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Introduction critique aux relations internationales du Québec, Jean-François Payette, Les Presses de l'Université du Québec, Québec, 2009, 97 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 September 2010

Félix Grenier
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Depuis la Révolution tranquille, la question de la place du Québec sur la scène internationale est l'un des principaux objets de discorde entre les gouvernements du Québec et du Canada. Comme le soutient Christian Dufour, «les relations internationales du Québec constituent […] les relations les plus délicates et les plus compliquées de la fédération canadienne» (3). Il n'est donc pas étonnant que la définition des principes devant déterminer l'espace du Québec dans ce domaine ait fait couler beaucoup d'encre au pays. L'ouvrage de Jean-François Payette, Introduction critique aux relations internationales du Québec, se positionne au cœur de cet enjeu.

Ce livre bouleversera par ses propositions théoriques et pratiques. Concernant le champ d'études des Relations internationales (RI), on doit souligner les efforts de théorisation des diverses positions politiques présentes dans le contexte québécois et la définition de plusieurs concepts novateurs tels que la souveraineté subordonnée et la paradiplomatie identitaire. Ceux-ci permettent, entre autres, de faire avancer les réflexions sur la diversification ontologique croissante dans l'arène internationale causée, en partie, par les processus contemporains de mondialisation. Dans le domaine de la politique québécoise, la remise en question de la «doctrine Gérin-Lajoie» permet de renouveler les débats sur la place du Québec à l'international.

Cet ouvrage s'appuie ainsi sur une révision pratique de la conception et des principes modernes fondant la souveraineté étatique. Comme le précise Payette, «il est rarement question, à proprement parler, de la politique étrangère du Québec» (4) et ce, en raison des faiblesses formelles et structurelles du Québec à l'égard des conventions régissant les relations internationales à l'époque actuelle. Jean-François Payette explique comment le Québec a tenté, jusqu'ici avec un succès relatif, de transcender ce cadre formel de l'activité internationale et comment il pourrait renouveler ces tentatives grâce à un nouveau principe directeur : la paradiplomatie identitaire.

Dans le premier chapitre, l'auteur définit les trois thèses existantes au sujet de la conduite des relations internationales du Québec. La thèse souverainiste propose que le Québec devienne un État indépendant afin d'assumer sa souveraineté pleine et entière sur la scène internationale. Pour les tenants de la thèse fédéraliste, le gouvernement fédéral canadien est seul habilité à agir en matière de relations internationales. La thèse québécoise, représentée jusqu'ici par la «doctrine Gérin-Lajoie», soutient enfin que l'action du gouvernement du Québec sur la scène internationale s'appuie sur un «prolongement international des compétences internes du Québec» (19). Vu l'importance historique et politique de cette doctrine, le contexte de son émergence est largement couvert par l'auteur.

La conception moderne sur laquelle s'appuient les thèses souverainiste et fédérale est remise en cause par la thèse québécoise. Ceci s'explique, selon l'auteur, par le fait que la communauté francophone canadienne aurait acquis, au cours de l'histoire, une forme de souveraineté subordonnée (12). Bien que paradoxal, ce concept reposerait sur l'évolution démocratique des derniers siècles, qui aurait provoqué l'émergence d'un nouveau principe de légitimité fondant l'exercice de la souveraineté internationale : l'autodétermination des peuples.

Le deuxième chapitre décrit le modèle théorique utilisé par l'auteur. Celui-ci présente d'abord le cadre de son analyse, c'est-à-dire la pratique de la politique étrangère. Celle-ci est définie comme reposant «sur l'émission, de la part d'un acteur, d'un système axiomatique quintessentiel […] devant guider la mise en œuvre pratique d'un certain nombre de principes d'action» (26). Il est aussi souligné que les notions de souveraineté et de légitimité sont essentielles à cette idée.

Selon Payette, ces notions sont au cœur du problème entre le Canada et le Québec, car l'émission d'une politique étrangère par un État subétatique, c'est-à-dire la paradiplomatie identitaire, implique une forme de légitimité et de souveraineté pour celui-ci. Sans remettre totalement en cause la souveraineté dominante, cette orientation permettrait en effet à l'État minoritaire de «s'assimiler des fragments d'une souveraineté qui ne lui était pas impartie à la source» (28). Se référant à plusieurs auteurs tels Stéphane Paquin, Brian Hocking, Panayotis Soldatos, Éric Philippart et Jacques Palard, l'auteur précise enfin que deux écoles existent à ce sujet. La première affirme que «la décentralisation dans un pays peut augmenter l'unité et l'efficacité de ce dernier dans ses relations extérieures» (29). Au contraire, la deuxième soutient qu'une telle orientation peut soulever des tensions avec le gouvernement central et «nuire au fonctionnement du système international» en «[internationalisant] des problèmes de politique intérieure» (28).

Le troisième chapitre effectue un survol de l'évolution historique québécoise et canadienne et de ses effets sur l'identité et les capacités de la population canadienne-française, puis québécoise, à se développer. Cette démarche permet de comprendre l'évolution des relations intergouvernementales et internationales du Québec et de constater, comme l'explique Christian Dufour, que «le rôle du gouvernement du Québec [en matière internationale] fut […] extrêmement limité jusqu'à la Révolution tranquille» (37).

Dans le quatrième chapitre, l'auteur nous présente l'évolution des relations internationales du Québec depuis le début des années 1960. Il souligne la diversification et la multiplication des initiatives du Québec dans ce domaine d'activité en prenant la doctrine Gérin-Lajoie comme point de départ. L'auteur effectue une revue des transformations administratives, des avancées sectorielles et des moments les plus importants ayant jalonné l'affirmation croissante du Québec à la suite de l'adoption de cette doctrine comme principe directeur de son action internationale. Il montre aussi comment cette orientation a provoqué des oppositions croissantes entre les gouvernements canadiens et québécois dans les 45 dernières années. Utilisant une classification des divers types d'expression de la souveraineté proposée par Montesquieu, Payette propose enfin un modèle permettant de prévoir les réactions et stratégies du gouvernement canadien en réponse aux orientations prises lorsque le Québec tente d'affirmer sa souveraineté à l'international (66–68). Son analyse met en lumière les limites de la doctrine Gérin-Lajoie. En effet, constate Payette, malgré le grand nombre d'ententes conclues par le gouvernement du Québec avec d'autres pays, États subétatiques ou organismes internationaux dans les dernières décennies, cette doctrine n'a pas permis d'acquérir une plus grande forme de souveraineté.

Le dernier chapitre porte sur l'évaluation de l'hypothèse de l'auteur, c'est-à-dire sur le potentiel que générerait l'adoption d'une paradiplomatie identitaire par le gouvernement québécois à partir du modèle proposé pour analyser la dynamique politique entre le Québec et le Canada en matière de relations internationales. Il constate d'abord, comme l'exprime Hocking, que «dans la nouvelle réalité internationale, on ne peut plus limiter les États fédérés aux simples arènes politiques intérieures puisque l'intérieur et l'international est de plus en plus flou» (72). Vu les résultats limités issus de l'exercice de la doctrine Gérin-Lajoie, Payette affirme aussi que «pour véritablement s'épanouir en tant qu'État sur la scène internationale, le Québec doit se doter d'une politique étrangère propre» (73) et ce, «sans la tutelle et le parrainage de la souveraineté canadienne» (74). L'adoption des principes d'une paradiplomatie identitaire permettrait ainsi au Québec de réaliser les objectifs que la doctrine Gérin-Lajoie n'a pas permis d'atteindre jusqu'ici.

L'auteur appuie cette conclusion par une application de ce changement d'orientation de la politique québécoise à son modèle d'analyse des réactions du gouvernement canadien. Selon celui-ci, la nouvelle doctrine de la paradiplomatie identitaire pourrait permettre «l'appropriation, par le Québec d'un certain nombre d'attributions juridiques, judiciaires et nécessairement politiques, […] malgré une intensification inévitable des tensions émergentes entre la souveraineté dominante et la souveraineté dominée» (78). Cette nouvelle doctrine permettrait au Québec de faire des gains non seulement symboliques, mais aussi qualitatifs en matière internationale. L'auteur complète cette démonstration en décrivant comment une réelle paradiplomatie identitaire aurait pu transformer l'action internationale du Québec dans le cadre de certains enjeux internationaux récents.

Malgré la qualité de la réflexion qui est offerte dans cet ouvrage, certaines questions nous semblent devoir être soulevées. D'abord, le concept central de la proposition de l'auteur, la paradiplomatie identitaire, nous paraît souffrir d'une définition insuffisante. Aucune explication n'est par exemple donnée sur le caractère «identitaire» de l'orientation potentiellement prise par les États subétatiques. D'autre part, un travail de grande qualité a été fait concernant la littérature sur la politique internationale du Québec, l'action internationale des États subétatiques et les fondements politico-philosophiques des conventions internationales contemporaines. Par contre, l'analyse de Payette contient peu de références issues de la vaste littérature du champ des RI, et particulièrement du sous-champ de l'analyse de la politique étrangère, qui nous auraient semblé très pertinentes dans le cadre du sujet abordé par l'auteur.

Par l'originalité de ses propositions pratiques et théoriques et les liens qu'il établit entre différents champs de la pensée politique moderne, cet ouvrage générera nécessairement un grand intérêt. Il permet d'approfondir et de relancer les réflexions sur l'évolution du système international, sur l'exercice d'une certaine forme de souveraineté par les États subétatiques et sur les manières d'élargir l'espace dont pourrait bénéficier le Québec sur la scène internationale. Il a enfin la qualité d'adopter un positionnement clair et des propositions concrètes sur un enjeu de société majeur pour la nation québécoise.