L’évaluation de la mémoire représente une partie importante du travail des neuropsychologues cliniciens, surtout pour ceux œuvrant en gériatrie. En effet, au Canada, environ le tiers des personnes âgées rapporte des pertes de mémoire (Lindsay, Reference Lindsay1999) et les causes pouvant sous-tendre ces plaintes sont très vastes. Une évaluation approfondie et exhaustive du système mnésique pourrait permettre de mettre en évidence des profils distincts en fonction de l’étiologie et ainsi mieux orienter le diagnostic et l’intervention. Toutefois, dans la pratique clinique, c’est principalement la mémoire antérograde, soit la capacité à former de nouveaux souvenirs, qui est évaluée de manière objective, bien que ce type d’atteinte mnésique ne soit pas spécifique. En effet, à titre d’exemple, une diminution des capacités en mémoire antérograde est autant caractéristique d’une pathologie neurodégénérative telle que la maladie d’Alzheimer, que d’un syndrome anxiodépressif réversible. Au contraire, certaines études récentes (Estévez-Gonzalez et al., Reference Estévez-Gonzalez, Garcia-Sanchez, Boltes, Otermin, Pascual-Sedano and Gironell2004; Joubert et al., Reference Joubert, Felician, Barbeau, Didic, Poncet and Ceccaldi2008; Thompson, Graham, Patterson, Sahakian, & Hodges, Reference Thompson, Graham, Patterson, Sahakian and Hodges2002) tendent à démontrer qu’une atteinte précoce de la mémoire rétrograde non autobiographique (p.ex. sémantique) serait un indice de conversion vers une démence de type Alzheimer (DTA) chez des patients ayant un trouble cognitif léger de type amnésique (TCLa). Pourtant, cette composante mnésique demeure rarement évaluée, puisqu’aucun outil valide et spécifiquement adapté à la population québécoise vieillissante n’est disponible.
La mémoire rétrograde concerne les souvenirs reliés aux expériences passées de même que les connaissances acquises antérieurement. Elle se différencie de la mémoire antérograde, qui représente la capacité à enregistrer de nouvelles informations. En ce sens, une atteinte de ces systèmes mnésiques se traduira dans le premier cas par une altération des souvenirs antérieurs à l’installation du déficit, alors que dans le second cas, elle se manifestera par une incapacité à former de nouveaux souvenirs après l’installation du déficit, bien que les souvenirs l’ayant précédé puissent être préservés. La mémoire rétrograde peut être considérée soit autobiographique ou épisodique, c’est-à-dire liée aux événements et aux informations propres à une personne ou associés à un contexte spatiotemporel spécifique d’acquisition (où, quand, comment, avec qui), soit non autobiographique (publique ou sémantique), c’est-à-dire non spécifique à un individu et partagée par un même groupe de personnes (Tulving, Reference Tulving, Tulving and Donaldson1972).
L’utilisation de questions portant sur des événements médiatisés présente à notre avis de nombreux avantages pour évaluer la mémoire rétrograde. En effet, en choisissant des événements ayant été couverts par l’ensemble des médias (télévision, radio et internet plus récemment), les risques qu’une personne n’ait pas été exposée à cette information sont très minces et ce, peu importe son niveau d’éducation et ses intérêts (sport, politique, sciences, arts, etc.). De plus, étant donné qu’un événement survient à un moment précis dans le temps, il devient possible de mesurer l’ancienneté du souvenir, soit le temps écoulé depuis l’encodage initial de ce souvenir, et d’explorer l’étendue des pertes mnésiques. Également, les souvenirs pourront être étudiés en fonction de la profondeur de l’encodage, puisque certains événements ont provoqué une vague médiatique de longue durée et ont été rappelés à maintes reprises au fil du temps, provoquant un encodage plus profond via la répétition, alors que d’autres n’ont engendré qu’une médiatisation intense, mais éphémère au moment de leur survenue et donc un encodage probablement plus superficiel.
Les résultats des études dans lesquelles un test composé d’événements médiatisés a été utilisé pour évaluer la mémoire rétrograde sont difficilement comparables en raison de la grande variabilité entre les protocoles utilisés. En effet, les événements qui composent ces tests sont soit de type historique (Leyhe, Müller, Eschweiler, & Saur, Reference Leyhe, Müller, Eschweiler and Saur2010; Meeter, Eijsasckers, & Mulder, Reference Meeter, Eijsasckers and Mulder2006; Sagar, Cohen, Sullivan, Corkin, & Growdon, Reference Sagar, Cohen, Sullivan, Corkin and Growdon1988; Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers, etLaurent, Reference Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers and Laurent2006a), soit relevant de la petite histoire, c’est-à-dire n’ayant fait la une des médias que durant une courte période de temps (Imbeault, Reference Imbeault2005; Leplow, Reference Leplow1997). D’ailleurs, souvent, les critères de sélection des événements ne sont tout simplement pas spécifiés par les auteurs (Bizzozero, Reference Bizzozero2005b; Bizzozero, Lucchelli, Prigione, Saetti, & Spinnler, Reference Bizzozero, Lucchelli, Prigione, Saetti and Spinnler2004; Bizzozero, Lucchelli, Saetti, & Spinnler, Reference Bizzozero, Capitani, Faglioni, Lucchelli, Saetti and Spinnler2008; Kopelman, Reference Kopelman1989; Sartori, Reference Sartori2004) et certaines études vont jusqu’à combiner des items portant sur des personnes et des événements célèbres (Dorrego et al., Reference Dorrego, Sabe, Cuerva, Kuzis, Tiberti and Boller1999; Sadek et al., Reference Sadek, White, Taylor, Paulsen, Johnson and Salmon2004; Starkstein, Boller, & Garau, Reference Starkstein, Boller and Garau2005; Wilson, Kaszniak, & Fox, Reference Wilson, Kaszniak and Fox1981). Par ailleurs, le format de présentation des stimuli (énoncés ou questions vs images ou photographies), la nature des tâches (évocation, reconnaissance, choix multiples) et l’information demandée (célèbre ou non célèbre, description sommaire ou détaillée, datation de l’événement, identification du lieu de survenue, etc.) jouent également des rôles importants dans la variabilité des résultats que l’on retrouve d’une étude à l’autre.
À notre connaissance, seuls deux groupes de chercheurs se sont penchés sur la mémoire des événements médiatisés dans le vieillissement normal et ceux-ci ont obtenu des résultats contradictoires. Bizzozero et ses collègues (Reference Bizzozero, Lucchelli, Prigione, Saetti and Spinnler2004) ont élaboré le Media-Mediated Memory Test (MMMT), un questionnaire destiné à l’évaluation des souvenirs liés aux événements médiatisés (incluant quelques questions à propos de personnes célèbres) dans la population italienne. Le test couvrait cinq époques de cinq ans comprises entre 1976 et 2000, et incluait 13 questions ouvertes (p.ex. De quoi vous souvenez-vous au sujet de Tchernobyl?) qui pouvaient être accompagnées d’indices lors d’une absence de réponse ou d’une mauvaise réponse (p.ex. 1. C’est le nom d’une centrale nucléaire, 2. C’est un accident qui a causé une contamination radioactive en Europe). Les résultats obtenus auprès de 96 participants âgés de 46 ans et plus révèlent que le groupe d’aînés (75 ans et plus) performe significativement moins bien comparativement au groupe le moins âgé (47 à 60 ans), suggérant une diminution de la mémoire rétrograde liée au vieillissement normal (Bizzozero et al., Reference Bizzozero, Lucchelli, Prigione, Saetti and Spinnler2004). Thomas-Antérion, Collomb, Borg, et Laurent (2006) ont développé un protocole similaire, la batterie EVE-30, qui rassemble 30 événements survenus depuis 1920 (Thomas-Antérion et al., 2006). Contrairement aux résultats rapportés dans l’étude de Bizzozero (2004), les résultats obtenus auprès de 108 Français âgés de 20 et 79 ans et répartis également en six classes d’âge (n = 18) indiquent un meilleur rendement chez les participants âgés (70 à 79 ans) comparativement aux groupes d’âge intermédiaires (30 à 39 ans, 40 à 49 ans, 50 à 59 ans) qui ne se distinguent pas entre eux, alors que le groupe le plus jeune (20 à 29 ans) obtient des scores significativement plus faibles que l’ensemble des autres groupes d’âge.
Dans la littérature, les recherches portant sur la mémoire des événements publics dans la DTA sont plus nombreuses que celles réalisées dans le vieillissement normal. L’ensemble de ces études fait systématiquement ressortir des performances significativement plus faibles chez les patients atteints de la DTA comparativement à des groupes témoins (Dorrego et al., Reference Dorrego, Sabe, Cuerva, Kuzis, Tiberti and Boller1999; Leyhe et al., Reference Leyhe, Müller, Eschweiler and Saur2010; Meeter et al., Reference Meeter, Eijsasckers and Mulder2006; Sagar et al., Reference Sagar, Cohen, Sullivan, Corkin and Growdon1988; Thomas-Antérion et al., 2006; Thompson, Reference Thompson2004) et ce, malgré la grande variabilité qui caractérise les différents protocoles utilisés. Toutefois, à ce jour, il semble que seulement quatre groupes de chercheurs se soient intéressés à la mémoire des événements publics chez les patients atteints d’un TCLa. Parmi ceux-ci, on retrouve à nouveau les équipes de Bizzozero et Thomas-Antérion avec leur protocole respectif décrit plus haut.
Bizzozero et al. (Reference Bizzozero, Capitani, Faglioni, Lucchelli, Saetti and Spinnler2008) rapportent qu’un groupe composé de 15 patients TCLa performe significativement moins bien au MMMT comparativement à un groupe contrôle apparié selon l’âge, le genre et l’éducation. De plus, l’analyse individuelle des scores des patients démontre qu’environ la moitié d’entre eux présente une performance jugée pathologique par les auteurs. Un volet longitudinal, impliquant neuf des patients, a aussi permis de mettre en évidence une diminution de la performance ainsi qu’une augmentation du nombre de patients qui obtiennent un score pathologique après 18 mois (7 patients sur 9). Leyhe et al. (Reference Leyhe, Müller, Eschweiler and Saur2010) a obtenu des résultats comparables à l’aide du HET (Historic Events Test), un test composé de 20 questions portant sur des événements publics célèbres (p.ex. Catastrophe nucléaire à Tchernobyl), faisant ressortir une performance déficitaire chez le groupe TCLa comparativement au groupe contrôle dans trois de leurs tâches, soit la reconnaissance (connu vs pas connu), la datation et le rappel du contexte (détails de l’événement et informations contextuelles). Également, avec la EVE-10 (Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers, & Laurent, Reference Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers and Laurent2006b), une version abrégée de la EVE-30, composée de 10 items et suivant le même format que la batterie originale, Barbeau et ses collaborateurs ont mis en évidence une performance significativement plus faible chez un groupe de 29 patients TCLa en comparaison avec un groupe contrôle apparié pour l’âge, l’éducation et le niveau socioprofessionnel et ce, tant au niveau de la performance globale que pour chacune des conditions séparément (rappel libre, questions à choix multiples, questions fermées, datation) (Barbeau et al., Reference Barbeau, Didic, Joubert, Guedj, Koric and Felician2012). Enfin, Joubert et son équipe ont démontré une performance significativement plus faible chez un groupe composé de 20 patients TCLa comparativement à un groupe contrôle apparié pour l’âge et la scolarité, à l’aide d’un test composé de 10 photographies d’événements publics célèbres où les participants devaient nommer l’événement présenté et fournir des informations spécifiques à propos de celui-ci (Joubert et al., Reference Joubert, Felician, Barbeau, Didic, Poncet and Ceccaldi2008).
En somme, des atteintes en mémoire rétrograde ont systématiquement été mises en évidence dans les études évaluant les souvenirs liés aux événements médiatisés auprès de patients atteints de la DTA, ainsi que dans le TCLa. Ce type de stimuli serait plus sensible que des questions portant sur des connaissances générales (p.ex. sur les objets communs) pour identifier les légers déficits des TCLa (Joubert et al., Reference Joubert, Felician, Barbeau, Didic, Poncet and Ceccaldi2008). L’objectif de l’étude 1 était donc de combler un manque notoire dans le domaine de la neuropsychologie clinique au Québec, en élaborant un protocole composé d’événements médiatisés pouvant être employé par les neuropsychologues pour documenter la mémoire rétrograde de leurs patients. Ensuite, dans le cadre des études 2 et 3 respectivement, nous nous sommes assurés de la validité et de l’utilité clinique de notre outil d’évaluation, d’abord en recueillant des données de référence qui décrivent le patron de performance retrouvé dans le vieillissement normal, puis en sélectionnant certains items afin de former une version abrégée destinée au dépistage des patients atteints de TCLa. Cette recherche a été approuvée par les comités d’éthique de la recherche du Département de psychologie de l’UQAM, du Centre de recherche du CHUM et du Centre de recherche de l’IUGM. Tous les participants ont signé un formulaire de consentement éclairé.
Étude 1 : Élaboration du PUB-40
Méthodologie
Participants. Quatorze personnes âgées de 55 à 85 ans, présumés saines en raison de leur autonomie fonctionnelle préservée, de même que 53 jeunes adultes âgés de 19 à 29 ans ont contribué par leur participation à un pré-test, à l’élaboration du PUB-40. Tous étaient francophones et avaient vécu la majeure partie de leur vie au Québec.
Procédure. Dans un premier temps, nous avons sélectionné de manière subjective 60 événements ayant fait l’objet d’une couverture médiatique importante en parcourant diverses sources documentaires abordant des thèmes liés à l’histoire québécoise (internet, livres, jeu, émissions télévisées, etc.). Les événements devaient avoir été couverts par la vaste majorité des médias (télévision, radio, journaux, internet), afin de s’assurer que la très grande majorité des Québécois ait entendu parler de ceux-ci. Différentes époques étaient couvertes (ancienne : 1960–1975, intermédiaire : 1976–1990, récente : 1991–2005, très récente : 2006–2011) et deux types d’événements (transitoires et durables) ont été sélectionnés, afin de vérifier, dans le cadre de recherches futures, si ces éléments permettent d’expliquer la variabilité retrouvée dans les études antérieures. Ainsi, environ la moitié de ces événements n’ont été médiatisés que durant une courte période circonscrite dans le temps et ont par conséquent, peu de chances d’avoir été réappris plusieurs années après leur survenue (événements de type transitoire). L’autre portion des événements a quant à elle fait l’objet d’une couverture médiatique qui s’est étendue sur plusieurs années et possède toutes les chances d’avoir été répétée et consolidée au fil du temps (événements de type durable). La classification précédente (transitoire versus durable) a été effectuée subjectivement, c’est pourquoi, dans un deuxième temps, un pré-test a été mené auprès de personnes âgées, mais également auprès de jeunes adultes, tel que suggéré par Mayes et al. (Reference Mayes, Downes, McDonald, Poole, Rooke and Sagar1994). Le pré-test avait pour objectif de valider le statut transitoire ou durable des événements sélectionnés en suivant le principe qu’un événement transitoire devait être connu d’une personne uniquement si celle-ci était assez âgée pour avoir eu conscience de sa survenue au moment même où il a eu lieu. Par exemple, un événement ne pouvait pas être considéré comme transitoire s’il était connu des jeunes répondants qui étaient âgés de 10 ans ou moins lorsque l’événement est survenu, puisqu’aucun apprentissage n’est censé avoir eu lieu dans les années suivantes. En d’autres mots, il est improbable que les jeunes âgés de 20 ans en 2010 se souviennent des événements transitoires survenus avant les années 2000, car ils n’avaient qu’une dizaine d’années à ce moment-là.
Des questions accompagnées de 4 choix de réponses ont été élaborées à partir des événements choisis et ce questionnaire a été administré aux jeunes adultes par voie électronique (www.surveymonkey.com) et en version papier lors d’une rencontre de groupe ayant eu lieu dans une résidence pour les aînés. La consigne était la suivante : « Pour chacun des items, lisez bien la question et tous les choix de réponses. Ensuite, sélectionnez parmi les choix, la réponse qui vous apparaît être la bonne. Si vous ne savez pas la bonne réponse, prenez une chance! Vous devez absolument choisir une réponse pour tous les items ».
Résultats
Les résultats obtenus lors de cette phase de pré-test ont été analysés et la sélection des items a été effectuée à partir des postulats suivants: (1) pour les événements transitoires (a) de la période ancienne (1960 à 1975), moins de 30 pour cent des jeunes devaient avoir réussi l’item, alors que (b) pour la période intermédiaire (1976 à 1990), moins de 40 pour cent des jeunes devaient avoir réussi l’item. De plus, pour ces deux périodes (c) la performance des participants jeunes devait être significativement plus faible que celle des personnes âgées. (d) Pour les événements transitoires de la période très récente (2006 à 2012), la performance des deux groupes ne devait pas différer significativement. De même, (2) pour l’ensemble des événements de type durable (a) la performance ne devait pas différer entre les deux groupes et (b) tant les participants jeunes qu’âgés devaient avoir au moins 80 pour cent de bonnes réponses pour chaque époque. Ces valeurs ont été déterminées de manière subjective, mais suivant la logique proposée par Mayes et al. (Reference Mayes, Downes, McDonald, Poole, Rooke and Sagar1994) et décrite plus haut.
Pour la version finale du protocole (PUB-40), un total de 40 questions ont été sélectionnées, afin de couvrir l’ensemble des époques tout en évitant que le temps de passation ne soit trop long (voir la version finale du PUB-40 en annexe). Ainsi, 10 questions (5 transitoires et 5 durables) pour chacune des quatre périodes étudiées (ancienne: 1960–1975, intermédiaire: 1976–1990, récente: 1991–2005, très récente: 2006–2011) ont été retenues en fonctions des critères précédemment énoncés. Nous nous sommes également assurés d’un niveau de difficulté équivalent entre les questions portant sur les événements transitoires et celles concernant des événements durables, comme en témoignent les résultats des test-t effectués à ce moment (1960–1975 : t(13) = 0.82, p = .43 (bilatéral); 1976–1990 : t(13) = -0.82, p = .43 (bilatéral); 1991–2005 : t(13) = -0.76, p = .46 (bilatéral); 2006–2011 : t(13) = -1.17, p = .26 (bilatéral). Le Tableau 1 présente les résultats obtenus par les deux groupes de participants, jeunes et âgés.
Tableau 1 : Performance des participants jeunes et âgés lors des pré-tests de l’étude 1 (avec les écart-types entre parenthèses)
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160921105642-43204-mediumThumb-S0714980815000148_tab1.jpg?pub-status=live)
Notes. Les valeurs représentent le pourcentage moyen de bonnes réponses aux questions sélectionnées lors des pré-tests. Les jeunes avaient de 19-29 ans, M = 23 (2.4). Les âgés avaient de 55-85 ans, M = 71 (7.4). Les résultats sont considérés significatifs à α = 0.0125, suivant un ajustement de Bonferroni pour comparaisons multiples.
Étude 2 : Cueillette de données de référence
Méthodologie
Participants. Nous avons recruté 137 personnes âgées de 55 ans et plus, par le biais de la banque de participants de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM) et à l’aide d’annonces placées dans des endroits fréquentés par les aînés, tels que des résidences, des clubs sociaux et des associations d’âge d’or. Pour participer au présent projet, les volontaires devaient être francophones et avoir vécu la majeure partie de leur vie au Québec, soit durant au moins cinquante ans. De plus, ils ne devaient pas présenter de plainte subjective majeure par rapport à leur mémoire et devaient réussir le Montreal Cognitive Assessment (MoCA) avec un score de 26 ou plus (incluant un point additionnel était alloué pour un niveau de scolarité inférieur ou égal à 12 ans, selon les recommandations des auteurs) (Nasreddine et al., Reference Nasreddine, Phillips, Bédirian, Charbonneau, Whitehead and Collin2005). Trente-deux participants ont été exclus sur la base de ce dernier critère, résultant en un échantillon final composé de 105 sujets, 27 hommes et 78 femmes (âge : M = 69.72, É-T = 8.27, années de scolarité : M = 13.94, É-T = 3.77, score au MoCA : M = 27.88, É-T = 1.43).
Instruments. Chaque participant a été évalué individuellement à l’aide du MoCA (Nasreddine et al., Reference Nasreddine, Phillips, Bédirian, Charbonneau, Whitehead and Collin2005) et du PUB-40, lequel a été imprimé sur des cartons 8 ½ x 11. La consigne précédemment énoncée était dite au participant et l’administration de la tâche débutait par deux exemples qui devaient être lus à voix haute, afin de s’assurer qu’aucune difficulté de lecture n’entraverait la performance. L’expérimentateur pouvait ensuite lire les questions à voix haute si le participant le désirait. Le participant disposait d’un temps illimité pour sélectionner son choix de réponse, et si la réponse n’était pas connue, il devait sélectionner au hasard l’un des choix proposés. Un point par bonne réponse était alloué, pour un total de 40 points. Un questionnaire a également été administré afin de recueillir des informations sur les habitudes de vie relativement aux médias et ainsi s’assurer que tous les participants avaient un minimum d’intérêt et de contact avec l’actualité médiatisée. On demandait aux participants d’indiquer la fréquence hebdomadaire (de « jamais » à « tous les jours ») à laquelle ils s’exposaient aux différentes sources médiatiques, soit l’écoute des nouvelles à la radio ou la télévision, ainsi que la lecture des nouvelles dans les journaux ou sur l’internet. De plus, on recueillait leurs habitudes (« jamais », « très rarement », « quelques fois » ou « souvent ») quant à l’exposition à des documentaires concernant des événements historiques ou des revues annuelles sur l’actualité, tel que « 100 ans d’actualité de la Presse ». Enfin, on notait sur une échelle likert (« aucun », « faible », « modéré », « élevé » ou « très élevé ») leur niveau d’intérêt par rapport à différents domaines, soit l’actualité, les arts et spectacles, l’économie et les finances, l’environnement, la politique, et le sport.
Résultats
Analyses préliminaires. D’abord, avec cet échantillon plus représentatif de la population visée, nous nous sommes assurés que le PUB-40 offrait une bonne consistance interne en vérifiant l’alpha de Cronbach. Ce coefficient se situe à .77, ce qui est tout à fait satisfaisant, d’autant plus qu’aucune suppression d’item ne permet d’obtenir une meilleure validité interne. Également, l’analyse des corrélations inter-items confirme que toutes sont positives et vont dans le même sens.
Ensuite, des analyses préliminaires ont été effectuées afin d’explorer la distribution des données expérimentales et vérifier le respect des postulats de base requis pour mener des analyses inférentielles. Aucune valeur éloignée n’a été identifiée, mais la présence d’effets plafond a été mise en évidence pour les variables qui représentent les sous-totaux de chacune des époques, ainsi que pour le total de bonnes réponses obtenues aux questions portant sur les événements de type durable. Cela signifie que plus de 20 pour cent des sujets ont obtenu une note parfaite à l’ensemble des questions de type durable, ce qui est conforme à ce qui est attendu de la performance d’un groupe de personnes sans trouble mnésique répondant à des questions concernant des événements durables présélectionnés de manière à ce qu’ils soient connus de tous. Les autres variables, soit le total de bonnes réponses obtenues aux questions portant sur les événements de type transitoire, ainsi que le score global considérant l’ensemble des questions, ne présentaient pas d’effet plafond ou plancher, mais s’étalaient selon une asymétrie négative. Par conséquent, une transformation, soit
$\sqrt {K - variable} \,({\rm{o}}\`u \,K = max + 1)$
a été appliquée pour normaliser la distribution du score total et ainsi pouvoir mener les analyses inférentielles qui ont servi à explorer les effets de l’âge, de la scolarité et du sexe.
Analyses principales. Étant donné la présence de liens significatifs entre la performance au PUB-40 et le nombre d’années de scolarité (r = -.33, n = 105, p < .001), de même que le sexe (t (103) = -3.16, p < .005), nous avons mené une analyse de variance (ANOVA) combinant ces deux variables. L’âge ne s’avérant pas significativement lié à la performance au PUB-40 (r = -.02, n = 105, p < .83), cette variable n’a pas été incluse dans l’analyse. Le groupe de participants a été divisé en trois niveaux de scolarité, soit moins de 12 années (n = 31), 12 à 15 années (n = 36) et plus de 15 années (n = 38). Ces niveaux de scolarité correspondent respectivement à : diplôme d’études secondaires non obtenu; obtention d’un diplôme d’études secondaires, postsecondaires ou collégiales; études de niveau universitaire. Les résultats n’indiquent aucun effet d’interaction F (2, 99) = .44, p = .65. Toutefois, des effets principaux significatifs ont été mis en évidence relativement au sexe F (1, 99) = 8.18, p < .005 et à la scolarité F (2, 99) = 6.34, p < .005. Plus précisément, les analyses révèlent une meilleure performance globale chez les hommes que chez les femmes, ainsi que chez les participants ayant plus de 15 années de scolarité, comparativement aux deux groupes moins scolarisés, soit ceux ayant de 12 à 15 années de scolarité p < .005 et ceux ayant moins de 12 années de scolarité p < .005. Notons que ces résultats ne sont pas attribuables à un niveau d’éducation plus élevé chez les hommes, puisqu’aucune différence significative ne distingue les hommes des femmes quant au nombre d’années de scolarité t (103) = 0.68, p = .50 (bilatéral). Le tableau 2 montre le rendement global des groupes selon leur niveau de scolarité et leur sexe. Ce tableau constitue une grille de référence à laquelle peuvent être comparées les performances observées au PUB-40 chez un individu de 55 ans et plus en fonction de la scolarité et du sexe, mais il demeure important de tenir compte du fait que cet échantillon n’est pas représentatif de la population québécoise, notamment quant à la proportion d’hommes et de femmes.
Tableau 2 : Performance moyenne des groupes au PUB-40 selon le niveau de scolarité et le sexe
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160921105642-47296-mediumThumb-S0714980815000148_tab2.jpg?pub-status=live)
Notes. Les valeurs représentent le nombre moyen de bonnes réponses (avec les écarts-types entre parenthèses). Le groupe de participants moins scolarisés avait de 5 à 11 années de scolarité, M = 9.97 (1.82). Le groupe de participants avec un niveau de scolarité intermédiaire avaient de 12 à 15 années de scolarité, M = 12.94 (1.19). Le groupe de participants plus scolarisés avaient de 16 à 25 années de scolarité, M = 18.13 (1.91).
Enfin, des analyses corrélationnelles ont été menées, afin de vérifier la relation entre la performance au PUB-40 et les réponses des participants au questionnaire portant sur la fréquence d’exposition aux événements médiatisés et les intérêts face à différents domaines. Les résultats indiquent que la fréquence de lecture des nouvelles (dans les journaux ou sur internet), les habitudes relativement à l’écoute ou la lecture de documentaires concernant des événements historiques et le niveau d’intérêt envers les domaines sportif, politique et économique sont modérément liés à la performance au PUB-40, selon les lignes directrices suggérées (Cohen, Reference Cohen1988). Le tableau 3 rapporte les résultats détaillés de ces analyses pour la version complète, ainsi que les sous-échelles (événements durables ou transitoires).
Tableau 3 : Corrélations entre les habitudes de vie et la performance au PUB-40 et au PUB-12
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160921105642-29699-mediumThumb-S0714980815000148_tab3.jpg?pub-status=live)
Notes. Les n varient de 121 à 125 due à la présence de quelques données manquantes. Écoute nouvelles = fréquence d’écoute des nouvelles à la télévision ou radio. Lecture nouvelles = fréquence de lecture des nouvelles dans les journaux ou sur l’internet. Doc. historiques = fréquence d’écoute ou de lecture de documentaires/documents concernant des événements historiques. Intérêt = niveau d’intérêt envers les différents domaines.
* p < .05. ** p < .01.
Étude 3 : Élaboration du PUB-12
Méthodologie
Participants. Vingt patients présentant un TCL de type amnésique (TCLa), pour lesquels les troubles cognitifs prédominaient au niveau de la mémoire ont pris part à l’étude 3. Ces patients nous ont été référés par la clinique de cognition de l’IUGM et par des neurologues et des gériatres de l’hôpital Notre-Dame du CHUM. Les résultats des participants à l’étude 2 ont été repris en guise de groupe témoin. Toutefois, les données des participants âgés de moins 65 ans été retranchées, afin d’assurer une équivalence optimale des groupes en termes d’âge. Suite à cette intervention, les groupes sont apparus équivalents quant à l’âge t (85) = -1.42, p = .16, à la scolarité t (85) = -.57, p = .57 et à la proportion d’hommes et de femmes χ² (1, n = 87) = .07, p = .80. Le tableau 4 présente les caractéristiques des groupes.
Tableau 4 : Caractéristiques démographiques des groupes (étude 3)
![](https://static.cambridge.org/binary/version/id/urn:cambridge.org:id:binary-alt:20160921105642-44238-mediumThumb-S0714980815000148_tab4.jpg?pub-status=live)
Notes. Les valeurs représentent M (ÉT). La scolarité est calculée en nombre d’années. Le rendement au MOCA comprend l’ajustement d’un point proposé par l’auteur pour un niveau de scolarité inférieur ou égal à 12 ans.
Instruments. En plus du PUB-40 et du questionnaire concernant les habitudes d’exposition aux médias et les intérêts, chaque patient TCLa, a été évalué individuellement à l’aide d’une batterie exhaustive composée de tests neuropsychologiques standardisés, afin de confirmer leur diagnostic. Ainsi, les épreuves suivantes ont été administrées : MoCA (Nasreddine et al., Reference Nasreddine, Phillips, Bédirian, Charbonneau, Whitehead and Collin2005), version abrégée de 30 items de la dénomination d’images de Boston (Kaplan, Goodglass, & Weintraub, Reference Kaplan, Goodglass and Weintraub1983), fluence verbale phonologique et catégorielle, dépistage de la Visual and Object Space Perception Battery (Warrington & James, Reference Warrington and James1991), jugement d’orientation de lignes de Benton (Benton, Sivan, Hamsher, Varney, & Spreen, Reference Benton, Sivan, Hamsher, Varney and Spreen1994), examen abrégé des praxies gestuelles, test de l’horloge (Rouleau, Salmon, Butters, Kennedy, & McGuire, Reference Rouleau, Salmon, Butters, Kennedy and McGuire1992), figure complexe de Rey (Rey, Reference Rey1941), repérage de cloches (Gauthier, Dehaut, & Joanette, Reference Gauthier, Dehaut and Joanette1989), traçage de pistes, Stroop (Delis, Kaplan, & Kramer, Reference Delis, Kaplan and Kramer2001), empans numériques, histoire A de la WMS-III (Wechsler, Reference Wechsler1997), RLRI-16 (Van der Linden et al., Reference Van der Linden, Coyette, Poitrenaud, Kalafat, Calacis, Wyns, Van der Linden, Adam, Agniel and Baisset Mouly2004), 15 mots de Rey (Rey, Reference Rey1941), DMS-48 (Barbeau et al., Reference Barbeau, Tramoni, Joubert, Mancini, Ceccaldi, Poncet, Ergis, Gely-Nargeot and VanderLinden2004), version imagée du Pyramids and Palm Trees Test (Howard & Pattersen, Reference Howard and Pattersen1992), sous-test information du WAIS-III (Tulsky, Zhu, & Ledbetter, Reference Tulsky, Zhu and Ledbetter1997)) et test d’estimation cognitive (Charbonneau, Reference Charbonneau2009).
Résultats
Analyses préliminaires. Une analyse d’items à l’aide de khis carrés a été effectuée afin d’isoler 12 questions pour lesquelles la performance des sujets sains se distinguait significativement de celle des patients avec TCLa (voir annexe II pour les résultats des khis carrés pour chaque item). Seulement trois de ces items portent sur des événements de type durable de différentes époques (1960-1975; 1976-1990; 2006-2011). Les autres items sélectionnés portent sur des événements de type transitoire et se distribuent à travers les époques comme suit; une question concernant un événement des périodes ancienne (1960-1975), trois questions sur des événements des périodes intermédiaire (1976-1990) et récente (1991-2005) et deux pour la période très récente (2006-2011). Rappelons que la décision d’intégrer deux types d’événements, soit durables et transitoires, était purement exploratoire et visait à vérifier, dans le cadre de recherches futures, si ce facteur pouvait expliquer la variabilité des résultats retrouvée dans les études antérieures. La perte d’équilibre entre les deux types d’événements ne nous apparaît donc pas problématique dans le cadre de la construction d’un outil de dépistage clinique des troubles de la mémoire rétrograde.
Avant de procéder aux analyses principales permettant de vérifier l’impact de l’âge, de la scolarité et du sexe sur la performance au PUB-12, la transformation suivante a dû être appliquée;
$1/(K - variable)\,({\rm{o}}\`u \,K = max + 1)$
.
La consistance interne de cette version abrégée (PUB-12) conserve un alpha de Cronbach identique à celui obtenu avec la version longue, soit un coefficient de .77, lequel ne peut toujours pas être optimisé par la suppression d’un des items sélectionnés. Enfin, on observe une forte corrélation entre le PUB-12 et le PUB-40 et ce, tant chez les âgés sains de l’échantillon complet, r = .72, n = 105, p < .0005, que pour la portion de sujets appariés, r = .67, n = 67, p < .0005 et les patients atteints de TCLa, r = .83, n = 20, p < .0005.
Analyses principales. Comme au PUB-40, aucun lien significatif n’est relevé entre l’âge et la performance PUB-12, et ce tant pour le groupe de participants en bonne santé, r = - .18, n = 67, p = .15, que pour les patients atteints de TCLa, r = - .24, n = 20, p =.30. De plus, dans le cas de cette version abrégée, le nombre d’année de scolarité (normaux r = .19, n = 67, p = .13 et TCLa : r = .22, n = 20, p = .35) et le sexe (normaux : F (5, 61) = 1.37, p = .25 et TCLa : F (9, 10) = .64, p = .74) n’apparaissent pas lié à la performance. Les participants sains obtiennent entre 7 et 12 bonnes réponses, avec une moyenne de 10.94 (1.29), alors que les TCLa obtiennent de 1 à 12 bonnes réponses, avec une moyenne de 7.85 (3.07).
Ensuite, afin d’identifier le meilleur point césure en fonction de la sensibilité et de la spécificité, une analyse ROC (Receiver Operating Characteristic) a été effectuée. L’aire sous la courbe était de .812 (IC à 95% .685 à .938; z = 12.5, p < .0005). Selon l’indice de Youden (J = .52), le seuil optimal permettant de cibler les patients qui présentent des TCLa est de ≤ 9/12. Ce seuil permet d’obtenir une sensibilité de .70 (IC à 95% .50 à .90) et une spécificité de .82 (IC à 95% .73 à .91), ce qui signifie que 70 pour cent des patients avec TCLa obtiennent un score égal ou inférieur à ce seuil et que 82 pour cent des personnes âgées sans trouble mnésique obtiennent un rendement supérieur à 9/12. Ce seuil offre une valeur prédictive positive de 53.7 pour cent et une valeur prédictive négative de 90.2 pour cent. Toutefois, compte tenu du faible nombre de sujets TCLa dans l’échantillon actuel, un seuil plus conservateur privilégiant la spécificité aux dépens d’une moins grande sensibilité peut être préféré. Dans ce cas, un score seuil de 8/12 serait employé, offrant une sensibilité de .55 (IC à 95% .33 à .77) et spécificité de .96 (IC à 95% .91 à 1.0), ainsi qu’une valeur prédictive positive de 78.5 pour cent et une valeur prédictive négative de 87.7 pour cent. Ces résultats témoignent du bon pouvoir discriminatif de cet outil, mais soulignent également l’importance de l’utiliser à des fins de dépistage et de procéder à une évaluation plus approfondie lorsqu’un patient échoue le test. La figure 1 indique, pour les deux groupes, la fréquence des scores obtenus au PUB-12 (nombre de bonnes réponses obtenues /12).
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Figure 1: Diagramme de la fréquence de bonnes réponses obtenues pour chacun des groupes (Normaux et TCLa) à la version abrégée du PUB-12.
Enfin, concernant les habitudes quant à l’exposition aux événements médiatisés et les intérêts envers différents domaines, on note, de manière analogue à ce qui avait été observé pour la version longue du PUB, qu’il existe une relation modérée (Cohen, Reference Cohen1988) entre la performance au PUB-12 et la fréquence de lecture des nouvelles, ainsi que l’écoute ou la lecture de documentaires concernant des événements historiques. De plus, les niveaux d’intérêt envers la politique et l’économique demeurent également liés à la performance à cette version abrégée. Le tableau 3 rapporte les résultats détaillés de ces analyses pour la version abrégée. Ces corrélations ont été effectuées sur l’échantillon total (n = 105, incluant les individus âgés de 55 à 65 ans).
Discussion générale
L’étude 1 a permis d’apporter une solution alternative à une importante lacune à laquelle faisaient face les neuropsychologues québécois désirant évaluer la mémoire rétrograde non autobiographique chez leurs patients. De fait, aucune épreuve standardisée n’était à ce jour disponible pour documenter cette composante mnésique « collective » (partagée par un même groupe culturel) auprès de la population francophone vieillissante du Québec. Ce nouvel instrument, le PUB-40, a été élaboré avec de stricts critères méthodologiques et dans une visée à finalité clinique. Étant composé de questions portant sur des événements publics médiatisés à grande échelle lors de leur survenue, ce questionnaire offre l’avantage de pouvoir être administré tel quel à l’ensemble de la population visée et de comparer la performance des répondants. Des données ont donc été récoltées et compilées auprès de plus d’une centaine de personnes âgées saines, dans le cadre de l’étude 2, afin de fournir des données de référence pour l’utilisation clinique. Celles-ci sont disponibles en fonction du sexe et du niveau de scolarité, puisque ces variables ont démontré des effets significatifs et doivent par conséquent être prises en compte lors de l’interprétation de la performance obtenue. L’étude 3 a quant à elle permis de sélectionner 12 items en fonction de leur valeur discriminante entre des personnes âgées saines et un groupe de personnes présentant un TCLa, afin d’obtenir une version abrégée, le PUB-12. Celle-ci est mieux adaptée à la réalité clinique des neuropsychologues œuvrant auprès de personnes âgées dans le réseau public québécois, où le temps disponible pour mener les évaluations est limité. En plus de permettre de discriminer efficacement les sujets ayant des troubles mnésiques en utilisant un seuil plus ou moins conservateur, des données de référence sont fournies quant à la fréquence du nombre de bonnes réponses retrouvée chez les sujets sains et dans le groupe de TCLa. La version longue conserve toutefois un intérêt évident pour certains patients chez qui l'on soupçonne une atteinte de la mémoire des faits anciens affectant de façon différentielle les évènements récents et anciens, comme c’est le cas dans le syndrome de Korsakoff (récent < ancien) ou dans la démence sémantique (récent > ancien).
Contrairement aux deux autres études recensées portant sur la mémoire des événements médiatisés dans la population normale, nous n’avons pas mis en évidence d’effet significatif de l’âge des participants sur la performance. Rappelons qu’avec le MMMT, Bizzozero et collègues (Reference Bizzozero, Lucchelli, Prigione, Saetti and Spinnler2004) avaient obtenu une diminution de la performance avec l’avancée en âge, alors que Thomas-Antérion et collègues (Reference Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers and Laurent2006a) avaient de leur côté mis en évidence une amélioration du rendement à la EVE-30 avec le vieillissement. En comparant les époques examinées et l’âge des participants sélectionnés dans ces deux études, on comprend aisément la discordance dans les résultats obtenus. En effet, les participants ayant répondu au MMMT avaient au minimum 21 ans au moment de la survenue des événements les plus anciens. Ils ont donc vraisemblablement eu conscience de l’ensemble des événements survenus de 1976 à 2000. Au contraire, les plus jeunes ayant pris part à l’étude effectuée à l’aide de la EVE-30 sont nés aux alentours des années 80, alors que les périodes étudiées dans ce questionnaire remontaient jusqu’aux années 20. Ils n’ont donc pas assisté de leur vivant à une grande portion des événements intégrés dans la batterie, contrairement aux participants plus âgés qui ont vécu l’ensemble de ceux-ci. De notre côté, nous nous sommes assurés que les événements soient connus de tous les participants en sélectionnant des périodes où tous étaient nés et en s’assurant d’un bon niveau de performance pour toutes les époques lors du pré-test (étude 1) mené auprès de personnes âgées.
Lors de recherches futures, il serait intéressant de documenter l’atteinte mnésique en lien avec le type d’événements (transitoires vs durables/historiques) et le gradient temporel au sein de différentes pathologies. En effet, à ce jour, seulement trois groupes de chercheurs ont utilisé des protocoles composés d’événements publics pour explorer ces aspects de la mémoire rétrograde dans le TCLa, et ceux-ci ont obtenu des résultats variables. Bizzozero et al. (Bizzozero et al., Reference Bizzozero, Capitani, Faglioni, Lucchelli, Saetti and Spinnler2008) ont mis en évidence la présence d’un gradient temporel en faveur des événements anciens qui était plus prononcé dans un groupe de patients TCLa comparativement à un groupe contrôle. Pour obtenir ces résultats, ils ont toutefois dû faire appel à des transformations peu communes dans lesquelles les résultats observés étaient comparés à des valeurs prédites par une régression linaire provenant de données normatives. À l’inverse, les deux autres équipes (Leyhe et al., Reference Leyhe, Müller, Eschweiler and Saur2010; Thomas-Antérion et al., Reference Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers and Laurent2006a) ont fait ressortir des profils de réponses similaires entre les groupes de patients TCLa et leur groupe contrôle à travers les époques, c’est-à-dire une absence de gradient temporel. Le type de stimuli choisi pourrait en partie être responsable de ces divergences, puisque les événements qui composaient les protocoles de Thomas-Antérion et de Leyhe étaient de type durable, alors que cette information n’est pas spécifiée dans le cas Bizzozero, mais plusieurs items semblent se référer à des faits locaux. C’est dans le but d’étudier cet aspect dans le cadre de recherches futures que les deux types d’événements ont été intégrés, de manière exploratoire, dans le présent protocole. L’analyse d’items ayant permis de sélectionner les questions les plus discriminantes pour élaborer le PUB-12 a d’ailleurs engendré une perte de l’équilibre entre les questions relatives aux événements de type transitoire et durable, ce qui plaide en faveur d’une plus grande sensibilité des événements transitoires dans la détection de trouble de mémoire rétrograde chez les patients présentant un trouble cognitif léger de type amnésique.
Dans la DTA, beaucoup plus d’études ont été effectuées à l’aide de tests portant sur des événements publics, mais les protocoles utilisés sont d’autant plus variables et les résultats difficilement comparables. On note cependant que, contrairement à ce que propose la Loi de Ribot et à ce qui est largement accepté parmi la communauté scientifique et clinique, l’amnésie rétrograde retrouvée dans la DTA n’est pas systématiquement caractérisée par une meilleure préservation des souvenirs anciens comparativement aux souvenirs plus récents. C’est du moins ce qu’ont démontré certains chercheurs, et ce, tant avec des tests composés d’événements de type transitoires (Imbeault, Reference Imbeault2005; Leplow, Reference Leplow1997) que durables (Leyhe et al., Reference Leyhe, Müller, Eschweiler and Saur2010; Thomas-Antérion et al., Reference Thomas-Antérion, Collomb, Borg, Nevers and Laurent2006a). Par conséquent, en dépit du fait que la mémoire rétrograde ait été amplement étudiée dans la DTA, le présent protocole pourrait permettre d’éclaircir certaines questions qui subsistent toujours.
Enfin, bien que cet instrument ait été construit minutieusement, deux limites inhérentes au protocole doivent être soulignées. Premièrement, ce questionnaire est spécifiquement adapté à la population québécoise francophone. Il sera donc du devoir du clinicien de s’assurer que l’utilisation de cet instrument est appropriée pour chacun de ses patients, en considérant son milieu et ses origines culturels, sa langue, mais aussi ses habitudes de vie concernant les médias et le fait qu’il ait ou non passé une période significative de temps à l’extérieur du Québec. Deuxièmement, le protocole devra être mis à jour avec les années. De nouvelles questions portant sur des événements médiatisés au cours des dernières années devront être ajoutées au fil du temps et de nouvelles données de référence devront être recueillies. Par ailleurs, rappelons que l’échantillon qui a permis de recueillir les données de référence n’est pas représentatif de la population québécoise, notamment quant au ratio d’hommes et de femmes. Néanmoins, ces proportions se rapprochent grandement de celles que l’on retrouve au Québec chez les personnes âgées de plus de 65 ans qui sont atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. En effet, en 2007, le nombre de femmes représentait près du deux tiers de ces malades (Alzheimer Montreal - http://www.alzheimermontreal.ca/maladie/statistiques.php).
Pour terminer, nous avons mis en évidence l’utilité clinique de ce questionnaire pour distinguer un groupe de patients atteints de TCLa de personnes âgées saines, mais il est évident que la disponibilité nouvelle d’un outil permettant d’évaluer la mémoire rétrograde aura une portée beaucoup plus large. En effet, sachant que certains syndromes sont difficilement différentiables uniquement sur le plan de l’atteinte mnésique antérograde, ce test pourrait être utilisé pour favoriser un meilleur diagnostic différentiel. Il serait donc intéressant de mener des études systématiques à l’aide de ce nouvel instrument pour caractériser et comparer le profil d’atteinte de la mémoire rétrograde que l’on retrouve dans différentes conditions telles que le syndrome anxiodépressif et le TCLa ou bien la DTA et d’autres types de démence comme les dégénérescences lobaires frontotemporales et la démence à corps de Lewy. Également, il sera maintenant possible de documenter l’amnésie rétrograde résiduelle qui peut survenir à la suite de certains traitements telle une thérapie par électrochocs (Lisanby, Maddox, Prudic, Devanand, & Sackeim, Reference Lisanby, Maddox, Prudic, Devanand and Sackeim2000). Enfin, il serait intéressant d’explorer la validité de ce test dans l’évaluation de la simulation des troubles mnésiques.