1. Introduction
Longtemps inaccessibles (ou presque), les manuscrits grecs d'Albanie demeurent peu connus. En publiant un catalogue intitulé Greek New Testament Manuscripts from Albania,Footnote 1 Didier Lafleur, assisté de Luc Brogly, a donc rendu un service inestimable à tous ceux qui s'intéressent au fonds qui les rassemble désormais aux Archives nationales de Tirana.Footnote 2 En effet, bien que ce catalogue soit consacré aux manuscrits néotestamentaires, son introduction apporte une contribution majeure à l'histoire du fonds.Footnote 3 Livrant une information particulièrement riche, D. Lafleur y étudie notamment l'apport indéniable de Mgr Anthimos Alexoudis, métropolite de Bérat de 1855 à 1887 et auteur de divers catalogues et descriptions,Footnote 4 et retrace la mission menée dans cette ville en 1885 par Pierre Batiffol.Footnote 5 Il consacre aussi plusieurs pages au travail remarquable effectué par Johannes Koder et Erich Trapp lors d'un bref séjour à Tirana en 1965.Footnote 6 Il ne s'arrête guère, par contre, sur les indications que von Soden donne à propos des manuscrits de Bérat dans le premier volume de ses Schriften des Neuen Testaments in ihrer ältesten erreichbaren Textgestalt,Footnote 7 auxquelles il ne prête guère de valeur.Footnote 8
C'est précisément l'intérêt des indications fournies par von Soden et de leur témoignage sur les fonds manuscrits de Bérat au tournant du xixe et du xxe siècle que nous souhaitons réévaluer dans cette note. En effet, dans la mesure où il est possible de montrer que ces indications dépendent du travail réalisé sur place par un collaborateur de von Soden, Alfred Schmidtke,Footnote 9 leur valeur pour l'histoire des manuscrits grecs de Bérat s'avère bien plus grande qu'escompté.
2. Alfred Schmidtke en Albanie
Le traitement très rapide réservé par D. Lafleur à von Soden s'explique par la conviction qu'entre l’époque d'Alexoudis et de Batiffol et celle de Koder et Trapp, aucun savant occidental n'aurait eu un accès direct aux fonds manuscrits de Bérat:
So at the turn of the XXth century, the Berat mss. were known in Western Europe thanks to Ἀλεξούδης’ descriptions … German scholarship tried to order the newly discovered artefacts according to their location: the Bishop's house, the church of the Dormition of the Blessed Virgin (Κοίμησις τῆς Παναγίας/Θεοτόκου, Mangalemi suburb), the church of the Annunciation (Παναγία Εὐαγγελίστρια), the church of St. George and the church of St. John the Theologian.
From then on, no further scholars had direct access to the manuscripts. All subsequent developments, as shelfmarks or Gregory-Aland numbering, were edited according to Ἀλεξούδης and Batiffol's publications. …
In brief, scholarship would wait nearly sixty years – until Johannes Koder and Erich Trapp's journey – to obtain new information about the Greek mss. housed in Albania.Footnote 10
Dans cette optique, la façon dont von Soden répartit les manuscrits de Bérat entre l’église de la Dormition (Ἐκκλησία τῆς Κοιμήσεως [μητρόπολις]), l’église placée sous le même vocable à Mangalemi (Ἐκκλησία τῆς Κοιμήσεως [Μεγαλαίμιον]) et l’église de l'Annonciation (Ἐκκλησία τοῦ Εὐαγγελισμοῦ)Footnote 11 n'aurait aucun intérêt propre. Par ailleurs, lorsqu'en renvoyant à Batiffol,Footnote 12 von Soden ajoute que les indications de ce dernier sont incomplètes,Footnote 13 il ferait implicitement référence à Alexoudis.
Cependant, il est difficile d'admettre que les données précises que le savant allemand fournit sur les dimensions, le nombre de folios ou le contenu néotestamentaire des différents manuscrits de Bérat et des environs soient exclusivement tirées des publications de Batiffol et d'Alexoudis. Il se pose d'ailleurs un problème chronologique. En effet, l'actuel ANA 5 (GA 2252, von Soden ε2022), provenant d'un monastère voisin de Berat, a été décrit par Alexoudis dans la livraison d’Ἐκκλησιαστικὴ Ἀλήθεια datée du 15 novembre 1902.Footnote 14 Or la préface du volume de von Soden est datée du 30 octobre de la même année,Footnote 15 qui est aussi celle de la parution du livre. Il y a donc lieu de supposer que son travail était achevé à fin octobre. Aussi, même sans connaître plus précisément la date d'impression du volume, y a-t-il lieu de douter que von Soden ait encore pu intégrer ce manuscrit, jamais décrit auparavant, d'après un périodique publié à la mi-novembre à Constantinople. En outre, si tel était le cas, on s'attendrait à le trouver mentionné dans les « Ergänzungen und Verbesserungen » plutôt que dans le corps du texte.Footnote 16 Quoi qu'il en soit, une considération plus décisive encore permet d'exclure qu'Alexoudis soit la source de von Soden pour ce manuscrit. En effet, leurs indications divergent sur un certain nombre de caractéristiques fondamentales (nom du monastère, dimensions, nombre de lignes par colonne, nombre de folios):Footnote 17
von Soden Swernetz, Ευαγγελισμου s.n. 23 × 18,3 [cm] 22 l. ff. 290
Alexoudis Ἱερὰ μονὴ τῆς Παναγίας τοῦ Σβερνέτζ 0,24 × 20 [m] 24 l. ff. 307
Lafleur ANA 5 230 × 185 [mm] 22 l. ff. 308
Si von Soden ne dépend pas d'Alexoudis, c'est évidemment qu'il disposait d'une source d'information indépendante. Bien que, dans ce cas, le nombre de folios indiqué par von Soden soit clairement erroné, cette source avait eu un accès direct au manuscrit, puisque les dimensions indiquées correspondent presque exactement au relevé de D. Lafleur et que le nombre de ligne est exact, contrairement à celui que donne Alexoudis. Cette seule constatation confère un certain intérêt aux indications du savant berlinois.
Les informations, parfois précises, que von Soden donne sur le contenu de certains manuscrits confirment cette hypothèse, puisqu'elles ne sont pas non plus tirées des descriptions d'Alexoudis. Nous prendrons ici l'exemple de l'actuel ANA 19 (GA 1709 = Ἐκκλησία τῆς Κοιμήσεως 7 = ε1053). Les deux descriptions qu'en donne l'ancien métropolite de Bérat sont très sommairesFootnote 18 et n'indiquent pas précisément les lacunes de ce tétraévangile. Pourtant, von Soden est bien renseigné à ce sujet, et ses données sont largement confirmées par celles de D. Lafleur (voir Tableau 1).Footnote 19
Tableau 1. Lacunes du manuscrit ANA 19 (GA 1709 = Ἐκκλησία τῆς Κοιμήσεως 7 = ε1053) selon von Soden et selon Lafleur
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Les différences importantes en ce qui concerne Matthieu sont en grande partie explicables par la perte de folios. En effet, le manuscrit ne comprend plus, actuellement, que 195 folios,Footnote 20 alors que von Soden lui en attribuait 204, chiffre corroboré par une note datée de 1901 qui se lit au f. 195v (voir plus bas). Il faut aussi relever que von Soden cite ce manuscrit (ε1053) comme témoin du type de texte μ4 de la Pericope adulterae.Footnote 21 Il doit donc en avoir obtenu une collation pour cette péricope, même si la collation très rigoureuse qu'en publie D. LafleurFootnote 22 ne permet malheureusement pas de le confirmer. En effet, la correspondance entre cette collation et les leçons que von Soden attribue à ε1053 est seulement partielle. Les données dont disposait ce dernier devaient être imprécises, ou il n'en a pas fait un usage rigoureux.Footnote 23 En tout état de cause, ses informations précises sur ce manuscrit (nombre de folios, lacunes) supposent également le recours à une source indépendante.
A priori, cette source pourrait être soit un savant occidental ayant eu l'occasion de se rendre à Bérat, soit un informateur local. Il y a cependant une excellente raison d'opter pour la première possibilité. En effet, dans sa préface, von Soden évoque les voyages accomplis pour lui par divers collaborateurs. Or l'Albanie figure avec des contrées voisines (« Griechenland, Athos, europäische Türkei ») parmi celles où s'est rendu Schmidtke.Footnote 24 Il n'en dit malheureusement pas plus, mais quelques éléments supplémentaires sont à glaner dans un rapport sur les travaux de la Kirchenväterkommission de Berlin rédigé le 4 avril 1902 par Adolph Harnack, qui évoque un voyage de Schmidtke en Albanie et en Macédoine. Or, à cette époque, s'agissant de manuscrits grecs et plus particulièrement de manuscrits du Nouveau Testament, qui disait Albanie incluait forcément Bérat, ville alors illustrée par la présence de deux codices purpurei, dont le fameux Codex purpureus Beratinus en onciale (Φ.043, vie siècle).Footnote 25 Voici le passage du rapport qui concerne Schmidtke:
Hr. Schmidtke, der im Auftrage v. Sodens eine zweite Reise nach Albanien und Macedonien für Bibelhandschriften gemacht hat, berichtet, wie viele Klöster u. Kirchen in jenen Gebieten sind, die voll <von> Handschriften stecken u. noch der ersten Untersuchung harren. Hat er doch in einem obscuren Klöster 19 biblische Handschriften gefunden. Wir werden diese Mitteilungen im Auge behalten müssen [deux mots raturés] u. zusehen, ob sich eine Expedition dorthin nicht ermöglichen lässt.Footnote 26
Ce rapport témoigne de l'intérêt des savants allemands pour les manuscrits de ces régions, même si, à notre connaissance, le projet d'une expédition n'a jamais vu le jour. L’« obscur monastère » dont il est question est à chercher en Macédoine plutôt qu'en Albanie, car aucune des collections monastiques albanaises qui figurent dans la liste de manuscrits de von Soden ne compte assez de manuscrits néotestamentaires pour rendre vraisemblable un total de 19 volumes (en comptant avec la présence de quelques manuscrits vétérotestamentaires). La Monè Prodromou de Serrès serait un bon candidat, si l'on peut supposer que l'expression « manuscrits bibliques » recouvre en fait les seuls manuscrits néotestamentaires, objet de la mission de Schmidtke.Footnote 27
Dans le cadre de notre enquête, l'information la plus intéressante est que Schmidtke a fait deux voyages dans cette partie des Balkans, puisque celui que mentionne Harnack est présenté comme le second. Ce second voyage est sans doute à situer en 1901, année concernée par le rapport de HarnackFootnote 28 et, comme nous le montrerons plus bas, Schmidtke a dû séjourner à Bérat cette année-là, autour du 18 septembre ou après.Footnote 29 Quant au premier voyage, on peut en déduire qu'il a eu lieu au plus tard en 1900.Footnote 30 Schmidtke était-il déjà allé à Bérat à cette occasion ? Vu la publicité faite par Batiffol aux manuscrits de cette ville, elle devait déjà être un des buts de son premier voyage, mais, s'il y était parvenu, il n'avait sans doute pas pu réunir les données qu'il souhaitait. C'est en effet, comme on le verra, en 1901 qu'il a récolté les indications de folios et de cote.
Le détail des voyages et de l'activité de Schmidtke nous échappe en grande partie, mais il est établi qu'après Batiffol, un autre savant occidental a eu un accès direct aux manuscrits conservés à Bérat et dans les environs: Alfred Schmidtke, dont les données ont été reproduites, de façon sans doute assez fidèle, par von Soden.
3. Les données de von Soden et le travail du prêtre Constantinos
Dès lors, loin d’être de pures reconstructions savantes, les données de von Soden peuvent être tenues pour un reflet de l’état des fonds de manuscrits grecs de Bérat et de ses environs au moment du séjour de Schmidtke – évidemment avec cette limite importante: elles ne couvrent que les manuscrits néotestamentaires.
En particulier, les cotes indiquées pour ceux de l’église de la Dormition ne sont pas une reconstitution artificielle, mais correspondent bien à une réalité. Il est en effet possible d'en retrouver des traces grâces aux précieuses indications fournies par D. Lafleur dans un appendice intitulé « Common Codicological Features of Some Tirana Greek Manuscripts ».Footnote 31 Comme celui-ci le relève, on y trouve notamment le témoignage d'un inventaire effectué le 18 septembre 1901, sous la forme d'indications « always written in the same modern hand and a similar purple ink » qu'on retrouve dans plusieurs manuscrits (au début, sauf dans le cas d'ANA 19 où l'inscription est portée à la fin) et dont l'auteur est un certain ἱερεὺς Παπᾶς Κωνσταντῖνος, selon l'indication qu'il a laissée dans deux de ces manuscrits (ANA 12, f. 1r ; ANA 38, f. 1r).Footnote 32
Les notes de Constantinos comprennent des éléments variables. Le plus stable est περιέχει φύλλα (suivi du nombre de folios) ; on trouve cette indication dans presque toutes les inscriptions qui lui sont attribuables (hormis ANA 17, 30 et 74).Footnote 33 Cette constante permet de relier entre eux huit manuscrits où Constantinos a indiqué au moins le nombre de folios, travail réalisé le 18 septembre 1901 pour au moins six d'entre eux. Or tous ces manuscrits ont en commun de faire partie du fonds de l’église de la Dormition selon von Soden. De plus, quatre de ces manuscrits portent une indication de cote qui correspond à celle de von Soden: une fois elle est indiquée dans la notice de Constantinos ; dans les trois autres cas, le numéro se trouve sur de grandes étiquettes blanches, qui reportent également le nombre de folios. Ces étiquettes blanches sont aussi attribuables à l'activité de Constantinos, puisque D. Lafleur indique qu'elles sont « numbered by a modern hand in thin purple writing »,Footnote 34 la même que celle qui a sommairement décrit leur contenu sur les premiers folios (il cite comme exemples ANA 15 (portant le n° 2), ANA 35 (n° 8) et ANA 10 (n° 10)). Ces correspondances sont résumées dans le Tableau 2.
Tableau 2. Correspondances entre les indications du prêtre Constantinos et les données de von Soden
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Parmi ces dix manuscrits, deux sont à part:
− le seul à ne comporter (en tout cas dans son état actuel) aucune marque attribuable à Constantinos est le fameux Codex purpureus Beratinus, exception tout à fait compréhensible, vu l'importance de ce manuscrit ;
− le manuscrit 6 (ANA 17) ne comporte pas d'indication semblable à celle des huit autres, c'est-à-dire une note de Constatinos comprenant au moins le nombre de folios. Il porte néanmoins une indication de sa main au f. 1r: « Πράξις τῶν ἀποστόλων » Ce traitement particulier est-il en lien avec le fait qu'il s'agisse du seul des dix manuscrits de cette église selon la liste de von Soden à ne pas être un manuscrit des évangiles ? Cette caractéristique le rapproche en tout cas d'ANA 30, un ménologe de novembre, également de Bérat (Alexoudis 16), qui porte une description semblable: « [illegible] περιέχει 28 βίους ἁγίων χειρόγραφον ».Footnote 35
Il faut enfin signaler que le manuscrit 7 (ANA 19) porte aujourd'hui encore une étiquette avec le chiffre 7, mais, contrairement aux autres cas de correspondance entre la cote de von Soden et une cote subsistant sur le manuscrit, il s'agit d'une petite étiquette blanche avec un cadre bleu.Footnote 36 Or, parmi les nombreux manuscrits qui portent une étiquette semblable, il est le seul pour lequel le numéro corresponde à la cote indiquée par von Soden. Il semble donc s'agir d'une correspondance fortuite, à moins que, par commodité, on ne lui ait délibérément laissé le numéro 7 lors d'un inventaire postérieur.Footnote 37
De quelque manière que s'expliquent ces cas particuliers, les liens entre l'activité d'inventaire et de foliotation du prêtre Constantinos et les données transmises par Schmidtke à von Soden est évident. On constate non seulement une correspondance entre les cotes attribuables à Constantinos et celles de von Soden – correspondance certes partielle, mais jamais contredite –, mais encore le nombre de folios indiqué par le second correspond toujours au chiffre donné par le premier. Cette convergence est d'autant plus remarquable que sept de ces manuscrits portent deux foliotations contradictoires (ANA 12, 15, 17, 19, 26, 35 et 38)Footnote 38 et qu'il faut compter parfois avec la perte de certains folios. Ainsi, pour prendre l'exemple d'ANA 19, ce manuscrit comptait encore 210 folios quand Alexoudis a rédigé sa description en 1882 (voir plus bas),Footnote 39 il en avait 204 en 1901 et il n'en a plus actuellement que 195.Footnote 40
Ce lien entre l'activité de Constantinos et la liste de von Soden a des conséquences pour la chronologie. Car les cotes et nombres de folios transmis à ce dernier par son collaborateur présupposent le travail du prêtre Constantinos.Footnote 41 Il s'ensuit que Schmidtke n'a pas pu récolter ces données avant le 18 septembre 1901. On peut par ailleurs situer son voyage avant la fin de la même année, puisque, comme nous l'avons signalé, le rapport où Harnack mentionne le second voyage de Schmidtke en Albanie couvre l'année 1901. Il se dessine ainsi pour son séjour à Bérat une fourchette allant plus ou moins de la mi-septembre à la fin de l'année, mais dans cet intervalle il faut certainement privilégier la fin de l’été ou le début de l'automne. En effet, à cette époque se rendre à Bérat était une expédition, comme en témoigne Batiffol en racontant son périple du printemps 1885: « La route de Valona à Bérat était moins une route qu'un sentier cavalier à travers un pays montueux et d'une sûreté suspecte. »Footnote 42 On peut également citer la mise en garde formulée par Auguste Henri-Joseph Sauvaire, vice-consul de France à Ioannina, dans une lettre qu'il avait adressée à Batiffol pour lui dispenser des conseils en vue de son voyage: « … le voyage de Valona à Bérat dure de 10 à 12 heures par de fort mauvais chemins, en hiver surtout; il faut porter avec soi de quoi se coucher et de quoi se nourrir en route car vous trouverez là, comme dans toute l’Épire et dans toute l'Albanie, un pays aussi sauvage que primitif. »Footnote 43 Sur de tels chemins – et Schmidtke qui était déjà allé en Albanie savait à quoi s'en tenirFootnote 44 –, on hésiterait à s'aventurer en automne ou en hiver, tandis que la fin de l’été apparaît certainement comme une période particulièrement favorable. Il est dès lors vraisemblable que Schmidtke se soit rendu à Bérat en septembre ou en octobre et il est même extrêmement tentant de supposer que le travail mené par Constantinos n'est pas sans lien avec la mission de ce dernier: son travail de classement des fonds manuscrits de Bérat a-t-il été entrepris sous l'influence de Schmidtke, ou même avec son concoursou un peu avant, en vue de faciliter son travail, si sa venue avait été annoncée ? En tout cas, vu la proximité chronologique entre les deux événements, il serait étonnant qu'il n'y ait aucun lien.
Nous laisserons à d'autres le soin d’éclairer, si faire se peut, les détails du voyage entrepris par Schmidtke pour le compte de von Soden, des rapports entre le savant allemand et le prêtre Constantinos et du travail de ce dernier. Il importe d'ailleurs de relever que ce travail ne s'est pas limité aux manuscrits de l’église de la Dormition: c'est en tout cas ce que suggèrent la présence d'une étiquette blanche sans inscription (ou dont l'inscription s'est effacée) au f. 1r du Codex Anthimi,Footnote 45 propriété de l’église de l'Annonciation, et le fait qu'un autre manuscrit de Tirana (ANA 74) porte de sa main au f. 3r une cote (« Ἀριθ. 2Footnote 46 ») qui n'appartient manifestement pas du même fonds, puisque le manuscrit 2 de la Dormition est l'actuel ANA 15, comme l'attestent à la fois l’étiquette blanche du manuscrit et von Soden.
4. Remarques conclusives
Cette brève enquête aura montré, croyons-nous, que le témoignage de von Soden est susceptible d’éclairer l'histoire des manuscrits de Bérat au tournant du xixe et du xxe siècle. Bien que les dernières publications d'Alexoudis remontent aux alentours de 1900, il est vraisemblable qu'elles se fondent en partie sur les données qu'il avait récoltées lorsqu'il était métropolite de Bérat. Il l'indique d'ailleurs explicitement dans le catalogue paru dans le Δελτίον τῆς Ἱστορικῆς καὶ Ἐθνολογικῆς Ἑταιρείας τῆς Ἑλλάδος.Footnote 47 Puisque le voyage accompli par Schmidtke peut être situé en 1901, en ce qui concerne les manuscrits néotestamentaires, les indications de von Soden nous renseignent sans doute mieux sur la localisation des manuscrits et leur état au tournant du siècle que les publications d'Alexoudis, qui reflètent plutôt, en tout cas celle du Δελτίον, la situation des années 1880. La proximité chronologique entre les dernières publications d'Alexoudis (1900–2) et les voyages de Schmidtke (même si la date précise du premier reste incertaine) incitent toutefois à se demander si le métropolite n'a pas eu connaissance des projets et des travaux de von Soden ou de son collaborateur et si cette entreprise n'a pas réveillé son propre intérêt pour les manuscrits de Bérat.