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L'aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord
Published online by Cambridge University Press: 03 March 2005
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L'aide au conditionnel. La contrepartie dans les mesures envers les personnes sans emploi en Europe et en Amérique du Nord, Pascale Dufour, Gérard Boismenu et Alain Noël, Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 2003, 219 p.
Les dépenses publiques sont, dans la majorité des pays occidentaux, sous haute surveillance. Dans la dynamique générale de réduction des dépenses que l'on observe depuis maintenant plusieurs années, l'aide sociale et les autres formes d'aide aux sans-emploi se retrouvent parmi les postes budgétaires les plus questionnés par les pouvoirs publics. Ce questionnement s'est notamment traduit par l'introduction de mesures visant à contraindre les prestataires à de nouvelles exigences, de sorte que l'aide qui leur est octroyée est de plus en plus “ conditionnelle ”. Dufour, Boismenu et Noël proposent une analyse comparée de l'évolution de ce type de mesures qui comporte 6 pays, soit le Canada (fédéral, Québec, Ontario et Alberta), les États-Unis (fédéral, Wisconsin et Californie), la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Danemark. Plus spécifiquement, les auteurs cherchent à répondre à deux questions principales : comment comprendre les transformations actuelles des systèmes de protection sociale et quels sont les éléments de convergence et de divergence entre les divers pays. L'ouvrage est découpé en sept sections, incluant l'introduction et la conclusion.
- Type
- BOOK REVIEWS
- Information
- Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique , Volume 37 , Issue 3 , September 2004 , pp. 762 - 765
- Copyright
- © 2004 Cambridge University Press
Les dépenses publiques sont, dans la majorité des pays occidentaux, sous haute surveillance. Dans la dynamique générale de réduction des dépenses que l'on observe depuis maintenant plusieurs années, l'aide sociale et les autres formes d'aide aux sans-emploi se retrouvent parmi les postes budgétaires les plus questionnés par les pouvoirs publics. Ce questionnement s'est notamment traduit par l'introduction de mesures visant à contraindre les prestataires à de nouvelles exigences, de sorte que l'aide qui leur est octroyée est de plus en plus “ conditionnelle ”. Dufour, Boismenu et Noël proposent une analyse comparée de l'évolution de ce type de mesures qui comporte 6 pays, soit le Canada (fédéral, Québec, Ontario et Alberta), les États-Unis (fédéral, Wisconsin et Californie), la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Danemark. Plus spécifiquement, les auteurs cherchent à répondre à deux questions principales : comment comprendre les transformations actuelles des systèmes de protection sociale et quels sont les éléments de convergence et de divergence entre les divers pays. L'ouvrage est découpé en sept sections, incluant l'introduction et la conclusion.
L'aide au conditionnelle est définit par les auteurs comme “ l'introduction de logiques de contrepartie dans les programmes qui visent les sans-emploi ” (9). On s'intéresse donc aux (nouvelles) exigences imposées aux sans-emploi en échange desquelles les prestations sont dorénavant versées. Les mesures étudiées prennent généralement deux formes, soit le soutien du revenu ou les mesures actives. De façon plus précise, ce sont celles qui touchent les personnes sans-emploi qui n'ont pas ou non plus accès aux régimes d'assurance; on parle donc généralement d'aide ou d'assistance sociale ou d'aide de dernier recours. La catégorie d'acteurs sociaux qui nécessitent ces formes d'aide serait en hausse depuis plus ou moins quinze ans. On aurait à cet égard observé des transformations importantes au niveau du marché du travail, transformations qui auraient eu pour effet de diversifier la nature du chômage (longue durée et récurrent plutôt que passager) et la demande d'assistance (jeunes, femmes, personnes près de la retraite). Parallèlement, les programmes d'assurance-chômage auraient subi des changements au cours des années 1990 allant dans le sens d'une plus grande sévérité à l'égard des sans-emploi. Voilà donc pour le contexte général de l'ouvrage présenté en introduction.
Dans le premier chapitre, les auteurs présentent leur cadre théorique, lequel s'inscrit dans la littérature sur les régimes d'État-providence, leur évolution et leur transformation. Après avoir présentés les différentes approches à partir desquelles l'aide sociale est généralement abordée (défense du workfare, principe de l'engagement mutuel, analyse critique, travaux empiriques), les auteurs proposent une approche dite relationnelle de la contrepartie, qui vise à explorer les changements qui surviennent dans les régimes en ce qui a trait à l'aide aux sans-emploi. Les auteurs s'attaquent donc à la question du changement de politique - question centrale pour les institutionnalistes - changement qui s'inscrit dans un contexte global mais qui est filtré par les contextes nationaux de chacun des États étudiés. Par ailleurs, bien que la réponse des États à ce contexte global reflète en partie leurs héritages historique et institutionnel respectifs, ceux-ci ne peuvent expliquer à eux seuls les transformations en cours. Pour comprendre ces dernières, la prise en compte de trois types de “ relations sociales ” s'avère nécessaire. Ces relations sont celles qu'entretiennent le prestataire avec l'État, avec le marché et avec son environnement social; la perspective privilégiée est donc celle du prestataire, au sens où l'on cherche à mettre en lumière la complexité de sa situation socio-économique et son rapport aux politiques publiques. Selon les auteurs, c'est de cette façon qu'il est possible d'analyser le caractère dynamique des réformes en cours et ainsi de mettre en lumière les éléments de convergence et de divergence entre les cas.
Dans le deuxième chapitre, les auteurs tracent à grand trait l'évolution des régimes de protection sociale. Deux facteurs principaux auraient contribué à leur transformation. Le premier de ces changements est la modification de la nature du chômage et ses impacts fondamentaux sur les divers programmes. D'un chômage transitoire et essentiellement conjoncturel, refléter par des politiques visant le plein emploi, les années 1980 ont été marquées par une réduction significative du nombre d'emplois; les auteurs indiquent donc que la “ nature du risque à couvrir ” a changé. Le deuxième changement en est un de nature politique et réfère à des questions de restrictions budgétaires et d'idéologie; les auteurs parlent “ d'austérité budgétaire ” et d'une “ nouvelle rhétorique de l'activation ” (43). Une fois ces tendances globales identifiées, les auteurs s'affairent à les nuancer en évoquant les différences entre les pays : les pays anglophones seraient davantage préoccupés par les problèmes de dépendance à l'égard de ce type de programmes et leurs coûts, ce qui se traduit par des actions qui vont dans le sens d'une plus grande sévérité, alors qu'en Europe continentale, malgré certains changements et certaines nuances, une plus grande permissivité demeure.
Dans le troisième chapitre, on explore la première relation identifiée, à savoir celle entre le prestataire et l'État; on s'intéresse à l'articulation entre les droits et les responsabilités, au caractère plus ou moins ciblé des mesures et à l'autonomie relative des prestataires eu égard à la contrepartie exigée. Il ressort notamment de l'analyse que “ l'aide de dernier recours pour les sans-emploi n'est jamais un droit inconditionnel ” (72). Toutefois, malgré cet élément de convergence, des distinctions sont identifiées en ce qui a trait à l'application de la contrepartie : les pays anglophones (États-Unis, Canada, Royaume-Uni), avec certaines nuances, ont tendance à être davantage sévères dans l'application des mesures et à viser comme objectif premier la réduction des dépenses publiques; pour le deuxième groupe de pays, on assisterait plutôt à une transformation de l'action publique qui viserait la recherche de nouvelles solutions politiques aux problèmes des sans-emploi, ce qui se traduit, notamment, par une plus grande flexibilité dans l'application des mesures et par certaines innovations. Dans le quatrième chapitre, on analyse la seconde relation, celle entre le prestataire et le marché. Au-delà de la préoccupation commune à tous les pays de “ rendre la protection contre le risque de chômage plus directement productive par rapport à l'emploi et au retour sur le marché du travail ” (105), conception qui découlerait d'une nouvelle vision de la société active, deux groupes de pays ressortent. Pour certains (Danemark, États-Unis, Canada), l'emploi demeure la principale, voir l'unique forme d'intégration des personnes au sein de la société, alors que d'autres (France, Allemagne, Royaume-Uni) favorisent également les formes domestiques et communautaires d'intégration. Cette première distinction en fonction des formes d'intégration en est une relativement générale et d'autres découpages sont à faire en ce qui a trait aux mesures concrètes : sortie rapide des dispositifs d'aide (États-Unis, Canada, Royaume-Uni), dispositifs tournés vers l'intégration à l'emploi régulier (Danemark et Allemagne) et dispositif tourné vers l'intégration sociale au sens large (France). Finalement, les auteurs reconnaissent les limites de l'ensemble des mesures au regard de l'intégration durable des travailleurs, mais aussi leurs bienfaits en ce qu'elles permettent généralement le maintien de certains liens avec le marché du travail. En ce qui a trait la troisième relation (prestataire - environnement social), objet du cinquième chapitre, elle serait marquée depuis quelques années par la transformation et/ou l'émergence de nouvelles formes d'intervention telles que le développement de politiques familiales plus englobantes, de même que par divers efforts de décentralisation visant à transférer une part des responsabilités vers les collectivités locales et autres partenaires susceptibles de suppléer aux seuls efforts étatiques; les divers cas à l'étude sont distingués selon ces deux dimensions. Ainsi, les auteurs identifient quatre groupes : aux États-Unis, l'État impose le modèle familial traditionnel - par exemple en pénalisant les mères prestataires qui attendent un autre enfant - privatise de plus en plus la gestion de la contrepartie et transfert les responsabilités vers la famille et la communauté; en Grande-Bretagne et au Canada anglais, le soutien est de plus en plus axé sur les familles pauvres et la privatisation de la contrepartie, bien qu'amorcée, y est moins développée qu'aux États-Unis; en Allemagne, les mesures, relativement généreuses, permettent aux femmes de demeurer à la maison avec leurs enfants, ce qui ne facilite pas toujours leur réinsertion sur le marché du travail, et on observe un transfert des responsabilités vers les communautés locales; finalement, au Québec, en France et au Danemark, on privilégie davantage que dans les autre cas la conciliation travail-famille par diverses mesures, la décentralisation est amorcée (surtout au Danemark), mais l'État demeure un acteur important. Les auteurs notent que c'est cette dernière relation qui présente le plus grand contraste au regard des classifications traditionnelles et qui permet donc la plus grande différenciation entre les cas.
En conclusion, les auteurs notent que l'évolution des régimes de protection sociale marque une transformation profonde de l'action de l'État en cette matière. En ce sens, la contrepartie ne peut, selon les auteurs, être considérée comme une mode. Elle s'inscrirait plutôt dans une nouvelle philosophie d'intervention largement partagée, mais dont les modalités d'application varient de façon plus ou moins importantes d'un pays à l'autre. Par ailleurs, ce nouveau mode d'intervention à l'égard des sans-emploi poserait certains problèmes. Les auteurs affirment en effet que “… l'introduction de la contrepartie marque un recul de la protection sociale pour les personnes démunies ” (177) et qu'elle “ va souvent de pair avec l'apparition de nouvelles formes de pauvreté ” (179). D'ailleurs, si l'on peut adresser un reproche à cet ouvrage, il réside peut-être dans cette hésitation que l'on retrouve parfois dans le texte à considérer clairement l'introduction généralisée de la contrepartie comme un recul de l'État providence. À titre d'exemple, au chapitre 4 (108-09-10), les auteurs s'affairent à présenter les changements en cours davantage comme des transformations dictées par une nouvelle vision de la société active que comme un simple recul. L'État y est présenté comme un partenaire, un animateur ou un facilitateur, ensemble de rôles qui viserait à favoriser l'exercice des responsabilités individuelles et qui ne se limiterait pas à un simple transfert de responsabilités vers d'autres acteurs. Cette interprétation de l'évolution du rôle de l'État semble cadrer plus ou moins bien avec le reste de l'analyse, qui elle fait ressortir, au-delà de certaines nuances et de certaines innovations, une réduction plutôt significative de l'aide et une plus grande sévérité dans son application.
L'aide au conditionnel constitue très certainement un ouvrage des plus intéressants pour tous ceux qui s'intéressent aux politiques sociales en général et, plus particulièrement, aux changements en matière de protection des sans-emploi. L'analyse empirique est assez détaillée et donne un aperçu assez précis de l'évolution concrète des mesures dans chacun des pays. L'organisation de l'analyse comparée permet en outre de bien saisir les éléments de convergence et de divergence entre les cas. De plus, le parallèle qui est fait entre l'évolution de ces mesures et l'évolution des politiques familiales, par l'entremise de la relation prestataire – environnement social, apparaît approprié en ce qu'il permet de mettre en perspective les changements observés.