Introduction
L’adoption de la loi 25 en décembre 2003 a entraîné une restructuration majeure de l’organisation des services de santé et des services sociaux au Québec. De la fusion des Centres locaux de services communautaires (CLSC), des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et dans la majorité des cas, d’un centre hospitalier (CH), 95 Centres de Santé et Services Sociaux (CSSS) ont vu le jour. Cette réorganisation vise à répondre aux défis que pose l’adoption d’une approche populationnelle, laquelle vise à optimiser l’impact des services sur la santé de la population d’un territoire, qu’elle fasse appel ou non aux services. L’approche populationnelle traduit une volonté de réorienter le système de la santé, jusqu’ici grandement axé sur le curatif, vers le maintien et l’amélioration de la santé de la population. L’organisation des services et des interventions à visée populationnelle constitue dorénavant l’un des importants mandats des CSSS (Agence de développement de services de santé et de services sociaux de Montréal, 2004). Cette nouvelle responsabilité implique de soutenir la mise en place des conditions favorisant une prise en charge globale, notamment via l’action intersectorielle. Bien que beaucoup d’énergies soient actuellement encore dirigées à l’implantation et la consolidation des changements issus de cette dernière réforme, le contexte actuel laisse entrevoir un potentiel de rehaussement des interventions et le développement de nouveaux leviers favorisant le développement d’activités de prévention-promotion (PP).
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la promotion de la santé représente un éventail d’actions ayant pour but d’une part, de renforcer les aptitudes et les capacités des individus et, d’autre part, de modifier les conditions sociales, environnementales et économiques de façon à réduire leurs effets négatifs sur la santé des populations (Nutbeam, Reference Nutbeam1998). L’approche écologique est en lien avec cette perspective et constitue une stratégie-clé en matière de promotion de la santé (Green, Richard, & Potvin, Reference Green, Richard and Potvin1996; Richard, Gauvin, & Raine, Reference Richard, Gauvin and Raine2011). En effet, sans pour autant ignorer la portée des déterminants individuels sur l’état de santé, l’approche écologique accorde une attention particulière au contexte global et prône des actions visant une gamme élargie de déterminants. Ce travail suppose une diversification des cibles (les individus, les groupes, les organisations, les communautés ainsi que la sphère politique) et des milieux d’intervention (espaces sociaux à travers lesquels sont rejoints les clients) (Green et al., Reference Green, Richard and Potvin1996). Cette approche s’avère d’ailleurs, selon plusieurs, une alternative qui permet de pallier les nombreuses lacunes des approches traditionnelles, critiquées notamment pour leur impact limité (Gebbie, Rosenstock, & Hernandez, Reference Gebbie, Rosenstock and Hernandez2003; Navarro, Voetsch, Liburd, Giles, & Collins, Reference Navarro, Voetsch, Liburd, Giles and Collins2007; Scutchfield, Reference Scutchfield2004)
Comme plusieurs sociétés à travers le monde, les sociétés canadienne et québécoise assistent présentement à un vieillissement sans précédent de leur population. En 2001, la proportion de personnes âgées de 65 et plus était de 15% au Québec. Selon les projections de l’Institut de la statistique du Québec (2008), cette proportion devrait atteindre près de 25% en 2026 et près de 30% en 2051. Le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus connaîtra la croissance la plus notable au cours des prochaines décennies. Afin d’éviter que ce vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie ne se traduisent par une augmentation des incapacités et une diminution de la qualité de vie, il importe d’agir en amont (Beattie, Whitelaw, Mettler, & Turner, Reference Beattie, Whitelaw, Mettler and Turner2003). Or, comparativement à d’autres groupes d’âge, la PP pour les aînés demeure encore relativement peu développée (Harris & Grootjans, Reference Harris and Grootjans2006; Keller & Fleury, Reference Keller and Fleury2000; Richard, Gauvin, Gosselin, et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008). Notamment, la programmation actuelle continue de reposer largement sur des approches traditionnelles centrées sur la modification des comportements individuels au détriment de la création d’environnements favorables à la santé et au maintien de l’autonomie (Keleher & Murphy, Reference Keleher and Murphy2004; Satariano & McAuley, Reference Satariano and McAuley2003), ainsi que d’approches favorisant l’empowerment et de l’action sociopolitique (Lafrenière, Reference Lafrenière2004; Latter, Reference Latter1998). Les interventions actuelles s’éloignent malheureusement souvent des principes véhiculés par la Charte d’Ottawa (Organisation Mondiale de la Santé, 1986). Sommes toutes, malgré le consensus entourant la pertinence de l’approche écologique en matière de prévention-promotion, son intégration à la programmation destinée à la clientèle aînée demeure limitée (Satariano & McAuley, Reference Satariano and McAuley2003).
De fait, des analyses de programmations PP destinées aux aînés montrent une prépondérance des thématiques liées à la santé physique et aux services cliniques, souvent autour de l’immunisation (Richard et al., Reference Richard, Gauvin, Ducharme, Gosselin, Sapinski and Trudel2005; Runciman, Watson, McIntosh, & Tolson, Reference Runciman, Watson, McIntosh and Tolson2006; Wallace & Levin, Reference Wallace and Levin2000). Une évaluation récente de l’implantation de l’approche écologique au sein de programmations en prévention-promotion pour les aînés dans le contexte québécois suggère également une importante variation quant au degré d’intégration de l’approche (Richard, Gauvin, Gosselin, et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008). Quoique le mandat des organisations de type CLSC des CSSS encourage l’adoption de l’approche écologique au sein de leurs programmations (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003), celles offertes aux aînés en sont rarement empreintes. Cela soulève des questions quant à la capacité des organisations à implanter une telle approche. Afin d’optimiser le développement d’une programmation qui s’appuie davantage sur cette approche, il importe d’abord de cerner les facteurs influençant son intégration. En ce domaine, certaines études ont souligné le rôle crucial du réseau de partenaires externes (Agence de santé publique du Canada, 2005; Richard, Gauvin, Potvin, Denis, & Kishchuk, Reference Richard, Gauvin, Potvin, Denis and Kishchuk2002; Richard et al., Reference Richard, Lehoux, Breton, Denis, Labrie and Leonard2004; Riley, Taylor, & Elliott, Reference Riley, Taylor and Elliott2001; Robinson, Driedger, Elliott, & Eyles, Reference Robinson, Driedger, Elliott and Eyles2006). D’autres ont montré l’importance du soutien offert au personnel ainsi que l’impact des aptitudes et des croyances des intervenants (Robinson et al., Reference Robinson, Driedger, Elliott and Eyles2006). Plus largement, Berkeley et Springett (Reference Berkeley and Springett2006) évoquent la courte durée des mandats politiques et l’hégémonie du modèle biomédical comme facteurs freinant l’adoption d’activités de prévention-promotion. Ceci s’avère particulièrement fondé en ce qui a trait aux aînés, le troisième âge étant associé aux incapacités et à la maladie davantage qu’à la possibilité d’un vieillissement sain (Runciman et al., Reference Runciman, Watson, McIntosh and Tolson2006).
Les études empiriques ayant traité des difficultés liées à l’implantation de l’approche écologique sont peu nombreuses. Aucune étude n’a jusqu’ici examiné la question dans le contexte des programmes PP offerts aux aînés par des organisations locales de santé publique du Québec. Ainsi, la présente étude vise l’identification des conditions influençant l’intégration de l’approche écologique au sein de la programmation PP offerte aux aînés par les CSSS du Québec. Le modèle de Scheirer (Reference Scheirer1981) (figure 1) a guidé la collecte et l’analyse des données. Ce modèle a été utilisé avec succès pour examiner l’implantation de programmes et d’approches novatrices de programmation (Richard et al., Reference Richard, Lehoux, Breton, Denis, Labrie and Leonard2004). Conformément à ce modèle, cette étude investiguera trois catégories de facteurs, soient les facteurs environnementaux, professionnels et organisationnels.
Méthodologie
Contexte de l’étude
Cette recherche s’inscrit dans le contexte d’un programme de recherche portant sur la prévention et la promotion de la santé pour les aînés. À ce jour, l’inventaire des programmes de prévention-promotion offerts par les Directions de santé publique régionales (DSP), CLSC et Centres de jour ainsi que l’analyse de leur dimension écologique a été réalisé (Richard et al., Reference Richard, Gauvin, Ducharme, Gosselin, Sapinski and Trudel2005; Richard, Gauvin, Gosselin, et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008). La présente étude complète ces premiers efforts et vise l’identification des facteurs influençant l’intégration de l’approche écologique dans les programmations visées. Une première analyse a porté sur les DSP du Québec (Richard, Gauvin, Ducharme, Trudel, & Leblanc, Reference Richard, Gauvin, Ducharme, Trudel and Leblanc2010). Les résultats présentés dans cet article sont issus de l’analyse du contexte des organisations locales de santé, soit les établissements de mission CLSC des CSSS.
Devis et échantillonnage
Le devis de recherche est l’étude de cas multiples avec la programmation PP destinée aux aînés offerte par le CSSS comme unité d’analyse. Pour des raisons pratiques, les CSSS devaient être situés à moins de 200 km de Montréal. Les organisations des milieux ruraux ont été exclues de même que celles situées sur l’île de Montréal, dans ce dernier cas, à cause du contexte ambiant de changements organisationnels impliquant souvent la fusion d’un plus grand nombre d’établissements.
Le choix des cas a été effectué en fonction de la dimension écologique des programmations destinées aux aînés, telle qu’évaluée lors de travaux antérieurs (Richard, Gauvin, Gosselin, et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008). Selon le nombre et le type de stratégies et de milieux d’intervention utilisés dans leurs programmations respectives, les établissements ont été classés en trois niveaux d’intégration de l’approche écologique : fort, modéré et limité. Trois organisations ont été recrutées en milieu urbain/semi-urbain, deux autres en milieu urbain. En préalable à la collecte des données dans les sites retenus, une mise à jour des activités a été effectuée afin de confirmer le profil écologique de la programmation de l’établissement (Richard, Gauvin, Ducharme, Trudel, & Leblanc, Reference Richard, Gauvin, Ducharme, Trudel and Leblanc2008). Les tableaux 1 et 2 présentent les cinq établissements retenus en fonction du degré d’intégration de l’approche écologique au sein de leur programmation en prévention-promotion ainsi que de quelques caractéristiques territoriales et organisationnelles.
Institut National de Santé Publique du Québec en collaboration avec le ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec et l’Institut de la Statistique du Québec (2006).
a Richard, Gauvin, Ducharme, et al. (2008).
a Richard, Gauvin, Ducharme, et al. (2008).
La sélection des informateurs clés a été effectuée dans chacun des sites parmi les décideurs et intervenants impliqués dans la programmation destinée à la clientèle aînée. Des entrevues (en moyenne 7,6 par site), d’une durée d’environ une heure ont ainsi été conduites auprès d’un total de 21 cadres (supérieurs et intermédiaires) et 17 professionnels (tableau 3). Le guide d’entrevue a été élaboré en s’inspirant du modèle de Scheirer (Reference Scheirer1981). La collecte de données a été complétée par l’analyse de documents, obtenus par l’entremise des informateurs-clés.
Analyse
Le matériel issu des entretiens a été retranscrit verbatim et une codification initiale a été effectuée par un membre de l’équipe de recherche (MT) sur la base des catégories prédéterminées par le modèle de Scheirer (Reference Scheirer1981). Le résultat de cet exercice a été révisé par un second membre (MEL) et les divergences ont été résolues par consensus. L’analyse, inspirée de l’approche de Miles et Huberman (Reference Miles and Huberman2003), a permis dans un premier temps de dresser un portrait des établissements selon les facteurs explicatifs postulés par le modèle. Par la suite, les analyses ont permis d’identifier des patrons particuliers et de les comparer en fonction du degré d’intégration de l’approche écologique. Cette démarche conduite par MEL a été validée par un troisième membre de l’équipe de recherche (LR) et par l’ensemble de l’équipe de recherche à l’occasion de réunions (n=6) d’environ 90 minutes chacune. Pour terminer, les participants de chacun des sites ont été invités à valider les résultats obtenus. Cet exercice a pu être réalisé dans 4 des 5 CSSS.
Résultats
Facteurs professionnels
Il existe une variation considérable du nombre moyen d’années d’occupation du poste actuel (tableau 3), soit de 11 mois au CSSS A (profil limité) à 5 à 6 ans aux CSSS C et D (profils forts), lesquels emploient d’ailleurs la majorité (11 sur 15) des répondants formés dans une discipline sociale.
Peu de répondants, cadres ou intervenants, démontrent une connaissance satisfaisante de la définition de l’approche écologique (pour être jugée correcte une définition devait inclure une référence aux notions de milieux, cibles et/ou stratégies d’intervention). Toutefois, la capacité à définir l’approche de façon théorique ne semble pas déterminante à son intégration. Par exemple, alors que la programmation du CSSS C est jugée fortement écologique, les connaissances des répondants interrogés dans ce site apparaissent relativement limitées. Par ailleurs, dans tous les CSSS, plusieurs commentaires recueillis illustrent une conception étroite de l’environnement, lequel semble souvent se limiter à la famille. Également, les interventions auxquelles référent de nombreux répondants se résument souvent à des actions visant la modification des comportements individuels.
E02 : « C’est sûr qu’une personne mettons qui ne prend pas bien ses médicaments ou qui a un problème, je le fais déjà beaucoup, on travaille avec la famille »
En ce qui a trait aux habiletés pour l’approche écologique, la plupart des répondants déclarent les avoir acquises avec l’expérience plutôt que dans le cadre de leur formation académique. Les données suggèrent en effet qu’à l’exception des formations dans une discipline sociale, les formations académiques de base semblent faire peu de place à l’approche écologique, les habiletés étant acquises davantage lors de formations avancées. Aussi, quelques répondants des CSSS B (profil modéré), C et D (profils forts), sont d’avis que les formations continues contribuent à l’acquisition de telles habiletés.
C04 : « Bien la formation en travail social, oui, la plupart des professeurs que j’ai eus avaient cette approche-là et on était amenés à développer une capacité d’analyse des différents facteurs qui conditionnent les problèmes sociaux et à tenir compte de l’environnement de la personne et à travailler sur son environnement et éventuellement sur les politiques. »
La plupart des répondants ont une opinion positive de l’approche écologique, qualifiée de pertinente bien que complexe. Les répondants des CSSS B, C et D expriment une opinion nettement plus favorable à l’égard de l’approche écologique, qu’ils considèrent prometteuse. Globalement, les opinions au sujet de cette approche vont de pair avec le degré d’intégration à la programmation offerte par les différents établissements. Au CSSS A (profil limité), on constate entre autres une position défavorable à l’égard des processus inhérents aux partenariats.
A03 : « … savoir qui peut avoir dix personnes alentour de la table pour un affaire bébête […] plus qu’il y a de monde, plus c’est compliqué. […] quelque chose qui aurait pu être simple des fois, peut devenir un peu complexe. »
D’autre part, dans les CSSS B et E (profils modérés), on exprime une opinion favorable et un intérêt pour adopter ce mode d’intervention tout en admettant que les pratiques ne sont pas actualisées en ce sens.
B04 : « On l’applique oui mais, à mon avis, actuellement, avec notre fonctionnement actuel on ne va pas assez loin dans la communauté. »
Enfin, les répondants des organisations C et D (profils forts) préconisent non seulement l’adoption d’une telle approche, mais leurs propos font état de son intégration aux pratiques actuelles.
C05 : « Bien moi c’est sûr que c’est ce que je valorise le plus. Si je regarde depuis l’arrivée ici, bon, le fait d’avoir mis les équipes territoriales, d’avoir revu le cadre de pratique en organisation communautaire […] et que c’est des valeurs qui sont privilégiées, et de revenir justement avec nos partenaires […] pour leur reconfirmer que c’est une approche qu’on valorise. »
Facteurs environnementaux
Partenaires
Les résultats révèlent deux profils majeurs en ce qui a trait aux partenaires extérieurs et à la nature de leurs liens avec les CSSS. Aux CSSS C et D (profils forts), les partenaires impliqués dans les programmes PP destinés aux aînés sont diversifiés et vont nettement au-delà des partenariats traditionnels des secteurs de la santé. On compte ainsi des acteurs politiques, de nombreux organismes gouvernementaux non directement liés à la santé ainsi que des institutions financières. On note également des liens avec le milieu universitaire ainsi qu’une participation marquée des municipalités. Au CSSS C les liens semblent particulièrement développés avec une variété d’organismes communautaires tandis qu’au CSSS D la collaboration entre les différents CSSS de la région ainsi que la collaboration avec le secteur bénévole ressortent de manière substantielle.
À l’opposé, les partenaires des CSSS A (profil limité) et E (profil modéré) sont peu diversifiés. Quoique les partenariats avec des organismes communautaires y soient bien implantés, les partenaires traditionnels que sont les professionnels du réseau de la santé et les résidences pour personnes âgées reviennent souvent. Au CSSS A, les collaborations établies avec les organismes communautaires apparaissent souvent instaurées en fonction de besoins ponctuels plutôt que sur une base formelle; ces partenariats sont décrits comme ne permettant pas toujours une participation optimale des organismes. Au CSSS E les propos indiquent que l’implication des organismes communautaires du territoire est surtout reliée aux services d’aide à domicile, impliquant alors des services davantage destinés aux individus. Par ailleurs, le rôle des partenaires des CSSS A et E se limite généralement à offrir au CSSS un soutien technique, principalement sous forme de financement, de formations ou de participation à des séances d’informations destinées à la clientèle.
A06 : « J’ai beaucoup à faire moi, sur mon territoire avec les pharmaciens […] Ils parlent du ménage de la pharmacie et ils font le ménage par des codes de médicaments, des dates de péremption et tout ça. »
À l’opposé, les collaborateurs des CSSS C et D (profils forts) s’inscrivent couramment comme les principaux responsables de dossiers ou partagent conjointement des dossiers PP avec les CSSS. L’entretien de ces relations égalitaires semble à la fois stimulé par un souci de partager les responsabilités mais surtout, sur la reconnaissance et la mise en valeur de l’expertise des collaborateurs.
Bien qu’on note des efforts de réseautage et un souci de partager la responsabilité des interventions avec les partenaires, les pratiques en vigueur au CSSS B (profil modéré) semblent moins actualisées en ce sens. Au CSSS E (profil modéré), des difficultés en ce qui a trait aux partenariats sont évoquées, les rapports avec certaines associations et organisations communautaires étant ardus. De plus, malgré une configuration singulière du territoire E, pourtant propice à la collaboration, peu de liens sont établis avec la municipalité.
Environnement communautaire
Plusieurs des propos recensés portent sur la réalité des territoires desservis par les CSSS. Trois éléments ressortent : les aspects démographiques, la réceptivité de la population eu égard aux aînés et aux interventions leur étant offertes et les demandes faites à cet égard au CSSS.
Aspects démographiques : Tous font référence à la forte proportion d’aînés qui se trouve sur leur territoire. Même au CSSS A (profil limité), où la proportion d’aînés est la plus faible (voir tableau 2), on caractérise le phénomène « d’explosion démographique ». Cela est perçu par presque tous les répondants comme étant un obstacle plutôt qu’un moteur au déploiement d’activités PP.
Cet avis n’est cependant pas partagé par les répondants du CSSS D (profil fort) où la proportion d’aînés est d’ailleurs la plus élevée. Le discours traduit plutôt la nécessité « d’être prêts à travailler avec les aînés ». Bien que ce discours soit moins répandu au CSSS E (profil modéré), on associe au vieillissement de la population une opportunité, voire la nécessité, d’intensifier les efforts en PP.
E08 : « On va devoir s’adapter à ça, prévoir, planifier les installations, planifier les ressources, [et aussi] changer des pratiques […] Donc l’intervention de PP va être très très importante. Parce qu’on ne va pas, dans le fond « les laisser aller à eux-mêmes » et les ramasser à l’urgence. Le système va craquer si on fait ça. Donc la PP va prendre un sens tout à fait particulier »
Selon certains répondants des CSSS A (profil limité) et B (profil modéré), la faible densité populationnelle de leur territoire complexifie les interventions PP et justifierait un plus grand recours à l’utilisation d’approches individuelles ou en petits groupes. Au CSSS C (profil fort) où une réalité semblable est en vigueur, cet enjeu semblent poser moins de difficultés, probablement du fait que les aînés de ce territoire sont décrits comme étant « plus jeunes, éduqués et mobilisés ». En effet, les aînés des territoires C et D (profil fort) sont dépeints très favorablement par de nombreux répondants qui soulèvent leurs qualifications et une volonté de les mettre à profit, donc leur potentiel pour collaborer aux dossiers de PP.
C06 : « …il y a tous les gens qui viennent prendre leur retraite ici, qui habitent la région (inaudible). Il n’y a pas grand régions qui ont ce bassin de personnes aînées, qualifiées, qui ont plein d’expériences de vie, personnelle, donc on a beaucoup de potentiel pour réaliser des activités d’intervention intéressantes. »
Réceptivité de la population
Selon les répondants, qui sont toutefois moins nombreux à exprimer un tel point de vue au CSSS A (profil limité), la population des territoires paraît réceptive et reconnaît la pertinence des efforts déployés pour les aînés. Cependant, la portée à long terme des interventions ainsi que des tabous liés à certains sujets expliqueraient, selon plusieurs, la réticence des aînés face aux efforts PP. En effet, qu’ils soient en bonne santé ou non, il semblerait que les aînés ne se sentent souvent pas concernés et ne perçoivent pas la nécessité de telles interventions. Il est à noter que, de façon générale, la réceptivité ou la réticence de la population aux efforts PP réfère aux interventions visant la modification des comportements individuels puisque ce sont celles-ci qui prévalent actuellement.
En raison des préjugés à l’égard des aînés qui sont véhiculés, les activités PP sont souvent perçues par les répondants comme étant non pertinentes pour cette population. Cela constitue donc un obstacle supplémentaire à l’implantation de telles activités.
C04 : « Mais la population en général, je pense qu’elle est touchée par les stéréotypes qui sont plus… bon, les personnes âgées, c’est plus un fardeau qu’autre chose, puis… quand on vieillit, on vieillit, […] c’est plus le temps de faire de la prévention, là. »
Demandes et implication du territoire
Les demandes de services PP logées aux CSSS sont relativement fréquentes mais concernent surtout la présentation de contenu de programmations existantes. Ce sont généralement les interventions individuelles ou de groupes, par le biais de conférences ou d’ateliers qui font l’objet de requêtes.
Selon les données, seuls les CSSS C et D (profils forts) sont sollicités par la population de leur territoire pour développer et mettre sur pied de nouvelles initiatives répondant à des besoins précis.
D02 : « Bien entre autres sur les abus. [La demande]est venue de la communauté. [Les] tables [de concertation] qui se sont formées et tout ça, c’est venu beaucoup des organisations, je pense. […] la Maison des Grands-Parents exemple, c’est aussi venu du milieu. »
C’est également au CSSS D que l’on caractérise le lobbying en faveur des aînés comme étant plus organisé que celui dédié aux enfants et on estime que la mobilisation substantielle des aînés facilite le déploiement d’activités PP leur étant destinées.
Dans les territoires A (profil limité), B et E (profils modérés), la collaboration s’articule autour de projets ciblant les individus tels que les services d’aide à domicile. Aux CSSS C et D, elle s’organise aussi autour de projets fondés sur une approche écologique tels que la revitalisation de quartier ou les projets « Villes amies des aînés».
C08 : « Il y a de plus en plus je crois, une volonté des partenaires intersectoriels, les partenaires municipaux, scolaires, etc., de travailler avec les partenaires de la santé dans une approche plus globale, dans une approche où on essaie d’être le plus proactif possible. »
L’implication considérable des organisations communautaires du territoire C (profil fort) dans les dossiers PP en font souvent les principaux responsables. Fait intéressant à noter, le CSSS fait l’objet de critiques de la part de certains répondants relativement à son manque d’orientation PP.
C02 : « …le milieu communautaire est très axé sur la PP. C’est vraiment leur créneau, c’est des gens qui ont toujours cru justement aux déterminants de la santé communautaire autour, et qui veulent agir sur justement les facteurs qui fait qu’une population n’est pas en santé, peu importe son âge et tout ça. Et ils trouvent bien sûr que nous on est plus en 2e ou 3e ligne, qu’on est beaucoup plus curatifs, beaucoup plus… et pas assez préventifs. »
Facteurs organisationnels
Structure organisationnelle
Les fusions entre les établissements inhérentes à la réforme ont exigé des modifications importantes des structures organisationnelles. Au moment des entretiens, les structures ainsi que l’état d’avancement des fusions différaient considérablement selon les CSSS. Le tableau 2 révèle une variation du nombre de structures fusionnées en fonction des CSSS, suggérant un lien avec le profil d’intégration. Un nombre moindre de structures fusionnées à l’intérieur d’un même CSSS pourrait ainsi être lié à un degré supérieur d’intégration de l’approche écologique. Quant à la localisation des activités PP dans l’organisation, dans certains milieux, notamment au CSSS D (profil fort), des équipes locales de santé publique avaient été implantées tandis qu’ailleurs, comme au CSSS C (profil fort), l’ensemble des activités PP étaient toujours intégrées au programme de soutien à domicile (SAD). Puisque ces établissements présentent tous deux un profil fort, il est difficile de pointer une structure organisationnelle particulièrement performante eu égard à l’intégration de l’approche écologique.
Quoi qu’il en soit, on note dans tous les CSSS une pratique davantage transversale de la PP où la responsabilité des interventions est généralement partagée par différentes directions. Dans tous les milieux, le secteur du SAD se voit attribuer une part importante de la responsabilité du déploiement des activités PP. Les professionnels responsables de la prestation de soins curatifs se voient donc souvent attribuer une responsabilité additionnelle impliquant la prévention-promotion. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que soient privilégiées des approches davantage individuelles. Le manque de ressources au SAD est invoqué dans tous les établissements pour expliquer les lacunes dans la pratique PP. Selon les répondants, les ressources étant insuffisantes pour assurer les soins curatifs, les interventions PP sont souvent reléguées au second plan :
A04 : « On demande aux gens qui sont déjà dans le curatif par-dessus la tête de faire ce job-là. Et ça, c’est insensé. »
Le degré avec lequel celles-ci seront effectivement implantées semble varier en fonction de diverses caractéristiques : type d’emploi, disponibilité et intérêt personnel du professionnel. Plusieurs commentaires évoquent la situation difficile des infirmières eu égard à la prévention-promotion :
E07 : « Il y a des individus qui sont très ancrés [...] travailleur social ou autre, très communautaire. Le fait peut-être d’avoir eu des cours très spécifiques à ça, l’approche communautaire, tandis que les infirmières un petit peu moins. »
C03 : « Nous (infirmières), à part le suivi de médication, les références au programme PAPA (Personnes âgées en perte d’autonomie) et la vaccination, c’est ça. Nous on n’a pas le temps de faire d’autres choses. On éteint des feux. »
Relativement à la structure des équipes, des répondants du CSSS C (profil fort) sont d’avis que l’existence d’équipes territoriales faciliterait la connaissance des ressources et des partenaires du territoire de même que le travail interdisciplinaire. À cet égard, il semble que la proximité des organisateurs communautaires et des autres intervenants favorise une reconnaissance du besoin d’agir sur différents déterminants de la santé et l’adoption d’une vision holiste de la PP. Ces avantages favoriseraient les interventions multi-cibles et multi-milieux.
De façon générale, les répondants estiment que la PP des aînés pourra bénéficier du contexte de fusion. Certains mentionnent notamment que la création d’équipes locales de santé publique devrait assurer aux activités PP des ressources suffisantes. Le contexte devrait également permettre de faire valoir les enjeux PP auprès de l’ensemble des dirigeants du CSSS, souvent davantage orientés vers les soins curatifs. En revanche, d’autres expriment certaines réserves à l’égard des fusions. À leur avis, les nombreux changements simultanés qu’elles entrainent créent un sentiment de ralentissement voire de désorganisation au sein des CSSS. Aussi, au CSSS D (profil fort), les fusions d’établissements font craindre que certains dossiers soient négligés. Le constat est néanmoins différent au CSSS C (profil fort), là où la fusion a été opérée il y a une dizaine d’années.
Planification de la programmation
Dans l’ensemble des CSSS, les priorités sont d’abord établies en fonction du programme national de santé publique (PNSP), des plans d’action régionaux (PAR) et locaux (PAL) étant donné les ententes de gestion et le financement leurs étant directement rattachés. Cela étant, les répondants sont d’avis que les aînés ne constituent une priorité de santé publique.
D02: « Moi là, ça fait deux, trois congrès que je vais de Santé Publique, de quoi on parle? Qu’est-ce qu’on valorise? Les enfants, le VIH… mais jamais, à peu près jamais question de cette dimension-là de la personne âgée et de la population qui vieillit. »
D’autre part, tel que spécifié dans les énoncés ministériels (Agence de développement de services de santé et de services sociaux de Montréal, 2004), les priorités régionales et locales doivent être arrimées aux besoins des populations en question. Or, des répondants des CSSS A (profil limité) et E (profil modéré) sont d’avis que la marge de manœuvre est limitée et qu’en conséquence, il arrive que l’on se sente « comme des exécutants des programmations en provenance de l’Agence » (E02). A l’opposé, les propos recueillis dans les sites B (profil modéré), C et D (profils forts), montrent une plus grande primauté accordée aux besoins locaux tels que révélés non seulement par les portraits de santé de leur population mais aussi par des consultations des partenaires qui apparaissent nettement plus étendues que dans les deux autres sites. En C, on rapporte également être ouvert à des révisions des ententes de gestion en fonction des besoins locaux.
Selon des répondants rencontrés dans au moins 3 CSSS (B, C et D), d’autres facteurs expliqueraient la position défavorable de la PP vis-à-vis du curatif, à savoir les modes de financement et de reddition de comptes.
C02: « le curatif est capable de te faire une démonstration statistique: [contrairement à la] PP, tu ne peux pas en chiffrer [les résultats]. [Par exemple,] on a sensibilisé tant de personnes l’an dernier à telle problématique, combien ont effectivement changé leurs habitudes de vie, combien ont effectivement cessé de fumer […] on ne le sait pas […] on a un discours très théorique […] et à côté t’as un discours statistique, t’as de la misère à faire le poids. »
Normes organisationnelles
Quoique les répondants occupant des postes-cadres notent un équilibre entre la PP et le curatif, l’opinion dominante évoque toutefois plutôt une importance accrue des soins curatifs, en raison des grands besoins individuels et curatifs des aînés.
D04: « …quand tu parles de PP de la santé, tu penses tout le temps à la petite enfance, la jeunesse, mais très peu aux aînés. C’est rendu très très curatif au niveau des aînés. »
Dans les sites A (profil limité) et E (profil modéré), quelques propos recueillis font état d’une vision plutôt réductionniste de même que d’opinions et d’attitudes défavorables à la PP destinée aux aînés. Toutes les organisations ne semblent visiblement pas encourager et soutenir les approches multi-cibles et multi-milieux avec la même ardeur. En effet, dans les CSSS B (profil modéré), C et D (profils forts), les répondants sont plus nombreux à reconnaître la nécessité de s’investir dans les partenariats. Parmi les CSSS dont les pratiques PP semblent soutenues, les CSSS C et D se démarquent par l’importance accordée aux actions ciblant l’environnement politique même si elles sont peu fréquentes et qu’il s’avère parfois délicat pour l’organisation de s’investir dans ces interventions.
Dans l’ensemble des milieux, les propos à l’égard des normes organisationnelles et des pratiques en vigueur vont de pair avec le degré d’intégration de l’approche écologique. Les répondants des CSSS C et D (profils forts) sont les seuls à être majoritairement d’avis que les interventions multi-cibles et multi-milieux font partie intégrante du mandat de l’organisation.
Enfin, malgré les opinions favorables à la PP pour les aînés, on note, dans tous les milieux, un manque d’enthousiasme et d’intérêt manifeste pour celle-ci.
D02: « Les aînés là, c’est pas populaire du tout. […] des fois le point de vue que j’ai c’est que c’est pas drôle travailler avec des aînés, ils sont chialeurs, ils ne sont pas vite . »
Autres facteurs
Pour terminer, contrairement aux autres établissements, des répondants des CSSS C et D (profils forts) rapportent que le budget alloué à la formation continue est largement supérieur au minimum de 1% de la masse salariale requis par la loi.
Les résultats (tableaux 4 et 5) révèlent des facteurs présentant un potentiel explicatif considérable en ce qui a trait au degré d’intégration de l’approche écologique ainsi que plusieurs contraintes communes à l’ensemble des établissements. La discussion sera abordée sous cet angle et s’attardera surtout aux principaux facteurs évoqués par les répondants.
B CSSS B seulement
C CSSS C seulement
B CSSS B seulement
C CSSS C seulement
D CSSS D seulement
E CSSS E seulement
Discussion
Compte tenu de son potentiel d’efficacité (Jackson et al., Reference Jackson, Perkins, Khandor, Cordwell, Hamann and Buasai2006; Navarro et al., Reference Navarro, Voetsch, Liburd, Giles and Collins2007), l’approche écologique continue d’être privilégiée pour le développement de programmes en promotion de la santé. Son implantation pose toutefois des défis et il est crucial de poursuivre les travaux afin de mieux connaître les conditions et dynamiques facilitantes à cet égard. La présente étude constitue un effort important en ce sens alors que des programmations PP de cinq CSSS et les facteurs qui y sont associés ont fait l’objet d’une étude de cas. Des variations notables de dimension écologique des programmations ont pu être reliées à des patrons particuliers de facteurs professionnels et contextuels. Ces résultats sont importants car ils permettent d’accroître la compréhension des facteurs influençant l’implantation de l’approche écologique. Cette étude est originale en ce qu’elle aborde le terrain peu étudié de l’intervention PP destinée aux aînés dans un contexte nouveau, celui des organisations locales de santé publique.
Cette recherche corrobore les résultats d’études antérieures. Quoique certaines organisations présentent des profils davantage écologiques, l’ensemble des programmations continue néanmoins d’inclure très souvent des interventions de type individuel. Les interventions ciblant les sphères politiques ou l’environnement social font encore figure d’exception (Richard, Gauvin, Gosselin, et al., Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008; Runciman et al., Reference Runciman, Watson, McIntosh and Tolson2006).
Contraintes communes aux organisations
Les analyses révèlent que plusieurs contraintes susceptibles de limiter l’implantation de l’approche écologique, particulièrement celles liées aux facteurs organisationnels, sont communes aux cinq organisations. Les contraintes les plus fréquemment invoquées sont les priorités concurrentes, les préjugés et le manque d’intérêt du personnel. De fait, plusieurs répondants ont élaboré longuement sur les responsabilités assumées par les professionnels impliqués au sein des programmes de soutien à domicile dédiés aux aînés, une clientèle souvent fragilisée par de nombreux problèmes de santé. Dans un contexte où les besoins en termes de soins curatifs ne peuvent attendre, il est fréquent que les interventions PP soient reléguées au second plan. L’obstacle qu’engendre ces priorités concurrentes (Robinson et al., Reference Robinson, Driedger, Elliott and Eyles2006) nourrit sans doute la perception que la forte proportion d’aînés constitue un frein aux activités PP. Également, le mode de prestation de soins au Programme de soutien à domicile favorise typiquement les interventions individuelles et limite la diversification des milieux d’interventions. Analysant les programmes prévention-promotion, Richard, Gauvin, Gosselin, et al. (Reference Richard, Gauvin, Gosselin, Ducharme, Sapinski and Trudel2008) et Runciman et al. (Reference Runciman, Watson, McIntosh and Tolson2006) ont effectivement observé que les aînés y sont plus souvent rejoints au domicile ou dans les établissements de santé que dans d’autres milieux de vie.
Bien que plusieurs recherches montrent les bénéfices des activités PP chez les aînés (Goetzel et al., Reference Goetzel, Reynolds, Breslow, Roper, Shechter and Stapleton2007; Rowe & Kahn, Reference Rowe and Kahn1998), les présents résultats révèlent que les idées à l’effet qu’il soit trop tard à cet âge pour investir des efforts en PP demeurent répandues. Ces préjugés à l’égard des aînés pourraient contribuer à expliquer le manque d’intérêt que suscite le travail PP auprès de cette population. L’âgisme, qui commence à être évoqué dans les écrits en santé publique (Ory, Kinney Hoffman, Hawkins, Sanner, & Mockenhaupt, Reference Ory, Kinney Hoffman, Hawkins, Sanner and Mockenhaupt2003), pourrait aussi contraindre les activités PP du fait qu’il nuit à la participation des aînés et à leur empowerment, stratégies communément associées aux efforts de promotion de la santé. Les résultats mettent enfin en lumière la réticence aux interventions PP dont font preuve certains aînés. Les présentes données ayant été recueillies auprès de professionnels et cadres impliqués dans les services aux aînés, il serait important d’étudier la question auprès des aînés eux-mêmes.
Principaux facteurs explicatifs des profils différentiels
L’analyse des résultats montre que certains facteurs sont associés à des profils différentiels d’implantation de l’approche : les partenariats avec l’externe, la formation du personnel, la structure des équipes, le processus de planification de la programmation ainsi que les normes organisationnelles.
La dimension écologique des programmations apparaît varier en fonction de la structure du réseau de partenaires impliqués ainsi que de la nature des collaborations instaurées avec ceux-ci. Les programmations sont davantage écologiques lorsque l’expertise des partenaires est mise à profit et que les collaborateurs sont nombreux et diversifiés, allant au-delà des alliances traditionnelles avec les résidences pour aînés, les professionnels de la santé et les organismes communautaires. Ces résultats sont peu étonnants puisque la collaboration intersectorielle est inhérente à l’approche écologique. Ces facteurs sont d’ailleurs parmi ceux les plus fréquemment cités dans les recherches portant sur les conditions d’implantation de pratiques PP (Agence de santé publique du Canada, 2005; Richard et al., Reference Richard, Gauvin, Potvin, Denis and Kishchuk2002, Reference Richard, Lehoux, Breton, Denis, Labrie and Leonard2004; Riley et al., Reference Riley, Taylor and Elliott2001; Robinson et al., Reference Robinson, Driedger, Elliott and Eyles2006; Simonsen-Rehn, Laamanen, Sundell, Brommels, & Suominen, Reference Simonsen-Rehn, Laamanen, Sundell, Brommels and Suominen2009). À cet égard, une étude canadienne conclut que le simple fait d’établir des collaborations ne suffit pas et que la qualité des partenariats et un historique de collaboration saine sont pré-requis au déploiement d’une diversité de stratégies visant une gamme élargie de déterminants de la santé (Robinson et al., Reference Robinson, Driedger, Elliott and Eyles2006).
La forte représentation des répondants détenant une formation dans une discipline sociale au sein des organisations C et D (profil fort) semble favoriser l’intégration de l’approche écologique. Ces résultats concordent avec une étude récente qui met en lumière qu’à l’exception des organisateurs communautaires, les intervenants des CSSS auraient une implication très limitée dans le développement communautaire (Caillouette, Garon, Dallaire, Boyer, & Ellyson, Reference Caillouette, Garon, Dallaire, Boyer and Ellyson2009). L’existence d’équipes territoriales interdisciplinaires au CSSS C suggère que la proximité et les liens qu’entretiennent les organisateurs communautaires avec les autres intervenants sont des éléments porteurs d’une meilleure intégration de l’approche écologique. L’apport favorable des équipes multidisciplinaires à l’implantation de programmations PP a déjà été évoqué (Riley et al., Reference Riley, Taylor and Elliott2001). Ces résultats vont également dans le sens de recommandations en faveur d’un travail ne reposant pas uniquement sur les organisateurs communautaires mais sur un engagement collectif au sein des CSSS (Caillouette et al., Reference Caillouette, Garon, Dallaire, Boyer and Ellyson2009). Toutefois, plusieurs répondants ont souligné l’absence d’une vision concertée et des capacités inégales entre différentes disciplines. Le décalage existant entre la formation et les pratiques attendues de certains professionnels, a été rapporté par diverses études, notamment dans le domaine des sciences infirmières (Richard, Gendron, et al., Reference Richard, Gendron, Beaudet, Boisvert, Garceau-Brodeur and Sauvé2010). À cet effet, les analyses suggèrent que la formation continue pourrait en partie pallier cette lacune, du fait qu’elle offre la possibilité de développer des habiletés pour l’approche écologique.
Au sujet des priorités organisationnelles, les répondants sont unanimes quant à l’influence décisive du PNSP sur la planification des programmations locales et sur la marge de manœuvre limitée que son application stricte laisse aux priorités locales. Caillouette et al. (Reference Caillouette, Garon, Dallaire, Boyer and Ellyson2009) sont d’avis que les actions territoriales visant le développement des communautés semblent en opposition avec la logique d’application des programmes nationaux auxquels sont rattachés un mode de reddition de comptes étroit. Une étude récente révèle également que bien que les deux-tiers des territoires CSSS du Québec présentent un profil moyen en ce qui a trait à l’offre et l’accès aux services de santé ainsi qu’à divers indicateurs de santé, le tiers des territoires présentent des portraits singuliers. Ceux-ci se distinguent, par exemple, par le degré de défavorisation des habitants, la proportion de personne âgées ou le degré de proximité aux services (Fleuret & Apparicio, Reference Fleuret and Apparicio2010). Ces constats constituent un plaidoyer en faveur d’un assouplissement des cadres de gestion et mettent en lumière la nécessité d’adapter l’offre de services aux besoins locaux. Cette solution, déjà adoptée sur le territoire C, pourrait peut-être en partie expliquer le fort niveau d’intégration de l’approche écologique dans la programmation PP de cet établissement.
Tel que mentionné précédemment, le contexte actuel fragilise la pratique de la PP et favorise la mobilisation des ressources vers les soins curatifs et les situations d’urgence de santé publique. Dans ce contexte, les normes organisationnelles en faveur des approches multi-cibles et multi-milieux, véhiculées au sein des organisations C et D (profils forts), semblent déterminantes pour un plus grand engagement en PP. Ces conclusions sont soutenues par des études montrant que le soutien (Simonsen-Rehn et al., Reference Simonsen-Rehn, Laamanen, Sundell, Brommels and Suominen2009) de même que les normes organisationnelles et les priorités accordées aux activités PP jouent un rôle significatif dans leur implantation (Riley et al., Reference Riley, Taylor and Elliott2001).
Deux thèmes ont été peu développés par les répondants; la responsabilité du gouvernement de développer et soutenir des programmations empreintes de l’approche écologique et la faible importance accordée à la PP des aînés dans l’agenda ministériel. Ces facteurs ont pourtant été abondamment discutés par les professionnels œuvrant dans les Direction de Santé Publique régionales (Richard, Gauvin, et al., Reference Richard, Gendron, Beaudet, Boisvert, Garceau-Brodeur and Sauvé2010). Les conditions susceptibles d’influencer l’intégration de l’approche écologique abordées dans la présente étude ont en effet davantage trait à des facteurs locaux qu’à des conditions découlant du contexte politique ou des enjeux liés à la planification et l’évaluation des interventions en santé communautaire. Ceci s’explique probablement du fait que les répondants des CSSS sont plus impliqués dans l’intervention directe; ils s’attardent donc davantage aux facteurs influençant celle-ci de façon proximale. Cependant, dans une optique d’amélioration des pratiques, il s’avèrera crucial de considérer les divers niveaux d’influence ainsi que le large éventail de conditions susceptibles d’influencer la dimension écologique des programmations.
Limites de l’étude
Tel que mentionné précédemment, l’étude s’est déroulée dans un contexte de changements organisationnels majeurs, où des transformations avaient lieu dans la plupart des établissements. L’état d’avancement de ces transformations étant variable d’un CSSS à l’autre, l’analyse de certains facteurs a par conséquent été limitée. Récemment, Fleuret et Apparicio (2010) évoquaient l’impact sur le financement et l’organisation des services du nombre d’installations et de la présence d’établissements CH et CHSLD à l’intérieur d’un CSSS. Bien que nos résultats laissent entrevoir un tel lien, l’influence des fusions n’a pu être investiguée de façon approfondie. Nos résultats justifient toutefois l’importance d’étudier la question dans des recherches futures. Dans le même sens, la formation d’équipes locales de santé publique étant récente, leur apport potentiel à l’amélioration des pratiques n’a pu être pleinement apprécié. Ce constat s’applique surtout au CSSS E où l’avancement des fusions était considérablement plus limité. En second lieu, bien que l’utilisation du modèle de Scheirer ait permis d’apprécier la contribution substantielle des facteurs externes à l’organisation, ce modèle ne permet toutefois pas de tenir compte de la capacité des partenaires à s’investir en lien, par exemple, avec leur niveau de ressources ou leur intérêt. Le fait que certains répondants aient évoqué ce type de contraintes confirme l’importance d’examiner ces facteurs au cours de recherches ultérieures. Plus largement, il y a lieu de reconnaître le caractère limité de la gamme de dimensions environnementales prises en compte dans la présente étude. À l’instar de Roberge et al. (Reference Roberge, Pineault, Borgès DaSilva, Cazale, Levesque and Ouellet2007), il aurait certes été intéressant d’examiner, par exemple, l’impact de variables telles les ressources disponibles dans chacun des territoires, ou encore les besoins de santé de la population. Pour terminer, la participation des répondants au processus de validation des résultats, qui a eu lieu au printemps 2009, a été compliquée par deux facteurs. Premièrement, le délai entre les entretiens initiaux et la phase de validation s’étendant parfois jusqu’à plus de deux années, certains répondants avaient alors quitté l’organisation. De plus, la phase de validation a concordé avec l’éclosion de la grippe A (H1N1) laquelle a grandement mobilisé le personnel des équipes de santé publiques locales, les rendant donc moins disponibles.
Conclusion
Cette étude attire l’attention sur un ensemble de conditions susceptibles d’influencer l’intégration de l’approche écologique dans les programmations PP destinées aux aînés. Les portraits dégagés permettent d’affirmer le rôle marquant des normes organisationnelles, de la nature des partenariats, du processus de planification de la programmation, de la formation et de la structure des équipes de professionnels dans l’implantation d’une approche écologique. Parmi les contraintes, le manque d’intérêt que suscite le travail en PP des aînés, les préjugés à leur égard ainsi que les priorités concurrentes en matière de santé ont également été soulignées. Ces résultats permettront de dégager des leviers d’action en vue d’optimiser l’offre de services en prévention-promotion et ce faisant, participeront aux efforts en vue d’ajuster la réponse du système de santé aux défis que pose le vieillissement de la population.