Hostname: page-component-6bf8c574d5-b4m5d Total loading time: 0 Render date: 2025-02-21T04:29:19.970Z Has data issue: false hasContentIssue false

Penser la guerre au futur sous la direction de Richard Garon Les Presses de l'Université Laval Québec, 2016, 270 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 November 2016

Adib Bencherif*
Affiliation:
Université d'Ottawa
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Reviews/Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2017 

Penser la guerre au futur est un ouvrage dirigé par Richard Garon, doctorant en science politique à l'Université Laval ayant servi de nombreuses années au sein des Forces armées canadiennes. L'ouvrage est dès lors à l'image du parcours de celui qui l'a dirigé et tente de mêler des considérations théoriques et pratiques. Énoncé dans l'introduction coécrite par Gaston Côté et Richard Garon, l'objectif est de combiner « une réflexion sur la guerre comme phénomène, ainsi que [sur] sa conduite » (3). Les différents chapitres parviennent dans la majorité à questionner le rôle des nouvelles technologies, tout en les mettant en relation avec la dimension humaine. L'ouvrage se construit toutefois dans une tension. Alors que les praticiens, ou plutôt les officiers, se livrent à des développements conceptuels souvent élaborés et complexes sur la conduite de la guerre, les universitaires se penchent davantage sur le phénomène de la guerre. Si cette tension peut être fertile à la réflexion, on peut regretter qu'elle ne se fasse pas sous la forme d'un dialogue entre les auteurs, particulièrement entre les universitaires et les praticiens. En effet, les chapitres abordent des thématiques se recoupant très souvent. Néanmoins, des ponts sont rarement jetés entre eux. Certains d'entre eux se démarquent toutefois par leur qualité analytique et leur habileté à répondre à l'objectif de l'ouvrage. Davantage le fait des universitaires, ils permettent de tenter ici une synthèse critique minimalement dialogique pour ce collectif.

Le chapitre premier de l'ouvrage « De quoi s'agit-il ? Guerre, conflit, intervention », écrit par Richard Garon, est un véritable tour de force faisant un état des lieux de la littérature sur la stratégie militaire, tout en offrant une lecture historique sur la conduite de la guerre. L'introduction d'un modèle triangulaire construit sur trois pôles (36), à savoir les institutions, la technique et la mobilisation, est une élégante tentative croisant un souci d'analyser la conduite de la guerre et d’établir une sociologie de la guerre d'inspiration durkheimienne. Néanmoins, cette dernière se présente sous la forme d'une typologie particulièrement complexe, réduisant l'efficacité du modèle présenté. Les qualités pédagogiques de Garon se retrouvent aussi au quatrième chapitre, où il se livre à une introduction au débat entourant les notions de « guerre d'information » et de « cyberguerre ». De plus, son modèle théorique de la guerre d'information par influence (114) - un modèle encore une fois assez complexe dans son opérationnalisation - est illustré toutefois de manière efficace à travers l'exemple de la stratégie d'influence utilisée par le Hezbollah, lors du conflit l'ayant opposé à Israël à l’été 2006 (119–122).

Le second chapitre, écrit par le Colonel Simon Bernard, se penche sur le concept de révolution dans les affaires militaires (RAM). Il critique le fait que la technologie semble guider les politiques et stratèges militaires américains, alors qu'elle devrait être un moyen mis au service des objectifs politico-militaires. Dans le cas des États-Unis, la technologie définit et subsume la stratégie au lieu d'en être une composante. La dichotomie introduite par l'auteur entre technologie et décision humaine est cependant à nuancer.

En effet, Hugo Loiseau, au dixième chapitre, fait ressortir le fait que l'humain est, par exemple, constamment présent dans les enjeux de cybersécurité. « L'humain est agissant, figurant ou subissant dans le phénomène cyber » (250). Il peut être un créateur, notamment dans la figure de l'hacktiviste, un acteur passif, en utilisant le contenu et les services disponibles dans le cyberespace, ou encore un acteur dominé subissant le cyberespace. Auquel cas, il convient pour Loiseau de se questionner et d'analyser les normes, les comportements et les intentionnalités de l'ensemble des acteurs faisant le cyberespace (258–260).

Dans la même lignée, Sylvain Munger invite à une lecture plus complexe des relations entre la technologie et les décisions humaines. En effet, Munger présente (troisième chapitre) une analyse historique originale de l’évolution de la figure de soldat. Celui-ci serait passé du héros homérique au soldat-automate, pour converger à présent vers une figure hybride, synthèse illustrée par le personnage fictif d’Iron Man. Munger souligne l'importance de l’évolution des imaginaires qui guide et accompagne l'utilisation des technologies. Au septième chapitre, Munger se réfère à l'expression « d'assemblage humain-matériel » lorsqu'il se penche sur la question de l'utilisation des drones et des algorithmes prédictifs (169). Il souligne dès lors la dialectique permanente entre la machine et l'humain et le virtuel et le matériel, en puisant dans la littérature des études critiques de sécurité (Ibid).

Chantale Pilon, dans le huitième chapitre, ajoute toutefois que l'avènement des technologies réduit l'espace de rencontre entre les combattants. La conscience des vulnérabilités et des fragilités humaines réciproques, dans les camps s'affrontant, s'évanouit en même temps que les opportunités de rencontre (224–225). Si les affrontements directs sont réduits par la technologie et le calcul distant, la compréhension de l’« Autre » est aussi simultanément altérée. Comme en écho à ce propos, Soheil Kash (cinquième chapitre) renverse la maxime de Carl von Clausewitz « la guerre n'est que la continuation de la politique par d'autres moyens » pour étudier le « politique comme acte de guerre », dans la continuité de Carl Schmitt et Michel Foucault (125–126). Il souligne, dans une plume assez tortueuse qui se perd parfois, que la « guerre est le principe du politique » (127). Par conséquent, le politique est la cristallisation de rapports de force et de domination, notamment idéologiques. Pour l'auteur, ces derniers sont, par contre, masqués par les dialogues entrepris par une justice dite de consensus, écho de l’imago mundi de l'impérialisme américain.

Pour conclure, l'ouvrage a le mérite de se livrer à une étude pluridisciplinaire, réunissant les réflexions de praticiens et d'universitaires. Néanmoins, il n'est pas parvenu à relever le défi de les mettre en dialogue. En effet, les auteurs-praticiens, qui sont simultanément des stratégistes, auraient été intéressants à voir dans un exercice de réponses aux lectures des universitaires. Ils auraient dès lors pu enrichir la réflexion sur le phénomène de la guerre, en s'efforçant de prendre du recul par rapport à sa conduite, interrogeant avec davantage d'acuité les pratiques de leur métier. L'ouvrage demeure toutefois une belle tentative de réflexion collective et présente des qualités pédagogiques indéniables pour s'initier, dans le monde universitaire et militaire, aux réflexions entourant la guerre et les développements technologiques.