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100 questions sur les femmes et la politique, Manon Tremblay, Les Éditions du remue-ménage, Montréal, 2008, 328 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Sophie Stoffel
Affiliation:
Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles)
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Encore un livre sur les femmes et la politique! Manon Tremblay nous propose un ouvrage de plus, certes, mais un ouvrage pertinent, utile et accessible tant au grand public qu'aux chercheuses et chercheurs plus confirmés. Lasse du constat que les écrits consacrés à cette thématique tombaient souvent des mains des journalistes, des fonctionnaires et des étudiants et étudiantes, la professeure de l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa s'est lancée dans un exercice de vulgarisation. Visant à faire le tour de l'objet «les femmes et la politique» en cent questions réparties en neuf chapitres (les droits de vote et de candidature, les comportements électoraux, les obstacles à l'élection des femmes, la proportion des femmes dans les parlements, les stratégies pour féminiser les parlements, la représentation politique, la participation aux gouvernements, les instruments du droit international, la situation au Québec et au Canada), l'auteure offre un panorama et une synthèse des débats relatifs à chaque problématique. Elle apporte des informations factuelles, voyage dans le temps et l'espace et – élément non négligeable – prend position lorsque la question s'y prête. Tremblay opine alors en toute franchise, sans chercher à tordre les réponses au gré de ses idées. Ceci, tout en assumant également ses hésitations et son envie de répondre «oui et non» ou «cela dépend» à certaines interrogations. Cet ouvrage est riche d'informations d'ordre théorique, empirique, politique et bibliographique (une sélection de références est proposée à la fin de chaque question) et il s'avère agréable à lire.

Bien sûr, l'on peut toujours chercher quelques écueils. Ainsi, peu d'auteures francophones européennes sont citées et lorsqu'elles le sont, elles sont généralement cantonnées aux sections relatives aux quotas et à la parité à la française. De même, les nombreux travaux sur le féminisme d'État, notamment ceux qu'ont réalisés les chercheuses du Research Network on Gender Politics and the State, ne sont pas pris en compte alors qu'ils apporteraient une dimension supplémentaire à la thématique de la participation et de la représentation politique des femmes. On pourrait également regretter que la notion de politique présente dans le titre soit réduite à son acceptation usuelle de la politique formelle, institutionnelle, liée à la compétition électorale. La problématique «femmes et politique» aurait gagné à être déclinée à l'aune du «tout est politique», en considérant de manière plus approfondie la politique qui se joue en dehors de la sphère institutionnelle ou à la croisée des institutions politico-administratives (notamment celles qui sont dédiées aux droits des femmes et à l'égalité des sexes) et des mobilisations citoyennes, des cours et tribunaux, du monde de la recherche, des lobbies et des médias, entre autres. De même, l'objet aurait pu s'étendre aux relations internationales en embrassant, par exemple, la question du rôle des femmes dans les conflits, leur résolution et la construction d'institutions démocratiques dans les contextes de post-conflit. Bien sûr, il aurait alors fallu ajouter des dizaines de questions supplémentaires! Mais, reconnaissons-le, il serait injuste de critiquer un objectif rempli : traiter de la participation des femmes à la politique législative en cent questions.

À côté de questions devenues classiques en la matière, dont celles relatives aux facteurs contribuant à l'accès des femmes aux droits de vote et de candidature, aux orientations politiques similaires ou différentes des hommes et des femmes, aux étapes à franchir pour une femme qui veut se faire élire, aux mesures à même de favoriser une augmentation de la présence des femmes en politique ou aux arguments pour et contre les quotas, d'autres questions plus techniques sont posées. Tremblay s'interroge sur l'interférence des partis politiques et des modes de scrutin dans la proportion de femmes siégeant aux parlements, sur la pertinence de limiter le nombre de mandats consécutifs pour favoriser la féminisation des assemblées législatives, sur les divers types de quotas électoraux pour les femmes et sur l'importance des comités parlementaires comme outil de représentation des femmes. Le cas particulier du Québec et du Canada est également abordé sous l'éclairage, entre autres, du retard des Québécoises par rapport aux femmes des autres provinces dans l'obtention des droits de vote et d'éligibilité aux élections législatives provinciales. Tremblay parle aussi de l'éventuelle attribution de candidatures féminines dans des circonscriptions perdues d'avance, ou encore des stratégies adoptées par le mouvement des femmes pour inciter les femmes à faire le saut en politique. Au fil des questions, elle passe en revue les mots clés des études de genre et féministes se rapportant à la science politique (quotas, parité, masse critique, plafond de verre, «vote au féminin», gender gap et ainsi de suite) tandis que d'autres notions, moins diffusées dans le grand public, sont explicitées, comme le maternage public ou l'essentialisme.

L'auteure invite par ailleurs à réfléchir à des questions plus politiques et qui débouchent sur des débats parfois houleux, voire tabous, dans certains cercles féministes. Pourquoi faut-il plus de femmes dans les parlements? Que penser des stratégies mises en œuvre pour accroître le nombre de femmes dans les parlements? Voilà l'occasion de traiter du corps en politique et de dénoncer le carcan naturaliste dans lequel certains discours rigidifient les identités et les expériences politiques selon le sexe anatomique. Les politiciennes pensent-elles et agissent-elles différemment des politiciens? Les femmes représentent-elles les femmes? Et nous voilà à réfléchir aux meilleurs avocats et avocates de la «cause des femmes» et à l'identification de certains hommes au féminisme. Dès lors, un parti de femmes (ou féministe) représente-t-il une stratégie efficace pour accroître le nombre de femmes en politique?

En demandant où sont les femmes en politique et si les femmes changent la politique, Tremblay invite à réfléchir à la hiérarchie politique dans laquelle évoluent les politiciennes, hiérarchie à la fois verticale, en termes de postes occupés, et horizontale, en termes de dossiers et de secteurs investis. Cela lui permet d'indiquer au passage que la présence de femmes en politique n'entraîne pas automatiquement une meilleure représentation de leurs intérêts ni le relais des points de vue féministes, et que, a contrario, l'absence de femmes en politique n'implique pas forcément leur absence des politiques publiques. Vaut-il mieux dès lors élire des femmes ou des féministes? Le monopole du féminisme sur la représentation politique des femmes apparaît alors difficilement défendable en tant qu'argument en faveur d'une plus grande féminisation (et non «féministisation») du monde politique.

Tremblay intègre aussi dans la discussion la question de la multiplicité des clivages sociaux et de leur interaction – ou concurrence –, notamment à travers la question liée à l'argument paritaire de l'universalité de la différence des sexes et à sa primauté. Là, c'est la supériorité politique de la différence des sexes sur les autres clivages sociaux, sa crédibilité politique et sa légitimité qui sont mises à mal. Dans le même ordre d'idées, l'auteure rappelle la complexité des choses en déconstruisant certains discours reposant sur des tendances générales et sur l'hypothèse toutes choses étant égales par ailleurs. En effet, ces tendances «générales» ne sont vraies [qu'] en l'absence (p. 52) de l'influence d'autres variables comme l'âge, le niveau de scolarité, le statut civil et la présence ou non d'enfants, l'occupation, le revenu, le fait de vivre en milieu urbain ou rural, la religion, l'identification au féminisme, etc., qui peuvent changer le cours des choses. Une façon d'insister sur le fait que les femmes, pas plus que les hommes, d'ailleurs, n'ont à voir leur citoyenneté enfermée dans la prison de leur biologie (p. 222). Tremblay s'insurge également contre la perspective de victimisation des femmes en s'interrogeant sur leur responsabilité face à leur faible nombre en politique ou sur le rôle réel des responsabilités familiales comme obstacle à leur engagement en politique.

Le chapitre consacré aux instruments du droit international est bienvenu dans un ouvrage destiné prioritairement à un public moins habitué aux questions sur les femmes et la politique. Y sont présentés les instruments juridiques et les structures institutionnelles qui encadrent les droits politiques des femmes. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979) et la Plate-forme d'action de Beijing (1995) sont probablement les plus connus, et il est intéressant de prendre ou reprendre connaissance de leur contenu et de leurs liens. La question qui s'impose alors – quelle est l'efficacité des conventions et des organisations internationales lorsqu'il s'agit d'accroître la proportion des femmes dans les parlements? – permet surtout d'aborder les différents rôles joués par la norme internationale, tant au niveau symbolique que dans l'aménagement d'un terrain politique et juridique favorable à l'action des mouvements de femmes, à leur institutionnalisation et à l'émergence de réseaux de «fémocrates».

100 questions sur les femmes et la politique offre donc une lecture à plusieurs niveaux, allant d'une information de base pour qui se lance dans la problématique, à la discussion d'arguments plus pointus pour qui cherche des pistes afin de prolonger la réflexion, le tout émaillé d'exemples et d'anecdotes. Cent façons de rappeler – ou d'apprendre? – que jusqu'à maintenant (p. 197), la politique du laisser-faire s'est révélée peu probante en ce qui concerne la féminisation des institutions politiques.