Point de départ assez fort dans le but d'attirer l'attention du lecteur, la revue Nouvelles perspectives en sciences sociales (NPSS) prétend être l'accompagnement fidèle pour tout chercheur qui a bien hâte de s'aventurer dans de nouveaux espaces en sciences sociales.
De prime abord, Julien Mahoudeau présente un article intitulé Les perspectives de recherche et d'action pour la valorisation scientifique : sur quelques expériences hypermédias en archéologie. Dans sa recherche, l'auteur vise principalement à se détacher du paradigme positiviste tout en se penchant vers une épistémologie constructiviste qui, selon lui, favorise une meilleure compréhension des enjeux participant à la valorisation ou à la vulgarisation des savoirs scientifiques. C'est dans cette optique que Mahoudeau lance une question épistémologique primordiale qui nous porte à croire que les résultats de la science ne constituent pas des vérités objectives (notion d'ontologie objective selon le paradigme positiviste), mais sont eux-mêmes des constructions de savoirs et d'interprétation du réel (notion d'ontologie subjective selon le paradigme constructiviste). Élément qui nous paraît intéressant, cette étude s'attarde à expliquer comment sont définies de nouvelles conditions de recherche et d'action pour la valorisation scientifique et, par ailleurs, de quelle manière les techniques numériques participent à l'avancée de la science et à la démocratisation des connaissances par le biais d'outils de médiation. Dans le but de réaliser ces objectifs d'étude, l'auteur fait le point sur la conjonction de différentes variables : complexité endogène des hypermédias (perspective cognitive et problématique de conception), professionnalisation du médiateur hypermédia, transversalité des dispositifs et finalement, complexité exogène (perspective sociologique). Même si l'auteur a réussi à bien étudier les variables retenues, mentionnons que Mahoudeau prône une simple description de ces variables sans se soucier de proposer des bases théoriques assez rationnelles expliquant comment les variables s'affectent mutuellement d'une façon dialectique ou itérative. Cet article représente une contribution valable, dans la mesure où il soutient ses réflexions à l'aide d'une démonstration concrète basée sur des données empiriques tirées des quatre expériences réalisées autour des processus de circulation des connaissances par les techniques numériques. Cependant, pour des résultats plus satisfaisants, Mahoudeau aurait pu approfondir les perspectives théoriques en mettant plutôt l'accent sur les différences entre les paradigmes épistémologiques, tels que le positivisme, le néopositivisme, le postmodernisme, le conventionnalisme, le relativisme, le pragmatisme et le réalisme critique. Les diverses approches épistémologiques auraient pu être présentées ainsi en fonction des particularités qui les distinguent, telles la notion d'ontologie (la réalité autour de nous), la notion d'épistémologie (notre compréhension de cette réalité) et la notion de réflexivité (les méthodologies scientifiques utilisées pour la démonstration des hypothèses). Par ailleurs, l'auteur aurait dû démontrer l'implication de ces tendances épistémologiques à l'égard des orientations de recherches en sciences sociales.
De son côté, Mélanie Girard présente un article intitulé Éléments de critique des théories en action. Dans sa recherche, l'auteure espère sensibiliser la communauté scientifique pour l'amener à repenser l'appareillage des théories de l'action. Pour Girard, les concepts de base de ces théories relèvent d'un raisonnement plutôt simple. C'est que rationalité, conscience, intention, intérêt et stratégie sont la cause et l'expression de la liberté de l'acteur. D'après Girard, chaque concept est attaché à tous les autres, aucun d'entre eux n'a d'ascendant logique sur les autres, et le tout constitue une structure atomique à partir de laquelle est construite et interprétée l'action humaine. Dans cet esprit, Girard jette un doute sur les fondements des théories de l'action. Elle s'interroge sur l'adéquation entre le modèle et les données, ce qui évoque en nous la notion d'incommensurabilité proposée par Kuhn dans son ouvrage majeur, La structure des révolutions scientifiques (Kuhn, 1962). Girard semble plutôt préoccupée par les relations logiques entre l'énoncé de base et la conclusion théorique, soit le rapport entre la théorie et l'objet de la théorie. Partant d'un argument logique, elle nous invite à un exercice intéressant visant l'étude de tous les cas contraires proposés par la théorie de l'action. Ce faisant, l'auteure divulgue le cas d'événements qui ne correspondent pas à ceux que peut repérer la théorie. Elle est donc parvenue à ouvrir d'importantes pistes de réflexion sur les langages incompatibles associés à des réalités différentes. À nos yeux, cependant, le rôle tout particulier de l'histoire ne peut pas être la seule raison participant au processus de développement de la science. La relation entre un acteur et son contexte externe pourrait être étudiée en fonction de la compréhension qu'ont les acteurs eux-mêmes de ce contexte. Il est donc évident et incontestable qu'il est possible de définir les concepts théoriques de diverses manières. Il convient de souligner que Girard réussit à analyser et à évaluer les concepts des théories de l'action. Nous nous interrogeons, par contre, sur la validité d'une étude des relations entre les concepts en vue de produire de nouvelles informations sans avoir eu l'occasion d'évaluer les conditions dans lesquelles la structure de ces relations est établie, ou sans prendre en considération l'importance des valeurs et des intérêts des chercheurs. Une autre question primordiale se pose : comment pourrions-nous éviter le danger de l'hyper-réflexivité qui met en doute les possibilités d'accomplissement des recherches et d'avancement de la science, étant donné la nature partielle de notre connaissance et l'impossibilité de l'observation neutre?
Le troisième article, Rites funèbres et sciences humaines : synthèse et hypothèse, de Luc Bussières, discute le rôle de la mort et son évolution dans l'histoire. L'œuvre de Bussières représente une proposition utile dans la mesure où elle appelle non seulement à une synthèse des travaux sur le thème de la mort, mais aussi à une analyse critique donnant lieu à des hypothèses sur le sujet. L'auteur est parvenu à guider le lecteur à travers les différences entre les sociétés de tradition et celles de la modernité. Il enrichit notre compréhension du sujet, plus particulièrement en explorant l'évolution de nos pratiques funéraires et des rapports que nous entretenons avec la mort dans le contexte culturel typique de la postmodernité occidentale. L'ouvrage de Bussières paraît intéressant en ce qu'il propose des hypothèses assez claires mettant plutôt l'accent sur la culture, les rites, le sacré, les mythes, le langage et la religion en tant que variables centrales favorisant la compréhension du sujet. Par contre, Bussières s'attarde peu aux croyances religieuses. Il aurait pu mettre en relief la religion et la foi en tant que variables centrales du sujet et, ce faisant, parfaire notre compréhension. L'ouvrage ne manque pas d'intérêt quant aux phases évolutives de la société. Il aborde la notion de révolution, qui décrit bien la transformation de la société passant de la tradition à la modernité. Il avance également la notion de mutation menant bien à la postmodernité. Toutefois, Bussières aurait pu proposer une anatomie approfondie concernant l'évolution des systèmes de croyance de chaque société. Il importe aussi de se demander quelles sont les variables médiatrices ayant pour rôle de renforcer ou de modifier nos matrices cognitives (l'explication du monde) comme nos matrices normatives (la traduction du monde en termes de normes). Du reste, une question primordiale se pose quant à la période postmoderne : est-il toujours innovateur de comparer la société de tradition et celle de la modernité avec la société postmoderne, dont l'incertitude, le conflit et l'hétérogénéité sont bien les caractéristiques dominantes?
À son tour, Simon Laflamme présente son étude, Analyses qualitatives et quantitatives : deux visions, une même science. Opposant subjectivité à objectivité, Laflamme nous laisse croire que l'analyse qualitative et l'analyse quantitative sont toutes deux essentielles au développement des sciences humaines. L'auteur réussit à démontrer que les deux modes analytiques répondent à des logiques semblables, celles de la rigueur scientifique, et ce, malgré la spécificité de leurs objets et malgré la différence de leur vocabulaire. Il propose ainsi cinq champs énonciatifs regroupant les principes similaires des deux approches. Selon lui, l'une et l'autre doivent constamment poser la question de la représentativité des résultats obtenus, celle de la tendance des informations appartenant à l'ensemble étudié, celle du rapport entre cette tendance et les spécificités des individus observés pour la dégager, celle de la cause des variations notées et celle de l'abstraction. C'est dans cette optique que l'auteur souhaite éclaircir un sujet assez obscur et qui est objet de désaccord constant entre les intellectuels. Toutefois, la lecture de ce texte ne permet pas de situer exactement le coeur du problème. S'agit-il d'une différence existant entre les outils d'analyse proposés par les deux méthodes, ou bien d'une logique tendancieuse et d'un débat propagandiste du côté des chercheurs eux-mêmes, et partant, d'une méfiance mutuelle et légitime de la part des deux modes analytiques?
Finalement, le numéro de la revue se termine sur certaines réflexions proposées par Rachid Bagaoui dans son article : Un paradigme systémique relationnel est-il possible? Proposition d'une typologie relationnelle. Dans cet essai, l'auteur se fixe pour objectif de répondre à une question précise : «une théorie sociologique est-elle pensable?» Il part ainsi d'une thèse soutenant que la tradition sociologique possède déjà un paradigme : il s'agit du caractère relationnel des phénomènes, mais, paradoxalement, la sociologie ne s'est pas donné ce paradigme comme terrain de confrontation. Selon Bagaoui, non seulement le souci des sociologues de se positionner par rapport aux différents courants empêche toute unification, mais un problème oppose les travailleurs de la preuve aux empiristes et aux théoriciens. Bagaoui avance que l'objet premier de la sociologie n'est ni le sujet, ni le système social, ni l'acteur, mais plutôt la relation (relations entre acteurs, relations agent-structures et relations systémiques). L'auteur est parvenu à convaincre que la relation peut être un objet de confrontation beaucoup plus pertinent que le débat classique autour de certaines vieilles catégories, telles que le déterminisme, la contrainte, l'intégration, le conflit, et que la sociologie peut réellement fonder une sociologie relationnelle plurielle.
La revue NPSS s'attarde à proposer de nouvelles perspectives tout en s'attaquant aux modèles établis. La systémique complexe et l'analyse relationnelle comptent parmi les voies dont la revue entend favoriser l'exploitation. Les auteurs du présent volume ont réussi à bien appuyer ces orientations théoriques en ce qu'ils ont mis l'accent non seulement sur l'étude des personnes en elles-mêmes, mais également sur la compréhension des rapports et des liens entre les individus et leur contexte externe.