Dans cet ouvrage intitulé Politiques publiques comparées dans les États fédérés : L'Allemagne, l'Australie, le Canada, les États-Unis et la Suisse, l'équipe1 réunie par Louis Imbeau approfondit quatre défis de gouvernance, soit la santé, l'éducation, l'environnement et l'équilibre budgétaire. Dans cette aventure, les membres fédérés de cinq régimes fédéraux sont retenus comme cobayes. Les politiques publiques allemandes, australiennes, canadiennes, américaines et suisses sont alors passées en revue.
Le volume proposé par les chercheurs du Centre d'analyse des politiques publiques s'inscrit dans un programme de recherche utilisant les États fédérés comme laboratoire. Les instigateurs croient que les membres fédérés d'une fédération disposent d'une certaine latitude politique dans leur gouvernance. Conséquemment, les fédérations représentent des laboratoires prometteurs pour l'analyse des politiques publiques. Selon l'équipe de recherche, la confrontation des États fédérés fournit des tests plus robustes quant à l'impact des variables institutionnelles, car les analyses dans la structure fédérale – peu différenciée entre les pays – éliminent certains contaminants. La démarche adoptée semble systématique. Les auteurs identifient quatre défis de gouvernance, soit la santé, l'éducation, l'environnement et l'équilibre budgétaire. Pour chaque défi, ils recensent les écrits comparatifs en essayant de voir s'il y a lieu d'isoler les membres fédérés d'une fédération afin de mieux comprendre ces secteurs d'activité. Les auteurs procèdent à l'évaluation de la production scientifique afin de « dégager le potentiel heuristique d'un recours systématique à la comparaison des États fédérés dans le domaine de l'analyse des politiques. » (Reference Imbeau2005 : 25). Puisque les fédérations représentent des laboratoires, leur comparaison est cruciale pour comprendre les défis de gouvernance auxquels sont confrontés les États modernes. C'est l'hypothèse à confirmer ou à infirmer.
Pierre-Gerlier Forest et Kristina Maud Bergeron se penchent sur les politiques de réforme du système de santé. Les recherches dans ce secteur sont récentes et rarissimes, soulignent Forest et Bergeron, qui n'ont pu trouver de base empirique stable dans ce domaine. Grâce à leur recension critique portant sur les différences institutionnelles qui ont touché les systèmes nationaux d'approvisionnement en sang dans le contexte du VIH, François Pétry et Marie-Ève Hudon observent que les études consultées négligent les agissements des acteurs des régimes fédéraux. Ils réfutent le mythe selon lequel un arrangement fédéral décentralisé aurait aggravé les défaillances des systèmes de gestion du sang. Cette hypothèse ne résiste pas, en fait, à l'étude du cas australien. Forest et Bergeron sont d'avis que le petit nombre de cas dont fait état la littérature ne permet pas de tirer de conclusions précises. Ils estiment que l'analyse des politiques dans une logique comparative grâce aux fédérations regorge d'enseignements potentiels, la comparaison étant moins coûteuse que l'expérimentation. Conséquemment, ils suggèrent de voir les États fédérés moins comme des laboratoires que comme des endroits de quasi-expérimentation.
Vincent Lemieux et Nathalie Bolduc, sur le thème de l'éducation, survolent les politiques de décentralisation des écoles publiques de niveau primaire et secondaire. Les études consultées ne traitent que des États-Unis, du Canada et de l'Australie. Les analyses comparées entre les membres fédérés des grandes fédérations sont plutôt limitées dans le domaine de l'éducation. Les chercheurs parviennent cependant à identifier deux constantes. Selon Lemieux et Bolduc, l'existence ou l'absence d'alliances est la clé du succès ou de l'échec des politiques de décentralisation. Par ailleurs, les changements de gouvernement sont des éléments non-négligeables en ce qui concerne l'acceptation ou le rejet des politiques de décentralisation.
Le troisième défi de gouvernance est traité, dans un premier temps, par Jean Crête qui s'intéresse de près à la gestion des déchets. L'auteur remarque que les politiques des fédérations n'ont toujours pas fait l'objet d'une analyse exhaustive. En effet, aucune étude systématique des politiques de gestion des déchets d'États fédérés n'existe à ce jour. Les quelques études qui ont été faites présentent un caractère local, quantitatif, légaliste, normatif et ne portent que sur peu de cas. En examinant la contamination diffuse des eaux potables, Moktar Lamari et Mark Sproule-Jones confirment que ce type de pollution préoccupe de plus en plus. Bien que les travaux de recherche se multiplient, ils ne traitent que des aspects socio-économiques et institutionnels de la contamination diffuse. Les analyses recourant aux deux approches demeurent marginales, la perspective économique domine toujours, occultant les aspects contextuels et structurels inhérents au phénomène. Lamari et Sproule-Jones estiment que le recours à une approche analytique économico-institutionnelle permettrait de dépasser les limites des recherches actuelles. Crête soutient que la rareté de théories strictes ou même d'hypothèses réfutables dans la littérature environnementale rend impossible une quelconque conclusion pour l'ensemble des États fédérés étudiés.
En ce qui concerne le quatrième thème, soit celui de l'équilibre budgétaire, Louis Imbeau et Kina Chenard se préoccupent des déficits et surplus en tentant de comprendre comment se justifient les politiques budgétaires des cinq fédérations à l'étude. Dans les publications examinées, les chercheurs identifient neuf théories du déficit ou de la dette publique. Deux enseignements émanent de cette littérature. La première leçon énonce que le cycle électoral et les caractéristiques des institutions budgétaires ont une influence marquée sur les performances budgétaires des fédérations. La seconde leçon soutient que les gouvernements de centre ou de droite engendrent des déficits substantiels alors que les gouvernements de gauche créent des déficits moins importants, voire des surplus. Imbeau et Chenard répartissent les fédérations en trois groupes quant à leur discipline budgétaire respective. En tête, pour leur gestion serrée, on trouve les États-Unis. En milieu de peloton, suivent la Suisse et l'Australie. Le Canada et l'Allemagne ferment la marche pour avoir fait preuve de plus de laxisme.
Au terme de l'exercice, les auteurs tirent deux grandes conclusions. Selon eux, les États fédérés représentent un laboratoire idéal pour la conduite d'analyses comparées. En outre, l'équipe estime qu'il n'y a pas de norme quant aux modèles explicatifs observés dans la littérature, celle-ci livrant plutôt un pluralisme explicatif. Pour les chercheurs, l'exploitation de la comparaison des fédérations constitue alors une occasion d'approfondir ce pluralisme explicatif. Un bémol est toutefois ajouté à ce bilan. Les études portant sur les politiques publiques comparées d'États fédérés constituent un phénomène récent où les données n'affluent pas. Les diverses publications consultées et les points de vue dispersés qui s'y retrouvent ne permettent pas de formuler une conclusion globale, admettent les auteurs.
Au chapitre des points forts, notons que l'approche retenue par les chercheurs du Centre d'analyse des politiques publiques est novatrice. De coupler ainsi l'analyse comparative des politiques publiques à cinq régimes fédéraux est très audacieux. Ainsi, la revue fouillée en matière de santé, d'éducation, d'environnement et d'équilibre budgétaire que propose le volume est indispensable pour quiconque s'intéresse à ces quatre défis de gouvernance. Les analyses de la littérature faites par les auteurs révèlent de nombreuses lacunes; l'exercice est à la fois un aboutissement et un point de départ. En effet, les chercheurs constatent un vide quant à l'usage de la comparaison des politiques publiques entre fédérations. Paradoxalement, ce vide devient un séduisant tremplin d'où diverses recherches peuvent être lancées.
En revanche, les divers chapitres du volume manquent d'uniformité. Tous les collaborateurs ne reprennent pas systématiquement la méthodologie spécifiée en introduction. L'ouvrage est gêné par sa formule collective. Les études individuelles des thèmes de gouvernance sont très pertinentes, mais les articulations entre certains chapitres et l'hypothèse centrale font défaut. Le fil conducteur se rompt par moment, si bien qu'il est difficile de lier l'ensemble aux constats cités en conclusion. La démonstration aurait pu être plus cohérente.
Par ailleurs, la publication qui est à l'origine de la démarche de Louis Imbeau et de ses collègues aurait pu être insérée en introduction ou en annexe. L'article en question, « Comparative Provincial Policy Analysis : A Research Agenda » (Revue canadienne de science politique), renforce considérablement l'argumentaire des auteurs en démontrant le réel potentiel de la comparaison des politiques publiques des provinces canadiennes. Cet article démontre que la comparaison de politiques publiques entre entités fédérées permet d'observer des variables centrales fluctuantes, des variables secondaires stables, un nombre de cas idéal et des coûts de recherche réduits (Imbeau et al. Reference Imbeau2000 : 803). La reproduction ou l'explication de cet article – dans l'introduction de Réjean Pelletier par exemple – aurait favorisé la compréhension de la démarche de l'équipe de recherche.
Bref, l'ouvrage que nous propose Imbeau et ses collègues s'inscrit dans une démarche comparative rafraîchissante. Il est troublant de constater combien de trous noirs sont recensés dans la littérature par l'équipe de recherche. Pour son originalité incontestable et sa pertinence, ce volume mérite l'attention de ceux qui s'intéressent aux politiques publiques comparées.