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Dynamiques partisanes et réalignements électoraux au Canada (1867–2004)

Published online by Cambridge University Press:  18 December 2006

Frédérick Bastien
Affiliation:
Université de Montréal
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Dynamiques partisanes et réalignements électoraux au Canada (1867–2004), Pierre Martin, Paris : L'Harmattan, 2005, 302 pages.

Les politologues canadiens ont abondamment documenté la plupart des élections fédérales depuis le milieu du 20e siècle par des ouvrages collectifs (en particulier, la série The Canadian General Election of…), des analyses de données provenant d'enquêtes d'opinion publique (les études sur les élections canadiennes) et d'autres contributions. La plupart de ces publications se concentrent sur un ou deux rendez-vous électoraux. L'ouvrage de Pierre Martin est différent puisqu'il adopte une perspective historique englobant toutes les élections fédérales depuis 1867 et rejoint ainsi certains travaux de David Smith, Kenneth Carty et Richard Johnston. Le politologue français examine le cas canadien en y appliquant une version revisitée de la théorie des réalignements électoraux.

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BOOK REVIEWS
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© 2006 Cambridge University Press

Les politologues canadiens ont abondamment documenté la plupart des élections fédérales depuis le milieu du 20e siècle par des ouvrages collectifs (en particulier, la série The Canadian General Election of…), des analyses de données provenant d'enquêtes d'opinion publique (les études sur les élections canadiennes) et d'autres contributions. La plupart de ces publications se concentrent sur un ou deux rendez-vous électoraux. L'ouvrage de Pierre Martin est différent puisqu'il adopte une perspective historique englobant toutes les élections fédérales depuis 1867 et rejoint ainsi certains travaux de David Smith, Kenneth Carty et Richard Johnston. Le politologue français examine le cas canadien en y appliquant une version revisitée de la théorie des réalignements électoraux.

Au premier chapitre, Martin dresse un état de la littérature sur l'évolution du système partisan au Canada. Il porte une attention particulière aux travaux de Smith et Carty sur le rôle des partis dans le développement du système politique, ainsi qu'à ceux de Johnston sur les évolutions électorales et les positions adoptées par les partis quant à certains clivages qui ont divisé la société canadienne. Ces auteurs ont distingué dans l'histoire canadienne diverses périodes en fonction des rôles assumés par les partis politiques ou de leur proximité à l'égard de certains segments de l'électorat. Martin constate qu'ils se concentrent sur la dimension partisane du système politique alors que la théorie des réalignements insiste plutôt sur la dimension électorale.

Le deuxième chapitre expose le cadre théorique de l'auteur. Dans un premier temps, il présente la théorie classique des réalignements et discute des principales critiques formulées à son endroit. D'abord développée aux États-Unis, principalement par V. O. Key, elle met en relief l'existence de tensions entre l'inertie du système politique et le dynamisme de la société. Lorsque ces tensions sont trop fortes, le système partisan en place s'effondre, ouvrant la voie à une phase de réalignement. Le réalignement peut être de niveau ou de structure. Dans le premier cas, il y a un changement dans le rapport de force des partis. Dans le second cas, la répartition des appuis électoraux d'un même parti est transformée. Cette version classique de la théorie a été critiquée pour son incapacité à expliquer des évolutions électorales observées dans les années 1960 et 1970 aux États-Unis, son manque de précision dans la définition du concept de réalignement et sa pertinence décroissante à mesure que les identités partisanes s'amenuisent et que la volatilité de l'électorat s'accroît.

En réaction à ces critiques, Martin expose dans un second temps la version revisitée de la théorie. Il reprend les propositions qu'il a élaborées dans un ouvrage précédent sur les élections françaises (Comprendre les évolutions électorales : la théorie des réalignements revisitée, Paris : Presses de Science Po, 2000). Il circonscrit notamment la zone de validité de la théorie des réalignements aux évolutions électorales brutales et durables, par opposition aux évolutions progressives et durables ou brutales mais conjoncturelles. Puis, il substitue au concept d'élection critique la notion d'élection de rupture, qui marque le début d'une phase de réalignement, et celle d'élection de réalignement, qui amorce un nouvel ordre électoral. Il énonce aussi des règles précises devant présider à l'identification de ces élections de rupture et de réalignement.

L'analyse empirique du cas canadien débute au troisième chapitre et se poursuit jusqu'à la fin de l'ouvrage. Martin repère d'abord les élections de réalignement, puis celles de rupture. Sa méthode est présentée pas à pas, en distinguant les évolutions de niveau et celles de structure—pour ces dernières, l'électorat canadien est segmenté en quatre régions—et ce, pour chacun des deux principaux partis canadiens, libéral et conservateur, et pour la somme de leurs résultats. Ce procédé est laborieux, mais c'est le moyen trouvé par l'auteur pour répondre aux critiques reprochant à la théorie des réalignements son manque de précision. En bout de piste, Martin identifie cinq phases de réalignement dans l'histoire canadienne : 1896–1900, 1917–1926, 1935–1940, 1957–1963 et 1984–1993. Entre ces phases, on distingue autant d'ordres électoraux : 1900–1917, 1926–1935, 1940–1957, 1963–1984 et 1993 à nos jours. Les deux premières phases de réalignement sont examinées brièvement au chapitre 3 alors que les trois autres font chacune l'objet d'un chapitre distinct. On y retrouve une description plus détaillée des réalignements de niveau et de structure propres à chaque phase, des mutations du système partisan fédéral associées à ces périodes de transition et des changements induits dans le fonctionnement du système politique canadien. Un dernier chapitre examine conjointement l'évolution des systèmes partisans fédéral et provinciaux au Canada.

Après avoir décrit les ruptures et les réalignements, Martin tente de les expliquer. Les ruptures seraient parfois attribuables à des crises économiques (par exemple, l'effondrement du Parti conservateur en 1935 et du Parti libéral en 1984), à l'usure du pouvoir (la défaite libérale de 1957) ou à une combinaison de ces facteurs (la défaite conservatrice de 1896). Quant aux réalignements, l'auteur les attribue tantôt à la capacité d'un nouveau gouvernement à gérer les conséquences d'une crise économique (la domination libérale après l'élection de 1993), tantôt à l'émergence d'enjeux autour desquels les partis se positionnent de façon à rejoindre des segments différents de l'électorat par rapport à l'ordre électoral précédent (par exemple, le rôle de l'État dans l'économie lors du réalignement de 1940 et la redéfinition de l'identité canadienne en 1963).

Par contre, ces mêmes variables explicatives ont parfois des effets différents. Ainsi, les restrictions économiques liées à l'économie de guerre au début des années 1940 n'ont pas entraîné un prolongement de la phase de réalignement amorcée quelques années plus tôt, comme ce fut le cas entre 1988 et 1993. D'autre part, l'usure du pouvoir après 16 ans de gouvernement libéral n'a pas entraîné de rupture en 1979, comme ce fut le cas en 1957. L'auteur interprète des éléments contextuels pour rendre compte des ruptures ou des réalignements, mais ces explications paraissent singulièrement limitées à chaque cas étudié. Il s'agit davantage d'une discussion bien documentée que d'une démonstration rigoureusement structurée. Il aurait été intéressant que l'étude du cas canadien permette d'énoncer des propositions plus précises visant à expliquer les réalignements et de dégager des règles d'inférence afin de mieux dépasser l'analyse descriptive.

Cet ouvrage n'apporte pas une perspective tout à fait inédite par rapport aux travaux existants sur l'évolution du système partisan canadien. L'analyse de Johnston présentait un découpage semblable à celui de Martin, en liant la position des partis sur divers enjeux à leur performance électorale. Ici, Martin fait aussi intervenir les enjeux pour rendre compte des évolutions électorales. En revanche, il offre aux politologues intéressés par le système politique canadien des règles précises permettant de découper l'évolution du système partisan. Elles pourraient leur permettre de réaliser de nouvelles analyses sur les systèmes partisans de chaque province, un objet de recherche encore peu étudié.

Ce livre montre que la théorie des réalignements peut s'appliquer à un système partisan qui ne soit pas bipartite (comme aux États-Unis), ni dualiste (affrontement entre la gauche et la droite en France) puisque l'analyse distingue le Parti libéral et le Parti conservateur de ceux qui ne participent pas à la formation du gouvernement mais constituent néanmoins une force politique significative. Enfin, l'ouvrage offre une quantité impressionnante de résultats électoraux qui satisferont les étudiants et les chercheurs en quête de renseignements sur le vote au Canada. Il est aussi l'occasion de se rappeler des moments importants de l'histoire politique canadienne et de leur donner un sens, exercice auquel les analyses immédiates sont généralement peu propices.