Devant toute civilisation paysanne, le même problème se pose : celui de la ville, de l'urbanisme. Si le problème est général, les solutions diffèrent, de région à région, de vallée à vallée. Suivant la situation géographique, suivant l'histoire, la transformation des anciennes traditions paysannes est multiforme et le compromis entre le passé et le présent revêt mille nuances.

Dans la plupart des régions autrichiennes et allemandes, la victoire de la ville — victoire économique et envoûtement moral — a presque détruit l'ancien cadre de la vie paysanne. A mesure que ce dernier s'estompe, dans le passé, il prend place dans les souvenirs, dans les légendes, dans les contes de fées.

Comprendre les particularités d'organisation d'une société qui tire toute sa richesse du sol sans connaître les formes de possession de la terre et les relations sociales qui en découlent — chimère. L'étude du régime foncier dans l'Empire Ottoman est donc la base indispensable de l'histoire économique et sociale de ce pays. Mais il y faut d'autres matériaux, d'autres documents que ceux dont on se servait jusqu'ici pour écrire l'histoire politique et diplomatique. Les anciens historiens et chroniqueurs donnent peu de renseignements sur. les questions économiques et sociales, dont ils ne voyaient pas l'importance, et qui les intéressaient moins que les exploits guerriers ou les généalogies de souverains. Des rares relations de voyageurs, ainsi que des autres ouvrages littéraires, il y a également peu à tirer ; les renseignements qu'on y trouve, parfois fantaisistes, ne peuvent être utilisés qu'avec une extrême prudence.

Maladie bien connue des sciences du monde physique, la sclérose de la nomenclature n'est pas moins dangereuse à celles de l'homme. Nous aussi, nous avons besoin de classifications ; nous aussi, nous sommes perpétuellement obligés de nous défendre contre la rigidité des schémas que nous nous étions d'abord donnés. Les réflexions qui vont suivre n'ont d'autre objet que de mettre en lumière, par un exemple précis, la nécessité de cette refonte périodique des cadres. Si, de parti-pris, elles se borneront à un champ historique relativement limité, ce n'est pas que l'on ignore la possibilité de les étendre, avec des nuances diverses, à bien d'autres phases de l'évolution économique. Que de riches expériences, en particulier, l'histoire des économies coloniales et celle même des Etats-Unis, jusque fort avant dans le XIXe siècle, n'offriraient-elles pas à des recherches inspirées d'un esprit analogue ! Mais il a semblé qu'ainsi centrée, l'analyse aurait plus de netteté et de force probante.

L'État de la documentation rend toujours prématurés les efforts pour écrire une « histoire de la banque ». Il convient auparavant de montrer les transformations de celle-ci dans des milieux plus ou moins larges et importants, et d'en tirer des constatations fragmentaires. Nous avons déjà tenté de le faire pour Genève, en insistant sur le XVIIIe siècle ; de nouvelles recherches, ne contredisant pas les résultats de nos premières études, et reposant sur des papiers ou registres entrés depuis peu aux Archives de l'Etat de cette république, conservés dans de vieilles familles ou enfouis dans les Archives Nationales (Paris), dans les Archives de la Hollande et de Lyon, nous permettent aujourd'hui de mieux indiquer les principales modifications qui se sont produites dans les banques de Genève à l'époque décisive pour la détermination de leur technique.

Parmi les problèmes qui continuent de retenir l'attention des historiens figure — et au premier plan — celui des origines de notre civilisation industrielle contemporaine. Les érudits anglais qui l'ont d'abord étudié chez eux, et notamment Toynbee, se sont représenté le mouvement comme une sorte de typhon, ayant tout balayé devant lui et couvert le pays de misère et de ruines, conception cyclonique que rend bien l'expression, acceptée partout aujourd'hui, de Révolution industrielle. Depuis ces premiers travaux, d'autres enquêtes diligentes, dont la plus remarquable est, à nos yeux, celle de M. Clapham, ont à la fois démontré et corrigé les erreurs, les déformations de cette vision romantique et pessimiste.

Les aspects bancaires de la crise continuent à susciter de nombreuses et intéressantes études. Voici d'abord, dans une collection destinée au grand public et sous la plume de M. A. Dauphin-Meuninr, un travail d'envergure qui embrasse, pour trois nations européennes de première importance, Allemagne, Angleterre, France, toute l'évolution bancaire si accidentée de la période 1919-1935.

On doit à M. EM. Fairon un travail particulier d'inventaire : Les chartes confisquées aux bonnes villes du pays de Liègoe et du comté de Looz après la bataille d'Othée (1408). Le 23 septembre de cette année, les milices communales du pays liégeois et des Etats entraînés dans l'orbite liégeoise, telles que les villes du comté de Looz, révoltées contre leur souverain, Jean de Bavière, furent écrasées. Par sentence du 24 octobre, il fut alors ordonné aux vaincus de faire remise de leurs archives : lettres de coutumes, franchises, usages, lois et privilèges ; lettres d'alliances, confédérations, pactes des villes entre elles ou avec l'extérieur ; lettres des métiers. Une première commission fut établie pour recevoir les pièces et une seconde pour les examiner.

La dépression économique mondiale, persistant depuis 1930 à travers des fluctuations nombreuses, a posé des problèmes de main-d'œuvre auxquels les grands pays industriels ont très diversement réagi. Les incessants progrès techniques du machinisme et les incidences des programmes massifs de réarmement sont encore venus traverser et compliquer ces phénomènes. Le nombre des chômeurs inscrits qui, en France, avait sensiblement diminué au cours de l'année 1937, a de nouveau augmenté pendant le premier semestre de 1938 : au 11 juin 1938, 371.359, chiffre en augmentation de 37.992 sur la semaine correspondante de 1937 ; pour le seul département de la Seine, 191.236 chômeurs, 28.625 de plus qu'en 1937. C'est à notre avis un fait d'observation courante que le chômage, dans chaque profession, atteint surtout les travailleurs les moins qualifiés.

Discréditée par la hâte excessive de certaines synthèses, victime aussi de positions de problèmes trop simplistes, l'étude des prix anciens a longtemps paru une sorte de royaume de l'aventure, interdit aux prudents ou aux scrupuleux. Allant tout d'un trait au plus subjectif et au plus momentané, on aurait bien voulu savoir « à combien de francs de 1900 correspondaient, en pouvoir d'achat, 1.000 livres du temps de Racine ». On se résignait sans trop de peine à ne le savoir jamais. Certes, les pionniers n'avaient; pas manqué : consciencieux érudits « locaux », comme, en Alsace, l'abbé Hanauer ; historiens trop curieux de toutes les réalités de la vie sociale pour laisser échapper une des plus symptomatiques d'entre elles — il y aurait une fausse pudeur assez ridicule à ne pas rappeler ici quelques pages décisives de Lucien Febvre, dans une thèse sur la Franche-Comté dont son auteur me permettra de noter qu'elle aura tantôt vingthuit ans d'âge — ; hommes de pratique qui, tardivement venus à l'analyse du passé, y portaient, comme le regretté Paul Raveau, une précieuse hantise du concret.

Depuis l'apparition en 1916 de la thèse de Mr Augustin Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d'Italie, — le gros livre de 900 pages que Mr Marcel Bataillon vient de publier, sous le titre d'Erasme et l'Espagne, est le premier ouvrage de fond qui, dans le domaine de ces études, puisse soutenir la comparaison avec ce « classique » fécond et novateur. Je ne saurais avoir pour lui de plus bel éloge. Et sans m'attarder davantage aux compliments que méritent et le talent de l'auteur, et sa finesse nuancée d'analyse, la sûreté, l'étendue, l'intrépidité de ses recherches, le courage même avec lequel il s'est jeté à corps perdu au milieu d'une histoire encore si peu connue — je voudrais, dans une étude qui, si longue soit-elle, sera de toute façon trop brève, marquer en quoi son livre renouvelle notre connaissance de l'histoire religieuse et intellectuelle du monde moderne, en quoi il élargit notre champ de vision et nous dote d'un chapitre inédit, mais capital, de cette histoire.

Il n'y avait point encore d'engouement en France pour les études d'ethnographie populaire ; elles restaient la chose d'un petit nombre d'amateurs, rarement pris au sérieux par les officiels des vieilles corporations scientifiques ; elles passaient volontiers pour un de ces jeux frivoles qui aident « les provinciaux » à tuer l'ennui que les Parisiens leur supposent bénévolement : déjà, je veux dire dans leur première année d'existence, les Annales d'Histoire Economique et Sociale attiraient l'attention de leurs lecteurs sur des problèmes comme celui de la maison urbaine, de l'outillage ou du morcellement agraire ; déjà elles demandaient à l'historien tchèque V. Cerny de signaler l'activité du Musée agricole tchèque, fondé en 1918 — cependant que Marc Bloch, revenant de Norvège, signalait la valeur et l'efficacité des magnifiques musées de plein air qu'il avait pu voir en Scandinavie : ceci, en attendant que, par une désignation symbolique dont il voulut bien comme nous comprendre la signification — nous appelions le Dr Paul Rivet à siéger parmi les membres de notre Comité de Direction — cependant qu'à l'Encyclopédie se fondait, avec le concours actif et clairvoyant d'André Varagnac, la Commission des Recherches Collectives, aux enquêtes modestement fécondes.

Nos sources sont constituées par la série des prix moyens annuels du froment dans chacune des trente-deux généralités du royaume, établie par le bureau des subsistances du Contrôle général.

Sur quoi travaille donc ce bureau, qui a dans ses attributions la statistique des prix ? Pour document de base, il dispose des relevés périodiques effectués par les subdélégués, dans près de quatre cents subdélégations, choisies parmi celles où se tiennent les marchés les plus importants. Ces relevés, qui portent sur de très nombreux produits, donnent, entre autres prix, celui des céréales, et mentionnent, pour le froment, le prix de la deuxième ou moyenne qualité lors du dernier marché en date.

En dépit de leur importance, les donations ne sauraient expliquer à elles seules la décadence des vieilles fortunes : répétées à chaque génération, elles en rongent les contours et les amenuisent ; elles ne les détruisent pas brutalement. Le cœur du patrimoine « échu par succession de lignage » est, en effet, protégé par les coutumes locales contre les libéralités excessives. Mais est-il à l'abri des partages entre les héritiers ? Voilà le second aspect du problème, — et le plus gros de conséquences.

Abandonnons un instant les cadres bordelais pour faire un tour rapide d'horizon. Dans la construction de leur régime successoral, la plupart des noblesses ont, j'imagine, supporté le poids d'une double préoccupation : conserver l'intégrité du patrimoine ; assurer aux enfants non seulement leur subsistance, mais une fortune digne de leur naissance. En somme, d'un côté, l'idée politique, sauvegarde de la puissance féodale et de la perpétuité dynastique ; de l'autre, l'amour paternel. Sentiments impérieux, mais qu'il était difficile de concilier sans aboutir à une impasse.

Réagissant à une lecture du premier numéro des Annales, Henri Hauser nous a envoyé spontanément les notes suivantes. Elles appellent une observation qui a son prix, puisqu'elle touche à une question de méthode.

Le bref paragraphe qui a attiré l'attention toujours en éveil de l'auteur des Débuts du Capitalisme se référait, dans ma pensée, à toute une série de leçons professées l'hiver dernier au Collège de France, dans le cadre d'un cours intitulé : Histoire d'un problème : les origines historiques du Capitalisme. Tout naturellement, j'avais commencé par me demander de quand datait exactement l'emploi du mot capitalisme.

Cinq livres d'histoire du droit. Deux sont essentiellement des monographies de juristes anciens, présentées par leurs auteurs comme thèses de doctorat à des Facultés de Droit ; les trois autres accrochent à des figures historiques de juristes (De Thou, Pothier, Daguesseau) l'examen de problèmes juridiques importants. Et voilà qui, tout de suite, pose une question.

Le droit, pour l'historien, c'est une des expressions, une des manifestations les plus intéressantes de la vie des Sociétés. Présentes ou passées. Un homme du Moyen Age aurait pu parler du « Miroir du Droit ».

Un film d'images saisissantes se déroule sous les yeux de l'observateur curieux de suivre le développement de la crise nobiliaire au crépuscule du Moyen Age. Au premier plan, les dévastations de la Guerre de Cent Ans, dont les textes décomposent en un rythme obsédant les éléments dramatiques : le château-fort du seigneur d'Arbanats, « à une demi-journée de Bordeaux », a été rasé ; des pillards ravagent quotidiennement ses dépendances et les paysans n'osent plus revenir labourer leurs champs ; « le lieu de Gaumont, en Bazadais, est tout détruit » ; la chûtellenie de Rauzan, « sur la frontière de nos ennemis, ne vaut pas trente livres par an »… Non moins brutales, les confiscations réalisées aux dépens des « rebelles », — de Bérard III d'Albret par exemple, dont les biens « sont mis entièrement dans la main du Roi d'Angleterre » et distribués à ses fidèles.

Il y a un sujet, et même un grand sujet, au fond du livre intéressant et consciencieux que M. Albert-Marie Schmidt consacre à La Poésie scientifique en France au XVIesiècle. Mais ce grand sujet est pris analytiquement et le vrai problème n'est peut-être pas dégagé avec assez de force par l'auteur.

Celui-ci nous donne essentiellement une suite de monographies sur des poètes de valeur inégale. Tour à tour il s'occupe de l'indigent Peletier et du grand Ronsard, du difficile Maurice Scève et du déclamatoire Salluste du Bartas, de Baïf, de Belleau, d'Aubigné, escortés par une dizaine de Minores ; tous considérés en tant que « poètes scientifiques ». Les monographies sont fouillées, précises, instructives. Telle (celle qui traite du Microcosme de Maurice Scève) est remarquable.