Couvrant dix éditions successives de L'Heptaméron, le travail de Teija Haussalo met en lumière le fonctionnement du système des déterminants d'une seule auteure (Marguerite de Navarre) et procède à une validation des conclusions en comparant les résultats avec ce que révèle l’étude de deux ouvrages rédigés à la même époque, à savoir L'introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes de Henri Estienne et les Essais de Michel de Montaigne. Description fine et détaillée d'un point de grammaire bien précis, le livre constitue un important apport de nouvelles données. Il se divise en deux grandes parties: une première qui présente les textes et les auteurs et les situe dans leur contexte historique et sociopolitique, et une deuxième qui contient l'analyse proprement dite.
Les quatre chapitres de la première partie permettent de mieux apprécier le contexte dans lequel les textes retenus ont été rédigés. L'auteure introduit en outre un état de la question sur la langue de l’époque. Ce détour donne à son travail une dimension qu'on ne retrouve que très rarement dans les études linguistiques, à l'exception de celles qui traitent des travaux des grammairiens.
La deuxième partie se divise elle aussi en quatre chapitres, dont le premier constitue le cœur de l'ouvrage et présente l'analyse du corpus. Les contextes étudiés sont ceux où se présente une alternance déterminant zéro / déterminant réalisé. Le comportement des déterminants au 16e siècle y est décrit en détail, ce qui permet de mettre en lumière en quoi la grammaire des déterminants est cohérente. Il est montré que cette grammaire est en tout point comparable à celles d'autres langues: les facteurs syntaxiques ou sémantiques qui sont à la source de la variation constatée sont ceux-là mêmes auxquels font référence de nombreuses études sur l'expression du déterminant. Rappelons ici les facteurs qui favorisent l'expression d'un déterminant au sein d'un syntagme nominal: du point de vue syntaxique, la position sujet et le caractère référentiel du nom; du point de vue sémantique, le caractère comptable ou non, le caractère abstrait ou concret, le caractère générique; du point de vue discursif, le caractère unique ainsi que défini ou indéfini; et d'un point de vue pragmatique, le nombre. Les conclusions de l'auteure rejoignent celles des études antérieures sur le français médiéval, qui montrent clairement qu’à l’époque la réalisation phonologique du déterminant alternait avec un déterminant zéro.
Les deux dernières sections du chapitre cinq constituent un apport original et intéressant à ce travail; on y traite de l'impact de la présence d'un quantificateur tel que tout ou de contextes peu ou pas étudiés jusqu’à maintenant, parmi lesquels la coordination de noms qui ne sont pas de même genre et/ou de même nombre, l'ordre des mots ou encore l'enchâssement du syntagme nominal dans un syntagme prépositionnel.
Le chapitre six reprend les grandes lignes des résultats de l'analyse, le septième donne une série d'exemples où l'article n'est pas exprimé, et le dernier conclut le travail et met les résultats en perspective.
Malgré l'intérêt de cette étude, il convient de signaler certaines faiblesses. Il est surprenant de constater que l’étude se penche non seulement sur la présence des déterminants articles, mais qu'elle prend aussi en compte les contextes avec déterminants possessifs et démonstratifs. L'inclusion de ces derniers aurait été plus instructive si leur distribution avait été différente de celle qu'on observe en latin. Or, hérités du latin, les possessifs et les démonstratifs sont bien établis dès les débuts de la langue. En outre, la présentation de toutes les variantes au sein d'un même exemple rend la lecture moins aisée et ne fait pas toujours justice au travail. Par ailleurs, il aurait été souhaitable que les analyses, qui s'appuient trop souvent sur des interprétations de l'auteure, reposent sur des concepts théoriques bien définis. De plus, aucune explication n'est fournie sur les raisons pour lesquelles, au 16e siècle, le comportement des déterminants diffère de leur comportement en français classique et contemporain. Finalement, l'absence de données statistiques ne permet pas d'apprécier la distribution des déterminants dans les œuvres étudiées.
Il aurait été intéressant de voir si l'utilisation des déterminants chez Marguerite de Navarre correspond à celle de Michel de Montaigne, qui écrivait cinquante ans plus tard. Il est bien dommage que l'aspect diachronique n'ait pas été abordé, car on aurait aimé savoir en quoi la grammaire des déterminants du 16e siècle se distingue de celles du français moderne ou du français classique. Il est à espérer que l'auteure poursuivra ses recherches et nous en informera dans de futurs travaux.