Le philosophe Cornelius Castoriadis (1922–1997) aurait eu cent ans en 2022. Les Éditions du Sandre ont profité de l'occasion afin de rééditer en plusieurs tomes une multitude d'articles et d'entretiens, dont certains étaient devenus pratiquement introuvables. À la fois politologue, philosophe et théoricien, Castoriadis a beaucoup écrit sur le phénomène bureaucratique (voir un des tomes précédents, sur La Société bureaucratique, Écrits politiques, tome 5, Saint-Loup-de-Naud, Éditions du Sandre, 2015); mais son ouvrage le plus réédité de son vivant est sans doute L'Institution imaginaire de la société (Seuil, 1975). Cependant, aucun livre n'est inclus intégralement dans ce tome 7, ce qui rend son contenu toujours difficile à retrouver dans son ensemble.
Deux mises au point doivent être faites d'emblée. D'abord, le titre – aussi bref que vague – du présent recueil n'a évidemment pas été choisi par Cornelius Castoriadis. L'ouvrage, d'ailleurs, ne prétend nullement couvrir que les liens entre écologie et politique, non plus que de traiter uniquement d’écologie politique. Il s'agit plus prosaïquement de colliger différents textes de Castoriadis abordant soit l’écologie, soit la politique, et quelquefois les deux domaines réunis (surtout dans la première section, p. 131). Ce septième tome des Écrits politiques de Castoriadis se subdivise en trois parties comprenant d'abord huit articles de fond couvrant la première moitié de l'ouvrage. Ce premier tiers d’Écologie et politique est le plus approfondi et le plus théorique. Certains textes s'inscrivent dans la continuité des travaux du philosophe Jacques Ellul critiquant les mirages et les débordements de la technique. D'ailleurs, on trouve reproduit un échange de quatre lettres entre ces deux penseurs (149–152). Deux lettres inédites rédigées par Jacques Ellul y sont reproduites.
Plus fragmentée, la partie centrale regroupe une vingtaine de lettres adressées par Cornelius Castoriadis à différents penseurs et éditeurs (de Richard Rorty à Christian Bourgois ou Ivan Illich). Ce ne sont évidemment pas des lettres courtoises mais davantage des documents de travail sur l’édition de ses manuscrits ou sur des questions politiques à débattre.
La dernière portion rassemble des transcriptions de dialogues tenus en public (sous la forme de conférences ou de tables rondes) faisant intervenir divers interlocuteurs. Ces pages ont l'avantage de mettre au point un certain nombre de concepts et d'idées développés par l'auteur.
Autre remarque : les textes choisis ici ne sont pas regroupés chronologiquement, mais plutôt thématiquement. La plupart datent des années 1980 et 1990, mais quelques extraits de correspondance remontent jusqu'en 1947 (207).
Il ne faudrait pas contourner l'Introduction très pertinente dans laquelle Enrique Escobar rappelle la pertinence et l'actualité de Cornelius Castoriadis encore au XXIe siècle. Le préfacier met en évidence le concept de nation, fréquemment employé, mais défini de manière ambivalente par Castoriadis : « La nation est une forme qui en droit est historiquement dépassée, mais qui en fait ne l'est nullement. C'est la grande antinomie de l'époque » (40). À plusieurs endroits, Castoriadis revalorise et relégitime l'idée de la nation : « la nation est le dernier pôle d'identification » (37). Plus loin, Enrique Escobar résume la conception de la société que se faisait Cornelius Castoriadis, génératrice de visions et de perspectives contrastées, « chaque fois institution d'un magma de significations imaginaires sociales » (37).
Dans Écologie et politique, Castoriadis présente l’écologie comme un « fait fondamental » pour nos sociétés et ajoute, à propos de l'environnement : « il ne peut pas y avoir de vie sociale qui n'accorde une importance centrale à l'environnement dans lequel elle se déroule » (191). Sans être nommée comme telle, la dimension écocitoyenne apparaît fréquemment dans ce livre, par exemple dans ce passage de « L’écologie contre les marchands », article paru en 1992, affirmant que « L’écologie est subversive car elle met en question l'imaginaire capitaliste qui domine la planète » (187). Implicitement, Écologie et politique, répond aux questions (et anticipe même les objections) des opposants à la cause écocitoyenne en fournissant des arguments rigoureux. Du même souffle, Castoriadis réaffirme la dimension politique inhérente à l’écologie : « L’écologie est essentiellement politique, elle n'est pas ‘scientifique’ » (191). Et Castoriadis poursuit : « La science est incapable, en tant que science, de fixer ses propres limites ou ses finalités » (191). Ailleurs, la pérennité du pouvoir est admirablement bien formulée par Cornelius Castoriadis : « le système tient parce qu'il réussit à créer l'adhésion des gens à ce qui est » (123).
La pensée de Castoriadis demeure pertinente pour solidifier un cadre théorique de toute recherche en théories politiques, en philosophie politique, en politiques urbaines ou en sociologie de l'environnement. Il réaffirme la nécessité de critiquer le système industriel qui favorise la surproduction, le gaspillage et le culte de la technique (131). Ce livre rare – et de ce fait indispensable aux bibliothèques universitaires – fournira des arguments au chercheur voulant démontrer comment le capitalisme surexploite indûment les ressources de la nature et par quels moyens l’écologie politique tente de critiquer ce que plusieurs considèrent simplement comme une évidence, un mouvement inévitable, un signe de progrès et de prospérité (131).