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Normes et rivalités diplomatiques à l'ONU. Le Conseil de sécurité en audience, David Ambrosetti, P.I.E., Peter Lang, Bruxelles, 2009, 349 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 September 2010

Jean-François Thibault
Affiliation:
Université de Moncton
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Tiré d'une thèse de doctorat, l'ouvrage de David Ambrosetti entend contribuer à combler ce que l'auteur estime constituer une importante limite méthodologique relative à l'usage inapproprié qui serait fait du concept de norme dans l'étude des relations internationales, notamment chez les chercheurs de tendance constructiviste. En effet, non seulement ceux-ci postuleraient-ils en amont ce qu'il s'agit plutôt de parvenir à expliquer en aval, soit l'impact ou l'influence de ces normes que l'auteur interprète ici comme des «attentes collectives reconnues au sein d'un groupe», mais ils confondraient par ailleurs trop souvent la dimension normative de la réalité sociale ainsi entendue et les «normes» définies dans une perspective éthique comme exprimant une claire distinction entre le bien et le mal. Or, s'interroge D. Ambrosetti, à quoi tiendrait au juste la force persuasive de ces attentes collectives si, précisément, l'on écarte en amont le consentement ou l'attachement des acteurs à de telles normes éthiques? Quelles seraient les modalités par lesquelles, sans être explicitement fondées en raison et sans même nécessairement faire l'objet d'une formulation discursive explicite, ces attentes normatives pourraient néanmoins être considérées comme déterminant ou motivant la pratique des acteurs diplomatiques?

L'auteur avance que ces attentes normatives seraient notamment liées à la place occupée par divers mécanismes de «sanction sociale» dans la production et la reproduction de la pratique de ces acteurs. Cette sanction sociale, qu'il convient de ne pas trop rapidement confondre avec la contrainte ou la coercition puisqu'elle prendrait plutôt la forme de pratiques d'acquiescement ou de condamnation, s'imposerait en effet objectivement aux acteurs – qui demeurent réalistes en ce qu'ils souhaitent avant tout acquérir et préserver leurs positions de pouvoir ou d'influence au sein d'un groupe donné et dans un espace social donné – en vertu des «réactions positives ou négatives préalablement observées ou personnellement expérimentées» (62). Dès lors, le fait pour un acteur de se conformer ou de ne pas se conformer à une quelconque attente du groupe et à la «pression» qu'il exerce aurait un impact direct sur la reproduction de sa position au sein de ce groupe et de l'espace social qu'il définit. Ainsi, sur le plan théorique, cela signifiera que comprendre ces attentes collectives consistera au fond à apprécier de quelles manières les acteurs qui sont plongés dans des processus de crises cherchent d'abord et avant tout, au fil de leurs interactions, à éviter les sanctions sociales (les «coups») susceptibles de fragiliser leurs positions de pouvoir et d'influence. Ces attentes collectives s'exprimaient ainsi à travers la «sensibilité au risque de coups» et, du point de vue du chercheur, mieux comprendre cette sensibilité impliquera de se pencher sur les «formes les plus pratiques de l'exercice du pouvoir» (20).

Dans le but d'illustrer la pertinence de cette lecture sociologique du travail diplomatique qui est souvent noyé dans un quotidien dont la routine est constituée de déclarations officielles, d'échanges courtois et de débats techniques, D. Ambrosetti approfondit un terrain qu'il a déjà abordé dans un ouvrage précédent (La France au Rwanda, Paris, Karthla / CEAN, 2000). Alors qu'il s'attachait essentiellement dans cet ouvrage à la politique de la France au Rwanda dans la perspective du génocide de 1994, l'auteur élargit sa lecture de la politique française dans la région des Grands Lacs pour mettre en évidence son évolution et la situer sur les scènes médiatique et diplomatique qui sont au cœur du processus consistant à établir et à apprécier le capital symbolique dont dispose un État face à ses partenaires au sein du Conseil de sécurité.

Ainsi l'auteur met en lumière que la France tente, à partir de 1993, de porter au Conseil de sécurité l'action dans laquelle elle est unilatéralement engagée au Rwanda depuis 1990. Ce premier glissement marquerait l'effort des diplomates français pour transformer le «don sécuritaire» associé depuis les indépendances à un rôle de patron protecteur qui avait traditionnellement caractérisé la politique française sur le continent africain. En effet, alors que la France optait, en 1990, pour une intervention militaire unilatérale (opération Noroît), à partir de la fin de l'été 1993 (accords d'Arusha), elle privilégie plutôt une perspective multilatérale placée sous mandat des Nations Unies. Alors qu'en 1990 la France ferme pour ainsi dire les yeux sur le caractère «ethniciste» du régime du président Habyarimana qu'elle cherche alors à défendre, au lendemain du génocide de 1994, elle engage une autre opération militaire autorisée par les Nations Unies et comportant cette fois un mandat strictement humanitaire.

Cette évolution de la politique française se verra confirmée en 1996 alors que se rejoue, mais au Zaïre cette fois, une situation du même type que celle qui avait motivé l'intervention de la France au Rwanda en 1990. Or, cette fois-ci, la France se refuse à adopter une attitude unilatérale et refuse de jouer la carte humanitaire du sauvetage des réfugiés rwandais au Zaïre. Elle plaide plutôt pour un déploiement multilatéral qui n'aura finalement pas lieu, ce qui témoigne du fait que, dans la foulée de l'échec rwandais, ses principaux partenaires au sein du Conseil de sécurité refusent de lui reconnaître une position privilégiée dans ce dossier. La période marque une phase de recul de l'influence de la France au sein du Conseil de sécurité et ce n'est qu'à la toute fin des années 1990 que s'amorce, sous l'impulsion des diplomates en poste à New York, plutôt que des responsables politiques à Paris, un effort de réengagement de la France dans le dossier du Zaïre (devenu entre-temps la République démocratique du Congo (RDC)). La diplomatie française parvient alors à faire accepter un déploiement de Casques bleus composé de troupes provenant essentiellement «d'États proches» de la France (284). Finalement, tirant les leçons du «lead» qu'aura précédemment assumé avec succès le Royaume-Uni dans le cadre du conflit en Sierra Leone et alors qu'elle est désormais plus consciente que l'argumentaire humanitaire ne signifie rien si la volonté d'intervenir n'est pas également présente, ce n'est qu'en 2003 que la France lance une opération en RDC sous le drapeau de l'Union européenne et avec un mandat humanitaire des Nations Unies. Bien que le succès de la communauté internationale en RDC demeure pour le moins ambigu encore aujourd'hui, la France confirme néanmoins qu'elle a alors retrouvé sa position de «lead» sur les conflits dans la région des Grands Lacs.

L'ouvrage de D. Ambrosetti convainc le lecteur de l'intérêt que représente une telle interprétation tout à fait originale s'attachant à éclairer la logique et la rationalité qui entourent les attentes normatives qu'entretiennent les décideurs diplomatiques au Conseil de sécurité. Riche en analyses d'un jeu diplomatique qui comporte ses règles propres, l'ouvrage met un peu plus de chair sur les rivalités de puissance au sein du système international ainsi que sur ce que l'on associe peut-être trop rapidement à l'intérêt national de l'État.