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Brèves de billot : fonctions de l’argot des louchébems de Paris

Published online by Cambridge University Press:  30 April 2019

Valérie Saugera*
Affiliation:
University of Connecticut
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Résumé

Souvent classé comme un argot obsolète des bouchers de la Villette, le louchébem, l’argot des bouchers de Paris, continue de se pratiquer beaucoup plus qu’on ne le croit. Cependant, il faut s’inquiéter de sa vitalité en raison du nombre sans cesse décroissant des bouchers traditionnels. Même si on peut citer quelques auteurs, force est de constater que l’argomuche a suscité peu de travaux. Ce projet documentaire, la première grande étude de terrain sur le louchébem, intègre les témoignages de 201 bouchers, interrogés sur leur lieu de travail (les boucheries artisanales de Paris et de sa petite couronne) à l’aide d’un questionnaire sociolinguistique, principal outil à notre disposition. Cet article en présente les premiers résultats : il rappelle d’abord le procédé de formation de cet argot à clé et esquisse l’histoire, ou plutôt l’origine, du louchébem ; il décrit ensuite la démarche méthodologique mise en œuvre pour recueillir les données et s’entretenir avec les bouchers ; enfin il identifie et analyse les fonctions pour lesquelles on utilise actuellement le louchébem dans la communauté linguistique que constitue la corporation bouchère parisienne.

Type
Article
Copyright
© Cambridge University Press 2019 

1. LE LOUCHÉBEM, UNE SURVIVANCE DU PASSÉ

Souvent considéré comme un argot éteint, le louchébem, l’argot des bouchers de Paris, continue d’être beaucoup plus usité qu’on ne le croit. Mais sa vitalité est menacée, en raison du nombre décroissant des bouchers traditionnels : la concurrence des supermarchés, l’explosion des boucheries halal et la montée du végétarianisme comme du véganisme, en sont les causes principales. En dépit de quelques auteurs (Mandelbaum-Reiner ou Robert l’Argenton, Reference Robert l’Argenton1991), on peut s’étonner que cet argot ait suscité peu d’études de terrain et tâcher d’en comprendre les raisons. Croit-on l’argomuche mort ? S’agissant pour le linguiste à la fois d’entrer dans la corporation de la boucherie sans en être membre et d’y observer une pratique secrète, la difficulté de recueillir des données est-elle un frein ? La fonction cryptique inhérente au louchébem fait-elle aussi obstacle pour des raisons d’éthique (ne pas divulguer un secret linguistique corporatiste) ? Plus généralement, les chercheurs délaissent-ils, à dessein ou non, l’argotologie ? Peter Nahon (Reference Nahon2017 : 139) en fait l’observation : « L’étude des argots de métier en domaine galloroman, depuis Dauzat (1917[8]), demeure un chantier en quasi-abandon. »

À l’été 2016, nous avons posé à un échantillon de bouchers parisiens la question fondatrice de notre enquête : « Parlez-vous louchébem ? » Voici leurs réponses : « toujours, tous les jours », « on connaît des mots, c’est perdu comme langage », « régulièrement, cela m’arrive même de penser en louchébem », « tous les jours, les bouchers le parlent, on ne s’en cache pas ». Ces réponses, au-delà de l’intéressant constat que cet argot de métier survivait, nous invitèrent à en savoir plus, à rencontrer d’autres bouchers à qui proposer un questionnaire et un entretien. Ce projet débouche sur la première grande étude de terrain du louchébem : il intègre les témoignages oraux de 201 bouchers interrogés au-dessus de leur billot ou de leur vitrine réfrigérée. Précisément, nous avons opéré cette collecte de données dans les boucheries traditionnelles de Paris et de sa petite couronne (très proche banlieue) à l’aide d’un questionnaire sociolinguistique comme principal instrument de travail. Chaque boucher a donc partagé son histoire du louchébem à l’aune de nos questions ; chaque histoire a permis d’identifier des caractéristiques partagées par la communauté linguistique que constitue la corporation bouchère parisienne. Si tous les interviewés savent l’existence du louchébem, on constate que sa connaissance et son usage varient grandement d’un boucher à l’autre. Le corpus de témoignages reflète des points de vue sur la pratique du louchébem situés parfois aux antipodes les uns des autres : certains considèrent l’argomuche comme une partie intégrante du bagage du boucher, quand d’autres refusent de le parler.

Avec ce projet documentaire, faisant entendre la voix collective du louchébem et les voix individuelles de ceux qui le font vivre, on voudrait conserver la trace écrite d’une pratique orale née au XIXe siècle à partir de l’argot des voleurs. Cet article en donne les premiers résultats : il esquisse d’abord l’histoire, ou plutôt l’origine, du louchébem, notamment grâce à un corpus de dictionnaires, et rappelle le procédé de formation de cet argot à clef ; il décrit ensuite la démarche méthodologique mise en œuvre pour l’enquête de terrain et le recueil de données ; il se concentre enfin sur un objectif particulier de notre enquête : identifier et analyser les fonctions précises pour lesquelles les bouchers de Paris usent encore du louchébem aujourd’hui.

2. ORIGINE ET FONCTIONNEMENT D’UN ARGOT À CLEF

L’argot des bouchers prend sa source dans l’argot des voleurs et des bagnards de la première moitié du XIXe siècle. Retracer et reconstituer l’histoire du louchébem, objet et procédé de la langue orale, c’est accepter d’affronter des ellipses, des mythes et des questions insolubles. Les dictionnaires d’argot du XIXe siècle (nombreux et disponibles à la bibliothèque numérique Gallica) constituent les sources primaires où l’on trouve les premières attestations de cet argot par manipulation métaplastique, connu plus tard sous le nom de largonji, puis louchébem.

2.1. Bref historique

On attribue communément l’origine de l’argot des bouchers à la forme lomben répertoriée dans le glossaire du forçat Louis Ansiaume, Argot en usage au bagne de Brest, et connu des voleurs de toutes les provinces françaises (1821)Footnote 1. L’entrée de cette forme contient le sens du mot et une phrase composée pour l’exemplifier (les mots entre crochets sont les nôtres) :

Lomben, oui-non. Le picton [vin] est lomben [oui-non ? oui ? bon ?] aujourd’hui, j’en voudrois 2 rouillardes [bouteilles].

Pour deux raisons, l’étymologie de lomben reste pourtant délicate à confirmer d’après cette seule entrée : le suffixe -en de lomben apparaît idiosyncratique, ne le retrouvant attaché à aucune autre forme argotique, et le sens proposé, oui-non, semble lui obscur, même si l’exemple laisse à penser que lomben veut dire oui/bon.

Les premières occurrences du code se présentent plus sûrement dans les écrits de Eugène-François Vidocq, cet ancien bagnard devenu chef de la police de Sûreté : ainsi on trouve dans le troisième tome de ses Mémoires (Reference Vidocq1829) la forme Lorcefé (Force) pour la prison de la Force, prison active à Paris de 1780 à 1845. Vidocq catalogue d’autres termes dans Voleurs, physiologie de leurs mœurs et de leur langage (Reference Vidocq1837) : linspré (prince) et lorgne/lorgne-bé (borgne). On note que Balzac, dans La dernière incarnation de Vautrin (1847), emploie à deux reprises le terme Lorcefé ; on sait que l’écrivain a lu et fréquenté Vidocq aux fins de se documenter sur le milieu des criminels dont il traite. Nulle part Vidocq ne donne le procédé de formation, ou plutôt de déformation, qui expliquerait ces lexies masquées.

Le premier à ébaucher la règle semble être le lexicographe Lorédan Larchey dans la cinquième édition de son dictionnaire d’argot, Les Excentricités du langage (Reference Larchey1865), comme l’entrée reproduite ci-dessous :

Lem (Parler en) : Soumettre chaque substantif à l’emploi d’une même syllabe finale et à la transposition de deux lettres. On peut ainsi parler un français inintelligible pour les profanes. Ce système consiste : 1° à ajouter la syllabe lem à chacun des mots qui viennent à la bouche ; 2° à troquer la lettre l de lem contre la première lettre du mot qu’on prononce. – « Et alors que tous les trucs seront lonbem (bons). » – Patrie du 2 mars 1852.

On parle en luch comme en lem. On combine quelquefois les deux. (p. 184)

Dans la sixième édition, intitulée Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique de l’argot parisien (Reference Larchey1872), Larchey ajoute à son entrée pour Lem (Parler en) : « Cet argot a été d’abord spécial à la corporation des bouchers » (p. 164). Le procédé serait, pour la première fois, formellement associé aux bouchers. La septième édition (1878) comporte le mot luchebem : « LUCHEBEM: Boucher. (Rabasse.) – C’est boucher déformé en lem. (V. ce mot.) » (p. 225). Cette forme provient de communications manuscrites d’un certain Rabasse : « Tous les mots suivis des noms de […] Vidocq […] Rabasse […] appartiennent à l’argot ancien ou nouveau des classes dangereuses » (p. 1). Le nom luctrème (de truc ruse) est un autre mot nouveau dont voici l’entrée : « LUCTRÈME : Fausse clef. – Mon Dartagnan file le luctrème dans la porte. (Beauvilliers) » (p. 225). Le mot loufoque (fou) intègre aussi le dictionnaire de Larchey, avec un suffixe qui donne lieu à une entrée : « LOQUE (parler en) : Même procédé que pour parler en lem. V. Lem. “Tu vas peut-être me traiter de loufoque d’aller au turbin avec des objets pareils.” (Beauvilliers.) » (p. 223).

Larchey fait valoir que le Supplément aux neuvième et dixième éditions du Dictionnaire d’argot avec une introduction substantielle et un répertoire spécial du largonji (Reference Larchey1883) doit beaucoup à de nouvelles communications de Gustave Macé, ancien chef de la Sûreté. Ce dernier lui a transmis un glossaire manuscrit du langage déformé, le largonji, qui recueille de nombreuses formes : lorceaumique/lorceaumuche (morceau), lortuetès (tortue), lonheurbem (bonheur). Larchey rappelle la filiation de ce langage déformé: « Cette sorte d’argot fut d’abord connue sous le nom d’argot des bouchers (il aurait pris naissance dans cette corporation). On l’appelle aussi largonji (c’est le mot jargon déformé par l’adjonction de l et i). » (p. VII)

Gustave-Armand Rossignol, ex-inspecteur principal de la Sûreté, consacre une section au parler du boucher dans la préface de son Dictionnaire d’argot (Reference Rossignol1901). Avant de poser la règle de l’argot, il énumère les raisons pour lesquelles on l’emploie :

C’est un argot à part, qui se parle le plus souvent dans les abattoirs, échaudoirs et boutiques de débitants dites étaux.

La caissière de l’étal est presque toujours au courant de ce jargon qui sert entre elle et les étaliers pour se moquer d’une cliente, la surfaire sur le poids, sur le prix de la viande, ou encore la tromper sur le morceau qu’elle demandera. (p. VII)

Ces usages de l’argot décrits par Rossignol au début du XXe siècle s’inscrivent dans des contextes strictement dépréciatifs. Sachons déjà que les louchébems que nous avons interviewés mentionnent ces mêmes fonctionsFootnote 2. Si ces usages ont perduré, on relève toutefois aujourd’hui une volonté des bouchers de recourir avec plus de parcimonie à l’argomuche pour tromper ou railler la clientèle (V. section 6).

Après cette introduction sommaire et essentiellement bibliographique et avant l’inventaire des fonctions de son usage contemporain, reposons et étoffons la règle de l’argot, comme les bouchers parisiens nous l’ont expliquée.

2.2. La clef ou règle générale

Le louchébem masque des mots français en opacifiant leur forme via l’application d’une règle fixe, un procédé qui définit les argots à clef (Calvet, Reference Calvet1999). Voici donc la clef du louchébem, en trois tempsFootnote 3 : (1) remplacer le premier son d’un mot par /l/ (boucher > loucher ; rouge > louge), (2) déplacer ce premier son à la fin du mot (loucherb ; lougr) et (3) ajouter un suffixe (loucherb + -em > loucherbem ; loujr + -ok > loujrok ). Avec l’application de cette règle, les mots argotiques loucherbem /luʃebεm/ et loujrok /luʒʀɛk/ deviennent de nouveaux mots, des variantes de mots français qui augmentent le vocabulaire des bouchers et, dans une moindre mesure, des locuteurs français puisque les termes loufoque, louf, louftingue < fou et en loucedé < en douce appartiennent au lexique commun. La règle est simple, du moins en apparence (V. Plénat, Reference Plénat1985 ; Mandelbaum-Reiner, Reference Mandelbaum-Reiner1991).

Plus qu’un vocabulaire, l’argot du boucher est un moyen de le déguiser. Si l’argot avait pour seul suffixe -em, ème /ε m/, la fonction cryptique de l’argot serait perdue. Présent sur un marché du 11e arrondissement, un boucher résume la pratique à éviter en une phrase : « Si on fait une conversation toujours en -ème, on se trahit. » Maurice Lormeau, un boucher octogénaire, La mémoire vivante du louchébem, selon Roger Yvon (boucher rue de Varennes depuis 1978), a épilogué sur ce sujet morphologique lors d’un entretien réalisé le 9 juin 2017 à la Fédération de la Boucherie de Paris :

L’argot, il faut mélanger aussi, il y a des mots qui ne conviennent pas à mettre en argot, c’est trop long, c’est biscornu. Il faut pas hésiter de mélanger, comme semaine, lemainesem /ləmεnsεm/, c’est trop long, c’est pas clair. Il faut que ça soit limpide quand on a une conversation, une conversation continue sans arrêt, il faut glisser des mots en français dans la conversation. […]

Ce qu’il faut mettre aussi dans le louchébem, c’est de la couleur, il faut pas toujours dire bem, bem /bεm, bεm/. Par exemple, je prends le mot une femme, la lamfem /lamfεm/, si vous employez bem encore après, il vaut mieux dire la lamfuche /lamfyʃ/, il y a des dérivés. Vous dites la lamfuche du louchébem au lieu de dire la lamfem du louchébem ; vous voyez, ça fait deux fois bem. Alors donc, vous avez des possibilités de dérivation, si je puis direFootnote 4.

Le louchébem dispose d’un éventail de suffixes autorisés : -é (luiské /lɥiske/ cuisse, lamdé /lamde/ dame), -em (loirpem /lwaʀpεm/ poire, lonjourbem /lɔ̃ʒuʀbεm/ bonjour), -esse (lafékesse /lafekεs/ café, lonkesse /lɔ̃kεs/ con), etc. Les mots en argot peuvent recevoir plusieurs suffixes : femme > lamfé /lamfe/ ou lamfuche /lamfyʃ/ ; porc > lorpik /lɛʀpik/ ou lorpikos /lɛʀpikos/. Il convient d’inventorier tous les suffixes actuellement usités et de les comparer avec ceux du passé. Existent-ils ou ont-ils existé en français, ordinaire ou familier ? Ont-ils une valeur péjorative, diminutive, humoristique ou autre ? Identifier les traits purement linguistiques du louchébem ne s’inscrit pas dans le cadre du présent article.

3. UNE ENQUÊTE DE TERRAIN

Un questionnaire (préétabli) et un entretien (spontané), principaux outils de travail, ont permis de mener à bien notre étude de terrain. La section présente ces deux instruments et la démarche méthodologique qui les accompagne.

3.1. Respecter un secret

La prise de contact en juin 2016 avec sept boucheries parisiennes nous a d’emblée conforter sur l’utilité de notre enquête : on a ainsi vérifié que le louchébem se pratiquait encore et que son étude ne trahirait aucun secret linguistique corporatif. On a retenu de ces premiers entretiens que tous les bouchers interviewés le parlaient – certes à des fréquences différentes – et qu’ils livraient le récit de leur pratique sans hésitation, certains, plus loquaces que d’autres. L’unique réticence fut celle d’un boucher du 6e arrondissement, ne voulant pas ternir une image de la boucherie déjà bien écornée par des événements fâcheux, comme la crise de la vache folle ou les scandales des abattoirs. Il est vrai que l’on pourrait hâtivement réduire le louchébem au seul usage qui consiste à tromper ou à se moquer des clients ; il ne resterait alors qu’une version stéréotypée de l’argot qui en voilerait la complexité. Cette série d’entretiens lança l’enquête.

Au fil des rencontres, notre crainte d’éventer un secret de bouchers s’estompa. Même si l’argot continue de se parler, les bouchers voient sa pratique décliner, avant tout parce que le métier s’essouffle, subissant les maux de l’époque : taxation, groupuscules végans, viande sous vide des supermarchés, faible intérêt des jeunes pour un métier jugé ingrat, etc. Face à ces difficultés, il semble urgent de conserver l’histoire de ce langage des vieux métiers menacé d’extinction. Cette seule raison justifierait qu’on veuille le documenter pour le sauvegarder dans le patrimoine linguistique français. Et voici un autre fait significatif : seulement six des 201 bouchers interviewés ont refusé de répondre à notre questionnaire ou de discuter du louchébem, quand nombreux sont ceux qui nous ont dit : « On n’a rien à cacher ! » On retiendra de surcroît que c’est souvent avec un vif intérêt que les bouchers ont partagé leur expérience de l’argot. Le dernier mot revient à un boucher du 16e arrondissement, très féru de louchébem : pour lui, l’argot n’est ni plus ni moins qu’un « secret de Polichinelle ».

3.2. Visite des boucheries : entretien et questionnaire sociolinguistique

Une seule fois nous avons entendu des bouchers s’entretenir librement en louchébem, alors que nous attendions notre tour dans la file des clients. La scène s’est déroulée dans une grande boucherie du 14e arrondissement où l’argot se parlait vite et dans un brouhaha ambiant. Il est sans doute impossible de rendre compte de l’usage du louchébem en direct, c’est-à-dire au moment où les bouchers le parlent, pour en brosser un tableau représentatif. Une personne étrangère à la boucherie ne pourrait passer des journées entières ni même des heures à identifier dans les boutiques ou les arrière-boutiques une pratique langagière secrète ou semi-secrète. D’abord, il serait difficile d’être une présence intruse dans ces petits espaces où l’on s’active ; ensuite, le phénomène méthodologique bien connu du paradoxe de l’observateur interviendrait : la présence du chercheur, locuteur non natif du louchébem, exercerait inévitablement une influence sur le boucher dans la pratique spontanée, usuelle de son argotFootnote 5.

Datant déjà de 1991, les belles études de Françoise Robert l’Argenton et de Françoise Mandelbaum-Reiner reposent sur le même corpus de données, à savoir le témoignage vivant et le métadiscours de deux locuteurs de louchébem, collègues dans une boucherie du 13e arrondissement, où les linguistes sont toutes deux clientes. Le témoignage regroupe trois entretiens non-directifs enregistrés au domicile des linguistes et des questions subséquentes posées sur place à la boucherie. Même s’il révèle pléthore d’informations, cet échantillon reposant sur deux uniques locuteurs ne peut valider l’état du louchébem – mais là n’était pas l’objet principal de leur étude. Depuis ces travaux et ces données collectées en 1987, personne n’a, à notre connaissance, poursuivi le travail engagé par les deux linguistes.

Pour cette première grande étude de terrain, nous avons procédé au recueil des données au sein même des boucheries parisiennes, ces « boudoirs linguistiques », pour reprendre l’heureuse formule d’un boucher du 5e arrondissement, ainsi qu’à des étals de marchés parisiens et au Marché international de RungisFootnote 6. En revanche, le louchébem est inconnu dans les boucheries halal et cacher, or le nombre des boucheries halal s’est considérablement accru, souvent au détriment des boucheries traditionnelles (Turin, Reference Turin2013). Au louchébem, argot de métier parisien, on adjoint une source lyonnaise : « Le louchébem (ou loucherbem) est un argot pratiqué jadis par les bouchers de Paris et de Lyon, et qui est actuellement en perte de vitesse. » (Colin, Mével et Leclère, Reference Colin, Mével and Leclère2010 : 35). On ne soulève ici que brièvement la question de la parisianité du louchébem. L’argot a traversé les frontières de l’Ⓘle-de-France. Il semble avéré que les bouchers de province qui le connaissent ou le pratiquent aient travaillé à Paris ou eu un maître d’apprentissage qui y a fait ses classes. C’est ce que nous laisse présumer une première série d’entretiens, menés en parallèle de l’étude, avec des bouchers au Mans et à Nantes.

Les pages jaunes fournirent la liste des boucheries pour chaque arrondissement de Paris et des communes de la petite couronne (Vincennes, Neuilly, Saint-Denis, Aubervilliers, Ivry-sur-Seine, Montrouge, etc.). Liste et carte en mains, nous sommes allés à la rencontre des bouchers pour leur proposer, sans rendez-vous préalable, un entretien sur le louchébem, basé sur notre questionnaire sociolinguistique. En d’autres termes, nous avons interrompu des artisans au travail pour nous accorder un peu de leur temps et répondre à nos questions. Ces entretiens, 201 au total, ont eu lieu entre 2016 et 2018.

En vue de tester le questionnaire, nous l’avions préalablement envoyé à quelques boucheries par courriel ou par courrier postal (avec enveloppe pré-timbrée pour le retour), sans qu’aucune réponse ne nous soit jamais revenue. En nous arrêtant dans une boucherie du 12e arrondissement où nous avions un mois plus tôt adressé un questionnaire, le patron nous a assuré qu’il l’avait rempli, mais que sa femme avait dû oublier de le poster. Le questionnaire retrouvé dans une pile près de la caisse, nous l’avons examiné sur place afin d’étoffer ensemble certaines réponses. À la question « Dans quelles situations parlez-vous louchébem ? », le boucher avait coché les options « par jeu » et « par tradition », mais en notre présence, il ajouta « pour se moquer des clients », une réponse qu’il avait volontairement omise, faute de savoir alors à qui il s’adressait. Un jeune boucher du 14e arrondissement nous a, lui, assuré qu’il n’aurait pas répondu à nos questions si nous l’avions interrogé par téléphone. L’entretien sur place en tête-à-tête guidé par le questionnaire s’est avéré la seule méthode efficace.

Ajoutons, qu’afin de réduire la gêne occasionnée et de permettre aux bouchers de continuer à travailler, nous avons lu les questions et noté nous-même les réponses ainsi que toutes les histoires, exemples et anecdotes que les bouchers ont livrés en aval du questionnaire. Intervenir directement à la boutique permet aussi de s’assurer que les locuteurs répondent seuls. Il est en effet arrivé que les bouchers sollicitent leurs collègues, surtout pour se faire souffler les mots qu’ils ne connaissaient pas dans la section des mots à louchébimiser, section qui sert à évaluer la connaissance personnelle de l’argot de chaque locuteur interviewé ; nous avons dû préciser que chaque questionnaire valait une voix individuelle. L’entretien moyen dura entre vingt et trente minutes, allant jusqu’à parfois une heure, en fonction du flux de la clientèle, de la disponibilité du boucher et de son envie d’aller plus loin dans ses réponses et son récit. Au fur et à mesure de l’enquête, nous avons privilégié les visites pendant les heures creuses (à l’ouverture des boutiques le matin et l’après-midi) et, à l’inverse, limité les visites pendant les heures d’affluence précédant le déjeuner et le dîner. Si possible, nous avons essayé de nous entretenir du louchébem à l’écart des clients pour permettre aux bouchers de s’exprimer librement. La présence de la clientèle n’a cependant jamais semblé les déranger ni les freiner dans leur élan narratif, comme nous l’avions à tort supposé : cela confirme que le louchébem n’est pas une coutume linguistique strictement secrète.

Notre enquête voudrait définir et évaluer l’état actuel de la vitalité du louchébem. Le questionnaire que nous avons élaboré pour nous aider à répondre à cet objectif s’articule autour de cinq grands thèmes : (1) informations biographiques sur le boucher, (2) apprentissage du louchébem, (3) pratique actuelle, (4) transmission et (5) compétence en argot. Cet article rend compte des premiers résultats de l’analyse des données recueillies en se concentrant sur la pratique actuelle du louchébem, en particulier, les raisons pour lesquelles il se parle encore. La section du questionnaire correspondant à ce thème est reproduite Figure 1. À chaque informateur, nous avons demandé s’il souhaitait ou non garder l’anonymat. On rappelle que pour ne pas limiter ni influencer les personnes interviewées, nous avons, dans un premier temps, lu les questions sans proposer de réponses prédéterminées ; dans un second temps, nous avons poursuivi avec la lecture de ces réponses génériques, en essayant de recueillir des exemples et commentaires plus précis et personnels.

Figure 1. Extrait du questionnaire : section sur la pratique actuelle du louchébem

4. LES GRANDES FONCTIONS DU LOUCHÉBEM

Comme tous les argots, l’argot du boucher de Paris se caractérise par une fonction cryptique et une fonction identitaire (Calvet, Reference Calvet1999 : 89, 112), auxquelles vient se greffer une fonction ludique (Sourdot, Reference Sourdot1991). Nous allons définir chacune de ces trois grandes fonctions avant d’en considérer d’autres plus particulières.

4.1. Fonction cryptique : ne pas se faire comprendre des clients

Le louchébem est un argot à clef dont les bouchers se servent pour masquer la forme des mots français et ne pas se faire comprendre, essentiellement des clients. Le code, formulé à la section 2, repose sur une manipulation que Sablayrolles (Reference Sablayrolles2000 : 214) définit ainsi (pour le verlan, le javanaisFootnote 7, le louchébem) : « Il s’agit de procédés de déformation assez systématiques des lexies d’une langue, par inversion, ajout et modification de phonèmes. » Au reste, un boucher présente son parler comme « une déformation de la langue française ».

Un autre argot à clef est le verlan, dont la plupart des Français connaissent le code, à défaut de l’utiliser. On rappelle que le verlan et le louchébem portent chacun dans son nom la clef de son code. Quelques bouchers ont d’ailleurs fait un rapprochement, certes hâtif, entre les deux argots : « le louchébem, c’est un verlan qui se perd » ; « c’est du verlan, des mots à l’envers ». Le louchébem, lui, reste relativement méconnu ; revenons sur la notion de secret, ou plutôt sur les notions corrélées de secret et de politesse.

Lorsqu’on s’intéresse à la fonction fondamentale de code qui existe pour ne pas être compris des membres extérieurs à la corporation bouchère, une question se pose : s’exprimer en codé devant un client, est-ce transgresser les règles de politesse ? Cette question épineuse – simplement effleurée ici – divise la communauté bouchère :

  1. Ce n’est pas parce qu’on parle louchébem qu’on cache des choses.

  2. On évite de plus en plus de le parler. Le client pense qu’on se moque de lui, qu’on a quelque chose à lui cacher. C’est une habitude du passé.

  3. Plus en labo qu’en boutique, sinon les gens pensent qu’on dit quelque chose sur eux.

  4. Ce n’est pas péjoratif ici dans la boutique ; il y a des boucheries où le louchébem est utilisé pour se moquer.

Il semblerait que la tendance actuelle du louchébem aille vers un usage discret (en opposition aux années 1980 très souvent mentionnées). Ainsi, au fil des entretiens, on a relevé de petits procédés déployés par les bouchers pour parler argot sans que le client ne suspecte qu’on parle à son insu. Un boucher précise qu’il use du louchébem avec ses collègues au travail pour faire passer un morceau avant un autre (V. section 5.1), « le dos tourné, discrètement ». Nombreux sont nos argotiers qui ont rapporté parler à débit rapide : « On le parle vite pour pas que les gens arrivent à traduire. » Comme l’usage actuel se limite plutôt à des mots, par opposition aux conversations entières en louchébem des bouchers de la génération précédente, il en résulte des brèves de billot moins singulières. Dans les grosses boutiques, les mots se font aussi moins distincts, moins audibles ; une boucherie est un bel espace de bruits : on découpe, on désosse, on épluche, on bavarde, on échange des noms de morceaux, des noms d’oiseaux, etc. L’argomuche s’accommode bien de ce bruit de fond qui le couvre presque naturellement.

Dans une boucherie du 20e arrondissement qui baignait dans la convivialité lors de notre visite, un client retraité s’est approché de nous pendant l’entretien avec le patron, très intrigué par notre sujet de conversation : fidèle de la boutique depuis plus de trente ans, il n’avait jamais entendu parler du louchébem avant ce jour. Or, son boucher en use régulièrement. Dans cette boucherie, l’argot comme langage professionnel sert avant tout d’outil de travail, utilisé avec discernement, discrétion, voire confidentialité. Un boucher du 15e arrondissement nous dit qu’en cinq ans, une seule cliente a compris le louchébem. On peut envisager que des clients l’ont compris, décodé sans le faire savoir.

4.2. Fonction identitaire : se sentir membre de la corporation bouchère et perpétuer la tradition

On rappelle le statut historique de la boucherie comme corporation : « Parmi nos anciens métiers, les bouchers paraissent avoir été organisés en corporation de bonne heure : car on les voit ainsi constitués dès le milieu du XIIe siècle. » (Parmentier, Reference Parmentier1908 : 7) Parler louchébem constitue un signe de reconnaissance immédiat entre les membres du petit monde de la boucherie, une corporation ancestrale qui se dépeuple ; continuer à le parler perpétue une tradition orale parisienne sui generis, qui a réussi à traverser le XXe siècle et à se maintenir jusqu’au début du suivant.

Les quelques propos ci-dessous, recueillis au fil des entretiens, dévoilent des points de vue sur la fonction identitaire du louchébem :

  1. Ça fait comme une corporation entre collègues ; on garde une certaine tradition comme des compagnons d’armes.

  2. J’espère que ça restera toujours, ça fait partie de l’âme du boucher.

  3. C’est une langue, c’est un état d’esprit qui va avec.

  4. C’est traditionnel, c’est pour le folklore. Ça fait partie du charme du métier, de ses spécificités. C’est un métier unique, le louchébem est une particularité.

  5. Pour la boucherie, c’est un rituel pour nous, il faut qu’il y ait la continuité avec les anciens. C’est un peu comme les patois dans les régions, il faudrait pas que ça se perde.

Ces paroles de bouchers parisiens nous livrent des mots-clés gravitant autour de l’identité professionnelle que les bouchers construisent ou perpétuent à travers la pratique de leur argot : corporation, compagnons d’arme, rituel, continuité, tradition, folklore, charme, particularité, âme, état d’esprit, patois. Il convient de préciser ces concepts dans le contexte de l’argot comme « activité sociale de communication à l’intérieur d’un groupe plus ou moins soudé, plus ou moins important » (Sourdot, Reference Sourdot1991 : 14).

Les termes corporation, confrérie, corps de métier et compagnonnage reviennent souvent dans les entretiens. Un motif identitaire ordinaire consiste à se comprendre exclusivement entre artisans de la même corporation (par opposition à ne pas se faire comprendre des clients pour la fonction cryptique). L’argomuche permet à ces bouchers d’être solidaires, tels des compagnons d’armes, et de marquer ensemble leur attachement et leur respect du métier, sûrement pour sa singularité. Un rapprochement entre le louchébem et le back-slang, l’argot des bouchers en AngleterreFootnote 8, renforcera le rôle de l’argot comme symbole d’unité : dans son enquête menée dans les années 1970, Upton (Reference Upton1974) souligne que si la fonction professionnelle, utilitaire du back-slang a quasiment disparu, son emploi dans le but de montrer son badge d’appartenance à la fraternité des bouchers perdure. Certains louchébems nous disent le parler d’abondance quand ils sont tous ensemble, mais se contenir devant le client. D’autres offrent une variante et affirment qu’ils peuvent dialoguer en argot car les clients n’ont pas besoin de savoir de quoi ils s’entretiennent. Un boucher soutient parler louchébem naturellement, sans arrière-pensées, et un autre le parler par envie, simplement parce qu’il aime ça, non pour cacher des choses. Le louchébem devient ethos, blason corporatiste.

Pour un jeune boucher de 24 ans interviewé au Salon de l’Agriculture en mars 2018, s’exercer à parler louchébem s’apparente presque à un rite de passage : « Ça fait partie de la base du métier ; je dois le savoir, je dois le parler. » L’argot est l’expression d’une forte volonté d’intégrer la corporation et d’en connaître les codes et les bases, renchérit un autre. Ainsi, même quand des raisons formelles motivent l’exercice du louchébem, il se parle également pour la simple raison qu’il est encore ancré dans le métier par tradition, comme l’attestent ces petites phrases : « ça sort spontanément » ; « ça vient sur le fil » ; « ça vient comme ça, ça vient tout seul » ; ou encore, « c’est dans la vague : des mots sortent comme ça ». Après de longues années à l’étal de boutiques traditionnelles, un boucher, désormais piéçard dans un atelier de découpeFootnote 9, présente le parler du boucher comme pratique qui ne plaît pas forcément à l’ensemble de la corporation : « Quand on est baignés dans le truc, on est pris au jeu avec les autres. Mais il y en a que ça n’intéressait pas. » Nombre de bouchers ont insisté sur le plaisir qu’ils éprouvent quotidiennement à faire vivre l’argomuche et à se faire les gardiens de la mémoire, de la tradition de Paris.

Parler louchébem entre dans un rituel corporatiste chargé de témoigner du respect aux anciens bouchers et de garantir la continuité avec un passé, un savoir-faire artisanal, un folklore et une philosophie. Le louchébem prolonge et perpétue le statut des boucheries comme espaces identitaires. Nos bouchers ont comparé l’argomuche aux patois et aux langues régionales : tous ont vu sa vitalité s’affaiblir dans le patrimoine culturel et linguistique français. Pour beaucoup, continuer à parler louchébem, c’est avant tout éviter qu’il ne se perde : « ça se perpétue sinon ça s’oublie » ; « c’est un des seuls trucs qui reste traditionnel ».

On peut l’affirmer, pour les bouchers qui disent penser en louchébem, le parler en permanence ou le déclarer comme langue natale, l’argot touche à l’identité intime du boucher ; dire que « le louchébem fait partie de l’âme du boucher », c’est ratifier le rôle identitaire, voire presque spirituel de cet argot de métier.

4.3. Fonction ludique : s’amuser dans un univers masculin

La fonction ludique de l’argomuche vient par essence de la manipulation morphologique qui tient du jeu entre initiés, détenteurs de la clef. Un jeune boucher d’une boutique de Neuilly capture ainsi les mots transformés selon les règles du louchébem : « C’est marrant, ça fait des mots bizarres, c’est rigolo. » Quand certains se félicitent de la bonne ambiance que le louchébem fait naître dans la boutique, on pense à ce que Calvet (Reference Calvet1999 : 82) nomme les « couleurs de l’argot ». On pourrait rapprocher ce motif ludique de la fonction esthétique du langage de Jakobson dans la mesure où l’emphase est mise sur le message dont la forme importe autant (voire plus) que le fond.

Le louchébem évolue entre les murs d’un milieu masculin où il sert à dire et travestir de petites bêtises et des propos coquins ou salaces. En apprentissage, il semble typique que les premiers mots compris ou prononcés en louchébem impliquent des blagues ou des grivoiseries. Une charcutière interrogée se charge de faire la caricature des bouchers lorsqu’elle les qualifie de « bourrus et sanguins ». Un boucher apporte sa touche à ce portrait : « Les bouchers des années 80 se reflètent souvent dans la caricature du boucher gore qui manque d’esprit. Souvent, ça vole bas. Ils sont filous. » Bref, le genre masculin participe aux emplois gaillards de l’argot qui régalent les bouchers entre eux.

Parler louchébem sert la fonction sociale de s’amuser ensemble : « y a un côté sympathique, loufoque » ; « maintenant, on le parle pour déconner ». Le boucher est assez joueur, nous répète-t-on. Le langage codé permet en effet aux bouchers-argotiers de blaguer, de se moquer du client, de se lancer de petites insultes entre eux, ou encore de commenter les traits et gestes des femmes. À l’évidence, l’argot reflète la jovialité qui habite les boucheries.

Dans notre questionnaire proposé aux bouchers de la région parisienne, ces trois fonctions classiques de l’argot correspondent aux quatre réponses préétablies à la question « Pour quelles raisons parlez-vous le louchébem ? » : pour ne pas vous faire comprendre des clients (fonction cryptique), par tradition (fonction identitaire), par jeu (fonction ludique), pour mieux revendiquer votre statut de boucher (fonction identitaire).

5. FONCTIONS SPÉCIFIQUES : « VOUS PARLEZ EN LOUCHÉBEM POUR DIRE QUOI »?

Voici des bribes d’entretiens en préambule de la présentation des fonctions particulières du louchébem :

  1. Pour parler des femmes, des clients cons, des prix, des conneries.

  2. Un petit peu de tout.

  3. En louchébem, on parle des morceaux, des pièces de viande, loirpem (< poire)Footnote 10, mais devant la clientèle, on évite.

  4. Ce n’est pas parce qu’on parle louchébem qu’on cache des choses. Je n’ai pas de raison ; on le parle presque plus que normalement.

  5. C’est rigolo de le parler un petit peu.

  6. Entre nous pour blaguer, devant la clientèle il faut oublier.

  7. Pour parler d’un morceau qui doit passer avant un autre.

  8. Les sujets de conversation tournent autour de la conversation de bistrot, professionnel, cul, argent.

  9. Rarement, ça arrive quand on a envie de faire les cons.

D’un boucher à l’autre, d’une boucherie à l’autre, les raisons de parler l’argot et leur ordre d’importance varient. Sans compter que certaines maisons, ou plutôt certains patrons, en interdisent l’emploi. La communauté bouchère partage toutefois un éventail de motifs qui justifient à la fois son utilisation et sa survivance. Les entretiens avec les 201 bouchers ont permis d’identifier et d’illustrer dix fonctions spécifiques à la pratique du louchébem.

5.1. Faire passer un morceau avant un autre

Il est d’usage pour les bouchers d’employer le louchébem pour vendre un morceau de viande en priorité : l’argot sert ici d’outil de travail pour faire passer un lorceaumik (morceau) avant un autre avec discrétion et assurer le bon roulement du stock au sein de la boutique. Dans ce contexte, on recourt au louchébem pour lancer des rappels (le loulepem (poulet), il est temps de le lassépem (passer)), chercher des pièces au ligofrem (frigo) en fonction de ce qu’il y a d’urgent à écouler, ramasser les morceaux les plus frais à la fermeture et laisser les autres, encore très consommables, pour la vente. La rotation évite la perte.

Le louchébem s’utilise dans ces scénarios sous forme d’alertes. Les argotiers s’échangent rapidement de petits messages courts : « On le fait vite fait, des petits mots qu’on se lance pour ne pas rendre le client méfiant. » Si un boucher ne prend pas le morceau qui doit partir en premier, on lui glissera à l’oreille : « lersem ce lorceaumik (sers ce morceau) », « lassépem le lorceaumik (passez le morceau) ». Cet usage s’avère particulièrement utile en présence d’un apprenti qui peut par accident ou inexpérience ne pas choisir le bon morceau : « je ne vais pas lui dire de le remettre devant le client » ; « des fois, c’est bien de parler le louchébem, les clients ne comprennent pas pour les morceaux qu’il faut passer : lassépem le lorceaumik un peu larisok (passe le morceau un peu rassis) ». Ce dernier commentaire offre une occurrence d’un terme fréquent en argomuche : larisse /laʀis/ (rassis) et ses variantes larisok /laʀisɛk/ et laristoké /laʀistɛke/, toutefois beaucoup moins utilisées. Boucher à Neuilly, Jean-Claude Poignant fournit le signifiant et le signifié de larisse :

On ne peut pas dire cela devant le client, larisse, de la veille mais consommable “Lassépem le lobégesse Footnote 11 de lorpik (passe le gobet de porc)”. C’est pas parce qu’il [un morceau] est larisse qu’il est pourri ; il faut juste le faire passer en premier, c’est comme pour tout, les yaourts, par exemple. La viande larisse est meilleure maintenant! C’est une mode.

Un jeune boucher stipule que le louchébem est une manière de parler « ouvertement » à son collègue sans que le client comprenne. Dans cette boucherie de luxe du 6e arrondissement où les armoires réfrigérées se présentent comme des vitrines de musée, les pièces ne sont pas posées mais exposées, on nous dit que les clients ne prêtent guère attention aux petits appels qui passent en louchébem : « Tu recharges [la vitrine] et tu me mets les [morceaux] larisse devant. » Les clients sont en fait concentrés sur les collections de viandes avant de décider de leur commande. À nouveau, l’argomuche se parle vite à dessein. « S’il n’y avait pas ça, on trouverait une autre solution », conclut notre interlocuteur.

Cette rotation du stock s’inscrit aussi dans les spécificités de certaines viandes et morceaux. Un boucher avisé agrémente cet argument d’exemples probants :

En louchébem, on parle de nos viandes et ça regarde pas le client, un morceau à passer en priorité, il est plus maigre et se garde moins bien (romsteck de Charolais), les viandes grasses vont bien se garder (entrecôte persillée de Black Angus).

Les gars se donnent des directives en argot pour transformer, « retaper » un vilain morceau, non parce qu’il n’est pas bon, mais parce que certains morceaux ont besoin d’être vendus plus rapidement que d’autres. Il existe également un souci d’esthétique : « L’araignée est un morceau plus déchiqueté, si on le remballe et le ressort, il est moins joli alors qu’un gros morceau, on peut le rafraîchir un peu avant de le remettre en vente, en vitrine », nous explique un boucher à son étal d’un marché du 13e arrondissement.

On peut préciser que les intentions derrière cet usage de l’argot ne sont pas, ou rarement, mauvaises. Il s’agit de s’assurer en loucedé (louchébem pour en douce) de la rotation du stock. Toutefois, on a relevé des usages discutables. Lorsqu’un client demande un morceau épuisé, un boucher nous dit emprunter au louchébem pour évoquer avec son collègue un morceau de la même famille (par exemple, gélatineuse et grasse) et cacher qu’il n’a pas le bon morceau sinon le client part pour une boucherie concurrente. D’autres bouchers ont signalé recourir à l’argot pour se débarrasser d’un morceau de viande de deuxième catégorie.

La pratique du louchébem offre ainsi aux bouchers de multiples avantages : se faciliter la vente, communiquer sur les morceaux à écouler sans éveiller la méfiance du client ou encore gagner du temps sans avoir à s’expliquer devant lui. Le tout s’opère dans une logique commerciale qui favorise le bon écoulement du stock.

5.2. Désigner des morceaux et donner des informations

Le louchébem fabrique aussi un lexique des mots de la boucherie, comme le nom des animaux, des morceaux, ou des pièces de viande. Voici un extrait de ce lexique en louchébem : leauvé (veau), ligogem (gigot), loirpem (poire), lanarkesse (canard), luiské de loulépem (cuisse de poulet), lochonkesse (cochon), lorceaumik (morceau), etc. Le mot gobet (lobégesse /lobegεs/ ou plus rarement lobékesse /lobekεs/ en louchébemFootnote 12), très usité dans le métier, mérite une courte étude de cas. L’explication de Fabrice Caman, patron dans le 15e arrondissement, nous sert à l’introduire : « Va chercher le lobégesse, le morceau qu’il faut faire passer ; il faut le vendre sinon il va s’oxyder, mais il est bon! Un lorceaumik est un morceau quelconque. » Ce mot, absent du Petit Robert, sans doute trop technique pour le lexique commun, figure dans le Trésor de la langue française avec la sous-entrée reproduite ci-après :

GOBET. Pop. Chute, bas-morceau de viande. Il ne reste plus guère dans les boutiques que les gobets, morceaux de rebut que se disputent à vil prix les râleuses et les gargots de bas étage (G. Gœtschy, 1880 ds LARCHEY, Dict. hist. arg., 2e Suppl., 1883, p. 77).

Cette définition et son exemple, certes du XIXe siècle, laissent donc paraître un sème péjoratif. Pourtant, nos bouchers ont nuancé ce sème dans leur explication et plusieurs ont d’ailleurs pris la peine de définir gobet pour soigneusement construire son sens.

Rencontré au Salon de l’Agriculture en mars 2018, François Mulette, un MOF (meilleur ouvrier de France), explique que le boucher était autrefois « payé au gobet, sa part de viande ». Le gérant d’une boutique à Neuilly révèle un contexte contemporain à cette explication lorsqu’il soutient ne jamais s’autoriser à jeter un morceau de viande et que tous les soirs il donne à ses employés, ses collaborateurs, un lobégesse, qu’il définit comme « un paquet de petits morceaux ». D’autres informations collectées permettent de fixer le sens de ce mot de boucherie :

  1. On utilise ce mot tous les jours quand on coupe un gros morceau et il reste un petit bout, un petit morceau qui se promène.

  2. Un petit morceau qui se détache, qui n’est pas facile à vendre parce qu’il est petit.

  3. lobégosse [forme idiosyncratique], lobs, formule rapide, abréviation ; tiens, j’ai un lobs pour le client, un petit bout qui traîne, cela ne veut pas dire que c’est pas bon.

  4. Un petit morceau, ce n’est pas forcément un déchet, il faut le vendre avant de recouper sur un autre morceau entier. On le dit beaucoup sur le rosbif.

  5. Morceau qu’on a vendu, il reste un petit morceau de rosbif qu’il faut passer, pour finir un morceau avant d’en commencer un autre.

Un gobet désigne donc un petit morceau de viande, plus précisément le reste d’un morceau, en particulier de rosbif, qu’on peut vendre malgré sa petite taille.

Cette terminologie bouchère en louchébem apparaît dans les rappels, les ordres et les conseils que s’échangent les bouchers. Notre corpus de données en contient de nombreux exemples. Un patron nous dit user de l’argot pour demander à son employé de recharger la machine de hachémesse ([steak] haché), mais seulement quand il n’y a personne à la boutique. « C’est pas lobiche (beau) », peut proférer un patron à un employé afin de lui signaler la mauvaise coupe d’un morceau pour qu’il le change. Plusieurs bouchers conviennent, qu’à propos d’un commentaire sur un moins beau morceau, le client n’a pas à l’entendre. Dans le même esprit, le louchébem peut s’employer dans un rappel chargé d’accélérer l’exécution d’une commande toujours en attente : « Lépêchtoidèm, la lamdé est ladèm (dépêche-toi, la dame est là). »

Ce lexique argotique fait partie des outils de travail du boucher. Fervent défenseur du louchébem, un boucher de 24 ans, pragmatique, conclut sur cet emploi strictement professionnel de l’argot : « Il y a des choses que les clients n’ont pas besoin de comprendre au niveau de l’organisation du travail et non des tromperies. »

5.3. Parler des femmes

On nous a souvent rappelé que la boucherie est un univers masculin où l’argomuche sert à deviser sur le physique des femmes : il faut savoir que nos 201 locuteurs ne comptent qu’une seule bouchère, encore est-elle titulaire d’un CAP charcutierFootnote 13. Un patron à Saint-Mandé trouve de l’élégance chez une femme qui épluche la viande, mais juge que la boucherie, c’est difficile pour une femme « dans un milieu d’hommes, pas forcément raffiné ». Conscients d’exercer un métier d’hommes, bon nombre de bouchers concèdent plaisanter sur les dames (lamdé), les femmes (lamfuche, lamfé), les filles (lifé). Un patron nous a glissé au creux de l’oreille qu’il parlait des belles filles en louchébem, mais le sujet est loin d’être tabou ; notre confrérie de mâles a allègrement partagé et commenté cet usage de l’argot. Pour donner de la chair à ces propos, voici quelques exemples gentiment gaillards collectés durant les entretiens :

  1. Pour parler des gonzesses, il suffit qu’elle ait un décolleté, on parle en codifié.

  2. Faire un commentaire sur une petite nana qui passe : ‘Latémesse les lambjem de la lamdé (matez les jambes de la dame)’.

  3. Comment les filles sont faites : ‘Elle a des belles luiské (cuisses)’.

  4. S’il y a une belle fille, qui va la servir ?

  5. On voit une femme qui est belle ou qui est moche : ‘Elle est lombem (bonne), elle est lochmik (moche)’.

  6. C’est souvent par rapport aux femmes : ‘Elle a de belles fesses, lukesse (cul) ; elle a un larimess (mari), c’est dommage’.

  7. Draguer éventuellement.

Un boucher de Neuilly affirme, non sans dérision, que lukesse est le mot le plus récurrent dans l’argot : « Les bouchers, on est obsédés. » Clairement, l’humour est de sortie quand l’argot s’utilise pour « des trucs de boucher, un peu sauvages ». Lors d’un entretien dans une boutique du 15e arrondissement, – entretien difficile parce que le patron refuse de parler louchébem, même s’il le connaît bien, – celui-ci prétend que 80% du temps les bouchers l’utilisent dans des propos coquins. Le louchébem est surtout un jeu des hommes pour parler des fesses et des seins, lobem lukesse (beau cul), gros leinsok (seins), regrette pourtant un patron de Boulogne.

Dédé Trouillet, boucher bovin à Vincennes et ancien boucher chevalin à Paris, résume bien cet usage masculin du louchébem : « On parle louchébem pour parler métier, mais il y a des dérives si une jolie femme passe. » À l’inverse, un patron du 2e arrondissement rapporte l’occasionnelle œillade de la clientèle féminine pour charmer son boucher ; il compare la scène de légère séduction à celle d’une scène de théâtre, puisqu’elle ne dépasse jamais le seuil de la boucherie.

5.4. Pour bien servir les habitués

Dans une grosse boucherie rue Montorgueil à Paris, la seule qui subsiste dans cette rue, 70% des clients sont des habitués. À la boucherie Didier de Boulogne-Billancourt, le patron tutoie ses clients les plus fidèles. Dans ces petites boutiques, il règne souvent une atmosphère sympathique et drolatique. Le boucher sculpte devant le client un produit sur mesure qui répond à la commande de ce dernier, à ses goûts et ses attentes : voilà un trait qui le distingue du boulanger ou du poissonnier. Les bouchers traditionnels déploient des techniques artisanales évidemment inutiles au rayon de la viande sous vide des supermarchés : « Les clients viennent voir le boucher dénerver, couper, conseiller les gens ; on retransforme les recettes. Ils reviennent à ça. » Un boucher de Montrouge condense ces observations : « On fait tout devant le client. » « Un bon client, il faut bien s’en occuper, le servir, le soigner », insiste-t-on. Des remarques sur la clientèle d’habitués formulées en louchébem permettent un « service client plus affûté » sur fond de discrétion.

L’argot aide un employé peu au fait des habitudes des bons clients. Si un commis ignore les préférences de l’un d’eux, ses collègues peuvent l’épauler en louchébem pour qu’il le serve d’une certaine façon. L’objectif est moins de ne pas se faire comprendre des clients que d’éviter de mettre mal à l’aise un collègue fautif quand il ne choisit pas le bon morceau pour un habitué. Par exemple, si un boucher connaît mal le client réputé pour ne pas aimer la viande tachée ou marquée, son collègue mieux informé peut le lui signaler en louchébem : « Donne-lui un morceau bien lougrok (rouge). » Le boucher qui sert une cliente fidèle pour sa préparation d’un pot-au-feu peut s’assurer auprès du collègue au fait de ses goûts qu’il lui donne le morceau approprié : « Pour la lamduche, la loujem, c’est lombem ? (pour la dame, la joue, c’est bon ?). » À un nouvel employé qui découvre la clientèle, on peut souffler en argot qu’il doit laisser tel ou tel client au patron.

Un boucher, qui se déclare locuteur occasionnel du louchébem, trouve malsain de trop le parler devant le client, mais reconnaît qu’utilisé « proprement » il permet de discuter des morceaux des habitués : « Mets la loirpem (poire) de côté pour une bonne cliente. » Le propriétaire d’une petite boutique du 10e arrondissement tourne sur deux arrivages hebdomadaires : si une bonne cliente veut garder chez elle un morceau plusieurs jours avant de le consommer, il interpellera son employé en louchébem : « Donne-lui du léfrem (frais) », « Va chercher un léfrem (frais) », c’est-à-dire un morceau du second arrivage. Au client sympathique, on signalera un morceau un peu lurdok (dur) pour lui substituer un morceau plus tendre. Devant un client antipathique, on se préparera à la vente avec habileté : « Attention, c’est un lonkesse (con), il faut bien le lersok (servir). »

5.5. Railler les clients désagréables

Dans les boucheries défilent des clients sympathiques et d’autres qui le sont moins. Le louchébem reflète cet état de fait. On l’utilise aussi pour se moquer des clients un peu lonkesse sur les lorbem (un peu cons sur les bords) ou prévenir de leur présence, tel un drapeau rouge : « Il y a un lanarkesse (canard), attention. »

Pendant un entretien, un boucher a écrit sur le questionnaire, juste après qu’une cliente a quitté la boutique, la phrase suivante : « La lamedé qui lortiseme est loncaisse (la dame qui sort est conne). » Un ancien boucher chevalin de 78 ans a lui aussi discuté cet usage railleur de l’argot et mentionné pour pérenniser l’exemple : « Elle est loujour tem au lisem lonquet la lamedé (elle est toujours aussi con (conne), la lamdé). » Laissons la graphie et relevons en passant que le féminin s’efface en louchébem puisque les adjectifs du corpus sont tous formés sur le masculin : lonkesse/loncaisse /lɔ̃kεs/ ou lonké /lɔ̃ke/ (con, conne) < mas. con ; lombem /lɔ̃bεm/ (bon, bonne) < mas. bon : « Elle est lombem la lamdé (elle est bonne la dame) » ; lobiche /lobiʃ/ (beau, belle) < mas. beau : « Elle est lobiche (elle est belle). »

On recourt à l’argomuche pour blaguer sur un client, « la lamdé, elle est lizarbem (la dame, elle est bizarre) », ou injurier un client déplaisant, « il est lonkesse ou lonké (deux variantes de con) ». Même si l’intention se veut ludique, la fonction cryptique du louchébem prend ici tout son sens.

5.6. Dire les prix

Les louchébems se tournent vers leur argot pour s’échanger des prix de vente, loin de l’attention du client : leudé (deux), loitré (trois), linksé (cinq), linvé (vingt), etc. On a relevé des contextes précis dans lesquels cette pratique s’opère : se faire rappeler des prix, tenir compte de leur influence psychologique, vendre moins cher un morceau moins beau et s’adapter au modeste budget d’une cliente.

Certaines maisons ont l’habitude de s’échanger les prix en louchébem : un boucher qui ne connaît pas ses prix prend le risque de laisser une mauvaise impression. À Neuilly, un jeune boucher demande les prix en argot pour ne pas avoir l’air démuni en présence des clients : « Lombienkess le loulepik ? (Combien le poulet ?). » De retour depuis à peine un mois dans un établissement où il avait travaillé douze ans plus tôtFootnote 14, Dickens Charles (!) évite de parler en argot devant le client pour « ne pas se faire avoir », mais y recourt pour s’enquérir des prix de vente à son patron : « Aujourd’hui, j’utilise le louchébem pour lui demander les prix, je connais pas tous les prix. » Le repreneur d’une boucherie dans le 7e arrondissement souligne lui aussi cette commodité de l’argot : « Pour éviter de ne pas connaître les prix devant le client, surtout qu’on a ouvert il y a quinze jours. » C’est une coutume pour un boucher chevalin de dire les prix en louchébem avec son fournisseur de viande à Plessis-Robinson : « Linksé, c’est cinq euros. »

Parce que les prix de certains morceaux peuvent choquer les clients, même dans le cossu 16e, plaisante un boucher de cet arrondissement, le louchébem aide à les masquer. Un autre boucher complète cette explication en rapportant qu’il existe des barrières de prix susceptibles de bloquer un client : « C’est psychologique : 29,99 euros est moins cher que 30. » Une autre pratique associée aux prix concerne la vente d’un morceau de moindre catégorie : « Tu fais un petit liprem (prix) parce que c’est le talon ; c’est plutôt utile, plutôt que de chuchoter. » Le patron d’une boucherie haut de gamme du 7e arrondissement nous a livré un autre usage lié aux prix, plutôt subtil. Lorsqu’une cliente demande un morceau dont le prix excède ses possibilités, il charge son employé de lui fournir un moins beau morceau, mais d’un prix abordable, sans le lui dire vraiment. On utilise ici le louchébem pour ne pas embarrasser la cliente.

5.7. User de gros mots et de petites insultes

Le louchébem renferme de petits propos injurieux, « des grossièretés », « des mots défendus », que les bouchers s’échangent au pied du billot. La notion de code à clef prend ici tout son sens : l’argot déguise des termes familiers ou vulgaires dans un contexte professionnel où ils n’ont pas lieu d’être. Les fonctions ludique et identitaire du louchébem se déploient également dans ce masquage du langage grossier.

Les bouchers se lancent souvent des insultes, anodines, sans intention d’offenser, bien au contraire. Cette pratique prend la forme d’un jeu linguistique entre initiés : les propos injurieux qui sortent spontanément en louchébem font ressortir la camaraderie entre collègues et renforcent le lien confraternel qui caractérise le milieu de la boucherie.

  1. T’es lonkesse (con), c’est pour rigoler, s’amuse à lancer un employé de 72 ans au petit-fils du patron.

  2. On se dit des insultes en louchébem, ça passe mieux : ta leuguiche (gueule).

  3. Entre nous, t’es un lonkesse, espèce de lonkesse, ce n’est pas une insulte.

  4. Quand les gars s’engueulent entre eux, tu me fais liéchok (chier).

Maurice Lormeau, précédemment cité, fait valoir l’usage de l’argot pour masquer les gros mots qui échappent : « Merde devant les clients, ça la fiche mal, lerdemem ou lerdemuche atténue quelquefois des petits propos vulgaires, le client n’étant jamais mis en cause. » Cette fonction du louchébem lui confère sans conteste une valeur euphémique qui évite toute trivialité langagière en présence de la clientèle. À l’instar de mince, miel, ou mercredi, lerdemem et lerdemuche révèlent des variantes euphémiques de merde.

On l’a dit à la section 5.5, le louchébem permet d’user de termes crus pour désigner les attributs des femmes. Au marché Maison-Blanche dans le 13e arrondissement, un boucher illustre comment l’argot efface la vulgarité : « Un gros mot en louchébem, ça passe mieux, lukesse, litbé (cul, bite). » À plusieurs reprises, des bouchers ont prononcé des phrases parsemées de mots en louchébem, mots immédiatement suivis de leur correspondant français pour nous permettre de suivre leur propos. On observe qu’ils utilisent des traductions françaises neutres pour les termes familiers, vulgaires, dits en louchébem. Voici un exemple où le mot lukesse pour cul est glosé par fesses : « La loiselmik a un beau lukesse (la demoiselle a un beau cul), elle a de belles fesses. » Ce décalage stylistique entre les formes en louchébem et leur traduction française plus élégante proposée par les bouchers nous montre que les termes en louchébem sont tous prononçables en public, d’où leur valeur euphémique quand ils correspondent à des termes français informels ou vulgaires.

Il semblerait que la reformation de mots français en louchébem puisse s’accompagner d’un changement de style. Pour les bouchers, merde n’est-il plus perçu comme vulgaire, ou du moins l’est-il moins quand il devient lerdemuche en louchébem ? Ou bien l’argot est-il, par définition, porteur d’un style unique ? Un jeune boucher nous dit faire sortir l’argomuche des murs de la boucherie et l’enseigner à ses copains non-bouchers, « surtout les gros mots ». Et quelle valeur stylistique ces locuteurs non-natifs attribuent-ils à ce lexique emprunté ? Somme toute, le louchébem adoucit la teneur des petits échanges grivois ou vulgaires, outre le fait évident qu’ils soient masqués.

5.8. Atténuer des mots tabous

Le louchébem voile des mots dérangeants sinon tabous entre les murs professionnels d’une boucherie. Il permet de résoudre en toute discrétion les incidents qui surviennent dans la routine et le fonctionnement de la boutique et risqueraient de lui faire du tort, par exemple, en discréditant l’hygiène du lieu.

Sans conteste, le mot sang passe mal devant le client. Dans une discussion sur le déclin et la renaissance éventuelle de la boucherie, un patron assez amer formule tout haut ses craintes : « La boucherie, il y a toujours ce côté mort qui fait peur aux gens. » Remplacer le terme sang par sa forme en argomuche est un moyen de détourner la partie gore inhérente à la boucherie : « Nettoie, y’a du lansem (sang) dans la vitrine. » On relève dans nos données d’autres messages d’alerte passés en codé parce qu’ils concernent des questions relatives à la propreté de l’établissement. Par exemple, avec l’arrivée de la chaleur estivale, les mouches affluent : « Attention, y’a une louchmess (mouche) dans la vitrine. » Un boucher de l’île Saint-Louis nous dit signaler à un collègue « une lavette lalsok (sale) » pour qu’il la retire du billot.

On préférera aussi transposer certains mots de la boucherie en louchébem. La semelle désigne un morceau de bœuf situé à l’arrière de la cuisse (morceau plutôt ferme et maigre, à fibres courtes), mais le client peut d’abord penser à son sens familier de morceau coriace : « La semelle, pas terrible devant le client, lemelseuk. » Un jeune boucher qui a une notion du louchébem limitée à quelques mots lexicalisés analyse l’emploi fréquent de l’adjectif larisse (discuté à la section 5.1) :

On veut faire passer un produit un peu plus vieux, entre guillemets, masquer des choses que le client n’aimerait pas entendre : la viande, prends la plus vieille, on ne peut pas dire ça devant le client. Elle a juste un jour de plus, c’est pas grave. Les trucs larisse sont meilleurs en plus.

Cette série d’exemples révèle un usage du louchébem qui vise moins à cacher des choses au client qu’à éviter de lui faire entendre des termes jugés douteux pour la réputation de la maison. Nul doute qu’on peut considérer cet usage comme l’expression euphémique de tabous, dans la même veine que les gros mots dits en louchébem. Il s’agit de temps en temps d’y recourir pour « retoucher » la boucherie, véritable tableau vivant.

5.9. Pour dire plus en un seul mot

Le sens d’un mot en louchébem s’étend parfois au-delà de la définition de son équivalent/étymon français. Le sens ajouté, immédiatement compris des argotiers, prend souvent la forme d’un commentaire, d’une alerte, ou d’un ordre à exécuter.

Un boucher interviewé dans son laboratoire illustre cet usage connotatif du louchébem quand il dit utiliser l’argot pour donner des ordres. Il propose l’exemple de ce que le terme loulépem (poulet) peut évoquer prononcé « dans le feu de l’action » : « Le samedi on dit un mot et on percute dans le contexte, par exemple, loulepem veut dire : il faut aller voir à la rôtisserie, est-ce que ça brûle ? un petit coup d’œil et ça percute… c’est l’essence du langage maintenant. » Pour un boucher de la rue Monge, initié dès l’âge de cinq ans et demi au louchébem, les formes dur et lurdok ne signifient pas la même chose. Si un morceau en train d’être piécé semble trop dur pour être vendu à une habituée, le morceau est qualifié de lurdok (dur) : « Lurdoc veut dire plus que dur ! Trop dur par rapport à la cliente, etc. », insiste-t-il. Les mots français déformés en louchébem peuvent être porteurs d’un sens particulier selon le contexte.

Le mot en louchébem, en tant que mot juste porteur d’une connotation, devient un outil professionnel qui permet de faire l’économie d’un commentaire et donc de gagner du temps : « On communique plus vite en louchébem qu’en normal », rappelle Dickens Charles.

5.10. Échanger des propos journaliers

Le louchébem trouve sa place dans les échanges quotidiens ordinaires. Les bouchers l’utilisent entre eux pour « les choses de la vie » et « des petits trucs comme ça » ; ce sont de petits rituels, dont fait partie le lonjourbem (bonjour) du matin.

Les paroles de bouchers incluent quelques phrases anodines de la vie courante où se glissent un ou deux mots en louchébem. Le dimanche à la fermeture, un patron rapporte qu’on entendra dans sa boutique la phrase : « On va boire un louké (coup). » Voici d’autres scénarios du quotidien où l’argomuche se fait entendre :

  1. On va boire un lakéfesse (café).

  2. Viens prendre ton lafekem (café).

  3. On va aller langermesse (manger).

  4. Je vais lissépem (pisser) et je reviens.

  5. Latémesse à loidré (matez à droite), pour signaler un collègue qui coupe les bras en l’air ou un passant à l’allure ou la tenue singulière.

Ces propos ordinaires transformés en louchébem prennent immédiatement une dimension identitaire (« c’est notre code ») et mettent en relief l’argot comme langage affectif. Un ancien comédien, reconverti en boucher, souligne son attachement à cette tradition : « Quand on parle louchébem à un vieux boucher et qu’il répond en louchébem, il y a un feeling qui se passe. »

6. CONCLUSION : UN THÉÂTRE DE VIANDE

Argot à clef, dont la première attestation remonte à 1829, le louchébem a traversé le XXe siècle en loucedé puisqu’il se parle toujours tandis qu’on le croit quasi éteint. C’est le premier enseignement de notre enquête de terrain qui se compose d’un large corpus de témoignages collectés auprès de 201 bouchers interviewés dans leur boutique parisienne entre 2016 et 2018. Les brèves de billot qu’ils ont bien voulu partager lors de rencontres spontanées organisées autour d’un questionnaire nous ont permis d’identifier, d’illustrer et d’analyser dix fonctions spécifiques à la pratique du louchébem ; ces fonctions dérivent toutes des motifs cryptique, identitaire et ludique qui définissent les codes à clef. Cet inventaire de fonctions justifie la survivance du louchébem tout en dévoilant l’utilité et la cohésion de ce sous-système du français, fondé sur la manipulation créative de la langue française.

En tant que procédé cryptologique, le louchébem dissimule des propos professionnels et personnels. Suivant les raisons précises pour lesquelles les bouchers recourent à leur argot, la part du cryptique apparaît essentielle (outil professionnel, arme de dérision, etc.) ou secondaire (échange de conseils, instrument de chamaillerie, etc.). L’aspect ludique s’explique aisément en parallèle avec l’univers masculin inhérent à la boucherie et valide les propos gaillards sur les femmes et l’échange de petites insultes en louchébem, par exemple. Quant à la fonction identitaire, elle semble d’autant plus forte et emblématique que l’argot est celui d’une corporation bouchère qui s’essouffle indubitablement ; il peut s’apprivoiser comme un symbole d’unité et de survivance. Certains bouchers considèrent néanmoins comme secondaire la pratique du louchébem et la distinguent des priorités actuelles de survie de la profession. Dans cet entrecroisement de fonctions, une fonction domine, une autre s’efface selon que le boucher choisit de le parler (régulièrement, occasionnellement, rarement, jamais) dans la vie quotidienne de la boutique. On relèvera avec évidence qu’il existe un rapport intime à l’argot : si pour certains bouchers, le louchébem fait partie de « l’âme du boucher », pour d’autres, c’est une « horreur ». Il restera à développer plus en détail les motifs qui freinent sa pratique actuelle.

Outil de communication professionnelle, le louchébem évolue aussi, en arrière plan, sur un fond de théâtralité. De nombreux bouchers ont explicitement souligné que l’utilisation de l’argot s’inscrit dans un jeu ordinaire de mise en scène. Un patron installé à Gentilly propose une subtile interprétation de cette théâtralité argotique : « C’est une façon de se dédoubler, tu passes d’une scène à l’autre, pour être avec le client en même temps. Une forme d’avatar. » La boucherie où se pratique le louchébem devient un théâtre de viande.

Dans nos travaux ultérieurs, nous poursuivrons la reconstruction de l’histoire du louchébem en tâchant notamment de tisser les liens entre malfaiteurs et garçons bouchers, ou de déterminer l’usage du louchébem aux abattoirs de la Villette, dans les tranchées de la Première Guerre mondiale et aux Halles de Paris. Nous explorerons également les autres thèmes du questionnaire afin d’évaluer la vitalité actuelle du louchébem, de caractériser son apprentissage et sa transmission, et de proposer une description linguistique (inventaire et allomorphie des suffixes, analyse morpho-phonologique de ces suffixes, vocabulaire lexicalisé vs productif, etc.).

Footnotes

*

Cet article a bénéficié de la relecture méticuleuse d’Éric Saugera, de Catherine et Jean-Pierre Rousseau, et de trois experts anonymes. L’ensemble de leurs suggestions a permis d’améliorer notablement le texte original.

1 Manuscrit original consulté à la Bibliothèque municipale de Rouen, fonds Montbret (1673–88).

2 Ce terme, qui désigne à la fois le boucher et son argot, fait partie de la nomenclature du Petit Robert.

3 L’argot étant une pratique orale, la transcription des formes en louchébem dans cet article ne suit aucune convention orthographique.

4 Dans leur Dictionnaire de l’argot et du français populaire, Colin, Mével et Leclère (Reference Colin, Mével and Leclère2010 : 35) formalisent ces propos, mais définissent le louchébem comme un procédé de codage qui n’utilise qu’un seul suffixe, -em :

Comme la clé en est assez facile à découvrir, le largonji, dans la pratique actuelle, a souvent été compliqué par l’adjonction de suffixes variés : -ic, -iche, -em, -uche, etc. Le louchébem est une application particulière du largonji. […] Voici quelques exemples de formes strictement louchébem : labatem (tabac), laquépem et laq’çonpem (paquet), larantequem ([pièce de] quarante [sous]), larq’bem (quart [pour boire]), latrequem (quatre), lerchem (cher), linguem (lingue [couteau]), lonbem (bon), lounèmes (nous), louivème (oui), loussem (sous), luctrème (truc).

5 Une anecdote de terrain confirme ce problème – la collecte de données « forcées ». Lorsque l’entrée d’un client interrompt un entretien, il peut arriver que le boucher interviewé utilise un mot en louchébem en notre présence. Un client demande des merguez et son boucher répète la commande en argot « des merguez, des lerguezmiches » en nous regardant d’un œil amusé. Une autre fois, dans une autre boutique, une cliente habituée demande des tranches de jambon et le boucher nous fait un clin d’œil complice en répondant : « Lombienkesse, vous en voulez combien ? ». Dans les deux cas, et curieusement, les clients n’ont pas semblé prêter attention à l’intrusion d’un mot en louchébem dans le discours de leur boucher.

6 Le marché de Rungis n’est pas ouvert au public, à l’exception de visites guidées. Nous avons eu le privilège d’y accompagner Roger Yvon, boucher du 7e arrondissement déjà évoqué, qui nous a présentés à des bouchers de Rungis initiés en louchébem.

7 Si l’histoire du javanais reste obscure, on peut décrire la formation de cet argot qui remonterait à 1857 : « Procédé argotique de déformation systématique des mots, par lequel un infixe –av se place entre la consonne et la voyelle de la première ou de chaque syllabe : beaub-av-eau, baveau ; grossegr-av-osse, gravosse, etc. » Cellard et Rey (Reference Cellard and Rey1991 : 459).

8 D’abord utilisé au XIXe siècle par les marchands ambulants des rues de Londres, les bouchers adoptèrent ensuite le back-slang, avec un usage notable pendant et après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de rationnement de la viande (manipuler les prix, discuter des clients, etc.) ; la vitalité présente de l’argot n’est pas connue même si on assume qu’il semble avoir disparu (Upton, Reference Upton and Buschfeld2014).

9 Le piéçard sait débiter une pièce de viande au gramme près.

10 La définition du Petit Robert aidera les lecteurs non-initiés à la terminologie bouchère : «Morceau de bœuf très tendre situé dans les muscles cruraux internes ».

11 Ce mot fait l’objet d’une courte étude à la section 5.2.

12 La variante lobékesse est un cas de dévoisement – gobet > l + obe + g/k + -esse : /g/ consonne occlusive vélaire voisée vs /k/ consonne occlusive vélaire sourde.

13 Les charcutiers, autre métier de la viande, ne parlent pas louchébem. Un boucher l’a justifié par le fait que la charcuterie relève seulement du porc et de la fabrication de produits.

14 La boucherie ferma définitivement ses portes quatre jours après notre entretien, sans que le patron ait pu trouver de repreneur, après en avoir pourtant cherché un pendant deux ans. Ce scénario ne semble guère exceptionnel.

References

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Figure 0

Figure 1. Extrait du questionnaire : section sur la pratique actuelle du louchébem