Le Canada et le droit international de l’investissement en 2018
La politique juridique extérieure du Canada en matière d’investissement apparaît plus éclatée que jamais en 2018. À travers sa pratique conventionnelle, le Canada réussit à embrasser des positions en parfaite contradiction les unes par rapport aux autres en ce qui concerne le règlement des différends entre investisseur et État (RDIE). Il poursuit l’approche traditionnelle de l’arbitrage investisseur/État avec son programme d’accords de promotion et de protection des investissements étrangers (APIE), ainsi qu’avec le sauvetage de l’Accord de partenariat transpacifique (PTP)Footnote 1 au moyen d’un nouvel Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).Footnote 2 Il remet parallèlement en question cette même approche avec l’Union européenne dans l’Accord économique et commercial global (AÉCG),Footnote 3 en mettant en place un système juridictionnel de RDIE et, de manière encore plus marquée avec l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACÉUM)Footnote 4 issu de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA),Footnote 5 en abandonnant toute forme de RDIE. L’abandon de l’arbitrage investisseur/État avec les États-Unis constitue un véritable changement de paradigme pour le Canada, puisque les réclamations des investisseurs américains sur la base du chapitre 11 de l’ALÉNA en ont fait un pionnier du RDIE et l’un des pays les plus poursuivis par des investisseurs étrangers. Le Canada adhère ainsi simultanément à toutes les grandes propositions de réforme du RDIE à l’échelle mondiale, épousant la position des parties avec lesquelles il négocie, sans ligne directrice claire, même entre pays développés.Footnote 6 Pourtant, des pays comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande arrivent à suivre une approche relativement cohérente à l’égard du RDIE dans leur propre pratique conventionnelle. Sur le plan du contentieux d’investissement qui intéresse le Canada, une seule sentence sur le fond a été rendue en 2018 dans l’affaire Mercer c Canada,Footnote 7 se soldant par une autre défaite pour un investisseur américain. Le chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM et l’affaire Mercer font l’objet de développements particuliers dans la chronique cette année. Un tour d’horizon des principaux autres faits marquants de l’année est d’abord effectué.
PRATIQUE CONVENTIONNELLE DU CANADA
Après l’abandon du PTP par les États-Unis en 2017, les onze parties restantes, dont le Canada, sont convenues du PTPGP au début de 2018, lequel est entré en vigueur le 30 décembre entre six premières parties.Footnote 8 Malgré la modification cosmétique apportée au titre avec l’ajout des mots “global et progressiste,” le PTPGP est un accord comprenant seulement sept articles et une annexe unique, visant exclusivement à incorporer le PTP, sans lui ajouter de nouvelles dispositions, si ce n’est une réaffirmation dans le préambule de:
l’importance de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises, l’identité et la diversité culturelles, la protection et la conservation de l’environnement, l’égalité des sexes, les droits des Autochtones, les droits dans le domaine du travail, le commerce inclusif, le développement durable et le savoir traditionnel, ainsi que l’importance de préserver [le] droit [des Parties] de réglementer dans l’intérêt public.Footnote 9
Autrement, l’application de certaines dispositions du PTP visées par l’annexe du PTPGP est suspendue et quelques modifications bilatérales lui sont aussi apportées au moyen d’échanges de lettres. Ces modifications touchent entre autres au chapitre du PTP sur l’investissement, qui reprend essentiellement le modèle des États-Unis.Footnote 10 Suivant ce modèle, le défunt PTP prévoyait deux autres causes d’action, en plus de la violation des règles matérielles du traité, soit la violation du contrat d’État ou celle de l’autorisation administrative d’investissement.Footnote 11 Ces causes d’action introduites à la demande des États-Unis sont suspendues — et non abrogées — par le PTPGP, les parties ayant préféré avec raison s’en tenir à l’approche traditionnelle du RDIE par souci de cohérence et de sécurité juridique.Footnote 12 Il peut être mis fin à cette suspension au moyen d’un accord à cet effet.
Dans un échange de lettres avec chacune des autres parties, le Canada a aussi retiré une concession qu’il avait faite aux États-Unis dans le domaine culturel.Footnote 13 Il faut rappeler qu’il n’avait pas réussi à faire inscrire une exemption culturelle dans le PTP, contrairement à sa pratique conventionnelle habituelle. Il a plutôt dû se contenter de soustraire ce secteur sensible au moyen d’une réserve à certaines dispositions seulement du chapitre sur l’investissement, soit la clause de la nation la plus favorisée (NPF), la clause du traitement national (TN), la clause de liberté d’exploitation et la clause sur la nationalité du personnel clé.Footnote 14 À la demande des États-Unis, le Canada avait cependant dû exclure de sa réserve les mesures imposant une contribution financière aux investisseurs du PTP pour le développement du contenu canadien, ou limitant l’accès au contenu audiovisuel étranger en ligne. Cette concession faite aux États-Unis est retirée du PTPGP par l’échange de lettres.
Certaines parties s’éloignent de manière significative de l’approche traditionnelle du RDIE dans le PTPGP. D’abord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont reconduit l’abolition du RDIE dans leurs rapports mutuels, comme elles l’avaient fait au moment de la signature du PTP.Footnote 15 Seules les règles matérielles du chapitre sur l’investissement s’appliquent, sans recours à l’arbitrage pour les investisseurs. La Nouvelle-Zélande fait maintenant de même avec le Pérou, dans un nouvel échange de lettres.Footnote 16 Ensuite, elle innove en abandonnant la technique du consentement dissocié à l’arbitrage dans des échanges de lettres avec le Brunei Darussalam, la Malaisie et le Vietnam.Footnote 17 Aucune offre d’arbitrage de la part de ces États ne peut être déduite de la clause d’arbitrage investisseur/État, le consentement des deux parties devant être obtenu spécifiquement après la naissance du différend. Cette approche constitue un changement de paradigme fondamental en droit international de l’investissement, en revenant à l’approche de l’arbitrage classique où la rencontre des consentements est normalement simultanée.
Bien que l’AÉCG soit appliqué provisoirement depuis le 21 septembre 2017, l’essentiel de son chapitre sur l’investissement ne l’est toujours pas en raison de la controverse l’entourant dans l’Union européenne.Footnote 18 À la fin 2018, onze États membres l’ont ratifié, alors que l’arrêt de la Cour constitutionnelle d’Allemagne sur la compatibilité du RDIE avec la Constitution du pays n’a toujours pas été rendu, tout comme l’avis demandé par la Belgique à la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du système juridictionnel de RDIE avec le droit de l’Union.Footnote 19 Dans son avis rendu en 2018 dans l’affaire Slowakische Republik c Achmea,Footnote 20 la Cour de justice conclut à l’incompatibilité de l’arbitrage investisseur/État prévu par un accord bilatéral entre deux États membres. Malgré ces obstacles à la ratification de l’AÉCG et l’inapplication de son système juridictionnel de RDIE, l’Union européenne poursuit ses initiatives visant à le mettre en œuvre. D’une part, une fuite a rendu public un projet de décision en vue de la création du tribunal d’appel, du code de conduite des juges ainsi que des règles de médiation au sein de ce système, dont les détails ne sont pas fixés par l’AÉCG.Footnote 21 D’autre part, le Conseil de l’Union européenne a adopté ses directives en vue de la négociation par la Commission européenne d’un accord établissant un tribunal multilatéral d’investissement, comme l’envisage l’AÉCG en prévision du remplacement de son système juridictionnel.Footnote 22
Le nombre total d’APIE en vigueur pour le Canada s’élève à 38 à la fin de l’année 2018, plaçant toujours le Canada en queue de peloton des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à cet égard. Deux nouveaux APIE dits progressistes ont été signés en 2018 avec des pays européens, la Moldavie et le Kosovo, l’accord avec ce dernier étant aussi entré en vigueur à la fin de l’année.Footnote 23 Ces accords sont dits progressistes en raison d’une déclaration conjointe des parties qui accompagne chacun d’eux, dans laquelle elles s’engagent de manière générale à collaborer afin de
rendre les politiques internationales sur le commerce et les investissements plus progressistes et plus inclusives afin de permettre à tous les membres de la société, particulièrement les femmes, d’avoir une incidence positive sur la croissance économique ainsi que d’aider à réduire les inégalités et la pauvreté.Footnote 24
En outre, les parties réitèrent explicitement dans leurs déclarations le droit des États de légiférer et elles reconnaissent le rôle important joué par la société civile dans les questions entourant le RDIE, de même que le besoin d’éviter les conflits d’intérêts et celui d’assurer un meilleur accès au RDIE pour les petites et moyennes entreprises (PME). Il faut cependant noter que la clause sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) typique des APIE du Canada n’est pas reprise dans l’accord avec la Moldavie. Les négociations d’un APIE avec les Émirats arabes unis ont aussi été couronnées de succès en 2018, l’accord n’étant cependant toujours pas signé à la fin de l’année. S’il voit finalement le jour, cet accord signifiera que l’un des plus anciens fonds souverains au monde, l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), qui gère des actifs de 696,7 milliards $US, aura désormais un accès et une protection accrues dans l’économie canadienne.Footnote 25
DIFFÉRENDS IMPLIQUANT LE CANADA OU DES INVESTISSEURS CANADIENS
En plus de la sentence sur le fond rendue dans l’affaire Mercer, deux autres sentences impliquant le Canada dans lesquelles le tribunal arbitral a affirmé sa compétence ont été rendues en 2018. Dans l’affaire Mobil Investments c Canada (II),Footnote 26 le tribunal a rejeté les arguments du Canada qui tentait de faire valoir que la réclamation de l’investisseur américain était prescrite et frappée de la res judicata, puisque sa réclamation identique a été victorieuse en 2012 dans l’affaire Mobil Investments c Canada (I).Footnote 27 Comme le Canada a indemnisé l’investisseur sans retirer pour autant sa mesure, le tribunal a jugé qu’il était compétent et que la nouvelle réclamation de la société pétrolière était recevable concernant le préjudice postérieur à 2012. Le maintien de la mesure a fait débuter un nouveau délai de prescription pour la seconde réclamation et la première affaire n’a pas réglé définitivement l’indemnisation du préjudice subi après 2012. La responsabilité du Canada demeurant établie par l’affaire Mobil Investments (I), il reste au tribunal arbitral à se prononcer sur l’indemnisation du nouveau préjudice.
Dans l’affaire Resolute Forest Products c Canada,Footnote 28 le tribunal rejette également la plupart des arguments du Canada qui conteste sa compétence et la recevabilité de la réclamation d’une société papetière américaine détenant une usine de papier satiné au Québec, en raison des mesures de soutien accordées par la Nouvelle-Écosse à l’endroit d’une usine concurrente dans cette province. Le tribunal arbitral se penche longuement sur la question de savoir s’il s’agit de mesures “concernant” un investisseur ou un investissement au sens de l’article 1101(1) de l’ALÉNA, pour conclure par l’affirmative en adoptant le test de la connexion juridique significative (“legally significant connection”) développé dans l’affaire Methanex c États-Unis.Footnote 29 Il rejette aussi l’argument du Canada suivant lequel la clause du TN lorsqu’appliquée à la mesure d’une province ne peut viser que des investisseurs étrangers établis dans celle-ci. Le tribunal donne cependant raison au Canada qui invoque l’exclusion des mesures fiscales de l’article 2103 de l’ALÉNA, en déclinant compétence à l’égard des mesures de cette nature prises par la Nouvelle-Écosse.
Une nouvelle réclamation de 470 millions $CA a été introduite en 2018 contre le Canada en lien avec la fermeture programmée des centrales thermiques au charbon en Alberta, dans l’affaire Westmoreland c Canada.Footnote 30 L’investisseur américain estime que le Canada a violé les clauses du TN et celle du traitement juste et équitable (TJE) parce que la province l’aurait exclu du plan d’indemnisation pour les entreprises touchées par cette mesure. Le nombre d’affaires pendantes contre le Canada s’élève à sept à la fin 2018, dont six sont fondées sur l’ALÉNA, dans un contexte où les investisseurs américains perdront leur recours à l’arbitrage après l’entrée en vigueur de l’ACÉUM. Il s’agit des affaires Clayton/Bilcon c Canada,Footnote 31 Lone Pine Resources c Canada,Footnote 32 Mobil Investments (II), Resolute Forest Products et Tennant Energy c Canada.Footnote 33 La Cour fédérale a rejeté la demande d’annulation de la sentence arbitrale qui a établi la responsabilité du Canada dans l’affaire Clayton/Bilcon, au motif qu’aucune erreur de compétence n’a été commise par le tribunal arbitral, permettant à l’arbitrage de se poursuivre afin d’établir le quantum des dommages.Footnote 34 Seule l’affaire Global Telecom Holding c Canada Footnote 35 est fondée sur un autre accord, soit l’APIE Canada-Égypte.
Quant aux différends impliquant des investisseurs canadiens, aucune sentence sur le fond n’a été rendue en 2018. Le tribunal arbitral a affirmé sa compétence dans l’affaire Lion Mexico Consolidated c Mexique,Footnote 36 où le Mexique contestait que le financement du projet de développement immobilier à l’origine du différend constitue un investissement au sens de l’article 1139 de l’ALÉNA. Le tribunal conclut que le prêt hypothécaire en l’espèce constitue bien un tel investissement. Quatre nouvelles réclamations ont été introduites au cours de l’année par des investisseurs canadiens contre des États étrangers, sur la base de l’APIE Canada-Serbie dans l’affaire Rand Investments c Serbie,Footnote 37 qui met en cause un différend concernant une entreprise agricole, ainsi que sur la base de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie avec trois différends miniers dans les affaires Red Eagle Exploration c Colombie,Footnote 38 Galway Gold c Colombie Footnote 39 et Gran Colombia Gold Corp c Colombie.Footnote 40 Les dix autres affaires pendantes impliquant des investisseurs canadiens portent aussi sur des différends miniers, à l’exception de l’affaire Air Canada c Venezuela Footnote 41 qui concerne un différend dans le domaine du transport aérien. Il s’agit des affaires Alhambra c Kazakhstan,Footnote 42 Gold Pool c Kazakhstan,Footnote 43 World Wide Minerals c Kazakhstan,Footnote 44 Stans Energy c Kirghizstan (II),Footnote 45 Eco Oro c Colombie,Footnote 46 Zamora Gold c Équateur,Footnote 47 Infinito Gold c Costa Rica,Footnote 48 Lumina Copper c Pologne Footnote 49 et Gabriel Resources c Roumanie.Footnote 50
Le chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM
La difficile renégociation de l’ALÉNA s’est soldée par la signature de l’ACÉUM le 30 novembre 2018, nouvel accord de libre-échange nord-américain destiné à remplacer le premier lorsqu’il entrera en vigueur. Les parties n’ont pas encore ratifié l’accord à la fin de l’année 2018 et certains obstacles politiques barrent toujours la voie à une ratification rapide. Ces obstacles n’ont toutefois pas de rapport particulier avec l’investissement, contrairement aux difficultés que connaît la ratification de l’AÉCG. L’ACÉUM comporte toujours un chapitre sur l’investissement, mais celui-ci connaît des modifications fondamentales. S’il prescrit toujours des règles matérielles sur l’admission et la protection des investissements étrangers, le chapitre abandonne toute forme de RDIE en ce qui concerne le Canada, alors qu’il maintient l’arbitrage investisseur/État entre les États-Unis et le Mexique.
Ces modifications ont été apportées à la demande des États-Unis, l’administration Trump n’ayant pas caché son aversion pour le RDIE, spécialement entre pays développés. La défunte poursuite de 500 milliards $US de TransCanada Corporation contre les États-Unis, en lien avec le blocage initial du projet de pipeline Keystone XL, ne serait pas étrangère à cette position tranchée.Footnote 51 Le Canada revient ainsi à l’approche du premier accord de libre-échange avec les États-Unis, qui contenait aussi un chapitre sur l’investissement prescrivant des règles matérielles, sans prévoir de recours pour les investisseurs lésés.Footnote 52 Le chapitre sur l’investissement de l’accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis représente un autre exemple d’accord sur l’investissement prévoyant des règles matérielles sans clause de RDIE.Footnote 53 Il prévoit toutefois que les parties doivent entrer en consultation sur l’opportunité d’introduire une telle clause dans l’accord si les circonstances devaient changer à ce sujet, ce que l’ACÉUM ne fait pas.Footnote 54
LE MAINTIEN DE L’ACQUIS DU PTPGP SUR LE PLAN DES RÈGLES MATÉRIELLES
Les règles matérielles de l’ALÉNA sur l’admission et la protection des investissements étrangers sont reconduites dans l’ACÉUM, avec quelques innovations juridiques mineures s’inspirant surtout du PTPGP.
Champ d’application
Le champ d’application du chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM est très proche de celui de l’ALÉNA. La définition de la notion d’“investissement” abandonne l’approche exhaustive fondée sur l’entreprise habituellement suivie par le Canada, au profit d’une approche objective fondée sur les actifs à l’instar de l’AÉCG et du PTPGP.Footnote 55 Si l’essentiel des opérations d’investissement est assurément capté par les deux approches, il est possible que le recoupement ne soit pas parfait, la nouvelle définition ouverte introduisant un élément d’incertitude additionnel. La notion d’“investisseur” désigne toujours une personne physique, une personne morale ou un État, mais une nouvelle disposition inspirée de l’AÉCG apporte des précisions au sujet des doubles nationaux et des résidents permanents: seule la nationalité dominante et effective compte pour le double national, alors que le résident permanent d’une partie qui est aussi le national d’une autre partie est réputé n’être que le ressortissant de son État de nationalité.Footnote 56 Cette disposition codifie la solution trouvée par les arbitres dans l’affaire Feldman c Mexique;Footnote 57 elle vise à préserver l’extension de la protection du chapitre aux résidents permanents d’une partie provenant d’un État tiers, tout en empêchant de permettre que les ressortissants d’une partie puissent bénéficier de la protection du chapitre contre celle-ci en raison de leur résidence permanente dans une autre partie.
L’ACÉUM s’applique toujours à la phase pré- et post-investissement, conformément à la pratique habituelle du Canada et des États-Unis, par l’application des clauses NPF et du TN aux deux phases.Footnote 58 Une innovation du PTPGP est reprise dans l’ACÉUM, exigeant que des démarches concrètes aient été faites par l’investisseur, comme une demande de permis ou l’affectation de ressources en vue d’établir une présence commerciale, afin de pouvoir bénéficier de la protection de l’accord à la phase pré-investissement.Footnote 59
Les services financiers ainsi que les industries culturelles sont toujours exclus du champ d’application de l’accord, uniquement en ce qui concerne le Canada et moyennant le droit des autres parties d’adopter des mesures de rétorsion dans le dernier cas.Footnote 60 Les exceptions générales de l’ACÉUM sont toujours inapplicables au chapitre sur l’investissement, comme dans l’ALÉNA et le PTPGP, mais contrairement aux autres accords du Canada.Footnote 61 Le Canada n’aura pas réussi à convaincre les États-Unis de permettre la justification des mesures autrement incompatibles avec le chapitre lorsqu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général comme la protection de la santé ou de l’environnement. En revanche, les exceptions de l’ACÉUM en matière de sécurité, de fiscalité et de balance des paiements demeurent applicables au chapitre sur l’investissement.Footnote 62 Une nouvelle exception au profit des droits des peuples autochtones est enfin introduite, permettant aux parties de justifier les mesures autrement incompatibles prises en exécution de leurs obligations juridiques envers les peuples autochtones, ce qui comprend pour le Canada les obligations découlant de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 Footnote 63 ou d’accords d’autonomie gouvernementale.Footnote 64 Cette nouvelle exception “autochtone” rappelle une disposition équivalente dans le PTPGP applicable exclusivement à la Nouvelle-Zélande;Footnote 65 elle rompt avec l’approche antérieure du Canada qui consistait à formuler une réserve à l’égard de certaines clauses seulement concernant les droits des peuples autochtones, approche qu’il maintient parallèlement à l’exception dans l’ACÉUM.Footnote 66 L’approche de l’exception “autochtone” vise maintenant toutes les obligations de l’accord pour toutes les parties. Elle s’inscrit aussi dans le sillage de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui estime que ces droits présentent un “caractère international” et doivent être “reconnus et effectivement appliqués” par les États.Footnote 67
Règles de fond soumises à des réserves
Comme dans l’ALÉNA et tous les autres accords du Canada, les principales règles de fond du chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM se divisent en deux catégories, soit celles qui sont soumises à des réserves, offrant ainsi une libéralisation prospective, et celles qui offrent une protection juridique immédiate sans pouvoir faire l’objet de réserve. Dans la première catégorie se trouvent les clauses NPF, du TN, de liberté d’exploitation (interdisant certaines prescriptions de résultats) et sur le personnel-clé.Footnote 68 Ces règles de fond sont assujetties aux habituelles réserves, protégeant certaines mesures incompatibles existantes au moyen de clauses d’antériorité, dont toute la législation des provinces canadiennes et des États américains et mexicains, ainsi que préservant le droit des parties d’adopter ou de maintenir des mesures incompatibles dans une série de secteurs jugés sensibles.Footnote 69 Une innovation opportune du PTPGP est reprise dans l’ACÉUM en ce qui concerne la clarification de la notion de “circonstances similaires,” qui délimite la portée de l’obligation de garantir le traitement NPF et le traitement national.Footnote 70 L’ACÉUM précise ainsi que pour établir la similarité des circonstances dans lesquelles se trouvent des investisseurs ou leurs investissements, il faut examiner l’ensemble des circonstances, y compris si une distinction est établie “en fonction d’objectifs légitimes de bien-être public.”Footnote 71 Il s’agit d’une codification de la pratique arbitrale développée sous l’ALÉNA, notamment dans l’affaire Pope & Talbot c Canada,Footnote 72 afin de permettre la prise en compte du droit de l’État de légiférer dans l’intérêt général en l’absence d’exceptions générales.
Une dernière innovation est apportée à la clause NPF afin de limiter son utilisation. Les accords récents du Canada prévoient systématiquement que la clause NPF ne permet pas de bénéficier des dispositions plus favorables d’autres accords en matière de règlement des différends, afin de ne pas élargir les conditions d’accès au RDIE comme le tribunal arbitral l’a fait dans l’affaire Maffezini c Espagne.Footnote 73 La question de savoir si la clause NPF permet d’invoquer les dispositions de fond plus favorables d’autres accords demeure ouverte dans l’ALÉNA, même si certains tribunaux arbitraux ont estimé que seule une discrimination concrète fondée sur un accord plus favorable avec un État tiers peut être invoquée, et non la disposition de fond plus favorable d’un tel accord dans l’abstrait.Footnote 74 L’AÉCG est le premier accord du Canada à avoir codifié cette solution dans la clause NPF, puisqu’il précise que les obligations de fond d’un accord conclu avec un État tiers ne constituent pas en soi un “traitement” au sens de la clause NPF en l’absence de mesures adoptées au titre de ces obligations.Footnote 75 L’ACÉUM reprend ces deux limites concernant les règles de fond et de RDIE dans les accords conclus avec un État tiers; cependant, elles ne sont pas fixées dans la clause NPF elle-même, mais uniquement pour les fins de la clause de RDIE entre les États-Unis et le Mexique.Footnote 76 Ces limites semblent clairement ne viser que le RDIE, puisqu’il est mentionné qu’elles valent “pour l’application du présent paragraphe.”Footnote 77 Cela semble devoir signifier que la clause NPF elle-même n’est pas ainsi limitée et que les dispositions plus favorables prévues par un accord avec un État tiers pourraient être invoquées par une partie dans un différend interétatique, mais qu’elles ne pourraient pas l’être par un investisseur américain ou mexicain dans un arbitrage mixte. Par souci de clarté et de cohérence, il aurait été préférable de fixer ces limites directement dans la clause NPF, comme le Canada le fait habituellement.
Règles de fond non soumises à des réserves
Dans la seconde catégorie de règles de fond se trouvent les clauses TJE, d’expropriation, de liberté de transfert et de traitement en cas de conflit armé, offrant une protection immédiate et sans réserve aux investisseurs étrangers.Footnote 78 Ces clauses codifient la pratique conventionnelle subséquente à l’ALÉNA concernant la clause TJE, dont les Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11 de l’ALÉNA adoptées par la Commission du libre-échange nord-américain en 2001.Footnote 79 Ainsi le TJE se limite-t-il à la norme minimale de traitement des étrangers de la coutume internationale et la violation d’une obligation internationale ne constitue pas en soi une violation du TJE.Footnote 80 En outre, les innovations mineures apportées à la clause TJE par le PTPGP sont toutes reprises dans l’ACÉUM: confirmation de l’inclusion du déni de justice et de la nécessité d’offrir le niveau de protection policière requis par la coutume internationale; confirmation de l’exclusion de la protection des attentes des investisseurs; annexe sur la compréhension commune des parties de la notion de “droit international coutumier.”Footnote 81 Comme le PTPGP, la clause sur le traitement en cas de conflit armé ajoute à l’obligation d’offrir un traitement non discriminatoire en cas de pertes subies dans un tel contexte une obligation additionnelle d’indemnisation en cas de réquisition ou de destruction non nécessaire de l’investissement par les autorités d’une partie.Footnote 82 Il faut noter que l’ACÉUM comme l’ALÉNA et le PTPGP excluent le traitement en cas de catastrophe naturelle de cette clause, contrairement aux autres accords du Canada qui l’incluent habituellement.Footnote 83 La clause d’expropriation de l’ACÉUM est enfin assortie de l’annexe interprétative sur l’expropriation indirecte que l’on retrouve dans tous les accords récents du Canada, afin de clarifier cette notion et de rappeler la doctrine des pouvoirs de police de l’État.Footnote 84 À nouveau, l’ACÉUM suit l’approche du PTPGP à cet égard, plutôt que celle de l’AÉCG, qui ajoute un test de proportionnalité entre l’objectif d’intérêt général poursuivi par la mesure et son effet sur l’investissement dans l’application de la doctrine des pouvoirs de police.Footnote 85
Comme le PTPGP, l’ACÉUM réaffirme le droit de l’État de légiférer dans l’intérêt général, non seulement en matière environnementale comme le fait l’ALÉNA, mais aussi en matière de santé, de sécurité ou d’autres “objectifs réglementaires.”Footnote 86 Par contre, cette réaffirmation demeure faible puisqu’elle est limitée par la condition que les mesures prises à ce titre soient conformes aux obligations du chapitre sur l’investissement, ce qui vide à toute fin pratique la clause de son sens. En comparaison, l’affirmation du droit de légiférer par l’AÉCG apparaît plus musclée puisqu’elle n’est pas soumise à une telle limite.Footnote 87 L’ACÉUM comprend enfin l’habituelle clause de refus des avantages, que l’on retrouve aussi dans l’ALÉNA, mais elle l’élargit pour viser aussi le cas de l’investisseur national qui utiliserait une société-écran d’une autre partie pour investir dans son État d’origine.Footnote 88 L’ACÉUM ajoute une nouvelle dimension à la clause de refus des avantages en permettant même à une partie de refuser l’accès au RDIE à tout investisseur détenu par une personne provenant d’un État tiers n’ayant pas une économie de marché, ce qui semble a priori viser la Chine.Footnote 89 La clause usuelle de subrogation en matière d’assurance-investissement publique est aussi prévue, alors qu’elle ne l’était pas dans l’ALÉNA, de même que celle plus récente sur la RSE, dans laquelle il est convenu d’encourager les investisseurs à respecter les principes internationalement reconnus en la matière.Footnote 90
LE MAINTIEN PARTIEL DE L’ARBITRAGE INVESTISSEUR/ÉTAT ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET LE MEXIQUE
La clause de RDIE aurait été partiellement maintenue entre les États-Unis et le Mexique à la demande du gouvernement mexicain sortant, afin d’éviter l’annulation d’importantes réformes effectuées dans ce pays dans certains secteurs-clés de l’économie. Par ailleurs, l’historique chargé du traitement des biens américains au Mexique au début du siècle dernier explique sans doute aussi ce maintien partiel. L’ACÉUM prévoit ainsi un régime général et un régime sectoriel de RDIE entre les deux pays, tous deux plus limités que le régime prévu par l’ALÉNA. Une nouvelle restriction à l’accès aux deux régimes est introduite par l’ACÉUM en ce qui concerne les réclamations concernant la dette publique, s’inspirant du PTPGP et de l’AÉCG.Footnote 91
Régime général de RDIE
Le régime général de RDIE de l’ACÉUM reprend essentiellement le modèle de l’ALÉNA, offrant aux investisseurs le choix entre les mêmes règles d’arbitrage, soit la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (Convention CIRDI),Footnote 92 le mécanisme supplémentaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) et le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), avec l’ajout de tout autre règlement d’arbitrage avec le consentement de l’État défendeur.Footnote 93 La possibilité de demander la jonction de plaintes est toujours prévue, tandis que de nouvelles dispositions sur la conduite de l’arbitrage et la transparence de la procédure codifient la pratique développée sous le régime de l’ALÉNA en ce qui concerne par exemple le droit du tribunal arbitral de recevoir des mémoires d’amicus curiae et la publicité des documents et des audiences.Footnote 94 La portée matérielle du régime général est cependant fortement limitée par rapport à l’ALÉNA, puisque la réclamation de l’investisseur ne peut porter que sur la violation de la clause NPF et de la clause TN et ce, à l’exclusion de la phase préinvestissement, ainsi que sur celle de la clause d’expropriation et ce, à l’exclusion de l’expropriation indirecte.Footnote 95 Cette exclusion du RDIE à la phase préinvestissement rappelle la position prise par le Canada dans l’AÉCG; elle rendra cruciale l’identification par le tribunal arbitral de la phase à laquelle l’investisseur se trouvait lors de la naissance du différend.Footnote 96
Régime sectoriel de RDIE
En plus de ce régime général, un second régime de RDIE permet à l’investisseur de faire une réclamation concernant la violation de toutes les règles de fond du chapitre sur l’investissement, comme dans l’ALÉNA, mais uniquement dans certains secteurs précis de l’économie et à la condition que son investissement soit gouverné par un contrat d’État.Footnote 97 Les secteurs ainsi visés sont le pétrole et le gaz, l’électricité, les télécommunications, les services de transport et les infrastructures de transport routier, ferroviaire et les canaux et barrages.Footnote 98 De plus, ce régime sectoriel n’est ouvert que si la partie visée par la réclamation demeure liée par au moins un autre accord sur l’investissement prévoyant le RDIE.
L’ABANDON DU RDIE PAR LE CANADA ET SES CONSÉQUENCES
Le Canada est complètement soustrait au RDIE dans l’ACÉUM, tant dans ses rapports avec les États-Unis qu’avec le Mexique.Footnote 99 Un régime transitoire de trois ans est prévu afin de maintenir temporairement l’accès au RDIE pour les investissements réalisés avant l’extinction de l’ALÉNA et qui existeront encore lors de l’entrée en vigueur de l’ACÉUM.Footnote 100 Il faut rappeler que le RDIE demeure applicable dans les relations entre le Canada et le Mexique en vertu du chapitre sur l’investissement du PTPGP. Le véritable changement réside donc dans les rapports entre le Canada et les États-Unis. Il s’agit a priori d’un gain pour le Canada puisqu’il ne sera plus exposé aux réclamations des investisseurs américains, lui qui a été poursuivi vingt-sept fois par ceux-ci sur la base de l’ALÉNA depuis 1994. Bien sûr les investisseurs canadiens aux États-Unis perdent également leur recours au RDIE. Son abandon risque fort bien de ne pas signifier la fin des différends entre les investisseurs américains et le Canada, ou les investisseurs canadiens et les États-Unis, puisque le fait économique de l’investissement entre les deux pays va continuer d’exister. La voie directe du RDIE entre ces investisseurs et le Canada ou les États-Unis n’existant plus, c’est la manière dont ces différends se manifestent qui changera. Il est ainsi possible d’imaginer plusieurs nouvelles voies pour la manifestation et le règlement de ces différends.
Le recours au “treaty shopping”
Les investisseurs américains ou canadiens pourraient structurer ou restructurer leur investissement de manière à bénéficier du RDIE prévu par un accord conclu par le Canada ou les États-Unis avec un État tiers. L’investissement par le truchement d’une société-écran ou d’une filiale établie dans un tel État leur permettrait ainsi de se placer sous la protection d’un accord prévoyant le RDIE. Certaines limites sont toutefois posées à ce “treaty shopping” en droit international de l’investissement. D’abord, il est bien établi qu’une restructuration corporative postérieure à la naissance du différend constitue un abus de droit qui empêche l’investisseur de bénéficier du RDIE.Footnote 101 Ensuite, les accords du Canada et des États-Unis comportent habituellement une clause de refus des avantages qui vise précisément à freiner le “treaty shopping” en permettant à l’État défendeur de refuser aux sociétés-écran l’accès au RDIE: seules les sociétés qui mènent des activités économiques substantielles sur le territoire de l’État où elles sont constituées peuvent bénéficier du RDIE. La clause de refus des avantages ne permettrait donc pas de bloquer l’investissement réalisé par le truchement d’une filiale menant de telles activités sur le territoire de cet autre État.
Le recours au règlement interétatique des différends
Comme l’ACÉUM prévoit toujours des règles de fond en matière d’investissement, le Canada ou les États-Unis pourraient aussi déposer eux-mêmes une plainte l’un contre l’autre dans le cadre du mécanisme interétatique de règlement des différends de l’accord.Footnote 102 Cette “repolitisation” du règlement des différends relatifs à l’investissement soulève toutefois une série de questions juridiques quant à son application, dont celle de savoir si les recours internes de l’investisseur lésé doivent être préalablement épuisés. La rare pratique arbitrale sur la question répond par l’affirmative lorsqu’une partie endosse la réclamation de son investisseur.Footnote 103 Une autre question qui se pose est celle de savoir si le mécanisme interétatique de règlement des différends d’un accord de libre-échange comme l’ACÉUM permet la réclamation de dommages-intérêts ou s’il ne se limite pas plutôt à la demande de mise en conformité avec l’accord ou la compensation mutuellement acceptable au moyen d’une nouvelle concession tarifaire, à l’instar du mécanisme de l’OMC. Le mécanisme interétatique de l’ACÉUM ne semble pas fermer totalement la porte à l’indemnisation financière, puisque les parties doivent s’efforcer “de convenir d’une solution au différend” et qu’elles peuvent convenir “d’une autre réparation” que le retrait de la mesure ou la compensation mutuellement acceptable.Footnote 104 Enfin, il n’est pas clair si l’ACÉUM prévoit le principe de l’exclusivité de son mécanisme interétatique de règlement des différends, ou si les parties pourraient soumettre leur réclamation à un autre forum, comme la Cour permanente d’arbitrage ou la Cour internationale de Justice.
Le recours au compromis d’arbitrage
Il demeurerait également possible pour l’investisseur s’estimant lésé et l’État auteur de la mesure de consentir à soumettre un différend à l’arbitrage moyennant un compromis spécifique à cette fin. L’abandon du RDIE signifie simplement que l’ACÉUM ne contient plus d’offre unilatérale d’arbitrage de la part du Canada et des États-Unis dans leurs rapports réciproques. La fin du consentement dissocié à l’arbitrage ne devrait pas empêcher l’investisseur et l’État de consentir à l’arbitrage après la naissance du différend. Ils pourraient choisir le chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM comme droit applicable, avec par exemple le CIRDI comme forum d’arbitrage. Ce consentement au cas par cas à l’arbitrage mixte pourrait être une voie intéressante pour l’État afin d’éviter la politisation du différend qu’impliquerait le recours au mécanisme interétatique de règlement des différends par l’État d’origine de l’investisseur. Ce retour à la philosophie originelle de l’arbitrage mixte et de la Convention CIRDI apparaît d’ailleurs dans la pratique récente de la Nouvelle-Zélande avec certains États dans le cadre du PTPGP.Footnote 105
Le recours aux juridictions internes
L’investisseur s’estimant lésé conserve naturellement ses recours devant les juridictions internes du Canada ou des États-Unis. Il se pourrait même que cela redevienne le recours privilégié des investisseurs, conformément à la philosophie du droit international général, qui pose la condition de l’épuisement des recours internes à l’exercice de la protection diplomatique par l’État de nationalité de la personne privée lésée.Footnote 106 Cette voie de recours implique cependant que le droit applicable sera le droit de l’État d’accueil de l’investissement et non le chapitre sur l’investissement de l’ACÉUM. Ce dernier prévoit incidemment, comme l’ALÉNA, qu’il ne peut être invoqué directement devant les tribunaux des parties afin de fonder une réclamation.Footnote 107 Ce recours éventuel aux tribunaux internes soulève la question du caractère suffisant de la protection offerte par le droit national. Ainsi, au Canada, il n’existe pas de protection constitutionnelle du droit de propriété et l’affaire AbitibiBowater c Canada Footnote 108 montre qu’une province peut adopter une loi spéciale d’expropriation directe d’un investissement étranger sans offrir d’indemnisation.Footnote 109 En revanche, les accords sur l’investissement comme l’ACÉUM pourraient être utilisés dans l’interprétation du droit national, en matière d’expropriation par exemple.Footnote 110
Le recours à la clause NPF
Enfin, l’investisseur s’estimant lésé pourrait tenter d’utiliser la clause NPF afin d’invoquer le RDIE offert dans des accords avec des États tiers. Bien que l’ACÉUM exclue l’invocation de règles de procédure d’autres accords dans le régime général et sectoriel de RDIE entre les États-Unis et le Mexique,Footnote 111 la pratique internationale montre que les investisseurs étrangers ne reculent devant aucune interprétation créative de la clause NPF afin de tenter d’accéder au RDIE. Dans l’affaire Menzies Middle East and Africa S.A. c Sénégal,Footnote 112 l’investisseur a utilisé sans succès la clause NPF de l’Accord général sur le commerce des services Footnote 113 pour invoquer le RDIE en l’absence de tout accord applicable. Dans l’affaire Power Rental Asset Co Two c Australie,Footnote 114 un investisseur américain a tenté apparemment sans succès d’utiliser la clause NPF de l’accord de libre-échange entre l’Australie et les États-Unis pour invoquer le RDIE offert par l’Australie dans ses accords avec des États tiers.Footnote 115 Bien que ces tentatives d’utilisation créative de la clause NPF seront vraisemblablement vaines, elles peuvent néanmoins occasionner une perte de temps et de ressources pour l’État visé.
Les conséquences politiques de l’abandon du RDIE
Sur le plan politique, l’abandon par le Canada du RDIE avec les États-Unis risque de résonner en Europe dans les parlements nationaux saisis de la ratification de l’AÉCG et de son controversé chapitre sur l’investissement. Comment expliquer que le RDIE n’est pas souhaitable avec un pays développé comme les États-Unis, mais le demeure avec les vingt-huit États membres de l’Union européenne? Ensuite, le besoin de dépolitisation des différends relatifs à l’investissement, à l’origine de l’institution du RDIE, pourrait finir par se faire sentir dans les rapports entre le Canada et les États-Unis. Avec l’abandon du RDIE, les problèmes des investisseurs canadiens aux États-Unis pourraient se transformer en problèmes pour le Canada, si l’investisseur lésé devait ne pas obtenir réparation devant les tribunaux américains. L’affaire TransCanada c États-Unis concernant le projet d’oléoduc Keystone XL offre un bon exemple du type de différend politiquement sensible qu’Ottawa est sans doute heureux de ne pas avoir à porter sur le plan interétatique auprès de Washington. La même chose est sans doute vraie pour les déboires de plusieurs sociétés minières canadiennes au Venezuela, qui utilisent le RDIE pour tenter d’obtenir réparation et dont Ottawa n’a pas à endosser les réclamations. L’abandon pur et simple du RDIE comme réponse aux préoccupations le concernant pourrait en dernière analyse être une solution plus néfaste que bénéfique si elle devait s’étendre. Le système est assurément perfectible, mais les problèmes à l’origine de sa création ne manqueront pas de réapparaître s’il n’existe plus, à commencer par la repolitisation du règlement des différends relatifs à l’investissement et les risques de détérioration de la paix et de la sécurité internationales que cela peut entraîner.
Arbitrage énergétique et société d’État: Mercer c Canada
Un total de six réclamations ont été lancées sur la base de l’ALÉNA contre des mesures provinciales dans le secteur de l’énergie, dont trois contre l’Ontario et son programme de tarif de rachat garanti d’électricité, ou “feed-in tariff” (FIT).Footnote 116 À ce jour, les investisseurs américains ont eu gain de cause dans une affaire et mordu la poussière dans deux autres, tandis que trois affaires sont toujours pendantes.Footnote 117 L’affaire Mercer est la dernière en date dont le Canada sort victorieux. En plus de mettre à nouveau en cause une mesure énergétique provinciale, domaine d’activité hautement réglementé, cette affaire soulève plusieurs questions juridiques intéressantes, dont celles de l’attribution au Canada des agissements d’une société d’État, de la portée de l’exclusion des marchés publics, ainsi que de la protection contre la discrimination offerte par la clause TJE de l’ALÉNA.
LES TRANSACTIONS D’ARBITRAGE DE BC HYDRO ET L’ÉCHEC DU PROJET DE MERCER
Les transactions d’arbitrage dans le secteur de l’énergie visent à permettre à un producteur d’électricité de tirer avantage des écarts temporaires de prix entre différentes sources d’énergie, en achetant à bas prix de l’électricité tout en vendant à prix plus élevé sa propre production. La British Columbia Hydro and Power Authority (BC Hydro) est la société d’État de la Colombie-Britannique spécialisée dans la production et la distribution d’électricité. Elle s’adonne à des transactions d’arbitrage avec des producteurs privés d’électricité dans la province, notamment afin d’encourager la production d’énergie renouvelable par les usines de pâte à papier au moyen de la biomasse forestière. Ainsi BC Hydro conclut-elle des contrats avec ces usines, dans lesquels elle s’engage à acheter une partie de leur production d’électricité verte en échange d’un approvisionnement en électricité à un tarif préférentiel.
Mercer est une société américaine qui possède une filiale canadienne, Celgar, opérant une usine de pâte à papier à Castlegar en Colombie-Britannique. La région où est située l’usine est desservie par un fournisseur privé d’électricité, FortisBC, plutôt que par BC Hydro. Le projet de Mercer consistait à conclure une transaction d’arbitrage avec BC Hydro, afin de profiter de son tarif préférentiel pour s’approvisionner en électricité, tout en vendant plus cher sa propre production d’électricité issue de la biomasse. L’organisme provincial de régulation des services publics, la British Columbia Utilities Commission (BCUC), a pris une décision en 2009 dans laquelle elle exige que le tarif préférentiel ne soit accordé aux producteurs privés d’électricité que si ces derniers subviennent d’abord à leurs propres besoins énergétiques avant de revendre leur électricité à des tiers (le critère “net-of-load”). Pour déterminer le niveau des besoins énergétiques d’un producteur privé, un seuil doit être fixé lors des négociations avec BC Hydro (le “generator baseline” ou GBL). Le contrat passé en 2009 entre la société d’État et la filiale canadienne de Mercer, puis approuvé par BCUC la même année, a fixé ce seuil au niveau de ses besoins énergétiques de 2007, empêchant Mercer de bénéficier du tarif préférentiel puisque sa production d’électricité est insuffisante pour dépasser ce seuil. Or BC Hydro a fixé des seuils différents pour d’autres usines de pâtes à papier de propriété canadienne ou étrangère dans la province, leur permettant de bénéficier du tarif préférentiel d’électricité. Le contrat contient aussi une clause d’exclusivité interdisant à la filiale de Mercer de vendre l’électricité qu’elle produit à des tiers avant d’avoir subvenu à ses propres besoins énergétiques.
LA PROCÉDURE D’ARBITRAGE AU CIRDI
Mercer a introduit une requête d’arbitrage contre le Canada suivant le mécanisme supplémentaire du CIRDI en 2012, dans laquelle elle réclame 250 millions $ CA en réparation du préjudice qu’elle et sa filiale canadienne auraient subi en raison des agissements de BCUC et BC Hydro. L’investisseur américain allègue que le Canada a violé les clauses TN et NPF, prévues par les articles 1102 et 1103 de l’ALÉNA, en raison des transactions d’arbitrage plus avantageuses convenues avec d’autres usines de pâte à papier en Colombie-Britannique. Il allègue aussi que le Canada a violé la clause sur les entreprises d’État prévue par l’article 1503(2). Il allègue enfin que le Canada a violé la clause TJE prévue par l’article 1105(1) en raison de l’opacité du processus décisionnel de BCUC et BC Hydro en ce qui concerne l’accès au tarif préférentiel d’électricité. Le Canada considère que la réclamation est sans fondement et concerne plutôt une transaction d’arbitrage qui n’a pas livré les fruits escomptés par l’investisseur américain.
Le tribunal arbitral a été constitué le 9 octobre 2012 sous la présidence de V.V. Veeder, avec les arbitres Francisco Orrego Vicuña et Zachary Douglas. Il a rendu une sentence unique sur sa compétence et sur le fond le 6 mars 2018, dans laquelle il rejette entièrement la réclamation de Mercer, mais l’arbitre Vicuña est dissident sur certains points. Le domaine de la réclamation de Mercer a été réduit de manière significative par les arbitres, puisqu’au final, ce sont uniquement les agissements de BCUC qui sont examinés au regard des clauses TN et NPF, en plus de l’examen de la conformité de ses agissements et de ceux de BC Hydro avec la clause TJE. Compte tenu de l’échec de sa réclamation, Mercer se voit condamnée à supporter les frais juridiques du Canada, s’élevant à 9 millions $ CA, chaque partie assumant à part égale les frais d’arbitrage compte tenu du succès de l’investisseur sur certains points touchant à la compétence du tribunal.Footnote 118 La méthodologie et la clarté du raisonnement du tribunal laissent parfois à désirer, ce qui explique sans doute pourquoi l’investisseur a demandé sans succès une décision supplémentaire, afin que le tribunal se prononce sur un aspect de sa réclamation qu’il considérait ne pas avoir été réglé dans la sentence.Footnote 119
LA RÉDUCTION DU DOMAINE DE LA RÉCLAMATION
Le Canada soulève trois moyens de défense visant spécifiquement la transaction d’arbitrage entre BC Hydro et la filiale canadienne de Mercer. Il considère que le délai de prescription de trois ans est échu à l’égard de ce contrat, que ce type de transaction tombe dans l’exclusion des marchés publics des clauses TN et NPF et enfin que les agissements reprochés à la société d’État ne lui sont pas attribuables parce qu’ils ne relèvent pas de l’exercice de la puissance publique. Le tribunal arbitral refuse de trancher la question de savoir s’il s’agit de questions touchant à sa compétence ou à la recevabilité de la réclamation, jugeant que la distinction est sans objet en l’espèce.Footnote 120
La prescription partielle de la réclamation
Les articles 1116(2) et 1117(2) fixent à trois ans le délai pour que l’investisseur fasse une réclamation en son nom ou au nom de son entreprise, à partir de la date à laquelle il “a eu ou aurait dû avoir connaissance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi.” Comme la requête a été introduite au CIRDI le 30 avril 2012, Mercer et sa filiale canadienne ne devaient pas avoir connaissance de la violation de l’ALÉNA et de leur préjudice avant le 30 avril 2009. La première question qui se pose est celle de savoir qui de l’investisseur, Mercer, ou de l’investissement, sa filiale canadienne Celgar, doit avoir eu connaissance du manquement et du préjudice. Le tribunal juge que seule la connaissance par la filiale est pertinente en l’espèce, compte tenu des liens étroits entre les entités de la structure corporative de Mercer.Footnote 121 Il considère que la date d’entrée en vigueur de la transaction d’arbitrage est le 27 janvier 2009, plus de trois ans avant la réclamation de Mercer. Par conséquent, le tribunal considère que Celgar avait déjà connaissance à ce moment de la manière dont BC Hydro s’y est prise pour fixer son seuil de besoins énergétiques et il conclut que la réclamation est prescrite en ce qui concerne tous le processus décisionnel de BC Hydro ayant conduit à la fixation de ce seuil.Footnote 122
En revanche, Celgar ne pouvait pas avoir connaissance des conditions des transactions d’arbitrage entre BC Hydro et les autres usines de pâte à papier dans la province, puisque ces informations n’étaient pas dans le domaine public, tandis que certains contrats ont même été signés après le 30 avril 2009.Footnote 123 Ainsi le tribunal arbitral conclut-il que la réclamation de Mercer n’est pas prescrite en ce qui concerne les allégations de discrimination concernant la transaction d’arbitrage de sa filiale avec BC Hydro.Footnote 124 Bien que le tribunal n’indique pas qu’il tire cette conclusion à la majorité, l’arbitre Vicuña semble se désolidariser du raisonnement du tribunal un peu plus loin dans la sentence, affirmant que l’investisseur aurait dû se voir accorder le bénéfice du doute quant à sa connaissance du manquement et du préjudice.Footnote 125
L’applicabilité de l’exclusion des marchés publics
L’article 1108(7)(a) de l’ALÉNA exclut totalement les marchés publics de la portée des clauses TN et NPF. L’expression “marché public” ne figure pas dans la version française de l’accord, qui vise les “achats effectués par une Partie ou par une entreprise d’État,” tandis que la version anglaise utilise l’expression “procurement by a Party or a state enterprise.” Il faut souligner que cette exclusion est plus large que celle que l’on retrouve dans le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), puisqu’elle ne se limite pas aux achats du gouvernement en tant que consommateur final, comme l’affaire Mesa Power l’a déjà mis en lumière.Footnote 126 Le tribunal arbitral considère que l’exclusion doit recevoir une interprétation large et vise l’achat de biens et services par ou pour l’État ou une entreprise d’État, y compris les provinces canadiennes.Footnote 127 Pour la majorité du tribunal arbitral, la transaction d’arbitrage constitue bien un marché public puisque BC Hydro y agit comme un acheteur de biens ou de services et que le seuil de besoins énergétiques ainsi que la clause d’exclusivité font parties intégrantes du contrat.Footnote 128 Par conséquent, le tribunal conclut à la majorité qu’il n’est pas compétent pour connaître de la réclamation concernant la violation des clauses TN et NPF par la transaction d’arbitrage avec BC Hydro.Footnote 129
Le raisonnement du tribunal est difficile à suivre. Il considère que le seuil de besoins énergétiques remplit une double fonction, d’abord contractuelle, en définissant l’obligation de BC Hydro d’acheter l’électricité de Celgar, puis réglementaire, en définissant l’obligation de BC Hydro de fournir de l’électricité à Celgar par le truchement du fournisseur privé FortisBC.Footnote 130 Mais le tribunal conclut à la majorité que la fonction réglementaire du seuil n’a pas pour effet d’effacer sa fonction contractuelle et ne l’empêche donc pas de considérer qu’il tombe dans l’exclusion des marchés publics. Enfin, les motifs de la dissidence de l’arbitre Vicuña ne sont pas exposés clairement dans la sentence, rendant incompréhensibles les éléments sur lesquels il ne partage pas les vues de la majorité. Il semble confondre la question de l’attribution au Canada des agissements de BC Hydro, qui relève des règles secondaires du droit de la responsabilité de l’État, avec celle de l’interprétation de l’exclusion des marchés publics, qui relève des règles primaires prescrites par l’ALÉNA, rendant difficile de suivre son raisonnement sur les liens qui unissent ces questions.Footnote 131 L’affaire Mesa Power a déjà montré la difficulté pour les arbitres de s’entendre sur l’applicabilité de l’exclusion des marchés publics, aussi est-il regrettable que leur raisonnement ne soit pas expliqué plus clairement dans Mercer.
La question de l’attribution au Canada des agissements de BC Hydro
En droit international général, les agissements d’une entreprise d’État sont attribuables à cet État si l’entreprise agit comme délégataire de puissance publique, ou si elle agit sous la direction ou le contrôle de l’État.Footnote 132 L’effet juridique de la clause sur les entreprises d’État de l’ALÉNA divise la pratique arbitrale. L’article 1503(2) prévoit que l’État doit faire en sorte par des mesures de contrôle ou de surveillance que ses entreprises d’État agissent d’une manière qui n’est pas incompatible avec le chapitre sur l’investissement lorsqu’elles exercent des prérogatives de la puissance publique. Si les arbitres y ont d’abord vu une lex specialis imposant une simple obligation de moyens à l’État dans l’affaire UPS c Canada,Footnote 133 la pratique arbitrale a évolué pour y voir désormais une réflexion de la lex generalis dans les affaires Winstream Energy et Mesa Power.Footnote 134
Malheureusement, le raisonnement discutable du tribunal arbitral dans la présente affaire fait en sorte qu’il rate de nouveau une occasion de contribuer au développement du droit. En raison de sa division sur la question de savoir si BC Hydro a agi comme délégataire de puissance publique en concluant la transaction d’arbitrage, le tribunal arbitral décide de ne pas se prononcer et présume que ses agissements sont attribuables au Canada.Footnote 135 Comme il rejette la réclamation de Mercer sur le fond, le tribunal est à l’aise de présumer de sa compétence et de poursuivre l’examen au fond, plutôt que de vider d’abord la question de sa compétence.
LA CONFORMITÉ AVEC LES CLAUSES TN ET NPF
L’exclusion des marchés publics ne visant que la transaction d’arbitrage conclue avec BC Hydro, les clauses TN et NPF demeurent applicables aux agissements de BCUC entourant cette transaction et spécialement sa décision de 2009 ayant requis que les producteurs privés subviennent à leurs propres besoins énergétiques. Mercer allègue que l’organisme de régulation l’a traité de manière moins favorable que deux autres usines de pâte à papier dans la province, soit celles de Port Mellon, de propriété étrangère, et de Skookumchuck, de propriété canadienne. Le tribunal arbitral considère que ces deux usines ne sont pas dans des circonstances similaires à celles de Mercer et qu’il ne s’agit donc pas de bons comparateurs pour établir un traitement moins favorable.Footnote 136 Afin d’établir le test de similarité des circonstances, il se fonde sur l’affaire Cargill c Mexique Footnote 137 où le tribunal a jugé qu’il fallait tenir compte de l’objectif poursuivi par la mesure en question.Footnote 138 En s’appuyant sur la preuve de l’expert du Canada, il constate que la différence de traitement entre les usines résulte des circonstances différentes dans lesquelles elles se trouvent, tenant notamment à l’existence ou non d’anciens contrats avec BC Hydro.Footnote 139 De plus Mercer n’allègue pas de préjudice distinct résultant des agissements de BCUC en sus de la transaction d’arbitrage avec BC Hydro.Footnote 140 Enfin, le tribunal est convaincu par le fait que l’objectif poursuivi par BCUC est de défendre l’intérêt général en évitant que des transactions d’arbitrage dommageables soient conclues. Le Canada a donc agi en conformité avec les clauses TN et NPF.Footnote 141
LA CONFORMITÉ AVEC LA CLAUSE TJE
Le tribunal arbitral considère que les allégations de discrimination entourant la transaction d’arbitrage doivent aussi être examinées au regard de la clause TJE. Par ailleurs, si les autres allégations de violation de la clause sont prescrites en ce qui concerne la transaction d’arbitrage de BC Hydro, celles visant le comportement de l’organisme de régulation BCUC ne le sont pas.
Les allégations de discrimination au regard de la clause TJE
En acceptant d’examiner les allégations de discrimination entourant la transaction d’arbitrage au regard de la clause TJE, le tribunal arbitral soulève la question de savoir si la protection offerte par cette clause chevauche celle offerte par les clauses TN et NPF. Il conclut avec raison que la clause TJE ne vise pas la discrimination fondée sur la nationalité, puisque ce type de discrimination est déjà visé par les clauses TN et NPF.Footnote 142 Le tribunal s’appuie sur l’affaire Methanex c États-Unis,Footnote 143 où les arbitres ont jugé que le sens ordinaire des mots et l’absence de mention explicite de la discrimination soutiennent cette interprétation.Footnote 144 De plus, cette conclusion est la seule qui puisse donner un effet utile aux dispositions de l’ALÉNA, puisque les investisseurs pourraient autrement facilement contourner l’exclusion des marchés publics en invoquant la violation de la clause du TJE plutôt que de celle de la clause du TN et de la clause NPF.Footnote 145 Comme Mercer soulève les mêmes arguments de discrimination fondée sur la nationalité que ceux qu’il avance concernant la violation des clauses TN et NPF, le tribunal conclut que le Canada a agi en conformité avec la clause TJE à cet égard. L’arbitre Vicuña est à nouveau dissident sur certains aspects du raisonnement de la majorité au sujet de la portée de la protection contre la discrimination offerte par la clause TJE, mais ses brefs commentaires ne permettent pas de comprendre s’il est en désaccord avec le refus d’inclure la protection contre la discrimination fondée sur la nationalité.Footnote 146
Le tribunal arbitral n’aborde pas la question de savoir si d’autres types de discrimination sont visés par la clause TJE. Il semble qu’il faille indiscutablement répondre par l’affirmative puisque l’énonciation du contenu de la norme minimale de traitement des étrangers du droit international coutumier vise habituellement la discrimination raciale, à laquelle il faut ajouter la discrimination fondée sur le genre ou la religion. La formulation dans l’affaire Waste Management c Mexique Footnote 147 a été maintes fois reprise par les tribunaux arbitraux: “[C]onduct is arbitrary, grossly unfair, unjust or idiosyncratic, is discriminatory and exposes claimant to sectional or racial prejudice, or involves lack of due process leading to an outcome which offends judicial propriety.”Footnote 148 La codification du TJE (autonome de la coutume internationale) dans l’AÉCG indique aussi qu’il vise la discrimination fondée sur des “motifs manifestement illicites, comme le sexe, la race ou les croyances religieuses.”Footnote 149
Les autres allégations de violation du TJE
Mercer allègue enfin que BCUC a violé la clause TJE autrement que par la discrimination fondée sur la nationalité, dans le processus entourant la transaction d’arbitrage, avec sa décision de 2009 exigeant que son usine subvienne à ses propres besoins énergétiques. Le tribunal rejette rapidement cette allégation, au motif que la preuve n’établit pas du tout que les agissements de l’organisme de régulation ont été irrationnels, injustes, arbitraires, ou en violation de l’application régulière de la loi au sens de la norme minimale de traitement du droit international coutumier.Footnote 150 Il se fonde pour ce faire sur la formulation de la norme faite dans l’affaire Merrill & Ring c Canada,Footnote 151 qui cite elle-même l’affaire Waste Management. Le tribunal s’appuie en outre sur l’affaire Cargill pour rejeter l’existence d’une obligation de transparence dans la norme minimale de traitement, mais sans aucune autre démonstration.Footnote 152 Il conclut donc que BCUC a agi en conformité avec la clause TJE lors de la prise de sa décision en 2009.