L'ouvrage collectif sous la direction de Hugo Loiseau et d'Elena Waldispuehl, Cyberespace et science politique : de la méthode au terrain, du virtuel au réel, offre un premier regard sur la théorisation du cyberespace en sciences sociales et politiques. En ce sens, on cherche à examiner les transformations engendrées par l'invasion du numérique en sciences sociales, autant au niveau de la nature des relations sociales, des pratiques scientifiques et pédagogiques, qu'au niveau des méthodes de recherche. À cette fin, l'ouvrage se divise en trois parties complémentaires offrant d'abord un regard plus théorique sur le cyberespace, suivi de quelques avenues plus empiriques.
La première partie mise sur les éléments fondamentaux du cyberespace, les défis méthodologiques liés à son étude et à ses potentialités cartographiques. Le chapitre 3 (Dupéré) offre notamment un résumé du cadre théorique mobilisé, ainsi qu'une illustration des différentes couches formant le cyberespace. Cet environnement numérique est défini comme étant un oignon composé de quatre couches superposées mutuellement complémentaires, c'est-à-dire la couche physique, la couche logicielle, la couche cognitive et la couche sociale. On s'intéresse particulièrement aux relations qu'entretiennent les trois premières couches avec la couche sociale, qui demeure peu étudiée par les sciences sociales et politiques.
Par la suite, la deuxième partie recueille des études de cas de phénomènes cyberpolitiques en lien avec le vote et les élections. Couture, Breux et Goodman (chapitre 5) présentent notamment des résultats quant au potentiel participatif du vote par Internet en misant sur des données du Internet Voting Project. Dans une optique de communication politique, les chapitres 6 et 7 portent plutôt sur la publicité politique négative effectuée par le parti conservateur à partir de 2007 (Millette), ainsi que l'utilisation politique de vidéos numériques (Choquette).
Enfin, la troisième et dernière partie mise également sur l'analyse des phénomènes cyberpolitiques, cette fois avec un intérêt particulier pour le cyberespace en tant qu'espace de conflits politiques (Sauvé), l’économie politique des données personnelles et la surveillance de masse (Rivard), les villes intelligentes (Diaz & Breux), ainsi qu'une approche ethnographique virtuelle afin d’étudier des communautés virtuelles (Waldispuehl, Branthonne & Morissette). Ce dernier chapitre comporte d'ailleurs une extension des discussions méthodologiques abordées au sein de l'ouvrage que je trouve particulièrement pertinentes.
De manière générale, cette collection de chapitres offre un survol intéressant d'une théorisation du cyberespace, ainsi que d’études de cas démontrant des exemples de nouveaux objets de recherche et de l'adaptation des méthodes de recherche traditionnelles pour l’étude de ces nouveaux objets. En effet, cet ouvrage répond, de manière globale, à ses trois questions de recherche principales portant sur les changements sociaux induits par l'arrivée – puis l'ubiquité du cyberespace – au sein de la société, la modification de la recherche en sciences sociales, ainsi que les transformations majeures des méthodes de recherche entraînées par le cyberespace.
L'une des plus grandes contributions de cet ouvrage collectif, à mon avis, est son apport à la méthodologie de recherche avec l'avènement de la technologie. En effet, cet ouvrage démontre un réel souci envers les défis méthodologiques du cyberespace en sciences sociales et politiques, tel qu'examiné par Hugo Loiseau au chapitre 2, ainsi qu’à l'utilisation de l'ethnographie au sein d'un espace virtuel (Waldispuehl; Waldispuehl, Branthonne & Morissette) aux chapitres 4 et 11, où l'ethnographie passe d'un rapport face à face à une interaction sociale par l'intermédiaire d'un ordinateur. Cette netnographie semble d'ailleurs engendrer plusieurs débats au sein de la littérature, car, tandis que certains y perçoivent une nouvelle méthode qualitative (Kozinets, 2002), d'autres soutiennent qu'il n'existe pas de réelles différences entre un terrain virtuel et un terrain physique (Pastinelli, 2011). Il en est de même au niveau des questions éthiques, surtout au sujet de l'ambivalence du contenu public/privé, de l'anonymat des participants et de l'obtention du consentement des utilisateurs.
En plus de se concentrer sur les changements qu'entraîne le cyberespace au niveau des méthodes de recherche en sciences sociales, les études de cas offrent un survol de nouveaux objets de recherche au sein de cet univers virtuel. Cet effort de combiner le théorique à l'empirique est remarquable au sein d'un ouvrage collectif d'envergure, d'autant plus que les auteurs notent, en introduction, que cet ouvrage se veut surtout une théorisation du cyberespace. Il est à noter que les chapitres consacrés aux études de cas me semblent comme étant beaucoup plus pertinentes au sein de la troisième partie, surtout en ce qui a trait à l’économie politiques des données personnelles (Rivard), à la ville intelligente (Diaz & Breux), ainsi qu’à l'ethnographie virtuelle (Waldispuehl, Branthonne & Morissette). Le chapitre portant sur les données personnelles est d'autant plus pertinent à la lumière du scandale Facebook- Cambridge Analytica.
Finalement, je crois que l'ouvrage collectif sous la direction de Hugo Loiseau et d'Elena Waldispuehl est un très bon point de départ pour les chercheurs s'intéressant à l’évolution du cyberespace, ainsi qu'aux méthodes afin de l’étudier en sciences sociales et politiques.