Sous la direction d'Anne-Marie Gingras, Histoire de communication politique : Pratique et état des savoirs, ouvrage collectif de 17 chapitres et une introduction, se donne trois objectifs : contester les affirmations sur les origines récentes de la communication politique, démontrer le caractère évolutif de ces pratiques et présenter l’état des connaissances dans certains sous-champs de cette discipline. Pour y arriver, l'ouvrage propose diverses contributions couvrant des périodes et des contextes géographiques variés, avec une attention particulière aux États-Unis et au Canada.
Vu la primauté historique des États-Unis dans la naissance de la communication politique moderne, il n'est pas surprenant que nombre de chapitres leur soient consacrés. Tout d'abord, sont à identifier les origines anciennes de la forte personnalisation qui caractérise les campagnes électorales contemporaines. Contrairement aux affirmations qui la lient à la popularisation de l'usage de la télévision à partir des années 1950, la personnalisation des campagnes présidentielles américaines remonte au 19e siècle (chap.1) et les évolutions technologiques ne feront que l'accentuer. Des « causeries au coin du feu » radiophoniques de Franklin Roosevelt à l'usage impulsif de tweeter avec Trump, la communication présidentielle apparaît également très marquée par les traits de caractère de l'occupant du bureau ovale (chap.4).
Ainsi, loin d’être figées, les pratiques communicationnelles des présidents américains sont en constante évolution comme le reflète l'analyse de la communication de la Maison-Blanche en temps de guerre. Convaincue d'avoir perdu la Guerre du Vietnam au niveau médiatique, et non militairement, l'administration a instauré, à partir des années 1980, un strict contrôle des flux d'informations émanant des zones de conflit en y limitant l'accès des journalistes et en usant de ceux-ci comme relai des images produites sous supervision de l'armée (chap.6). La communication présidentielle aux États-Unis se caractérise également par la diversité des outils auxquels elle a recours. L'usage des traditionnelles allocutions publiques solennelles est en déclin (chap.10), tout comme les moins orthodoxes fuites mobilisées à des fins tactiques vis-à-vis du Congrès et des gouvernements étrangers, voire comme un ballon d'essai de l'opinion publique (chap. 8).
Le rôle clé des États-Unis dans l’émergence de la communication politique moderne apparaît aussi dans la contribution de ses chercheurs et praticiens dans la théorisation de la discipline. Par exemple, celle d'Edwards Bernays, père des relations publiques, à qui on doit la « théorisation » de la vision marchande de la politique soixante ans avant la naissance formelle de la recherche en marketing politique au début des années 1980 (chap.2). Néanmoins, cette primauté académique américaine n'est pas absolue, comme le reflète le cas du concept « du gouvernement de l'opinion publique ». En effet, contrairement à ce qui est généralement admis, c'est à l'historien, politicien et romancier français François-René de Chateaubriand, figure clé du 19e siècle, qu'on doit les premiers travaux conceptuels sur le sujet (chap. 11).
L'ouvrage consacre également une place de choix à l’étude de la communication politique au Canada. D'une part, il démontre le recours aux techniques modernes du marketing électoral dès les années 1940 au Québec par les stratèges de l’équipe de campagne de Maurice Duplessis (chap.5) et mène une étude contextualisée de la « trudeaumanie » dont la compréhension passe par la prise en considération de la vision qu'avait Pierre-Eliot Trudeau de l'action publique (chap.7). D'autre part, l'ouvrage présente l’évolution qu'a connue la recherche dans divers sous-champs de la communication politique. C'est ainsi qu'on apprend que la recherche canadienne en communication électorale se caractérise par sa jeunesse, l'inconsistance de ses objets d’étude et du peu d'intérêt qu'elle a porté aux approches comparatives (chap. 14). Ensuite, l'analyse de l’évolution de la recherche sur la médiatisation des femmes politiques laisse entrevoir le recul des thèses, jadis dominantes, de la médiation genrée et de la moindre visibilité des femmes politiques (chap.16). Finalement, malgré les améliorations qu'a connu la représentation médiatique des peuples autochtones, les stéréotypes qui ont pendant longtemps teinté celle-ci n'ont pas totalement disparu (chap. 17).
L'ouvrage présente finalement un ensemble de recherches qu'on peut décrire comme hétéroclites, de l'instrumentation des « technologies de masse » à des fins politiques par les nazis (chap.3) au retour en force du concept de la communication interpersonnelle dans la recherche (chap.13), en passant par les débats théoriques et méthodologiques qui traversent le marketing politique depuis sa naissance (chap. 15). Sans oublier le déséquilibre mondial de l'information qui semble structurel malgré les efforts de l'UNESCO depuis 40 ans (chap.9) et la critique de la pensée habermassienne sur « l'espace public » à travers une prise en considération du contexte des années 1950 dans lequel celle-ci fut développée (chap.12). La logique de cette grande hétérogénéité thématique n'est pas toujours aisée à saisir, surtout si on veut la mettre en relation avec les buts de départ de l'ouvrage. Elle peut s'avérer déroutante pour le lecteur qui serait à la recherche d'un texte historique retraçant de façon chronologique l’évolution de la communication politique des origines à nos jours. En revanche, celui qui voudrait approcher l'ouvrage comme une bonne introduction à la diversité des sous-champs de recherche qui s'inscrivent dans la communication politique y trouvera sûrement un outil de travail intéressant.