Si les auteurs classiques des théories des organisations sont bien connus de nom, il n'est pas rare, néanmoins, que leurs textes s'empoussièrent sur les rayons de bibliothèque. Il faut dire que le champ est vaste et que nombre des écrits qui le composent, à défaut d'être mis en contexte convenablement, prennent les habits de l'archaïsme lorsque rapprochés des plus récentes modes managériales. Pourtant, la lecture des écrits fondateurs des théories des organisations revêt une valeur heuristique indéniable. Pour faire contrepoids aux multiples synthèses qui en sont faites chaque année, un recueil de textes classiques, comme celui que proposent Bélanger et Mercier, est appréciable et trouve sa pleine justification en regard des anthologies qui embrassent le même projet.
Le premier attrait du recueil provient de la sélection des textes qui y sont présentés. D'abord, l'ouvrage expose des écrits de Gouldner, Mayo, Burns et Stalker, Smircich et DiMaggio et Powell traduits pour la première fois en français. Aussi, même si elle tait certaines approches plus contemporaines, l'anthologie illustre l'ensemble des écoles classiques des théories des organisations et quoique certains textes se situent en marge d'une définition conventionnelle du champ visé, ils ont tous eu une contribution majeure dans leur discipline d'origine. Par ailleurs, Bélanger et Mercier n'ont retenu des écrits choisis que les passages qu'ils considéraient comme étant les plus importants, proposant ainsi au lecteur d'aller droit à l'essentiel. Le résultat est donc un concentré, en trente-six courts textes, d'extraits et de concepts clés du champ de l'analyse organisationnelle.
Le regroupement des textes pourra aussi être utile au lecteur souhaitant faire un plongeon rapide et intelligible dans les écrits classiques. Conventionnel, comme le soulignent Bélanger et Mercier, ce regroupement, en onze écoles centrées sur les objets et approches de recherche, permettra de se familiariser avec des thèmes et des repères encore très structurants dans l'étude des théories des organisations. C'est ainsi que les auteurs abordent, tour à tour, les courants de l'analyse de la division du travail et de la bureaucratie, de l'école des relations humaines et des sciences du comportement, de l'école de la prise de décision, de l'analyse systémique et de la contingence structurelle, de l'analyse stratégique, de l'analyse culturelle, des approches économiques, de l'école néo-institutionnelle et de l'administration comparée, de l'écologie des populations et des métaphores biologiques, de l'humanisme radical et du structuralisme radical, et des approches interprétatives.
De même, c'est avec une prédilection pour une lecture simple et dynamique que sont élaborées les notes explicatives précédant chacun des textes. Elles contribuent en quelques mots à faire connaître les auteurs, à situer leur texte dans l'ensemble de leurs écrits et à démystifier des concepts parfois difficiles à saisir. Nous nous référons notamment aux explications apportées aux problèmes d'agence traités par les approches économiques (32–33) et au concept d'isomorphisme mobilisé par l'école de l'écologie des populations (453–454). Ainsi, même si nous aurions souhaité que ces notes soient un peu plus systématisées et que les auteurs mobilisent et explicitent davantage leurs sources, elles conviennent à la nature du projet.
Il en va différemment de certaines imprécisions qui semblent aussi découler de l'approche de la simplicité, comme on peut le constater, par exemple, dans l'explication donnée de la notion de paradigme de Burrell et Morgan. Bélanger et Mercier définissent le concept de paradigme comme étant «l'attitude fondamentale de celui qui porte son regard sur les organisations» (8) et qui serait à rapprocher de «l'attitude fondamentale» (7) qui dicte la visée des travaux des auteurs des théories des organisations. Or, si on peut deviner dans ces explications un souhait de vulgarisation, la traduction de la notion de paradigme par celle d' «attitude fondamentale» opère un glissement de sens important par rapport à la définition originale d'un paradigme en tant que «conception méta-théorique», glissement susceptible d'entraîner, par ailleurs, de la confusion en associant d'aussi près la notion de paradigme à celle de visée de la recherche.
Toutefois, la principale faiblesse du livre réside, selon nous, dans l'introduction. Afin d'accompagner le lecteur dans son parcours des théories des organisations, les auteurs commencent leur ouvrage en traçant à grands traits l'évolution de ce champ. Pour ce faire, ils se construisent d'abord une grille d'analyse en fonction de neuf critères puisés dans différents paramètres traditionnels de classification des théories des organisations. Puis, ils présentent les onze écoles qui ponctuent leur ouvrage, en en précisant le contenu et l'étendue, en y situant les textes présentés dans l'anthologie et en en faisant l'analyse à l'aune des critères préalablement exposés. Or à notre avis, la structure de l'échafaudage analytique est difficile à saisir, ce qui en réduit d'autant la portée.
D'une part, la présentation des critères retenus oscille entre des considérations tantôt épistémologiques, tantôt méthodologiques et tantôt de modélisation, selon un va-et-vient qui, sans autre explication quant à sa logique, n'aide pas à l'intelligibilité de la grille proposée. D'autre part, les choix qui sous-tendent les critères retenus ne sont pas justifiés. Pourtant, les questions soulevées par ces critères sont nombreuses. Par exemple, les critères d'évaluation de la qualité de la démarche scientifique adoptés par Bélanger et Mercier, rappelant le positivisme, nécessiteraient des éclaircissements quant à leurs fondements épistémologiques, d'autant plus que les auteurs s'ouvrent, par ailleurs, à l'idée d'une diversité de positions épistémologiques acceptables. La grille d'analyse prend donc la forme d'une succession de critères multiples sans toutefois offrir d'articulations claires des fondements qui la sous-tendent. Par conséquent, son utilisation n'apporte pas la profondeur voulue à l'analyse ultérieure des diverses écoles de pensée. En outre, il ne nous semble pas certain que l'explication fournie à la page 7 quant aux possibilités de réconciliation des perspectives déterministe et volontariste permette de saisir la nuance, ni l'intérêt qu'il y a à souligner que les propositions de Williamson supposent un «individu volontariste», tout en étant «- [r]ésolument déterministes- » (36).
Si la grille proposée n'apporte pas toujours l'éclairage souhaité, il importe de noter la pertinence de recourir aux classifications traditionnelles des théories des organisations pour choisir les critères d'analyse dans le cadre d'une introduction à ce champ d'étude. Étant donné que les classifications des théories ont été nombreuses au cours de l'évolution de ce domaine et que certaines d'entre elles sont devenues en soi des textes classiques, notamment les ouvrages de Burrell et Morgan et de Scott, le recours aux paramètres traditionnels de classification pourra enrichir la réflexion et nourrir la distanciation critique du lecteur découvrant ce champ. Ce n'est donc pas tant le choix de ces critères que leur manque d'organisation et d'intégration et le peu d'explications fourni quant à leur choix qui posent un problème.
À un moindre niveau, le classement des textes à l'intérieur des onze écoles soulève aussi quelques interrogations. L'inclusion des travaux de Castells et de Dejours, entre autres, dans le champ des théories des organisations est pour le moins inhabituelle. Cela dit, la présentation de ces auteurs permet ici d'actualiser les débats suscités respectivement par l'école de la contingence et par l'humanisme radical. Par contre, le rapprochement des textes de d'Iribarne et d'Hofstede du néo-institutionnalisme de DiMaggio et Powell d'un côté, et d'une analyse de Porter sur les déterminants de l'investissement de l'autre côté, soulève plus de questions. En effet, si chacun de ces textes permet d'approfondir la nature du déterminisme de l'environnement sur l'entreprise, les textes d'Hofstede et de d'Iribarne sont, d'après nous, des classiques en raison bien plus du renouveau qu'ils ont apporté au traitement du thème de la culture que de leur contribution aux débats du néo-institutionnalisme. D'ailleurs, Bélanger et Mercier sont d'avis que la critique adressée à l'école néo-institutionnelle ne s'applique pas aux études de l'administration comparée, auxquelles ils ne consacrent, par conséquent, que quelques lignes à peine (41–42). Aurait-il donc été plus approprié de regrouper les textes de d'Iribarne et d'Hofstede avec ceux de Schein et de Smircich, quitte à rapprocher l'école néo-institutionnelle de l'écologie des populations?
En conclusion, si certains commentaires comportent des imprécisions et si la classification de certains écrits pourrait être discutée, la principale faiblesse de l'ouvrage réside dans la grille d'analyse proposée. Celle-ci comprend, certes, des éléments très pertinents en regard de l'histoire des théories des organisations, mais elle ne propose pas le surplus de sens attendu en raison de son grand nombre de critères, faute d'une intégration adéquate de ces critères entre eux. Néanmoins, la bonne représentativité et la sélection judicieuse des extraits de textes classiques présentés dans ce livre en font un ouvrage de référence utile tant pour les enseignants que pour les étudiants qui voudront s'initier aux théories des organisations en allant directement à la source.