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La confirmation des évolutions récentes du droit des mesures conservatoires par et devant la Cour internationale de Justice: remarques sur les ordonnances en indication de mesures conservatoires du 7 décembre 2021 dans les affaires relatives à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c Azerbaïdjan et Azerbaïdjan c Arménie)

Published online by Cambridge University Press:  18 August 2022

RAPHAËL MAUREL*
Affiliation:
Raphaël Maurel, Maître de conférences en droit public à l’Université de Bourgogne, CREDIMI (EA 7532), CEDIN (EA 382) et CMH (EA 4232), France (Raphael.Maurel@u-bourgogne.fr).

Résumé

Le 7 décembre 2021, la Cour internationale de Justice a rendu deux ordonnances attendues dans les affaires introduites par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan et l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Elle y confirme une tendance à l’appréciation souple de certains critères d’indication des mesures conservatoires, comme celui de la plausibilité des droits allégués et des liens entre ceux-ci et les mesures requises, voire à la marginalisation d’autres critères, comme celui du caractère irréparable du préjudice invoqué. Bien que la cour de La Haye poursuive, au fil de sa jurisprudence, la construction du droit des mesures conservatoires, la manière dont elle mobilise ces critères continue ainsi de susciter des interrogations et critiques.

Abstract

Abstract

On 7 December 2021, the International Court of Justice issued two much anticipated orders in the cases brought by Armenia against Azerbaijan and Azerbaijan against Armenia. In these orders, the court confirmed a trend towards flexible assessment of certain criteria for the indication of provisional measures, such as the plausibility of alleged rights and the link between such rights and the measures requested, as well as the marginalization of other criteria, such as the irreparable nature of the alleged prejudice. While the Hague court pursues development of the law of provisional measures through its case law, the way in which it mobilizes these criteria continues to raise questions and criticism.

Type
Notes and Comments / Notes et Commentaires
Copyright
© The Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international 2022

Introduction

Après une année de relative accalmie à la Cour internationale de Justice (CIJ),Footnote 1 les ordonnances relatives aux mesures conservatoires demandées respectivement par l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans les deux différends qui opposent ces États devant la CIJ étaient sans doute aussi attendues que celle survenue le 16 mars 2022 dans le nouveau différend entre l’Ukraine et la Russie.Footnote 2 Ces ordonnances apparaissent, d’une part, comme une alternative enfin crédible à “l’absence de perspectives”Footnote 3 qui caractérisait jusqu’ici les différends entre les deux États — même si elles ne portent que sur certains aspects de ces litiges plus globaux — et viennent ainsi s’ajouter à la liste des nombreux “litiges actuellement pendants devant la Cour [qui] trouvent leurs racines dans des crises ou conflits internationaux qui comptent parmi les plus emblématiques de notre temps,”Footnote 4 ce qui a pu susciter “une certaine forme d’incrédulité.”Footnote 5 Elles sont, d’autre part et du point de vue de la technique contentieuse, les premières à faire suite à la petite révolution opérée dans l’ordonnance Gambie c Myanmar en 2020,Footnote 6 par laquelle la CIJ avait jugé que le Myanmar “d[evait] fournir à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai de quatre mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu’à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive sur l’affaire.”Footnote 7 Les parties aux deux affaires commentées n’avaient pas manqué d’adjoindre à leurs requêtes une demande d’indication d’une mesure relative à ce suivi, espérant — en vain — sa systématisation. L’on peut, d’ailleurs, regretter l’absence de motivation de la CIJ qui se réfère sobrement aux “circonstances particulières de l’espèce”Footnote 8 pour rejeter les demandes de remises de rapports.

Avant d’aborder le contenu des deux ordonnances, par laquelle la CIJ fait usage de la plénitude de ses compétences en indiquant plusieurs des mesures requises — mais pas l’intégralité d’entre elles, comme on vient de le voir — auxquelles elle adjoint dans chaque affaire une mesure supplémentaire non requise, il faut revenir sur le contexte de leur indication. Le 16 septembre 2021, l’Arménie a saisi la CIJ d’une demande introductive d’instance contre l’Azerbaïdjan. Fondant la compétence de la cour sur l’article 22 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR) du 21 décembre 1965, elle a accompagné sa requête d’une demande en indication de huit mesures conservatoires.Footnote 9 Les audiences ont été organisées les 14 et 15 octobre 2021, soit près d’un mois après l’introduction de la requête; il a fallu attendre près de deux mois supplémentaires pour que la CIJ rende son ordonnance. Autrement dit, il s’est écoulé deux mois et trois semaines entre l’introduction de la requête et l’indication des mesures conservatoires, ce qui est relativement long.Footnote 10 Comme nous avons eu l’occasion de le relever par ailleurs,Footnote 11 la CIJ ne donne pas toujours plein effet à l’article 74§1 du Règlement de la Cour, selon lequel la “demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur toutes autres affaires”;Footnote 12 à tout le moins se permet-elle de moduler l’effectivité de cet article selon le degré d’urgence ou de gravité de l’affaire telle qu’elle la perçoit prima facie. En l’espèce, aucune affaire n’ayant fait l’objet d’une ordonnance ou d’un arrêt entre l’organisation des audiences et l’indication des mesures conservatoires dans ces deux litiges, la question ne se pose pas en termes de “priorité” d’une affaire sur l’autre, mais plutôt de latence à géométrie variable de la CIJ. Celle-ci s’explique également, en l’espèce, par l’enchevêtrement d’une seconde procédure. Le 23 septembre 2021, soit une semaine après la saisine de l’Arménie, l’Azerbaïdjan a en effet saisi la CIJ d’une autre requête, fondée elle aussi sur l’article 22 de la CIEDR, et assortie elle aussi d’une demande en indication de mesures conservatoires. Les audiences, au cours desquelles l’Azerbaïdjan a requis l’indication de six mesures conservatoires au total — dont la fourniture d’un rapport régulier, par l’Arménie, sur l’application des cinq mesures principalesFootnote 13 — ont été organisées dans la continuité directe de celles tenues dans l’affaire Arménie c Azerbaïdjan, les lundi 18 et mardi 19 octobre 2021.

Dans les deux ordonnances rendues le même jour sur ces deux affaires, la CIJ procède à un examen classique des critères qu’elle a fixés en vue de l’indication de mesures conservatoires. Elle confirme ainsi la marginalisation de certains d’entre eux depuis ces dernières années, mais présente également certaines difficultés rédactionnelles ou logiques. La CIJ a en effet dégagé quatre principales conditions — ou séries de conditions — dont la réunion est nécessaire à l’indication de mesures conservatoires dans l’attente du traitement, l’urgence passée, des exceptions préliminaires et du fond. Deux d’entre elles, la compétence prima facie et la plausibilité des droits allégués, ne font pas l’objet de développements particuliers dans les ordonnances commentées, ce qui peut être regretté. En revanche, la CIJ confirme l’affaiblissement de la portée des deux dernières conditions qu’elle examine ensemble: l’existence d’un risque de préjudice irréparable et l’urgence de la demande.

L’examen expéditif des conditions de compétence et de plausibilité des droits

Deux points n’ont pas soulevé de difficulté dans les affaires commentées. D’une part, la CIJ n’exerce “son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que si les droits invoqués dans la requête paraissent de prime abord relever de la juridiction de la Cour”;Footnote 14 d’autre part, elle juge nécessaire de vérifier si les droits allégués lui paraissent au moins “plausibles.”

lexamen rapide de la compétence prima facie

Ce n’est que lorsque la CIJ “n’a manifestement pas compétence pour connaître [d’une] requête” qu’elle refuse d’examiner les autres conditions posées à l’indication des mesures conservatoires.Footnote 15 Selon la formule classique, la CIJ “ne peut indiquer des mesures conservatoires que s’il existe, prima facie, une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire.”Footnote 16 En l’espèce, les deux affaires ne semblaient pas poser de difficulté particulière. Dans la mesure où elles étaient toutes deux fondées sur l’article 22 de la CIEDR,Footnote 17 il appartenait à la CIJ d’examiner si les différentes conditions posées par cette clause compromissoire étaient remplies. Celle-ci juge sans difficulté qu’il existe un différend sur le point de savoir si l’Azerbaïdjan respecte ses engagements au titre de la CIEDR,Footnote 18 et que “certains au moins des actes et omissions que l’Azerbaïdjan reproche à l’Arménie” entrent dans le champ de la compétence ratione materiae prévue par l’article 22.Footnote 19 La question de l’épuisement des conditions procédurales posées par l’article 22 de la CIEDR a néanmoins fait l’objet de débats.

L’article 22 pose trois conditions à la compétence de la CIJ. Pour être porté devant la cour, le différend ne doit pas avoir “été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues” par la CIEDR, ni faire l’objet d’un autre mode de règlement convenu entre les parties. La question de savoir si les conditions de négociation et de règlement par les procédures prévues par la CIEDR étaient alternatives ou cumulatives avait d’ores-et-déjà fait l’objet d’âpres débats devant la cour. Dans l’affaire Géorgie c Russie, la CIJ n’avait pas eu à y répondre au stade des mesures conservatoires,Footnote 20 et n’avait pas jugé utile de le faire au stade des exceptions préliminaires.Footnote 21 Dans l’affaire Ukraine c Russie, elle a ensuite jugé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur ce point au stade de la compétence prima facie,Footnote 22 avant de se résoudre à aborder la question de front dans son arrêt sur les exceptions préliminaires. Analysant l’article 22 sous plusieurs prismes, la CIJ avait finalement conclu “que l’article 22 de la CIEDR subordonne sa compétence au respect de conditions préalables de caractère alternatif.”Footnote 23 Dans les présentes affaires, la cour s’est dès lors — et dans la mesure où aucune des parties n’a remis en cause cette appréciation — bornée à examiner l’existence d’un différend concernant l’application ou l’interprétation de la CIEDR, l’engagement puis l’échec des négociations.

Bien que l’Azerbaïdjan ait notamment plaidé que les plaintes de l’Arménie n’avaient d’autre but que de porter leur situation à l’attention de la communauté internationale et qu’elles n’avaient “absolument aucun rapport avec la discrimination raciale,”Footnote 24 l’existence d’un différend basé sur la CIEDR ne soulevait, dans les deux cas, pas de doute raisonnable au stade de l’examen prima facie, les échanges de lettres préalables mentionnant clairement la question du respect de ces engagements par l’Azerbaïdjan comme par l’Arménie.Footnote 25 Les négociations engagées respectivement par les deux États se sont par la suite heurtées à des impasses, les positions des parties n’ayant pas évoluéFootnote 26 et ces dernières l’ayant d’ailleurs admis.Footnote 27 Elles paraissent donc bien, au moins prima facie, avoir abouti à “un point mort […], à un non possumus ou à un non volumus péremptoire de l’une des Parties […] de nature à rendre superflue une discussion nouvelle des points de vue.”Footnote 28

un examen assoupli de la plausibilité des droits allégués

Depuis 2009, la CIJ considère que son pouvoir “d’indiquer des mesures conservatoires ne devrait être exercé que si les droits allégués par une partie apparaissent au moins plausibles.”Footnote 29 Elle ajoute qu’un “lien doit exister entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées.”Footnote 30 Elle apprécie cependant de manière particulièrement souple ce double critère qui n’est, d’ailleurs, pas toujours particulièrement clair. Il lui suffit parfois qu’au moins certains des droits allégués apparaissent plausibles,Footnote 31 de sorte qu’il n’est pas gênant que l’ensemble des droits invoqués ne soient pas “plausiblement considérés”Footnote 32 comme pouvant, in fine, l’être. La CIJ adopte dans l’ensemble une approche de moins en moins formaliste au fil du temps, notamment en se fondant sur un nombre parfois restreint de “faits et circonstances”Footnote 33 pour constater la plausibilité des droits allégués, décentrant par la même occasion l’analyse purement juridique au profit de ce que l’on pourrait considérer comme une sorte d’appréciation prima facie du fond.

Les deux ordonnances commentées s’inscrivent dans cette évolution jurisprudentielle globalement favorable aux demandeurs, puisqu’elle conduit à abaisser le seuil d’exigences de la “plausibilité” des droits allégués — ce qui n’empêche pas la CIJ d’opérer à l’occasion un contrôle plus restrictif du lien entre ceux-ci et les mesures requises.Footnote 34 On peut s’en féliciter, en ce que ce mouvement conduit naturellement les États à solliciter de manière plus régulière la CIJ, et renforce donc la confiance portée dans la justice internationale: la cour sait s’adapter à l’évolution de l’opinion publique internationale, peut-être à la recherche d’une “humanisation” du droit internationalFootnote 35 qui passe certainement par une appréciation souple de ce critère somme toute récent — et fortement critiqué par certains juges.Footnote 36 Il est également loisible de souligner les difficultés logiques que cette souplesse induit.

D’emblée, la question apparaissait en effet complexe puisque déterminer la plausibilité des droits allégués par l’Arménie comme l’Azerbaïdjan impliquait d’examiner, sans se prononcer définitivement, si les actes dénoncés pouvaient être considérés comme pouvant plausiblement relever d’une discrimination raciale au sens de la CIEDR. Footnote 37 Il s’agit donc, là encore, d’opérer une première appréciation globale de la crédibilité du fond de l’affaire sans pour autant en préjuger; cela est d’ailleurs, malgré les précautions sémantiques de la CIJ, confirmé par son utilisation du champ lexical de la “preuve” manquante pour justifier certaines exclusions de la plausibilité. Ainsi, l’absence “d’éléments de preuve démontrant que le comportement allégué” entre dans le champ de la conventionFootnote 38 et l’absence de présentation “à la Cour de preuve que [l]es personnes demeurent en détention en raison de leur origine nationale ou ethnique”Footnote 39 conduisent la CIJ à écarter du champ de la plausibilité plusieurs droits allégués, et il paraît dès lors douteux que ceux-ci puissent, au stade ultérieur de la procédure et sauf apport de preuves supplémentaires, être considérés comme méconnus par l’autre partie au fond. Comme dans l’affaire Qatar c Émirats arabes unis, la CIJ considère cependant et dans les deux cas que “certains au moins des droits revendiqués” par l’ArménieFootnote 40 et l’AzerbaïdjanFootnote 41 sont, “au vu des informations que les Parties lui ont soumises,” des droits “plausibles au regard de la convention.” Dans l’ordonnance Arménie c Azerbaïdjan, la cour est peu loquace et exclut seulement expressément du spectre de la plausibilité le droit allégué au rapatriement de toutes les personnes qualifiées par l’Arménie de prisonniers de guerre et de détenus civils.Footnote 42 Elle retient en outre, sans le justifier, la plausibilité des droits supposément violés du fait de “dégradation et profanation du patrimoine culturel arménien,”Footnote 43 ce qui peut surprendre dans la mesure où les articles invoqués par le demandeur ne protègent pas directement le patrimoine culturel;Footnote 44 d’ailleurs, le terme de “profanation” est empreint d’une connotation religieuse qui n’est pas examinée au stade de la plausibilité, mais seulement établie, sans motivation, au stade du lien entre les mesures sollicitées et les droits consacrés — alors même que la CIEDR ne consacre aucun droit semblable.Footnote 45 Dans la seconde ordonnance, la CIJ n’est guère plus prolixe et écarte uniquement la plausibilité du droit, revendiqué par l’Azerbaïdjan, à ce que l’Arménie prenne des mesures pour permettre à son voisin de procéder au déminage ou de cesser définitivement ses opérations de minage.Footnote 46

L’examen des liens entre les droits considérés comme plausibles et les mesures requises appelle plus de commentaires. La jurisprudence demeure en construction sur ce point. Dans l’affaire Iran c États-Unis, la CIJ avait été particulièrement prudente, jugeant que “[d]e [son] avis […], certains aspects des mesures demandées par l’Iran en vue de garantir la liberté de commerce et d’échanges s’agissant des biens et services susmentionnés peuvent être considérés comme étant liés aux droits qu’elle a jugés plausibles, parmi ceux dont la protection est recherchée.”Footnote 47 Dans l’ordonnance Gambie c Myanmar, la CIJ est à la fois plus prolixe et moins prudente, en ne motivant pas du tout le rejet de la sixième mesure requise au stade de l’examen de ce lien, sans que l’on puisse déterminer si ce rejet n’est pas plutôt dû à l’absence de nécessité de la mesure requise.Footnote 48 Il était donc attendu une clarification de ce critère et, surtout, de la méthode appliquée par la cour à son propos.Footnote 49

Dans l’affaire Arménie c Azerbaïdjan, celle-ci s’annonce prudente, en annonçant — semble-t-il de manière exhaustive — les mesures qu’elle considère en lien avec les droits plausibles dont la protection est recherchée.Footnote 50 Rappelant qu’elle n’a pas considéré tous les droits allégués comme plausibles, la CIJ conclut “qu’un lien existe entre certains des droits revendiqués par l’Arménie et certaines des mesures conservatoires sollicitées,”Footnote 51 ce qui amène deux remarques. D’une part, il est regrettable que la CIJ ne soit pas plus précise: il n’est pas possible, à la lecture du raisonnement, de déterminer expressément quelle mesure a été considérée comme liée à quel droit allégué, et la formule adoptée induit qu’au-delà des mesures en lien avec des droits écartés comme non plausibles, seules “certaines” des mesures restantes, non identifiées, sont considérées comme en lien avec les droits retenus par la CIJ. Il aurait sans doute été préférable, à cet égard, d’indiquer précisément quelles mesures sont à ce stade rejetées, comme ce fut le cas dans l’ordonnance Gambie c Myanmar — mais en motivant chacun de ces rejets. D’autre part et dans le même sens, la formule retenue n’est pas identique à celle reprise plus loin dans la même ordonnance, la CIJ indiquant alors qu’elle a “déjà conclu à la plausibilité de certains des droits invoqués par la demanderesse et à l’existence d’un lien entre ceux-ci et les mesures conservatoires sollicitées.Footnote 52 Si l’on peut penser qu’il ne s’agit que d’un défaut de rédaction — la version anglaise étant identique et maintenant l’ambiguïté — cette absence de parallélisme interroge quant à l’utilité des précautions sémantiques prises seulement partiellement par la CIJ.

L’ordonnance Azerbaïdjan c Arménie est plus précise et, à cet égard, plus satisfaisante, puisqu’elle ne retient que l’une seule des mesures requises: celle tendant à ce qu’aucune “organisation ou personne privée sur le territoire de l’Arménie ne se livre à des faits” incompatibles avec la CIEDR. Footnote 53 La CIJ ne peut qu’en déduire qu’un “lien existe entre certains des droits revendiqués par l’Azerbaïdjan et l’une des mesures conservatoires sollicitées”Footnote 54 — ce qui confirme, si besoin était, que toutes les mesures ne sont pas nécessairement en lien avec les droits plausibles retenus, et qu’une clarification de la formule employée dans l’ordonnance Arménie c Azerbaïdjan serait bienvenue. Il est, cependant, très surprenant que la CIJ reprenne sa formulation “type” plus loin, indiquant là aussi avoir “déjà conclu à la plausibilité de certains des droits invoqués par le demandeur et à l’existence d’un lien entre ceux-ci et les mesures conservatoires sollicitées.Footnote 55 Alors que cette expression apparaissait tout au plus comme un raccourci argumentatif regrettable dans l’ordonnance Arménie c Azerbaïdjan, il s’agit là d’une véritable erreur, puisqu’elle dit précisément l’inverse de ce qui a été jugé quelques paragraphes plus haut. On ne peut qu’en conclure que la rédaction des arrêts de la CIJ, dont on sait qu’elle est réalisée à plusieurs mains et qu’elle implique maintes subtilités,Footnote 56 peut encore être améliorée.

La marginalisation confirmée des critères du préjudice irréparable et de lurgence

Une fois sa compétence prima facie et le double critère de la plausibilité des droits allégués et des liens qu’entretiennent les mesures requises avec ces derniers établis, la CIJ doit déterminer “s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive.”Footnote 57 Il en découle deux critères supplémentaires analysés ensemble, que l’appréhension contemporaine par la CIJ tend à assouplir: l’existence d’un préjudice irréparable et le risque qu’il survienne incessamment, c’est-à-dire l’existence d’une urgence.

lappréciation souple du caractèreirréparabledu préjudice

La jurisprudence de la CIJ s’inscrit indubitablement, depuis quelques années, dans une dynamique d’assouplissement de l’exigence d’un risque de préjudicie irréparable. Il faut concéder que “[d]éterminer ce qui constitue un préjudice irréparable dans les cas d’espèce n’est pas nécessairement facile.”Footnote 58 L’examen de la jurisprudence montre que la CIJ a tendance à considérer l’existence d’un tel risque lorsqu’il existe un danger que le jugement final ne puisse être exécuté du fait de la survenance, faute de mesures conservatoires, de violations ou de faits rendant impossible l’exécution de l’arrêt ultérieur, mais également lorsque qu’elle estime “que l’atteinte aux droits du demandeur est intolérable au regard de la gravité des conséquences qui en découleraient et qu’il serait inadéquat de l’admettre pendente litis.Footnote 59 S’il n’est pas douteux que la programmation de la mise à mort d’une personne dont la situation juridique fait précisément l’objet du différend constitue objectivement un tel risque,Footnote 60 l’appréciation de la “tolérabilité,” de la “gravité” et du caractère “adéquat” ou non de l’admission du risque de préjudice est bien plus délicate. Elle est conjoncturelle, relative et subjective; elle fait appel à ce que le juge international considèrera comme éthique ou non éthique, dans un contexte donné. Or, le seuil de tolérabilité d’un risque de violation de certains droits allégués, notamment lorsqu’ils visent la protection de la population et de certains de ses droits fondamentaux, s’avère actuellement bas à la CIJ, ce dont il est loisible de se féliciter.

La CIJ a eu l’occasion de le confirmer dans l’ordonnance Qatar c Émirats arabes unis, en jugeant que, de son avis,

un préjudice peut être considéré comme irréparable lorsqu’il touche des personnes séparées de leur famille, de manière temporaire ou potentiellement continue, qui, de ce fait, endurent une souffrance psychologique; lorsqu’il touche des élèves ou étudiants qui sont empêchés de se présenter à des examens parce qu’ils ont été obligés de partir ou qui ne peuvent poursuivre leurs études parce que les écoles ou universités refusent de leur communiquer leur dossier scolaire ou universitaire; et lorsqu’il touche des personnes qui sont empêchées de comparaître dans le cadre d’une procédure ou de contester toute mesure qu’elles jugent discriminatoire.Footnote 61

De manière encore plus large, la CIJ considère dans l’ordonnance Iran c États-Unis “qu’un préjudice peut être considéré comme irréparable lorsque la santé et la vie des personnes concernées est mise en danger.”Footnote 62 Cette dernière évolution assouplit plus encore le critère qu’il n’y paraît. Non seulement la formulation de l’ordonnance Iran c États-Unis ne s’inscrit pas dans une énumération potentiellement restrictive, mais en outre elle ouvre le champ du préjudice irréparable aux conséquences d’une action ou d’une omission sur les ressortissants de l’État demandeur, et non seulement sur ses droits allégués.Footnote 63 Plus encore, elle s’étend dans cette affaire à toutes les personnes “se trouvant sur le territoire iranien,”Footnote 64 sans se limiter aux ressortissants de l’État demandeur. Autrement dit, il est à la suite de cette ordonnance possible, sous réserve des autres critères, de requérir des mesures conservatoires pour protéger toute personne située sur son territoire d’un préjudice susceptible d’affecter leur santé ou leur vie.

Depuis cette succession de jurisprudences que ne remet pas en cause l’ordonnance Gambie c Myanmar survenue depuis,Footnote 65 peu de préjudices sont susceptibles de ne pas être considérés comme “irréparables” par la CIJ. Rappelant sa jurisprudence récente selon laquelle “la détresse psychologique, comme les sévices, peut causer un préjudice irréparable,”Footnote 66 la CIJ considère dans l’ordonnance Arménie c Azerbaïdjan que la propagande et l’incitation encourageant la haine raciale “peuvent propager dans la société un climat imprégné de racisme”;Footnote 67 or cette “situation pourrait avoir de graves effets préjudiciables sur les personnes appartenant au groupe protégé”Footnote 68 — comme une détresse psychologique ou des sévices. Elle reprend le même raisonnement dans l’ordonnance Arménie c Azerbaïdjan. Footnote 69

À la lecture des ordonnances récentes, il y a lieu de se demander si le maintien du terme “irréparable” est justifié. Certes, il est difficile de “réparer” un préjudice moral comme physique; cependant, une réparation par équivalent est bien souvent possible, de sorte qu’une interprétation stricte de l’irréparabilité reviendrait en pratique à rejeter la plupart des demandes d’indication de mesures conservatoires. D’ailleurs, la Cour permanente de Justice internationale a rapidement abandonné une telle interprétation.Footnote 70 Il est en tout état de cause manifeste que le mot “irréparable,” si bien établi dans la jurisprudence de la CIJ qu’il serait délicat de lui substituer un nouveau qualificatif plus adéquat, est dans le contexte des mesures conservatoires synonyme de “grave” ou de “significatif,” contrairement au sens qui lui est ordinairement attribué; la CIJ confirme ici l’orientation tracée en 2018 dans l’affaire Qatar c Émirats arabes unis et il n’y a pas lieu de s’en émouvoir.

vers une disparition du critère de lurgence

Si le caractère “irréparable” du préjudice allégué est apprécié de manière souple, l’imminence de sa survenance possible peut être considérée comme un critère en voie de totale disparition. De manière classique, “[i]l n’y a lieu d’indiquer des mesures conservatoires que s’il y a urgence à le faire, parce qu’autrement la substance des droits en cause subirait ou risquerait très probablement de subir des préjudices irréparables. Si tel n’est pas le cas, ces mesures ne se justifient pas. […] [S]i les mesures ne présentent pas d’urgence, elles ne sont juridiquement pas nécessaires.”Footnote 71

Or, une tendance à assouplir considérablement la condition d’urgence voire à ne pas la motiver a émergé dans les ordonnances de la CIJ. Celle-ci est particulièrement visible dans l’ordonnance Qatar c Émirats arabes unis, à l’occasion de laquelle l’urgence semble fondée, en l’absence de toute exécution des mesures d’expulsion pourtant annoncées depuis un an, sur un simple “sentiment” insufflé à certains Qatariens — d’autres ayant “apparemment été contraints de quitter leur lieu de résidence”Footnote 72 du fait de la déclaration des Émirats arabes unis:

[À] la suite de cette déclaration les Qatariens se sont sentis obligés de quitter les Émirats arabes unis, subissant en conséquence les atteintes caractérisées à leurs droits qui sont décrites plus haut. De plus, les Émirats arabes unis n’ayant entrepris aucune démarche officielle pour retirer les mesures du 5 juin 2017, la situation demeure inchangée en ce qui concerne la jouissance, par les Qatariens, de leurs droits susmentionnés sur le territoire des Émirats arabes unis.Footnote 73

Cette motivation elliptique tranche avec les efforts de pédagogie fournis à l’occasion d’ordonnances précédentes.Footnote 74

Dans l’affaire Arménie c Azerbaïdjan, la CIJ s’appuie sur des documents produits par les parties pour déterminer l’existence d’une urgence. Celle-ci ressort en effet de résolutions adoptées récemment par le Conseil de l’Europe en septembre 2021, ainsi que d’une déclaration conjointe des experts des droits de l’homme de l’ONU, qui exprimaient en février 2021 leur vive préoccupation concernant les violations alléguées.Footnote 75 Autrement dit, les éléments de preuve des allégations de l’Arménie au fond sont utilisés, du fait de leur caractère récent, pour témoigner de l’imminence du risque. C’est donc l’existence plausible voire évidente du préjudice qui démontre l’urgence à indiquer des mesures, leur indication étant pourtant censée ne pas préjuger du fond. Les limites de l’exercice juridictionnel apparaissent ici: il est fort difficile, pour la CIJ, de ne pas préjuger du fond lorsque le caractère urgent des mesures est fondé sur des rapports et résolutions soulignant, reconnaissant et s’inquiétant précisément des violations alléguées. L’on comprend alors aisément qu’il ne soit pas nécessaire de motiver l’urgence: l’existence de “preuves inquiétantes”Footnote 76 de faits, rapportées par d’autres organisations internationales, atteste à la fois de leur imminence … et de leur réalité. La formulation classique de la CIJ, qui conclut son raisonnement en rappelant qu’il y a “urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la CIJ ne se prononce de manière définitive en l’affaire,”Footnote 77 peut toutefois interroger, puisque celle-ci vient, indirectement, d’établir que le risque n’en était plus un — mais demeure la question fondamentale de savoir si les faits invoqués sont constitutifs ou non des violations alléguées. Puisqu’elle ne peut “conclure de façon définitive sur les faits,”Footnote 78 la sobre mention du “risque” demeure pertinemment prudente, mais témoigne de l’articulation complexe des procédures prima facie et principale.

Dans l’affaire Azerbaïdjan c Arménie, l’urgence est cette fois établie sans aucune motivation, la CIJ se bornant à conclure “qu’il y a urgence.”Footnote 79 Le raisonnement des juges ne peut qu’être reconstitué — avec les risques d’erreur que l’exercice induit — à l’aune de l’argumentation des deux parties reproduite peu avant. Il est en effet possible d’y lire que la menace de violence est “exacerbée” par des faits récents et par le fait que des organisations “ont apparemment commencé à organiser des programmes d’entraînement militaire.”Footnote 80 Il n’est pas fait état d’une contestation de l’urgence par l’Arménie. La CIJ ayant rappelé que “la condition d’urgence est remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent ‘intervenir à tout moment’ avant que la Cour ne se prononce de manière définitive,”Footnote 81 l’indétermination de la situation suffit manifestement à caractériser l’urgence.

En conséquence, ce sont deux raisonnements bien différents qui permettent de fonder l’existence d’une urgence dans ces deux ordonnances: l’existence avérée de faits plausiblement constitutifs de violations d’une part; des menaces et faits non établis pouvant possiblement entraîner des actes entrant dans le champ de la violation d’autre part. On peut en déduire que l’urgence est appréciée de manière particulièrement souple, au service des intérêts du demandeur dès lors que son objectif est d’obtenir rapidement des mesures conservatoires ou d’attirer l’attention de la communauté internationale sur sa situation; elle s’efface même, non pas, comme on aurait pu le supposer, lorsque les faits sont à l’évidence établis, mais lorsque la situation apparaît floue.

Il est, sur la base de ces constats, loisible de se demander si l’examen du critère de l’urgence est encore pertinent. Au regard des jurisprudences récentes,Footnote 82 il paraît difficilement imaginable que la CIJ considère qu’un risque de préjudice irréparable n’est pas “urgent.” Il s’agirait, en outre, d’une position difficilement défendable auprès des États, qui ne manquent pas de saisir de plus en plus régulièrement la CIJ de demandes d’indication de telles mesures,Footnote 83 dans la mesure où celles-ci ne préjugent pas du fond. Un rejet d’une demande sur le fondement d’un défaut d’urgence enverrait, dans le contexte jurisprudentiel actuel, un signal peu encourageant aux États cherchant à faire valoir leurs droits dans un “décorum” international particulier et à s’en prévaloir auprès de leurs opinions publiques. En outre, sur le plan juridique, les mesures conservatoires visent avant tout à “sauvegarder […] les droits que l’arrêt [que la CIJ] aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des parties,”Footnote 84 c’est-à-dire à “figer” une situation juridique — ce qui peut parfois s’analyser sous l’angle de la non-aggravation du différend. Dès lors, tout fait et évènement susceptible d’entrer dans le champ des normes dont la violation est alléguée invite logiquement à considérer qu’il y a urgence à “stabiliser” la situation; de ce point de vue et au regard des positions juridiques prises par la CIJ ces dernières années, seule l’absence de tout acte ou menace en lien avec les droits allégués nous semble pouvoir raisonnablement fonder un défaut d’urgence. Or, il y a fort à parier qu’une telle absence entraînerait, en amont, un rejet de la demande au stade de la plausibilité des droits allégués et du lien qu’ils entretiennent avec les mesures requises, ou à défaut au stade de l’examen de l’existence d’un risque de préjudice irréparable. Enfin et justement, il paraîtrait incongru qu’un risque de préjudice irréparable aux droits plausiblement allégués soit identifié mais que l’urgence ne soit pas jugée constituée. Les refus d’indication des mesures conservatoires fondés sur un défaut d’urgence sont, d’ailleurs, avant tout des refus pour défaut d’identification d’un risque de préjudice irréparable, l’urgence n’étant qu’un accessoire du principal que constitue ce risque.Footnote 85 Autrement dit, l’urgence nous semble se transformer peu à peu en un critère qu’il reste d’usage d’aborder et de plaider, mais dont l’importance ne doit pas être surestimée, voire dont la banalisation a été plus ou moins tacitement actée au Palais de la Paix.

***

Les conclusions de la CIJ, dans les deux affaires, méritent que l’on s’y arrête. De manière traditionnelle, les juges du Palais de la Paix ne se sentent pas liés par les mesures demandéesFootnote 86 — ce qui peut paraître paradoxal, puisqu’ils ont justement consacré une partie du raisonnement de chaque arrêt à déterminer le lien qu’entretiennent les mesures requises avec les droits allégués. Depuis le choix, opéré par l’arrêt LaGrand, de considérer les mesures conservatoires comme “obligatoires,”Footnote 87 ce dernier caractère ne fait par ailleurs plus débat. Cependant, le problème de leur effectivité a été souligné ces dernières années, de sorte que la CIJ s’est laissé convaincre, selon le modèle du Tribunal international du droit de la mer, par l’outil que constitue la remise de rapports réguliers lui permettant de suivre l’application des autres mesures indiquées.Footnote 88

Dans les deux affaires commentées, la mesure de “reporting” requise n’a fait l’objet, à l’oral, d’aucun développement,Footnote 89 les parties demandeuses estimant peut-être son indication acquise. Or, si l’indication d’une telle mesure si “inhabituelle”Footnote 90 a des conséquences — notamment en termes de charge de travail pour la CIJFootnote 91 — son rejet en emporte certainement aussi. En n’accédant pas aux requêtes arméniennes et azerbaïdjanaises, la CIJ a entendu réaffirmer de manière imprévisibleFootnote 92 qu’elle demeurait maîtresse de l’opportunité d’indiquer ou non des mesures, mais elle pourrait, ce-faisant, générer une nouvelle difficulté en procédant à une distinction indirecte, mais diplomatiquement délicate, entre les contentieux dont il n’y a pas motifs de douter que les parties se conformeront aux mesures indiquées, et ceux dont la CIJ a au contraire des raisons de penser, au regard des circonstances de l’espèce, que le caractère obligatoire des mesures indiquées est insuffisant. Autrement dit, l’indication ou non de la mesure de “reporting” pourrait finalement constituer un marqueur du degré de confiance — ou de l’absence de confiance — que porte la CIJ à l’État visé. Cette position étant diplomatiquement malaisée pour la CIJ, il y a lieu de penser que cette dernière devra, à l’avenir, motiver substantiellement les acceptations ou refus afin de les fonder sur des éléments objectifs: la confiance que portent actuellement les États dans la juridiction internationale, qu’illustre indubitablement sa vitalité, pourrait en dépendre.

References

1 Hormis les deux ordonnances commentées et mises de côté les ordonnances procédurales, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu trois arrêts en 2021: Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c États-Unis d’Amérique), Exceptions préliminaires, [2021] CIJ Rec 9; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c Émirats arabes unis), Exceptions préliminaires, Arrêt du 4 février 2021, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/172/172-20210204-JUD-01-00-FR.pdf>; Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c Kenya), Arrêt du 12 octobre 2021, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/161/161-20211012-JUD-01-00-FR.pdf>. Cependant, alors que seules deux affaires avaient été introduites en 2019 — et aucune en 2020 — trois nouvelles requêtes, dont les deux faisant l’objet des ordonnances commentées, ont été introduites en 2021.

2 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 16 mars 2022, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/182/182-20220316-ORD-01-00-FR.pdf> [Ukraine c Russie 2022]. À son propos, voir Raphaël Maurel, “Ukraine c Fédération de Russie: la CIJ ordonne à la Russie de ‘suspendre immédiatement’ ses opérations militaires en Ukraine,” Dalloz Actualité, 18 mars 2022.

3 Romain Le Bœuf, “La déclaration de cessez-le-feu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan: un nouvel épisode de la lutte pour le Haut-Karabakh” (2020) 60 AFDI 291 à la p 291.

4 À propos de l’ordonnance relative à l’affaire Gambie c Myanmar (voir infra note 6), voir Pierre-François Laval, “Chronique de jurisprudence internationale” (2020) 124:1 RGDIP 147 à la p 149.

5 Ibid.

6 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c Myanmar), Mesures conservatoires, Ordonnance du 23 janvier 2020, [2020] CIJ Rec 3 [Gambie c Myanmar]. Sur cette ordonnance très commentée, voir les références notes 7 et 92 ci-dessous ou, dans une perspective différente, Christina M Cerna, “Provisional Measures: How International Human Rights Law Is Changing International Law (Inspired by Gambia v Myanmar)” (2021) 11:1 Notre Dame J Intl & Comp L 34. Pour un résumé, voir Vatsal Raj, “The Gambia v Myanmar: Paving the Yellow Brick Road to International Accountability for the Crime of Genocide” (2021) 3:1 De Lege Ferenda 42.

7 Gambie c Myanmar, supra note 6 au para 86, point 4. Nous renvoyons, pour une analyse, à Raphaël Maurel, “La contribution de l’ordonnance Gambie c Myanmar à l’élaboration d’un droit des mesures conservatoires” (2020) 20 R Centre Michel de l’Hospital 97 à la p 97.

8 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 décembre 2021 (Arménie c Azerbaïdjan), Mesures conservatoires, Ordonnance du 7 décembre 2021, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/180/180-20211207-ORD-01-00-FR.pdf> au para 95 [Arménie c Azerbaïdjan]; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 décembre 2021 (Azerbaïdjan c Arménie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 7 décembre 2021, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/181/181-20211207-ORD-01-00-FR.pdf> au para 72 [Azerbaïdjan c Arménie].

9 L’Arménie demandait, en substance, la libération des prisonniers de guerre, détenus et otages arméniens arrêtés dans le contexte du conflit de fin 2020, leur traitement conforme à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 21 décembre 1965, 660 RTNU 195 (entrée en vigueur: 4 janvier 1969) [CIEDR] dans cette attente, l’abstention de “fomenter la haine à l’égard des personnes d’origine” arménienne notamment en fermant un parc des trophées militaires, la protection du droit d’accéder au patrimoine arménien en Azerbaïdjan et celle dudit patrimoine contre toute dégradation, la facilitation des mesures de protection de ce patrimoine pour permettre l’exercice des droits protégés par la CIEDR, la protection et la conservation des preuves relatives aux violations alléguées de la CIEDR, l’abstention de prendre toute mesure aggravant ou étendant le différend, et enfin la transmission régulière d’informations sur le suivi de ces mesures à la CIJ. Voir Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 11.

10 Mais n’excède pas les délais des affaires Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 19 avril 2017, [2017] CIJ Rec 104 [Ukraine c Fédération de Russie 2017] (demande en indication de mesures conservatoires déposée par l’Ukraine le 16 janvier 2017, ordonnance rendue le 19 avril 2017, soit trois mois et deux jours) ou encore Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c Australie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 3 mars 2014, [2014] CIJ Rec 147 (demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Timor-Leste le 17 décembre 2013, ordonnance rendue le 3 mars 2014, soit trois mois et dix-sept jours).

11 Voir notamment Raphaël Maurel, “Remarques sur les ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la CIJ dans les affaires Qatar c Émirats arabes unis (23 juillet 2018) et Iran c États-Unis d’Amérique (3 octobre 2018)” (2018) 16 R Centre Michel de l’Hospital 81 aux pp 83–85.

12 Règlement de la Cour, 14 avril 1978, en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/fr/reglement> (entrée en vigueur: 1er juillet 1978), art 74, para 1. En effet, les audiences publiques ont été organisées du 10–12 décembre, après l’achèvement de celles relatives à l’affaire de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c Qatar) tenues du 2–6 décembre 2019. Il convient cependant de noter qu’un tel délai, qui n’apparaît pas manifestement excessif, a pu être convenu d’un accord commun avec les parties. Le délai entre la clôture des audiences et le rendu de l’ordonnance, constitué d’un mois et onze jours, apparaît plus gênant du point de vue procédural. Bien qu’il soit vraisemblablement dû aux congés de fin d’année, la pratique consistant à rendre prioritaires les vacances de la CIJ sur son activité juridictionnelle demeure problématique, au regard tant de l’urgence des situations invoquées que du Règlement précité. Cette pratique étant variable — on se souviendra que l’ordonnance rendue dans l’affaire LaGrand avait été rendue sans audiences — on peut en déduire que tout dépend du degré d’urgence de la situation, telle qu’elle est ressentie par les parties mais également par la CIJ.

13 L’Azerbaïdjan demandait, en substance, l’enlèvement ou l’indication précis de l’emplacement des mines terrestres posées sur son territoire, la cessation de la mise en danger des vies azerbaïdjanaises par la pose ou l’encouragement à la pose de ces mines, l’empêchement d’un certain nombre d’incitations à la haine raciale contre les azerbaïdjanais notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias en Arménie, la prise de disposition pour garantir la collecte et la préservation des preuves quant aux crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique, et l’abstention de prendre toute mesure susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend. Voir Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 11.

14 Essais nucléaires (Australie c France), Mesures conservatoires, Ordonnance du 22 juin 1973, [1973] CIJ Rec 99 au para 21.

15 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c États-Unis d’Amérique), Mesures conservatoires, Ordonnance du 2 juin 1999, [1999] CIJ Rec 761 au para 29.

16 Voir par ex Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c Émirats arabes unis), Mesures conservatoires, Ordonnance du 14 juin 2019, [2019] CIJ Rec 361 au para 15 [Qatar c Émirats arabes unis 2019].

17 “Tout différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la CIJ pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement.” CIEDR, supra note 9, art 22.

18 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 27.

19 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 27.

20 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c Fédération de Russie), Mesures conservatoires, Ordonnance du 15 octobre 2008, [2008] CIJ Rec 353 aux paras 113–17.

21 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, [2011] CIJ Rec 70 au para 183 [Géorgie c Fédération de Russie 2011].

22 Ukraine c Fédération de Russie 2017, supra note 10 au para 60.

23 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c Fédération de Russie), Exceptions préliminaires, [2019] CIJ Rec 600 aux paras 106–13 (la citation est extraite du para 113).

24 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 24.

25 Ibid au para 27; Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 26.

26 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 41.

27 Ibid au para 37; Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 37.

28 Affaire des concessions Mavrommatis en Palestine (1924), CPJI (sér A) n° 2 à la p 13.

29 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c Sénégal), Mesures conservatoires, Ordonnance du 28 mai 2009, [2009] CIJ Rec 139 au para 57.

30 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 45.

31 Qatar c Émirats arabes unis 2019, supra note 16 au para 47.

32 Selon la formule peu claire utilisée dans Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c États-Unis d’Amérique), Mesures conservatoires, Ordonnance du 3 octobre 2018, [2018] CIJ Rec 623 au para 69 [Iran c États-Unis].

33 Ibid au para 56.

34 On peut néanmoins regretter que cette rigueur — relative — soit souvent peu motivée. Voir ci-dessous sur ce point.

35 Voir, à ce propos, Alain Pellet, “Le droit international à la lumière de la pratique: l’introuvable théorie de la réalité” (2021) 414 Rec des Cours 25, spécifiquement le chapitre 9 sur “l’‘humanisation’ du droit international et ses limites” aux pp 370 et s.

36 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c Nicaragua), Mesures conservatoires, Ordonnance du 8 mars 2011, [2011] CIJ Rec 6 à la p 29, Opinion individuelle de M le juge Koroma au para 1 (“[o]utre qu’un tel critère introduit à mon sens une ambiguïté et une incertitude, on voit mal s’il porte sur les droits, les faits, ou les deux”).

37 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 58.

38 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 53.

39 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 60.

40 Ibid au para 59.

41 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 52.

42 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 60 (la CIJ précise néanmoins que le droit à ce que ces personnes ne subissent pas de traitements inhumains ou dégradants fondés sur leur origine nationale ou ethnique tant qu’elles sont détenues en Azerbaïdjan est plausible).

43 Ibid au para 61.

44 Voir en ce sens ibid, Déclaration du juge ad hoc Keith au para 4.

45 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 aux paras 63–64, 66; dans le même sens, voir ibid, Opinion dissidente du juge Yusuf au para 17.

46 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 53.

47 Iran c États-Unis, supra note 32 au para 75.

48 Gambie c Myanmar, supra note 6 aux paras 61–62. La mesure semblait certes éloignée des droits allégués puisqu’elle requerrait “qu’il soit prescrit au Myanmar de donner accès et d’apporter son concours à tous les organes d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies qui enquêtent sur des actes de génocide qui auraient été commis contre les Rohingya, y compris sur les conditions auxquelles ces derniers sont soumis” (ibid au para 10). Cependant, une motivation plus étayée que la formule lapidaire selon laquelle “la Cour ne considère pas que son indication soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce” (ibid au para 62) eût été souhaitable, d’autant que cette formulation sème un sérieux doute sur l’articulation entre, d’une part, le lien entre la mesure et les droits allégués, d’autre part, la nécessité de la mesure qui est — ou est censée être — une tout autre question.

49 Il faut noter, au-delà des propos qui suivent, que ces clarifications n’apparaissent pas non plus dans l’ordonnance ultérieure rendue dans l’affaire Ukraine c Russie 2022, supra note 2.

50 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 67.

51 Ibid au para 68 [nos italiques].

52 Ibid au para 80 [nos italiques].

53 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 57.

54 Ibid au para 58.

55 Ibid au para 64.

56 Mohammed Bedjaoui, “La ‘fabrication’ des arrêts de la Cour internationale de justice” dans Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement: Mélanges Michel Virally, Paris, Pedone, 1991, spécifiquement aux pp 98–99 ou encore à la p 105 (“[o]n ne peut pas lire un arrêt de la Cour comme la sentence d’un arbitre unique, ou comme une thèse bien équilibrée de doctorat. La Cour n’a ni rapporteur, ni avocat général et n’entend pas en avoir. Son travail est collégial et l’arrêt est le produit d’une œuvre collective”). L’auteur de ces lignes n’est pas certain de totalement échapper à la critique opérée par l’honorable juge Bedjaoui des commentaires doctrinaux fustigeant le “niveau de la compétence rédactionnelle” des arrêts (ibid); il n’en demeure pas moins qu’il est peu satisfaisant — et peu commun — qu’une ordonnance de la Cour dise une chose, puis, par omission, son exact contraire.

57 Voir par ex Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 60.

58 Robert Kolb, La Cour internationale de Justice, Paris, Pedone, 2013 à la p 649.

59 Ibid.

60 L’on pense par ex à l’affaire Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique) (Mexique c États-Unis d’Amérique), Mesures conservatoires, Ordonnance du 16 juillet 2008, [2008] CIJ Rec 311 au para 73, ou plus récemment à l’affaire Jadhav (Inde c Pakistan), Mesures conservatoires, Ordonnance du 18 mai 2017, [2017] CIJ Rec 231 au para 55 (“le simple fait que M. Jadhav fasse l’objet de pareille condamnation et puisse donc être exécuté suffit à établir l’existence d’un tel risque”).

61 Qatar c Émirats arabes unis 2019, supra note 16 au para 69.

62 Iran c États-Unis, supra note 32 au para 91.

63 Tel était notamment le cas dans l’ordonnance Iran c Etats-Unis, ibid, puisque l’objet du différend ne concernait pas la protection des ressortissants iraniens.

64 Ibid.

65 Gambie c Myanmar, supra note 6 aux paras 69–75. Si les développements sont conséquents sur ce point, l’issue du raisonnement, au regard tant de la gravité des faits allégués que des faits déjà pris en considération par la CIJ dans le cadre de l’appréciation de la plausibilité des droits invoqués, ne faisait aucun doute.

66 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 au para 82.

67 Ibid au para 83.

68 Ibid.

69 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 66.

70 Kolb, supra note 58 à la p 650.

71 Ibid.

72 Qatar c Émirats arabes unis 2019, supra note 16 au para 68 [nos italiques].

73 Ibid au para 70 (la CIJ en déduit “par conséquent qu’il existe un risque imminent que les mesures adoptées […] puissent causer un préjudice irréparable” au para 71 [nos italiques]).

74 Voir par ex Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c Nicaragua); Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c Costa Rica), Mesures conservatoires, Ordonnance du 22 novembre 2013, [2013] CIJ Rec 354 au para 50.

75 Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8 aux paras 85–88.

76 Ibid au para 85 (citant la résolution sur les conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 27 septembre 2021).

77 Ibid au para 88 [nos italiques].

78 Ibid au para 70.

79 Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8 au para 67.

80 Ibid au para 62 [nos italiques].

81 Ibid au para 60, citant Gambie c Myanmar, supra note 6 au para 65.

82 C’est en 2007 que la CIJ a pour la dernière fois rejeté une demande d’indication de mesures conservatoires sur le fondement de l’absence d’imminence d’un préjudice irréparable. Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c Uruguay), Mesures conservatoires, Ordonnance du 23 janvier 2007, [2007] CIJ Rec 3 aux paras 41–42 [Argentine c Uruguay].

83 Depuis 2016, si l’on excepte les affaires introduites par compromis ou requête conjointe et celles radiées du rôle, seules quatre contentieux sur les treize soumis par requête introductive d’instance n’ont pas (encore?) été accompagnés de demandes d’indication de mesures conservatoires. Transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem (Palestine c États-Unis d’Amérique), “Requête introductive d’instance par la Palestine” (28 septembre 2018), en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/176/176-20180928-APP-01-00-FR.pdf>; Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c Venezuela), “Requête introductive d’instance par le Guyana” (29 mars 2018), en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/171/171-20180329-APP-01-00-FR.pdf>; Frontière terrestre dans la partie septentrionale d’Isla Portillos (Costa Rica c Nicaragua), “Requête introductive d’instance par le Costa Rica” (16 janvier 2017), en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/165/165-20170116-APP-01-00-FR.pdff>; Différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala (Chili c Bolivie), “Requête introductive d’instance par le Chili” (6 juin 2016), en ligne: CIJ <www.icj-cij.org/public/files/case-related/162/162-20160606-APP-01-00-FR.pdf>. Autrement dit, environ deux requêtes sur trois font actuellement l’objet d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires.

84 Voir par ex Qatar c Émirats arabes unis 2019, supra note 16 au para 17.

85 Voir Argentine c Uruguay, supra note 82 au para 42; Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c Belgique), Mesures conservatoires, Ordonnance du 8 décembre 2000, [2000] CIJ Rec 182 au para 72.

86 Cette liberté découle de l’article 75, para 2, du Règlement de la Cour, supra note 12, selon lequel “[l]orsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, la CIJ peut indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées, ou des mesures à prendre ou à exécuter par la partie même dont émane la demande.” La CIJ a souvent fait usage de cette faculté. Voir par ex Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c France), Mesures conservatoires, Ordonnance du 7 décembre 2016, [2016] CIJ Rec 1148 au para 94; Ukraine c Fédération de Russie 2017, supra note 10 au para 100; ou encore, de manière remarquable puisqu’il s’agit du premier cas dans lequel la CIJ, de sa propre initiative, “juge opportun d’indiquer des mesures à l’intention des deux Parties,” voir Géorgie c Fédération de Russie 2011, supra note 21 au para 146.

87 LaGrand (Allemagne c États-Unis d’Amérique), [2001] CIJ Rec 466 au para 109.

88 Sur cette procédure, voir Maurel, supra note 7 à la p 112. Au-delà de la demande formulée par la Gambie, l’entrée en fonction de Philippe Gautier, ancien Greffier du Tribunal international du droit de la mer, en tant que Greffier de la CIJ quelques mois avant le rendu de l’examen n’est sans doute pas étranger à cette nouveauté. Le 21 décembre 2021, la CIJ a en ce sens ajouté un nouvel article 11 à la résolution du 12 avril 1976 visant la pratique de la CIJ en matière judiciaire, lequel dispose notamment que “i) Lorsqu’elle indique des mesures conservatoires, la Cour élit trois juges pour former une commission ad hoc chargée de l’aider à assurer le suivi de la mise en œuvre des mesures indiquées. Ni les membres de la Cour ayant la nationalité de l’une des parties ni les juges ad hoc ne peuvent siéger à la commission. ii) La commission ad hoc examine les renseignements fournis par les parties concernant la mise en œuvre des mesures conservatoires indiquées. Elle rend compte périodiquement à la Cour et lui fait des recommandations sur la suite à donner.” On peut néanmoins regretter l’absence de transparence totale quant à la composition et à l’activité de ces commissions, dont la publication des travaux et des informations reçues permettrait d’éclairer la communauté internationale quant à l’effectivité des mesures conservatoires.

89 Dans l’affaire Arménie c Azerbaïdjan, Lawrence Martin se borne à conclure, lors du premier tour de plaidoiries, que “an order for regular reporting is essential to ensure that Azerbaijan is genuinely implementing the Court’s Order and respecting the rights of Armenians that are the subject of that Order (and our Request).” Arménie c Azerbaïdjan, supra note 8, Audience publique du 14 octobre 2021 à 10h, à la p 63, para 30. Clôturant le premier tour de plaidoiries dans l’affaire Azerbaïdjan c Arménie, Donald Francis Donovan ne mentionne même pas précisément la mesure requise. Azerbaïdjan c Arménie, supra note 8, Audience publique du 18 octobre 2021 à 10h, à la p 64, para 21. Ces points ne font l’objet d’aucune mention — autre que les conclusions finales — dans les seconds tours respectifs des parties.

90 Laval, supra note 4 à la p 155.

91 Voir CIJ, Communiqué de presse n° 2020/38, “Adoption d’un nouvel article 11 de la résolution visant la pratique interne de la Cour en matière judiciaire concernant l’établissement d’une procédure de suivi de la mise en œuvre des mesures conservatoires indiquées par la Cour” (21 décembre 2020) (par lequel la CIJ prévoit l’établissement d’une commission ad hoc de trois juges dédiée au suivi de la mise en œuvre des mesures conservatoires indiquées — lorsque la mesure en question est indiquée).

92 Une partie de la doctrine a pu considérer, sans doute un peu promptement, que ce type de mesures était “acquis” pour l’avenir une fois indiqué une première fois, en se fondant sur l’idée selon laquelle “plus une mesure d’information est demandée à la CIJ et plus celle-ci semble l’indiquer; plus la demande vise une information détaillée et périodique et plus la CIJ peut la prescrire, voire hausser les niveaux de détail et de périodicité demandés.” Hugues Hellio et Solveig Henry, “Le suivi par la Cour internationale de Justice de ses ordonnances en indication de mesures conservatoires. Une pratique émergente entre inspiration, discrétion et recherche d’effectivité” (2020) 124:2 RGDIP 225 à la p 257. Voir également, dans une perspective similaire, Maurel, supra note 7 à la p 113.