le double se lit dans la trompeuse créativité que fait naître la volonté aveugle d’échapper au destin prophétisé par l’oracle. Œdipe, personnage mythique fétiche de Rosset, en fournit l’une des plus fortes illustrations. Son parcours entier de Corinthe à Thèbes est une fuite dans laquelle s’égare sa propre motivation, un retour irrémédiable, mais plus encore invraisemblable, vers le réel.

À l’instar de l’oracle, à l’annonce duquel le réel est supplanté par le désir de s’y soustraire, la tradition philosophique marque, et de façon particulièrement accentuée dans sa branche métaphysique, la proximité de l’illusion et du double. «La duplication du réel, qui constitue la structure oraculaire de tout évènement, constitue également, considérée d’un autre point de vue, la structure fondamentale du discours métaphysique, de Platon à nos jours» (Rosset, Reference Rosset1976, p. 53). En prenant appui sur un principe transcendant pour donner un sens au réel même, la métaphysique conçoit un double qui le révèle en se le subordonnant. Le réel est ainsi réduit à une déclinaison sous la dépendance d’un double donné comme vérité, présenté comme «plus réel» que le réel. Par l’introduction de cette division au sein du réel, la métaphysique exprime plus généralement «cette réticence ancestrale de la philosophie à prendre en considération la seule réalité [...]» (Rosset, Reference Rosset1988, p. 12).

La structure oraculaire et métaphysique de l’illusion rend somme toute compte de la constitution paradoxale de la notion de double, qui serait à la fois elle-même et l’autre (Rosset, Reference Rosset1976, p. 18), se donnant pour le réel alors qu’elle en est par son contenu nécessairement et radicalement l’autre.

En résumé, le double consiste en une réaction morale engendrée par l’angoisse qu’inspire l’impitoyable silence auquel confine la singularité du réel. Il porte l’ambition de surmonter la forme unitaire du réel par le recours à la division. Il s’éloigne ainsi définitivement d’une simple répétition au sens de duplication en tant qu’il trahit la nature tragique du réel qu’il cherche à fuir. «[...] Le propre du réel est justement de se dérober à toute contradiction comme à toute possibilité de répétition» (Rosset, Reference Rosset1988, p. 21).

2. Le tragique comme répétition

2.1. Répétition tragique : la différence

Le rapprochement des thèmes de la répétition et du tragique apparaît pour la première fois de façon évidente dans Logique du pire (1971). Le «tragique de la répétition» y est évoqué pour aborder la nature du silence fondamental de l’être, une nature irréductiblement fermée à toute interprétation. Le double, tel que nous l’avons vu, concerne toujours un deuxième temps, constitue l’espace de représentation-refuge forgé en réaction à l’évènement tragique silencieux. C’est en ce sens, dans la mesure où il est «l’invraisemblable duplication du réel» (Rosset, Reference Rosset1979, p. 27) et qu’il n’entretient qu’un rapport négatif avec lui, qu’il faut préférablement parler de subversion plutôt que de répétition pour le double. Mais si la répétition n’est pas le fait du double en face du réel, elle n’en a pas moins partie liée avec lui; c’est vers le terrain ontologique qu’elle engage désormais la réflexion de Rosset : qu’en est-il de l’évènement tragique lui-même? Quel lien peuvent entretenir la répétition et le tragique?

[...] une autre question serait de déterminer si, pour être tragique, l’évènement No. 1 ne répète pas déjà quelque chose. Il est en effet remarquable que l’évènement non-interprétable, qui peut être ainsi qualifié de tragique, se déploie toujours sur fond de répétition et que, de manière immédiate, la répétition apparaisse sitôt qu’il y a tragédie (Rosset, Reference Rosset1971, p. 63).

Se référant une nouvelle fois à l’exemple du théâtre grec, et en particulier à celui de Sophocle, Rosset cherche à distinguer le type de répétition apte à rendre ce qu’il y a de proprement redoutable dans l’évènement tragique. Puisqu’il n’y a de redoutable que ce qui se laisse reconnaître, mais de manière incertaine, une répétition de type tragique devrait à la fois convoquer le prévisible et l’imprévisible. Si un évènement est parfaitement prévu, et donc entièrement connu, ou, au contraire, s’il échappe complètement à toute prévision et demeure radicalement étranger, il ne peut être tragique pour la raison qu’il n’est pas redoutable. L’appréhension de l’évènement tragique est celle d’un inconnu qui ne se laisse qu’indistinctement deviner et qui ne permet d’en présager que l’éventuelle venue. Rosset formule ainsi la «loi» à laquelle devra répondre la répétition dite tragique : qu’elle «donne du même coup le répété et l’original» (Rosset, Reference Rosset1971, p. 64), c’est-à-dire qu’elle n’ait de prévisible que son imprévisibilité. La difficulté tient, dans ces conditions, à la qualification de cette imprévisibilité : en quels termes celle-ci peut-elle s’énoncer? Que peut-on dire encore de cet original qui se confond avec le répété? Tout au plus qu’il est un premier terme inconnaissable que ne peut en définitive préciser que son mode de répétition, soit «la façon dont il répéterait» (ibid.).

Se dessine dans cette courte réponse une précision d’importance pour la philosophie tragique de Rosset : «Ce que répète la répétition renvoie donc inévitablement au mythe et à l’inconnu; en revanche, il est possible d’observer comment la répétition répète» (ibid., p. 65). Rappelée notamment dans La force majeure (1983) et dans Le choix des mots (1995), la distinction des deux grandes conceptions de la répétition laisse en effet voir en quel sens évolue la pensée de l’auteur et quelles influences se révéleront déterminantes pour celle-ci. À l’époque de Logique du pire (1971), cette distinction est claire et tranchée : il y a la «mauvaise» et la «bonne» répétition. Incarnée par Schopenhauer, dont elle a été la «grande obsession», la première répétition est celle qui, en substance, n’est jamais parvenue à se délivrer de l’idée du même; il s’agit de la répétition-rengaine. L’idée de différence que suggère la répétition schopenhauerienne est toujours demeurée prisonnière de la force originelle qu’est la Volonté. Dès lors qu’elle connaît un fondement, aussi réduit soit-il, la répétition perd du même coup son visage inconnaissable et tragique.

La répétition qui réussit l’exploit de ne répéter rien, la «bonne» répétition, est la répétition différentielle qui trouve son expression la plus éloquente dans la pensée nietzschéenne de l’éternel retour. Figure dominante de la pensée rossetienne, qui est étroitement liée à la perspective tragique, Nietzsche apporte un concept-clé dont l’interprétation par Rosset connaîtra des nuances, à notre avis, significatives. «[...] De même qu’elle l’était chez Schopenhauer, la répétition a été la grande affaire de Nietzsche, mais en un sens tout nouveau» (Rosset, Reference Rosset1971, p. 68).

Le retour éternel prend chez Rosset un fort accent deleuzien, avec la reconnaissance de sa propriété différentielle. Ce que répète la répétition est enfin ramené au plus près de l’idée de singularité, à sa plus insignifiante définition : la différence. Le même de la répétition est ainsi dit de la différence elle-même : il y a «réapparition de la différence, du singulier, du même en tant qu’il était différent» (ibid., p. 68). Il n’y a donc que des différences et celles-ci ne peuvent être comprises que sous la forme d’«idées obscures et distinctes» :

Obscures par leur distinction même : l’idée «distincte», c’est-à-dire entièrement distinguée des autres, n’est pas claire mais obscure; l’absence de référentiels où prendre sa mesure rend celle-ci silencieuse et aveugle (ibid., p. 69).

Rosset se trouve à ce moment au plus près du projet exposé par Deleuze dans Différence et répétition, projet que résume cette seule et succincte définition : «la répétition est différence sans concept» Footnote 12 . Parvenir à faire l’économie du concept pour la différence, soit à penser une différence non-conceptuelle, devient la condition de l’idée d’éternel retour comme traduction philosophique du silence tragique. «C’est en quoi, finalement, la différence est le tragique même : en ce qu’elle porte en elle la raison du non-interprétable, c’est-à-dire le principe de silence» (Rosset, Reference Rosset1971, p. 69). Ainsi posé, l’éternel retour de Nietzsche ouvre la voie à un autre maître-mot chez Rosset, synonyme du silence, dont dépendra l’approche du tragique : «Faire parler davantage le silence supposerait qu’on dispose d’un mot magique, qui sache parler sans rien dire [...]. Or, un tel mot existe peut-être : le hasard» (ibid., p. 70). En tant que «concept tragique» ou «anti-concept», le hasard donne son identité la moins positive à ce premier terme inconnaissable d’où procède tout évènement et qui, de la même façon, est situé à l’extérieur du temps. «Hasard» est le nom du chaos originel que concourent à caractériser les notions d’immanence et de spontanéité, et qui spécifie la temporalité propre à la pensée de l’éternel retour : «L’instant-zéro de la vision du Retour Éternel marque notre appartenance à une temporalité ouverte [...]», aux conceptions circulaire et linéaire du temps, il «oppose la permanence du hasard» Footnote 13 .

Le hasard originel et silencieux de Rosset rejoint clairement la pensée deleuzienne de l’éternel retour en ce qu’elle pointe également dans la direction de la joie et de l’affirmation tragique qui lui sont intimement liées. Deleuze évoque en ces mots, dans son Nietzsche, la réponse infailliblement affirmatrice de l’homme de l’éternel retour : «le destin dans l’éternel retour est aussi la “bienvenue” du hasard» Footnote 14 . Dans La force majeure (1983), Rosset fait explicitement de la joie le pôle central de sa philosophie en même temps qu’il l’articule comme le point focal de la pensée de Nietzsche. La joie constitue le «même» du tragique, autrement dit sa seule et plus infime constante : «Pour un renouveau de la différence, retour du même de la jubilation. C’est ainsi que le même et l’autre, la répétition et la différence, se confondent finalement dans l’intuition de ce qui pour Nietzsche était l’unique objet de la réflexion : la vie» (Rosset, Reference Rosset1971, p. 68-69).

2.2. Répétition mythique : l’artifice

La répétition se taille encore une place de choix dans L’anti-nature, ouvrage qui suit Logique du pire et qui pourrait aisément en composer le second volet. Elle y est envisagée comme étant au service d’une pensée qualifiée d’artificialiste. Afin d’aspirer au rang de la pensée tragique, le terme «artifice», de même que celui de «hasard», doit préalablement s’être émancipé du principe de contradiction dont dépend logiquement sa compréhension. Ainsi, de la même façon qu’il importe de concevoir un hasard originel qui ne découle pas de la simple négation de l’idée d’ordre, Rosset réclame, et revendique, une définition de l’artifice qui soit complètement affranchie de son opposition à l’idée de nature. La répétition entre à ce moment en scène pour affirmer le caractère dorénavant autonome et originel de l’artifice, et révéler l’assomption trompeuse d’une nature sur laquelle il apparaîtrait nécessairement en relief. Dans sa nouvelle acception, l’artifice ne procède plus d’aucun modèle et adopte les traits d’une pure différence qui se répète incessamment. Non pas abolie, la nature subsiste quant à elle comme erreur de perspective, son existence n’étant invoquée qu’a posteriori pour expliquer la répétition de l’artifice : «[...] [L]a répétition [...] fait office, dans tous les cas, de catalyseur nécessaire à cette opération quasi magique dont doit résulter la représentation d’une nature» Footnote 15 .

L’influence du scepticisme humien se reconnaît sans peine dans la proposition d’une thèse artificialiste qui conteste la préséance d’un ordre naturel. Ce serait en effet toujours une croyance, d’inspiration morale précise Rosset, qui supporterait l’idée d’une nature comme instance première. Le thème de l’éternel retour évoqué pour rendre compte de cette «opération quasi magique» est cette fois celui développé par Mircea Eliade dans Le mythe de l’éternel retour. «L’ajout de croyance à l’expérience, qui permet l’émergence d’une nature sur fond de répétition, implique [...] l’appui du mythe» (Rosset, Reference Rosset1973, p. 28). Le mythe est en effet ce qui explique comment, de la répétition, est nécessairement inférée l’idée d’un commencement et, en outre, comment le caractère symbolique de ce même commencement découle du caractère impensable de la répétition.

L’idée de nature apparaît donc comme une expression très générale de la pensée mythique : elle désigne, dans tous les cas, cette instance primitive à partir de laquelle l’existence actuelle est censée s’être constituée par voie de répétition (ibid., p. 29).

Le mythe d’une nature originelle est donc le contraire de la notion tragique de hasard et prépare le terrain à la notion de double qui sera développée dans l’ouvrage suivant : Le réel et son double (1976).

L’artificialisme, soit la pensée de l’artifice comme ce qui est répété hors de toute nature, mène lui aussi, comme l’ensemble des thèmes rossetiens, au paradoxe élémentaire de la joie, qui «consiste en une approbation de l’existence tenue pour irrémédiablement tragique» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 24). Aussi indéfinissable qu’injustifiable, la joie est la seule réponse qui s’exprime en l’homme tragique devant le retour de l’artifice, une réponse insensée puisqu’elle ne repose que sur la promesse de la nouveauté radicale, et donc sur rien : «[...] car l’homme de l’artifice dit oui à une instance purement négative (le hasard) [...]. C’est là le paradoxe constant de la philosophie tragique, dont le propre est de jubiler sans raison [...]» (Rosset, Reference Rosset1973, p. 312).

3. Nietzsche et la répétition : la force majeure

S’il est un ouvrage dans la production philosophique de Rosset qui expose avec clarté le rapport inextricable qu’entretiennent la répétition et le paradoxe de la joie, il s’agit très certainement de La force majeure (1983). C’est dans ce volume, où il est plus spécifiquement question de son interprétation de la pensée nietzschéenne, que le philosophe accorde sa plus grande place au thème de la joie tragique et offre l’occasion de comprendre de nouveau à quel point il est prééminent dans l’ensemble de son œuvre. À la suite de la critique en bloc des commentateurs de Nietzsche, qu’il accuse de participer à sa «trahison posthume» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 32), Rosset entend rectifier la compréhension de l’éternel retour et en proposer ainsi une version qui rompt avec la vision moderne dominante. En se limitant aux seuls textes dont Nietzsche a approuvé la publication, il entreprend de rétablir le rôle capital qu’aurait joué dans sa philosophie le thème de la béatitude et, ce faisant, de souligner son influence sur sa propre pensée.

Tout d’abord, l’avis de Rosset au sujet des exégètes de la philosophie nietzschéenne s’exprime sans ambages : ils sont tous du côté de l’ignorance. Aussi bien les pourfendeurs de son dangereux nihilisme que les partisans de son génial silence philosophique méconnaissent la véritable pensée de Nietzsche à force d’avoir voulu lui insuffler leurs propres vues et de lui avoir prêté de cette façon des «préoccupations complètement étrangères à ce qui (l’)intéresse» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 33). Foucault, Bataille, Derrida, Blanchot et plus particulièrement Klossowski tombent dans la seconde catégorie, celle des adeptes du vide de contenu. Point de vérité chez Nietzsche pour ces auteurs, sinon une vérité sans cesse «différée» sur la base de l’impossibilité de sa médiation, un sens toujours relégué dans l’avenir. Ce que manquent ces lectures modernes — qui participent de ce que Rosset qualifiait d’«illusionnisme philosophique» puisqu’elles se satisfont d’«annoncer le sens sans le montrer» Footnote 16 —, c’est l’affirmation d’une vérité indissociable de l’expérience immédiate de la béatitude. Cette vérité, souligne-t-il, est également celle de la musique.

Le terme de béatitude, emprunté au philosophe Henri Briault, est le pendant nietzschéen de l’allégresse spinoziste qui contribue directement à définir la joie rossetienne. Il porte l’idée «d’une allégeance inconditionnelle à la simple et nue expérience du réel en quoi se résume et se singularise la pensée philosophique de Nietzsche» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 35-36). La béatitude, soutient Rosset, est le thème principal de Nietzsche, voire le seul, à la remorque duquel s’inscrivent tous ses autres concepts tels le surhomme, la volonté de puissance et, bien entendu, l’éternel retour. Thème fondamental, la béatitude s’offre, libérée de tout ancrage, comme un don sans origine. Elle est la plus haute forme de «providence personnelle». La parfaite liberté qui caractérise la béatitude nietzschéenne permet à Rosset de marquer l’écart qui la distancie de l’optimisme leibnizien : Nietzsche a franchi le dernier pas en privant pour sa part le «meilleur des mondes» de toute justification divine. Il serait à ce titre plus juste de faire de Nietzsche un ultra-leibnizien,

[...] car tandis que Leibniz attribue à Dieu l’organisation de la providence générale, Nietzsche attribue au «hasard», conçu comme principe a-théiste, ou plutôt anti-principe, le mérite de cette providence personnelle qui veille sur la fortune de chacun en particulier (ibid., p. 38).

La béatitude est la reconnaissance d’un hasard providentiel dans le sens où elle signifie l’accueil exalté, à tout moment, de l’intégralité du réel dont il constitue la mécanique intrinsèque. «Le régime de la joie est celui du tout ou rien : il n’est de joie que totale ou nulle» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 7), résume Rosset et, dans l’univers métaphorique nietzschéen, il n’est d’image plus éloquente que celle du ruminant pour exemplifier la «capacité d’ingestion» de la totalité des pensées. Cette catégorisation radicale du «tout ou rien» prend une étonnante, voire contestable, couleur morale en se doublant des étiquettes de «bon» et de «mauvais»; d’une part, le bon ruminant digère tout, le malheur comme le bonheur et, d’autre part, le mauvais ne digère rien. Suivant cette interprétation, le bon ruminant devient l’expression de l’indissociabilité de la connaissance du malheur et de celle du bonheur, soit la «connaissance tragique» du réel. Rosset identifie là, dans l’association de la connaissance tragique et de la joie, affirmée dès La naissance de la tragédie (1872), et qui prendra bientôt le nom de «gai savoir», la véritable assise de la pensée nietzschéenne. «La connaissance tragique : elle ne soustrait rien à la béatitude, mais constitue un surcroît de gaieté qui l’emporte sur la souffrance» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 43).

Rosset relève une équivalence dans la philosophie nietzschéenne, en ce qui a trait au fondement de la connaissance tragique, entre la béatitude et la musique. Ces notions se retrouvent de la même manière au cœur de sa propre pensée puisqu’elles sont toutes deux conçues comme étant dépourvues de signification, comme partageant le même esprit essentiellement insolite auquel il est fait référence dans Principe de sagesse et de folie (1991). L’expérience musicale constitue en effet une voie d’accès immédiate à l’expérience de la béatitude : «la béatitude nietzschéenne est garantie dès ici-bas : et ce par l’expérience, répétable à loisir, de la jubilation musicale» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 46).

Toutefois, prévient Rosset dans une mise en garde qui traduit l’originalité de sa position critique, il est préférable de s’abstenir de faire de la musique quelque chose de plus qu’une voie d’accès et de conclure, de pair avec nombre d’interprètes de Nietzsche, qu’elle tient lieu, dans une ultime extension, de vérité du réel. Car la musique reflète le non-sens du monde, sa qualité d’être, et Rosset refuse sans ménagement le pas qui conduit à la donner pour l’être lui-même : la vie n’est pas un phénomène esthétique. «Ce qui vaut dans la musique est qu’elle témoigne de ce monde [...]. L’affirmation nietzschéenne du réel passe bien par l’expérience de la musique mais ne concerne pas pour autant la seule réalité musicale» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 52).

Affirmer que l’absence de sens équivaut à une absence de présence contredit fondamentalement l’intuition tragique de Nietzsche. Rosset s’inscrit en faux contre ce qu’il juge être une dérive interprétative qui, surévaluant l’aspect critique de sa philosophie, aboutit à la négation de toute vérité du monde. Il cherche ainsi à freiner dans sa course, ou dans sa régression, une certaine conception du scepticisme de Nietzsche en rétablissant le sens d’une proposition ontologique trop promptement occultée : «[...] sa critique de l’idée d’un monde vrai située au-delà du monde des apparences est toujours menée en faveur de la réalité et non en faveur d’une apparence conçue en tant que témoignage d’on ne sait quelle inconsistance du monde» (ibid., p. 60). L’erreur dont se serait rendu coupable Klossowski, comme quantité d’autres qui lui ont emboîté le pas, a été de confondre dans l’écriture de Nietzsche «monde vrai» et «vérité». La clé de l’ontologie nietzschéenne selon Rosset, qui est par le fait même, on l’aura compris, celle de sa propre ontologie du réel, réside en la survivance de la réalité; si le monde est sans vérité il n’en est pas pour autant moins vrai lui-même :

[...] même chez Nietzsche la vérité demeure le contraire du mensonge. En sorte que si le «monde vrai» est pour Nietzsche un mensonge, cela ne signifie pas que le monde en son apparence soit une fable mais bien au contraire qu’il est véridique et constitue la réalité (Rosset, Reference Rosset1983, p. 63).

Il n’y a donc de vérité que celle de la réalité elle-même et celle-ci vient coïncider avec la vérité de l’apparence. La difficulté de cette affirmation tient à l’évidence au sens accordé à la notion d’apparence; il est primordial de dissocier l’apparence mensongère parce que figée en un sens, ou un double qui se donne pour le «monde vrai», et l’apparence en tant qu’elle peut faire apparaître la vérité insensée du réel. Aux tenants d’une interprétation nihiliste de l’apparence qui déduisent de son règne la simple abolition du réel échapperait précisément cette distinction.

Répétons-le : s’il n’est de vérité qu’en l’absence de fausses apparences, il y a toujours, au demeurant, une vérité. Affirmer que «le réel est ce qui est sans double», c’est d’abord affirmer le réel. Rosset rejette donc clairement le nihilisme ontologique comme conséquence obligée du scepticisme : «[...] Rosset ne descend jamais en-deçà de cette pensée fondamentale : il y a quelque chose et non rien [...]» Footnote 17 . Et ce quelque chose auquel parvient, ou plutôt «s’arrête», l’entreprise sceptique s’avère l’objet du «gai savoir», qui n’est autre que le «savoir du non-sens, de l’insignifiance, du caractère non-signifiant de tout ce qui existe» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 69). Pour Rosset, le «gai savoir» est en somme l’affirmation de l’idiotie du réel, c’est-à-dire de son inconcevable unicité, une affirmation toujours nécessairement première qui exige de revoir la portée de la démarche critique de celui que l’on surnommait abusivement le philosophe du soupçon. Contrairement à la thèse endossée notamment par Deleuze, qui veut que la critique soit «le souci dominant» de la philosophie nietzschéenne, Rosset cherche à redéfinir cette dernière comme conséquence de l’affirmation et de la béatitude. Ce n’est pas la critique qui aboutit au oui, comme s’il fallait porter le non jusqu’à sa propre négation afin qu’il puisse renaître en son contraire. Rosset s’oppose à cette vision qui supposerait en quelque sorte la nécessité d’une «négation dialectique de la négation» (ibid., p. 74-75) pour l’affirmation. Le oui ne doit s’autoriser d’aucun non. Admettre chez Nietzsche que «la violence critique est [...] une suite d’une autre et première violence, la violence de l’approbation» (ibid., p. 75) requiert toutefois de se référer à l’étymologie du terme «critique». Rosset insiste sur cette nuance sémantique qui rapprocherait le mot non plus, comme dans son sens actuel, de l’idée de lutte ou d’opposition, mais davantage de celles d’observation et de distinction. Définie comme force seconde, la critique devient une mise à l’épreuve perpétuelle de l’affirmation — un test pour le oui plutôt que l’expression nue du non.

Le thème de l’éternel retour est aussi réinterprété dans le même sens. Si Rosset reprend l’analyse des différents types de répétition, comme il l’avait fait dans Logique du pire, la conclusion s’en trouvera cependant sensiblement déplacée. Trois versions de l’éternel retour sont distinguées selon ce qu’elles font revenir : rien ou «aucune chose» dans le cas de Klossowski, la différence pour ce qui est de Deleuze, et le même incarné par l’«être éternel» qui transcende tout «étant» chez Heidegger (Rosset, Reference Rosset1983, p. 83-84). Rapidement évoquées plutôt qu’explicitées, les diverses versions recensées de l’éternel retour visent avant tout à mettre en lumière l’importance que revêt un tel concept dans les interprétations traditionnelles de l’œuvre nietzschéenne. Or, Rosset conteste précisément l’influence, jugée disproportionnée, qui lui est fréquemment accordée. L’éternel retour n’est pas cette «pensée centrale» Footnote 18 à propos de laquelle s’est constituée une abondante littérature critique, et il suffirait d’un simple retour aux écrits de Nietzsche pour le confirmer. Rendre sa juste place à cette pensée réclamerait en effet de se borner à ce que Nietzsche a publié à son sujet et, par conséquent, de refuser de la comprendre, comme il est fait de façon générale, à travers les fragments posthumes qui composent La volonté de puissance. Car, bien que les allusions puissent certainement y être plus nombreuses, «il reste que le fait d’être exprimée est, pour que pensée il y ait, une condition sinon suffisante du moins nécessaire» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 85). Que la publication autorisée confère sa légitimité à l’expression d’une pensée est une conviction chère à Rosset qui sera plus explicitement développée dans Le choix des mots (1995), conviction qu’il y aurait lieu de discuter dans un autre cadre. Partant ainsi de la prémisse qu’il est vain d’interroger une pensée encore inexprimée, Rosset ne retient que les ouvrages achevés et publiés de Nietzsche et y puisera une définition éthique de l’éternel retour qui l’éloignera du détail technique des explications de Klossowski et de Heidegger.

Relevant les deux passages où est directement abordée la question de l’éternel retour, dans Le gai savoir (1882) et dans Par-delà le bien et le mal (1886), Rosset souligne dans un premier temps la rareté de ses occurrences en regard de la totalité de l’œuvre. Mais puisque sa fréquence ne peut constituer un indice valable de la valeur que lui reconnaissait réellement son auteur, il faut s’en remettre à l’étude attentive du contenu de ces deux passages. Le premier aphorisme, celui du Gai savoir, comprend la description la plus formelle de l’éternel retour. «Il n’y aura rien de nouveau» (§341), y est-il annoncé Footnote 19 . Le type de répétition auquel renvoie ce message est ainsi précisé :

Il s’agit d’une répétition stricte, — ce qui n’exclut d’ailleurs pas le retour de la différence tel que le suggère Deleuze, si tant est que la vie elle-même est constituée de différences, mais exclut en revanche l’idée d’un retour du même tel que le conçoit Heidegger [...] (Rosset, Reference Rosset1983, p. 86).

Si ce passage permet de réitérer une adhésion à la version deleuzienne de l’éternel retour, il porte aussi, cependant, le motif d’une lecture de moins en moins philosophique. Ce que révèle en effet Le gai savoir, et qui sera confirmé par l’extrait de Par-delà le bien et le mal (§56), est essentiellement la fonction qui est attribuée à l’éternel retour, c’est-à-dire la visée pratique plutôt que théorique qui lui est reconnue : «Le retour éternel est présenté d’emblée [...] non comme une thèse portant sur la vérité des choses, mais comme une hypothèse invitant à une réaction affective» (ibid.). En tant qu’elle est proposée comme «fiction», la pensée de l’éternel retour prend désormais part, tout comme la pratique sceptique, à l’épreuve de la béatitude dont elle représentera le point culminant. «Voudrais-tu ceci encore une fois et d’innombrables fois?» (§341) La question, adressée à l’homme, n’est plus dirigée que vers sa réponse et ne renseigne en rien sur la nature de son monde :

Le retour éternel fait avant tout, chez Nietzsche, office de révélateur. Révélateur non proprement philosophique, d’une vérité des choses, mais plutôt psychologique, de la vérité du désir humain : signalant à la fois le désir optimal chez ceux qui prennent l’idée de retour à la légère, c’est-à-dire avec faveur et amour, et la maladie du désir chez ceux qui ressentent une telle idée comme éminemment lourde et pesante [...] (Rosset, Reference Rosset1983, p. 87-88).

Non moins révélatrice, cette interprétation plus psychologique du thème nietzschéen de l’éternel retour contribue à éclairer la pensée propre de Rosset : une pensée de la joie pour laquelle le réel tragique ne peut jamais dépasser les limites de son silence et qui, de là, ne s’intéressera surtout qu’à la réaction de l’homme. Ainsi s’annonçait le projet rossetien dans son premier ouvrage, La philosophie tragique : «Notre interrogation portera sur l’homme en face du tragique» (1960, p. 19). Le projet philosophique de Rosset est resté fidèle à cette première interrogation, et c’est cette cohérence que résume enfin le mot du commentateur Nicolas Delon, qui conclut : «Rosset ne parle pas d’absolu, il parle de nous» Footnote 20 .

Quand Rosset «parle de nous», il parle toujours de notre capacité à dire oui à la répétition tragique ou, en d’autres mots, de ce «désir d’éternité» qui doit être compris dans le sens d’un accueil infini : «Le oui qui s’éprouve dans la pensée du retour éternel vaut en ceci qu’il accepte, ou plutôt serait disposé à accepter, de toute chose existante le pur et simple retour» (Rosset, Reference Rosset1983, p. 89). Si elle n’est pas la «pensée centrale» de la philosophie de Nietzsche, la pensée de l’éternel retour n’en demeure donc pas moins pour Rosset une «pensée décisive». Interprétée de la sorte, elle traduit une approche non-dialectique pour laquelle l’éternité devient le barème de l’affirmation. Une approche en marge du nietzschéisme français moderne et qu’illustrent certaines analyses plus récentes telle celle de Monique Dixsaut, qui traduit ainsi la fonction affirmative de l’éternel retour : «C’est pourquoi il faut encore comprendre que dire oui à la vie une fois [...] c’est dire “alors, encore une fois”. [...] Le oui s’approfondit de l’éternité; l’affirmation qu’on fait et doit faire de la vie n’est vraiment affirmation, affirmation sans réserve, qu’à cette condition» Footnote 21 .

La pensée de l’éternel retour, dont le mandat principal est de conférer sa pleine intensité à l’affirmation de la vie, en possède enfin un second qui est le corollaire du premier : celui de départager ceux qui sont capables de supporter une telle pensée de ceux qui ne le peuvent pas ou, autrement, les bons des mauvais ruminants. Car l’éternel retour est une mise à l’épreuve de la joie et il sert de critère de reconnaissance pour l’homme tragique dont la distinction tient à la qualité de l’affirmation. Voilà en somme pourquoi Rosset en fait à la fois un défi et, comme Deleuze, la marque distinctive de la joie tragique.

Ainsi se définit selon Nietzsche l’absolue intégrité de la joie et de l’amour, d’en toujours revouloir et toujours du même; et Deleuze a tout à fait raison d’attribuer à la pensée nietzschéenne du retour un caractère fondamentalement sélectif [...] (Rosset, Reference Rosset1983, p. 88).

4. La répétition : l’affirmation en question

Dans les post-scriptum de la partie «La joie et son paradoxe» de l’essai Le choix des mots, paru en 1995, Rosset pose une nouvelle fois la question du type de répétition qui sied le mieux à la joie tragique. Récupérant l’opposition répétition rengaine-répétition différentielle avancée dans Logique du pire plus d’une vingtaine d’années plus tôt, il cherche à élucider «l’extrême difficulté qu’il y a à comprendre la propre pensée du retour éternel que Nietzsche présente, notamment dans son Zarathoustra, comme unique pensée capable de triompher du nihilisme» Footnote 22 .

Si nous retrouvons le choix initial entre le retour du même (que représentait Schopenhauer) et celui de la différence (que représentait Nietzsche, selon la version de Deleuze), s’y superpose cette fois beaucoup plus expressément l’opposition entre les positions nihiliste et affirmatrice que ce choix supposait déjà : «[...] au nihiliste la répétition-rengaine, à l’homme affirmateur au sens nietzschéen la répétition différentielle» (Rosset, Reference Rosset1995, p. 105). Telle est bien, rappelle Rosset, la thèse qu’il a jusque là soutenue. Mais ce que dévoile, ou achève de dévoiler, Le choix des mots est la conclusion qui porte à repenser la primauté accordée au concept deleuzien de répétition différentielle, à l’idée d’un retour de la nouveauté radicale : «J’ai longtemps moi-même applaudi à cette interprétation, qui cependant me paraît aujourd’hui fort contestable et même contraire à ce que Nietzsche me semble exprimer couramment par les notions de joie et de dionysiaque» (ibid.). En fait, explique Rosset, la contradiction entre les deux types de répétition tombe tout simplement parce que la question ne se trouve pas là. La relecture de Zarathoustra l’en a persuadé : les deux types de répétition portent à la toute fin un même message, à savoir qu’«il n’y a rien à espérer de nouveau (même sous une forme seulement quasi répétitive)» (ibid.). Ce qui importe, c’est toujours le degré d’assentiment qu’inspire cette répétition. Bref, Rosset finit ici de tirer l’interprétation de l’éternel retour du côté de sa signification psychologique ou affective, et coupe court à la question de sa portée ontologique.

Mais le débat est situé ailleurs : il ne porte plus sur le plus ou moins grand nombre de joies et de peines, ni sur leur caractère plus ou moins identique lorsqu’il leur arrive de réadvenir, mais sur la valeur respective qu’accordent le nihiliste et l’affirmateur tant à l’expérience de la peine qu’à celle de la joie (ibid., p. 106).

Dans ce partage des positions, l’avantage sera toujours à l’affirmateur, qui l’emportera invariablement sur le nihiliste puisqu’il reçoit en prime, pourrions-nous dire, ou de surcroît, la joie. C’est là le sens, selon Rosset, que renferme l’énigmatique déclaration de Zarathoustra lorsqu’il affirme, rappelant ainsi le titre du fameux aphorisme du Gai Savoir, que «la joie pèse plus que le chagrin» (Rosset, Reference Rosset1995, p. 107).

Plus lourde, première, la joie éclaire finalement tout aussi bien l’idée de l’éternel retour que le projet de «renversement des valeurs» dont Nietzsche avait l’ambition. Ce n’est pas, encore une fois, «la vérité des choses» qui est concernée par ce renversement, mais la valeur qui est accordée à l’implacabilité de cette vérité. L’objectif n’aura jamais été que celui de «rendre à chacun son dû : à la tristesse le fâcheux mais brillant rôle de “second”; à la joie l’indiscutable premier rôle» (ibid., p. 115). Pour Rosset, la pensée nietzschéenne de l’éternel retour est sans équivoque un «argument psychologique» en faveur de la joie. Il l’affirme, ou le réaffirme, dans une conférence consacrée à ce sujet lors d’un passage au Mexique en 2009 et reprise dans Tropiques. Cinq conférences mexicaines (2010). S’il amorce son analyse en rappelant les origines présocratique et stoïcienne de l’idée, c’est en vue de nier par la suite toute parenté avec la version moderne qu’en propose Nietzsche. Il y a en effet rupture : alors qu’elle remplissait, dans la philosophie antique, la fonction d’explication de l’ordre universel, elle fait figure, dans la philosophie nietzschéenne, de scénario hypothétique visant à mesurer la force de la joie. Le retour nietzschéen se distancie ainsi irrémédiablement de la cosmogonie des Anciens et, en conséquence, d’un certain courant philosophique moderne qui a cherché à mettre en évidence leur supposée proximité. «[M]algré les tentatives de rapprocher les deux thèmes, dues à des philosophes du XXe siècle, il est impossible de discerner le moindre rapport entre la théorie grecque et l’argument nietzschéen» (Rosset, Reference Rosset2010, p. 61).

Dans la mesure où Rosset le situe «non au fondement mais à l’horizon, comme test [...]» Footnote 23 , l’éternel retour, et donc la répétition, quitte le domaine philosophique de l’être pour celui du désir : désir de rien (double) ou désir de tout (tragique). À travers sa lecture de Nietzsche, et plus spécifiquement de l’éternel retour, Rosset donne à voir comment le principe de la répétition est tout compte fait à l’unique service de la joie tragique.

Conclusion

Si le principe de la répétition n’est pas le thème le plus usité pour l’approche de la philosophie rossetienne, il étaye néanmoins une perspective dont l’intérêt réside dans l’expression de quelques-unes de ses plus déterminantes lignes de force et, plus particulièrement, de leur convergence vers la «vérité» de l’expérience de la joie.

En cherchant à spécifier en quel sens il était possible d’entendre le procédé de duplication du réel, et en soulignant sa distance avec l’idée de répétition, nous voulions rappeler la fonction de dérobade du double et, de cette façon, le caractère unique, c’est-à-dire foncièrement impensable et cruel du tragique. Le double comme fuite trahit en effet l’angoisse caractéristique de l’expérience tragique et dévoile la joie comme sa seule réponse légitime. L’ontologie de Rosset, «relayée par une critique psychologique et antimétaphysique de l’illusion» Footnote 24 , apparaît ainsi comme le fait exclusif de ce sentiment indescriptible.

Tout autant, la répétition, à travers l’interprétation de l’idée nietzschéenne de l’éternel retour, a permis de faire ressortir non seulement son rôle central, mais également son rang premier dans l’œuvre. C’est sur elle que repose en dernière analyse la philosophie tragique parce que c’est elle qui tient le tragique au-dessus de tout soupçon (Rosset, Reference Rosset1960, p. 71). «L’allégresse, ou l’amour du réel, [...] est cependant attachée à un objet propre [...] : le fait ontologique, le fait que le réel existe, qu’il y ait quelque chose plutôt que rien» (Rosset, Reference Rosset1977, p. 78). De répétition différentielle à fable métaphysique, l’éternel retour de Rosset est l’illustration de cette certitude. «Le jouisseur d’existence — l’homme heureux — se reconnaît précisément à ceci qu’il ne demande jamais autre chose que ce qui existe pour lui ici et maintenant; il tend au contraire à souhaiter l’infinie multiplication des choses qui existent [...]» Footnote 25 .

En somme, par l’entremise de la répétition, nous nous sommes efforcée de faire voir comment, chez Rosset, une pensée tragique, pensée de l’unique, se résorbe dans une pratique de la joie qui déborde la critique et la relègue au second plan. La philosophie rossetienne serait donc, après tout, la philosophie d’une seule idée, d’une unique et joyeuse intuition.

Remerciements :

Je tiens à remercier vivement le professeur Sébastien Charles ainsi que mon directeur de recherche, Benoît Castelnérac, pour leurs précieux conseils lors de la révision de cet article. Je leur suis reconnaissante pour leur soutien et l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail. Je souhaite également exprimer toute ma gratitude pour le travail de correction exceptionnel réalisé par l’évaluateur anonyme de la revue. Sa lecture attentive et la générosité de ses commentaires ont considérablement contribué à l’amélioration de ce texte. J’aimerais enfin souligner l’aide attentionnée de l’assistante à la rédaction de Dialogue, Mme Cécile Facal, qui m’a patiemment guidée dans le processus de mise en forme et dans les touches finales à apporter. Je l’en remercie chaleureusement.

Footnotes

1 Raphaël Enthoven, «Clément Rosset : le gai savant» (Reference Enthoven2006).

2 Jean Tellez, La joie et le tragique. Introduction à la pensée de Clément Rosset (Reference Tellez2009, p. 113).

3 C. Rosset. Logique du pire (Reference Rosset1971, p. 62-63).

4 Nicolas Delon, «Clément Rosset. Le cours des choses» (Reference Delon2008). Nous soulignons ici la qualité des analyses critiques réalisées par Nicolas Delon dont les articles, en particulier ceux qui portent sur les liens entre le nietzschéisme et la philosophie de Rosset, paraissent en ligne sur son site Atelier Clément Rosset.

5 C. Rosset. La force majeure (Reference Rosset1983, p. 24).

6 C. Rosset, L’objet singulier (Reference Rosset1979, p. 15).

7 C. Rosset, Le monde et ses remèdes (Reference Rosset1964, p. 20).

8 C. Rosset, Le principe de cruauté (Reference Rosset1988, p. 20).

9 C. Rosset, La philosophie tragique (Reference Rosset1960, p. 111).

10 C. Rosset, Le réel et son double (Reference Rosset1976, p. 19).

11 C. Rosset, Le régime des passions et autres textes (Reference Rosset2001, p. 80).

12 Gilles Deleuze, Différence et répétition (Reference Deleuze1968, p. 36).

13 Philippe Granarolo, L’individu éternel. L’expérience nietzschéenne de l’éternité (Reference Granarolo1993, p. 151).

14 G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie (Reference Deleuze1962, p. 32).

15 C. Rosset, L’anti-nature (Reference Rosset1973, p. 26).

16 C. Rosset, Le réel. Traité de l’idiotie (Reference Rosset1977, p. 54).

17 N. Delon (Reference Delon2008).

18 Lionel Duvoy, «Présentation», dans Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes sur l’éternel retour (Reference Duvoy and Nietzsche2003, p. 14).

19 La traduction de Nietzsche citée ici et employée par Rosset est celle de Klossowski publiée chez Gallimard d’après l’édition de G. Colli et M. Montinari (voir Nietzsche, Reference Nietzsche1982 [1881-1882]).

20 N. Delon (Reference Delon2008).

21 M. Dixsaut, Nietzsche. Par-delà les antinomies (Reference Dixault2012, p. 269).

22 C. Rosset, Le choix des mots, suivi de La joie et son paradoxe (Reference Rosset1995, p. 103).

23 N. Delon, «Le nietzschéisme de Clément Rosset» (Reference Delon2006).

24 N. Delon (Reference Delon2008).

25 C. Rosset, Principes de sagesse et de folie (Reference Rosset1991, p. 47).

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