Introduction
À l'automne 2015, lorsque le premier ministre canadien maintint sa décision de retirer les avions de chasse canadiens de la coalition internationale dirigée par les États-Unis contre le groupe État islamique, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, déclara son soutien aux opérations militaires américaines en Syrie et en Irak et n'hésita pas à réclamer la poursuite des frappes aériennes canadiennes. De même, en avril 2017, il reconnut d'emblée la légitimité d'une attaque militaire ordonnée par Donald Trump contre le régime syrien. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, de telles prises de position du premier ministre du Québec ne sont pas rares, en dépit du fait qu'elles portent sur un domaine relevant de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. En effet, de nombreux premiers ministres québécois se sont prononcés publiquement sur des questions de défense nationale. Bernard Landry s'est opposé à la guerre contre l'Irak ; Jean Charest s'est exprimé en faveur de la guerre en Afghanistan ; et Pauline Marois s'est dite favorable à une participation canadienne à l'intervention militaire de la France au Mali.
Aucune étude n'a à ce jour cherché à comprendre pourquoi les premiers ministres québécois prennent régulièrement position sur certains conflits internationaux, qui relèvent pourtant clairement de la compétence fédérale. Tout au plus sait-on que le Québec est l'un des États non souverains les plus actifs sur la scène internationale, particulièrement dans les domaines économique, éducatif et culturel (Chaloux et Paquin, Reference Chaloux and Paquin2010 : 26). Si l’étude des relations internationales du Québec s'est élargie avec raison aux dimensions sécuritaires, celles-ci demeurent confinées à ce jour aux domaines de compétence québécoise (Fry, Reference Fry2012 ; Morin et Poliquin, Reference Morin and Poliquin2016). Or la doctrine Gérin-Lajoie, qui fonde l'action internationale du Québec depuis les années 1960, s'exprime conventionnellement comme le « prolongement externe des compétences internes » du Québec (Paquin, Reference Paquin2006a). Comment alors expliquer les prises de position de Québec en matière de guerre et de paix, qui dépassent largement les champs de compétence de la province au sein de la fédération canadienne ?
Cet article a pour but d'offrir un premier éclairage sur les motivations des élus québécois à se positionner sur des enjeux militaires et aux dynamiques qui les entourent. Pour ce faire, nous avançons trois hypothèses, confrontées tour à tour à l'ensemble des prises de position des élus québécois depuis le 11 septembre 2001 en matière d'intervention militaire. Bien que les membres de l'Assemblée nationale se soient prononcés sur d'autres opérations militaires antérieures à cette date –la participation canadienne aux guerres du Golfe (1990-91) et du Kosovo (1999), par exemple– notre étude se concentre sur les conflits armés postérieurs aux attentats terroristes de 2001, puisque le paysage sécuritaire international et la logique d'intervention des États ont connu d'importants changements après ces événements (Nossal et coll., Reference Nossal, Roussel and Paquin2015 : 343).
Premièrement, la paradiplomatie québécoise pourrait être marquée par un nationalisme identitaire, agissant comme outil d'affirmation et de différenciation nationales au-delà des compétences provinciales. Les prises de position du Québec en matière de défense représenteraient alors la manifestation d'un nationalisme identitaire bipartisan, par l'appropriation d'enjeux dépassant sa juridiction. Deuxièmement, plutôt que de représenter une tendance à connotation identitaire, l'affirmation québécoise sur des enjeux de compétence fédérale pourrait être la manifestation d'une protodiplomatie. Dans cette perspective, le gouvernement québécois, dirigé par le Parti québécois, tenterait par ses prises de position de contribuer à la réalisation de son principal objectif, la souveraineté du Québec. Troisièmement, les élus québécois pourraient s'aventurer sur le terrain de la sécurité internationale en raison de considérations électorales. Devant un électorat mobilisé par un enjeu saillant de compétence fédérale, les élus québécois pourraient chercher à consolider leur appui populaire, de manière à marquer leur distance vis-à-vis de leurs adversaires politiques. En somme, nous cherchons à évaluer si l'affirmation québécoise en matière de sécurité internationale est le fruit de motivations identitaires, souverainistes et/ou électorales.
L'article se divise en deux parties. Sur la base de la littérature sur les relations internationales des États non souverains, nous avançons tout d'abord les hypothèses permettant d'expliquer les pratiques québécoises en matière de guerre et de paix. Nous confrontons par la suite ces hypothèses aux positionnements québécois sur le sujet au cours des 15 dernières années. Bien que nous reconnaissions qu'une étude comparative vis-à-vis d'autres provinces canadiennes et d'autres États non souverains permettrait de parfaire notre compréhension de la paradiplomatie sécuritaire, une étude plus en profondeur du cas québécois nous apparaît essentielle afin de cerner, dans un premier temps, les motivations québécoises. Notre analyse démontre que la paradiplomatie identitaire offre une meilleure explication des pratiques québécoises que les hypothèses souverainiste et électorale. Bref, l'affirmation québécoise en matière de guerre et de paix est marquée par un nationalisme identitaire agissant comme outil de différenciation nationale au-delà des compétences provinciales. Nous proposons en conclusion quelques pistes de recherche en vue d'avancer l’étude de la paradiplomatie sécuritaire.
La paradiplomatie
La « paradiplomatie » représente le concept phare permettant de concevoir la participation des entités constitutives et non souveraines d'un État, par exemple les provinces canadiennes ou les Länder allemands, dans les affaires internationales (Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 2). Il désigne l'ensemble des activités internationales des gouvernements subétatiques exercées parallèlement à la diplomatie officielle de l’État national (Criekemans, Reference Criekemans2010 : 62). Ces activités incluent les rencontres et ententes diplomatiques et commerciales, de même que les prises de position des gouvernements subétatiques à l’égard des affaires internationalesFootnote 1.
Afin d'assurer sa coexistence pacifique avec la diplomatie de l’État central et son insertion dans un ordre international structuré par les États souverains, la paradiplomatie demeure une activité ne devant pas, en théorie, entrer en contradiction avec la politique étrangère du gouvernement national (Cornago, Reference Cornago2010 : 32 ; McHugh, Reference McHugh2015 : 240 ; Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 64). Pour ce faire, la paradiplomatie demeure confinée aux champs de compétence constitutionnelles des gouvernements subétatiques. Les activités extraterritoriales des gouvernements subétatiques seraient donc limitées aux domaines dans lesquels ils exercent leurs prérogatives à l'interne (Lecours, Reference Lecours2002 : 93 ; Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 30 ; McHugh, Reference McHugh2015 : 238-240). Ainsi, la doctrine Gérin-Lajoie, qui fonde l'action internationale du Québec depuis les années 1960, s'exprime conventionnellement comme étant le « prolongement international des compétences internes du Québec » (Chaloux et Paquin, Reference Chaloux and Paquin2010 : 36). Dans les mots de l'ancien premier ministre québécois, Jean Charest : « Il ne fait aucun doute que le Québec a un rôle à jouer sur la scène internationale, et qu'il a la liberté et le droit de conclure les ententes dans les champs de compétence avec des États, des régions et des organisations internationales […]. Ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout » (Déclaration du 24 février 2004, citée dans Yannick, Reference Yannick2016 : 84).
Les compétences des États non souverains se limitent traditionnellement aux enjeux économiques, sociaux et culturels (Cornago, Reference Cornago1999 : 40). La Constitution canadienne est cependant un peu plus permissive. Elle accorde aux provinces la compétence exclusive en matière d’éducation et de santé, par exemple. Elle attribue également une double juridiction à plusieurs domaines, dont l'immigration, l'environnement, la culture et la langue. La Constitution canadienne est ainsi imprécise en ce qui a trait aux affaires internationales, puisque les traités internationaux semblent être de facto de juridiction partagée (Paquin, Reference Paquin2005 ; McHugh, Reference McHugh2015 : 239). Mais en matière de défense nationale, la Constitution du Canada est limpide : il s'agit d'une juridiction relevant exclusivement de la compétence d'Ottawa et, plus spécifiquement, des prérogatives royales de l'exécutif fédéral.
Si l'internationalisation des enjeux couverts par les accords interétatiques a entraîné un élargissement des domaines d'action internationale du Québec et une plus grande coopération fédérale-provinciale en matière d'affaires internationales (Cornago, Reference Cornago1999 : 52 ; Paquin, Reference Paquin2004 : 207), aucun partage de pouvoir ne fut consenti en ce qui a trait à la sécurité internationale. Le statut québécois de gouvernement participant à la Francophonie fut d'ailleurs obtenu à condition explicite « que cette participation se [fasse] dans le plein respect de la souveraineté et de la compétence internationale des États membres » (Yannick, Reference Yannick2016 : 95). Le Québec obtenait ainsi le statut d'acteur politique international à la condition qu'il ne parle, en son propre nom mais au sein de la délégation canadienne, que des domaines qui relèvent de sa compétence constitutionnelle. Similairement, l'entente conclue entre Brian Mulroney et Pierre Marc Johnson sur la participation du Québec aux sommets de la Francophonie stipulait explicitement que le Québec ne pouvait s'exprimer de plein droit en tant que gouvernement participant que sur les sujets concernant la coopération et le développement. Il lui était formellement interdit de s'exprimer sur les questions de politique internationale ; et il ne pouvait intervenir sur les sujets économiques qu'avec l'autorisation d'Ottawa (Paquin, Reference Paquin2006b : 46 ; Rémillard, Reference Rémillard2007–2008). Ceci n'empêcha pourtant pas Robert Bourassa, lors du premier Sommet de la Francophonie en 1986, de prendre la parole sur des questions politiques et économiques, vexant de ce fait les autorités canadiennes.
La paradiplomatie, formalisée au Québec par la doctrine Gérin-Lajoie du prolongement international des compétences provinciales, semble donc difficilement apte à saisir l’éventail réel des pratiques internationales du Québec. Ce dernier tend à se prononcer sur des questions qui outrepassent ses compétences constitutionnelles. Comment alors comprendre la volonté québécoise de dépasser les limites constitutionnelles qui lui sont dévolues en matière de relations internationales ?
La paradiplomatie identitaire
La notion de paradiplomatie identitaire, avancée par Stéphane Paquin, offre une première piste de réponse. Elle est définie comme « une politique étrangère sur le plan subétatique, dont l'objectif fondamental vise le renforcement ou la construction de la nation minoritaire dans le cadre d'un pays multinational » (Paquin, Reference Paquin2004 : 203). La paradiplomatie identitaire vise ainsi à promouvoir les valeurs et les intérêts d'une nation minoritaire, telle que le Québec, tant pour faire valoir sa spécificité vis-à-vis du reste de la fédération canadienne que pour forger sa propre image nationale, c'est-à-dire une personnalité distincte sur la scène internationale (Paquin, Reference Paquin2004 : 209). L'atteinte de cet objectif transcende les limites des juridictions constitutionnelles de la province, puisqu'il s'agit d'un processus de construction de la nation–son émergence et sa consolidation nécessitent à la fois d'acquérir les ressources qui lui manquent à l'interne et de poursuivre sa quête de reconnaissance, d'autonomie politique, de distinction culturelle, de rayonnement et de légitimité sur la scène internationale (Paquin, Reference Paquin2004 : 203 ; Lecours, Reference Lecours, Duthoit and Huijgh2008 : 3).
La paradiplomatie québécoise se distingue ainsi de celle des autres provinces canadiennes, dont l'Alberta, la deuxième province canadienne la plus active sur la scène internationale (Lecours, Reference Lecours and Michelmann2009). À l’étranger, les représentants provinciaux s'affichent d'abord et avant tout comme Canadiens et cherchent à harmoniser leur paradiplomatie à la diplomatie canadienne, ne transgressant que très rarement les limites de la Constitution (Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 120-152). Plus encore, la paradiplomatie des provinces canadiennes est avant tout marquée par des motivations économiques, et ce, même lorsqu'il s'agit d'enjeux de sécurité internationale. Ainsi, lorsque les premiers ministres albertain et ontarien prirent publiquement position en faveur d'une participation canadienne à l'invasion de l'Irak en mars 2003, des intérêts économiques–éviter d’éventuelles représailles américaines sur le commerce transfrontalier–motivaient leur rebuffade à l'encontre du premier ministre fédéral Jean Chrétien (Thompson, Reference Thompson2003 : 21 ; voir également Robitaille, Reference Robitaille2003)Footnote 2.
En revanche, il découle de la paradiplomatie identitaire une volonté d'accroître la visibilité et la reconnaissance de la nation minoritaire à l’étranger en faisant la promotion du caractère distinct de ses valeurs et de ses intérêts. La prise de parole d'une nation est en effet fondamentale pour la définition et la reconnaissance internationale de son identité. Dans les mots d'André Lecours et de Luis Moreno (Reference Lecours and Moreno2001 : 3) : « Creating and shaping national identities necessitates ‘speaking the nation’, that is, promoting the idea of a national community ». Kuznetsov (Reference Kuznetsov2015 : 129) relève ainsi que les problèmes liés au « nation-building process » peuvent être une motivation importante pour le déploiement d'une paradiplomatie ; cela est vrai de la paradiplomatie québécoise, mais non de celle de l'Alberta. En revanche, d'autres États non souverains marqués par un nationalisme minoritaire, notamment la Catalogne, le Pays basque et l’Écosse, ont développé un grand nombre d'activités internationales dans un but de consolidation identitaire et de promotion de leur spécificité nationale à l’étranger (Paquin, Reference Paquin2004 ; Ferrando, Reference Ferrando and Grydehøj2014). Ces activités vont parfois au-delà des pouvoirs qui leur sont constitutionnellement reconnus. Par exemple, la Catalogne et le Pays basque se sont à plusieurs reprises affirmés en tant que nations « pacifistes », notamment eu égard aux interventions militaires en Afghanistan et en Irak, et ce, alors même que les enjeux de guerre et de paix ne concernent exclusivement que l’État espagnol (Bizoux, Reference Bizoux2006 : 124 ; Aldecoa et Carnago, Reference Aldecoa, Cornago and Michelmann2009 : 248). L'on devrait donc s'attendre à ce que les prises de position gouvernementales au-delà des compétences constitutionnelles soient teintées d'un langage nationaliste, mettant de l'avant les spécificités de la nation minoritaire.
Ceci ne signifie toutefois pas que les prises de position d'un gouvernement subétatique en matière de sécurité internationale seront nécessairement contraires à celles du gouvernement central. La paradiplomatie identitaire, mue par le nationalisme minoritaire, cherche en effet à influencer la conduite des affaires extérieures de l’État central (Lecours, Reference Lecours2002 : 106 ; McHugh, Reference McHugh2015 : 251). Elle sert d'outil à la défense des valeurs et des intérêts propres à la nation minoritaire, qu'ils soient ou non en accord avec ceux de l’État multinational (Chaloux et Paquin, Reference Chaloux and Paquin2010 : 30). La paradiplomatie identitaire peut ainsi s'exercer de manière coordonnée et harmonieuse avec la diplomatie centrale, ou encore s'avérer conflictuelle en devenant le vecteur d'intérêts dissidents ou contraires (Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 64).
Ceci étant, la paradiplomatie identitaire ayant pour principal objectif de consolider l'identité nationale, son exercice cherchera à mettre de l'avant la spécificité des valeurs et des intérêts de la nation minoritaire. Dans le cas du Québec, l'on peut s'attendre à ce que les élus soulignent les traits dits « pacifiques » (et non pacifistes) qui caractérisent les attitudes d'une grande majorité de Québécois en matière de sécurité internationale et les distinguent des autres régions canadiennes (Massie, Reference Massie2008). Mais si les Québécois se différencient des autres provinces canadiennes par une plus grande réticence à recourir à la force militaire sur la scène internationale, il n'en demeure pas moins qu'ils soutiennent, en certaines circonstances, la participation canadienne à la guerre. Les interventions militaires post-2001 jouissant d'une légitimité multilatérale, d'un cadre légal et ne causant pas de nombreux décès parmi les Forces armées canadiennes ont ainsi toutes été soutenues par une majorité de Québécois (Massie et Boucher, Reference Massie and Boucher2013). L'exercice de la paradiplomatie sécuritaire du Québec devrait dès lors être marqué par l'affirmation des spécificités québécoises en matière de sécurité internationale.
Une troisième dimension de l'explication identitaire réside dans son caractère bipartisan. Le nationalisme n'est effectivement pas l'apanage du mouvement sécessionniste québécois (Chaloux et Paquin, Reference Chaloux and Paquin2010 : 27). Les efforts de construction, d'affirmation et de consolidation de la nation québécoise sur la scène internationale ont été menés tant sous l’égide du Parti québécois (PQ) que sous celle du Parti libéral du Québec (PLQ). Les libéraux ont même souvent été plus actifs que les péquistes pour faire rayonner le Québec à l’étranger, les premiers y trouvant un moyen approprié d'affirmer la place unique qu'occupe la nation québécoise au sein de la fédération canadienne et de proclamer sa différence, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à la solution plus radicale de la souveraineté (Keating, Reference Keating1999 : 12 ; Jeyabalaratnam et Paquin, Reference Jeyabalaratnam and Paquin2016).
En somme, les prises de position du gouvernement du Québec en matière de guerre et de paix pourraient s'expliquer par le nationalisme minoritaire qui alimente la paradiplomatie identitaire de la province depuis les années 1960. Si cette explication devait s'avérer juste, l'on devrait observer, dans l'affirmation du Québec sur des questions de sécurité internationale, des positions à connotation nationaliste (c'est-à-dire promouvant la spécificité de la nation québécoise), ne contestant pas nécessairement les positions canadiennes et mises de l'avant autant par les gouvernements péquistes que libéraux.
La protodiplomatie
La protodiplomatie désigne l'ensemble des activités internationales des entités subétatiques visant à obtenir le statut d’État souverain (Duchacek, Reference Duchacek1986 : 246-248). Ceci comprend notamment l'aspiration à l'autodétermination et la quête de reconnaissance internationale, la protection de l'intégrité territoriale et le développement d'une politique étrangère indépendante couvrant l'ensemble des champs d'action d'un État souverain (McHugh, Reference McHugh2015 : 248). Dans cette perspective, il apparaît plausible d'avancer que l'objectif ultime de quête de souveraineté pourrait expliquer la propension du Québec, et plus précisément du Parti québécois, à prendre la parole sur des enjeux de sécurité internationale.
En effet, sous la gouverne du PQ, le Québec a cherché à acquérir de plus en plus d'autonomie et de reconnaissance internationales. Il n'a pas ménagé ses efforts afin de promouvoir son projet d'indépendance dans l'espoir de récolter des appuis de la part d’États souverains, en particulier à la veille du référendum sur la souveraineté de 1995 (Lecours, Reference Lecours2002 : 107 ; McHugh, Reference McHugh2015 : 250-251). Il a également tenu à s'exprimer en faveur des mouvements sécessionnistes au sein d'autres démocraties avancées, telles que l’Écosse et la Catalogne, de manière à légitimer le projet d'indépendance québécoise. À ceci s'ajoute la volonté de s'arroger le jus tractandi réservé au gouvernement fédéral en entretenant volontairement le flou sémantique entre « entente » et « traité » lors de la conclusion d'accords avec des nations étrangères (Keating, Reference Keating1999 : 11), ou encore le protocole officiel entourant les rencontres entre le premier ministre du Québec et les chefs de gouvernements et d’États souverains. Les partis sécessionnistes d’Écosse et de Catalogne ont présenté des comportements similaires, en particulier lors des périodes préréférendaires de 2014 (Ferrando, Reference Ferrando and Grydehøj2014 ; Beasley et Kaarbo, Reference Beasley and Kaarbo2017). Ces efforts visaient à repousser les limites imposées par leur cadre constitutionnel et à s'en émanciper par l'obtention d'appuis à la quête de souveraineté.
Contrairement à la paradiplomatie, qui découle des compétences internes des entités subétatiques, et contrairement à la paradiplomatie identitaire, qui vise à consolider l'identité distincte de la nation minoritaire, la protodiplomatie entraîne nécessairement des conflits avec le gouvernement central (Kuznetsov, Reference Kuznetsov2015 : 64). Elle n'entend pas influencer la politique étrangère du gouvernement central ; elle tente plutôt de s'approprier les pleins pouvoirs étatiques. Il s'agit donc d'un conflit opposant le gouvernement sécessionniste, souhaitant s'arroger une pleine souveraineté, et le gouvernement central, souhaitant préserver l'intégrité territoriale de l’État multinational mise en péril.
La protodiplomatie pourrait expliquer la tendance du Québec à prendre position sur des enjeux de sécurité internationale. Trois caractéristiques structureraient alors l'affirmation québécoise en matière de guerre et de paix : les prises de position contesteront immanquablement celles du gouvernement fédéral, elles s'exprimeront de manière à soutenir la sécession du Québec et seront le fait unique du gouvernement péquiste.
La compétition électorale
Les pratiques internationales du Québec pourraient également s'expliquer par les divergences partisanes qui marquent celles de toute autre démocratie libérale évoluant dans un contexte de compétition électorale. Les fédérations démocratiques sont caractérisées par un pluralisme politique qui favorise l’émergence d'une paradiplomatie mue par la compétition électorale en matière de politique étrangère et l'avancement d'intérêts partisans pouvant entrer en contradiction avec la diplomatie du gouvernement central. Ceux-ci sont le reflet d'une segmentation objective et perceptuelle de la politique étrangère, c'est-à-dire de différences idéologiques, linguistiques, culturelles ou religieuses existant entre l’État fédéré et le gouvernement fédéral et pouvant susciter des divergences d'intérêts politiques, une dynamique très présente au Canada (Soldatos, Reference Soldatos, Michelmann and Soldatos1999 : 36-44). Autrement dit, le caractère fédéral et démocratique du Canada engendrerait une segmentation des conceptions de l'intérêt national au sein des élites et de la population.
Pour qu'un affrontement électoral entre des conceptions divergentes de l'intérêt national ait lieu, trois conditions doivent être réunies. Premièrement, il est nécessaire que les élus évoluent en contexte électoral et qu'ils cherchent à se faire réélire lors du prochain scrutin provincial. À défaut d'intérêts électoraux, les élus n'auront pas d'incitatifs à entrer dans une compétition partisane (Smith, Reference Smith2004). Il est à noter que la compétition partisane peut à la fois se trouver dans la sphère provinciale et fédérale. Autrement dit, des divergences partisanes sur des enjeux de sécurité internationale peuvent éclater entre des élus de partis politiques différents autant sur la scène provinciale que fédérale.
Deuxièmement, un segment significatif de l'opinion publique québécoise doit exprimer des opinions distinctes à l’égard d'un enjeu de guerre et de paix, de façon à ce que des élus québécois perçoivent un avantage partisan à les représenter dans leurs prises de position publiques. Comme toute autre démocratie libérale, le Québec est composé de segments idéologiques évoluant sur une échelle de gauche à droite (Bastien et coll., Reference Bastien, Bélanger and Gélineau2013). Et comme dans toute autre démocratie libérale (Müller et Strøm, Reference Müller and Strøm1999), les élus québécois cherchent à consolider leurs appuis populaires afin de prendre ou conserver le pouvoir, de manière à mettre en œuvre leur programme électoral. Il est en conséquence raisonnable d'anticiper que le parti politique au pouvoir s'exprimera sur des enjeux de guerre et de paix de manière à refléter les préférences de son électorat, et plus particulièrement celles de sa base militante (Aldrich, Reference Aldrich1995 : 33-36).
Le corollaire de cette condition est que l'enjeu en question doit être saillant pour les élus québécois. L'opinion publique à l’égard d'enjeux non saillants risque en effet de ne pas être considérée comme digne d'intérêt politique de la part des élites gouvernantes (Jones, Reference Jones1994 : 123). Les enjeux de guerre et de paix sont cependant souvent perçus par la population comme étant de moindre importance par rapport à d'autres enjeux relevant de la politique intérieure. Moins couverts par les médias et moins proches des électeurs, les enjeux de défense nationale sont, au Canada, de bien moindre importance auprès des électeurs que ceux portant sur la santé et l’éducation, notamment (Soroka et Wlezien, Reference Soroka and Wlezien2004). En dépit de ce fait, les élus peuvent percevoir un enjeu de sécurité internationale comme étant saillant. D'une part, certains enjeux, telle l'invasion de l'Irak, mobilisent directement l'opinion publique en raison, notamment, de leur visibilité médiatique. Dans de telles circonstances, les élus québécois ont intérêt à représenter les préférences distinctes de leur électorat, faute de quoi ils seront perçus comme négligeant les enjeux prioritaires de la population et pourraient en souffrir électoralement (Klüver et Sagarzazu, Reference Klüver and Sagarzazu2016). D'autre part, certains enjeux peuvent être perçus comme saillants par les élus en raison de la compétition électorale. Les membres du parti au pouvoir peuvent en effet craindre que l'opinion publique à l’égard de certains enjeux soit mobilisée par les partis d'opposition, lesquels tentent d'offrir une alternative crédible au gouvernement (Blais et coll., Reference Blais, Blake and Dion1993). Le gouvernement cherchera, en conséquence, à refléter les préférences de son électorat de manière à empêcher ses adversaires d'en profiter électoralement.
En somme, devant un électorat potentiellement mobilisé par un enjeu saillant, les élus québécois pourraient chercher, en contexte électoral, à consolider leur appui populaire en prenant position sur des enjeux de sécurité internationale à saveur partisane. Ceci est d'autant plus probable si les élus québécois font face à des adversaires politiques, autant à Québec qu’à Ottawa, qui expriment eux aussi les préférences de leur électorat en matière de guerre et de paix.
Méthode et données
Afin d’évaluer pourquoi les élus québécois s'expriment régulièrement en matière de guerre et de paix, nous confrontons chacune des trois explications formulées ci-dessus à l'ensemble des prises de position des chefs de partis reconnus à l'Assemblée nationale. Pour ce faire, nous avons colligé toutes les déclarations émises officiellement (communiqués gouvernementaux, débats à l'Assemblée nationale, programmes électoraux) et lors d'entrevues médiatiques, entre septembre 2001 et septembre 2016, concernant les interventions militaires du Canada sur la scène internationale. Les données ont été recueillies dans le Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec et via le moteur de recherche Eurêka afin de retracer les articles de quotidiens. Pour guider la collecte, nous avons circonscrit la recherche à l'aide de combinaisons de mots-clés (Québec et Irak, Québec et Afghanistan, etc.) portant sur l'ensemble des interventions militaires canadiennes entre septembre 2001 et septembre 2016. Plus spécifiquement, le Canada a pris part ou a refusé de participer à six conflits au cours de la période à l’étude : la guerre d'Afghanistan, l'invasion de l'Irak, la guerre en Libye, la guerre contre l’État islamique, le conflit au Mali et le conflit en Ukraine. Nous avons donc recensé l'ensemble des prises de positions des chefs de parti québécois à l’égard de chacun de ces conflits. L'analyse des données fut basée sur une évaluation qualitative de la congruence des déclarations vis-à-vis des caractéristiques propres à chacune des explications. Cette méthode permit de mieux saisir le sens (nationaliste, sécessionniste, électoraliste) des déclarations, lesquelles sont étayées dans les sections suivantes par des exemples représentatifsFootnote 3. Le tableau 1 offre un aperçu comparatif des hypothèses évaluées.
Tableau 1 Caractéristiques des explications

Au cours de la période évaluée, le Parti québécois fut au pouvoir de septembre 2001 à mars 2003, sous la direction de Bernard Landry, puis de septembre 2012 à avril 2013 sous la gouverne de Pauline Marois. Le PLQ fut quant à lui au pouvoir sous Jean Charest (2003-2012) et Philippe Couillard (2013 à ce jour). Du côté d'Ottawa, le PCC fut au pouvoir de janvier 2006 à octobre 2015 sous la gouverne de Stephen Harper. Le PLC fut au pouvoir à l'extérieur de ces dates, sous la direction de Jean Chrétien (2001-2003), Paul Martin (2004-2006) et de Justin Trudeau (2015 à ce jour). Ces différents gouvernements offrent la possibilité d’évaluer les dynamiques inter-partisanes des explications proposées. Les prochaines sections cherchent à expliquer les variations observées quant aux déclarations québécoises en matière de guerre et de paix à l’égard de ces différents conflits à l’étude.
La guerre d'Afghanistan
Quelques jours après le début de l'offensive américaine en Afghanistan, le premier ministre Landry s'immisça au-delà des champs de compétence provinciale en offrant son appui à la guerre d'Afghanistan. « Les États-Unis d'Amérique ont commencé, le 7 octobre, leur riposte militaire. Cette riposte ciblée est pleinement légitime… Aujourd'hui, je dis à nos amis des États-Unis d'Amérique : le Québec est à vos côtés » (Assemblée nationale du Québec : 2001). Cet appui fut partagé par le leader de l'opposition officielle, Jean Charest, qui offrit sa solidarité en anglais : « We, like all other citizens of the world, also shared their pain on the 11th of September and we now share, we now share in the determination to wipe out terrorism » (Assemblée nationale du Québec, 2001). L'Assemblée nationale adopta à l'unanimité une motion condamnant « énergiquement les actes infâmes de terrorisme commis ce jour-là » et appuyant « l'adoption de mesures d'ordres diplomatique, judiciaire, économique et autres afin d’éliminer le terrorisme » (Assemblée nationale du Québec, 2001). La motion ne cautionna donc pas explicitement l'appui offert par le premier ministre à l'offensive militaire dirigée par les États-Unis et n'offrit pas non plus de soutien aux militaires canadiens déployés aux côtés de leurs alliés américains et européens. Ce n'est qu'en avril 2002, suite aux premiers décès de militaires canadiens, que l'Assemblée nationale adopta à l'unanimité une motion soulignant « la contribution des militaires canadiens à la défense de la liberté et au maintien de la paix mondiale » (Assemblée nationale du Québec, 2002).
Un tel consensus bipartisan sur la guerre d'Afghanistan se maintint au cours des premières années de la guerre, en particulier de la part du premier ministre Jean Charest. Ce dernier souligna, lors du jour du Souvenir, le déploiement de soldats québécois en Afghanistan. En novembre 2003, il remercia ces derniers d’« aller affirmer l'une des valeurs les plus profondes du peuple québécois, notre attachement à la paix » à Kaboul (Assemblée nationale du Québec, 2003b). Réitérant ses remerciements aux soldats québécois déployés outre-mer en novembre 2005, il adopta un langage encore plus clair : « Ces femmes et ces hommes de chez nous, bien qu'ils portent des armes, ne sont pas en contradiction avec le profond pacifisme des Québécois, tout au contraire, ils en sont le bras. Notre attachement à la paix ne serait qu'un vœu pieux s'il n'y avait pas parmi nous des hommes et des femmes prêts à aller maintenir la paix et, dans certains cas, à imposer la paix » (Assemblée nationale du Québec, 2005). Mettant de l'avant les valeurs spécifiques des Québécois–soi-disant « pacifistes »–les interventions de M. Charest contribuèrent à renforcer la paradiplomatie identitaire du Québec.
L'explication de la paradiplomatie identitaire est d'autant plus probante que l'appui de M. Charest se maintint en dépit de la montée en flèche de l'opposition populaire à la guerre d'Afghanistan, suite aux décès accumulés de soldats canadiens à l’été 2006 (Massie et Haglund, Reference Massie and Haglund2014 : 182). Le premier ministre appuya le prolongement de la mission canadienne de contre-insurrection à Kandahar : « Nous sommes engagés jusqu'en 2009. C'est un débat qui a été fait, une décision a été prise et, une fois que la décision est prise, il faut l'appuyer… C'est pour l'avenir du monde qu'ils [les soldats canadiens] participent maintenant à des missions à l'étranger » (Lacoursière, Reference Lacoursière2006 : A5). Plus encore, M. Charest réitéra son appréciation des soldats québécois comme « bras agissant » du pacifisme québécois : « Des centaines de Québécois… s'engagent sous les drapeaux pour défendre la justice et la liberté et mettent en péril leur propre vie. En agissant ainsi, M. le Président, ils ne vont pas à l'encontre du pacifisme qui est une très grande valeur des Québécois. Ils en sont au contraire le bras agissant » (Assemblée nationale du Québec, 2006).
Le consensus bipartisan avec le PQ cessa sous la gouverne de Pauline Marois. Cette dernière exprima son désaveu à l’égard de la mission de combat menée par le Canada en Afghanistan. En octobre 2007, elle déclara : « Les Québécois et les Canadiens ont une chance incroyable de vivre dans une société de paix hautement démocratique. Pacifistes, les Québécois le sont : près de sept Québécois sur 10 s'opposent à la présence des soldats en Afghanistan, et c'est le cas de notre formation politique, qui souhaite que la mission en Afghanistan se termine en février 2009 » (Assemblée nationale du Québec, 2007). Cette déclaration semble attester de considérations électorales qui ont amené la chef du PQ à rompre avec la position adoptée par Bernard Landry aux débuts de la guerre d'Afghanistan. Ce n'est effectivement qu’à partir de 2006 que l'appui populaire des Québécois à l’égard de la mission canadienne en Afghanistan chuta drastiquement. Entre 2006 et 2011, seuls 28% d'entre eux appuyaient la poursuite de l'effort de guerre du Canada dans ce pays (Massie et Boucher, Reference Massie and Boucher2013 : 377). La saillance de la guerre–indéniable compte tenu de la couverture médiatique du décès de militaires canadiens–et les échéances électorales (les 26 mars 2007 et 8 décembre 2008) ont plausiblement pesé dans la prise de position de Mme Marois. D'ailleurs, Mme Marois vota en faveur d'une motion soulignant « son appréciation de la contribution des Québécoises et des Québécois déployés en Afghanistan, notamment dans la lutte continue contre le terrorisme », suite à la mort d'Oussama Ben Laden (Assemblée nationale du Québec, 2011).
De manière plus surprenante, le premier ministre Jean Charest choisit de maintenir son soutien à la mission canadienne en dépit du faible appui populaire à la guerre. Par exemple, en juin 2007, un sondage révélait une opposition ferme au déploiement de Québécois à Kandahar. Seuls 28% des Québécois sondés exprimaient leur appui, dont un sommet de 38% parmi les habitants de la grande région de Québec (Léger Marketing, 2007). Comment expliquer le soutien du premier ministre à la mission canadienne de combat en dépit de l'opposition d'une large majorité de Québécois ? D'une part, les prises de position de M. Charest semblent davantage marquées par une volonté d'appuyer les soldats québécois déployés en zone de combat que de louanger la mission en tant que telle. La paradiplomatie sécuritaire résiderait en ce sens sur des intérêts concrets, à savoir de soutenir les troupes nationales lorsque celles-ci sont déployées au service de l’État canadien.
D'autre part, le premier ministre Charest pourrait avoir perçu peu de coûts électoraux à son positionnement en soutien aux troupes québécoises. En effet, le Parti québécois, même sous la direction de Pauline Marois, ne chercha pas à mobiliser l'appui populaire québécois sur la question afghane. Ni la plateforme électorale de 2007 ni celle de 2008 ne font mention du conflit en question. Seule celle produite en prévision des élections de 2012, soit après la fin de la mission de combat du Canada, évoque le conflit de manière à mobiliser l'appui à la souveraineté du Québec. « Depuis plus de 40 ans », plaide-t-elle, « le gouvernement fédéral freine ou interdit la présence et l'affirmation du Québec sur la scène internationale, ce qui l'empêche de défendre avec toute la vigueur requise ses intérêts et ses valeurs. Les grandes décisions de politique étrangère, comme l'engagement militaire en Afghanistan ou la position canadienne face aux changements climatiques, sont prises par Ottawa, trop souvent en contradiction avec les intérêts et les valeurs du Québec » (Parti québécois, 2011 : 45). La protodiplomatie du PQ semble dès lors s’être appuyée sur l'impopularité du conflit afghan afin de faire valoir les avantages de la sécession du Québec, mais seulement après le retour au pays des soldats québécois et canadiens. Un respect à l’égard des militaires mettant leur vie en danger pourrait expliquer les réticences du PQ à tenter de mobiliser l'opposition populaire à la guerre d'Afghanistan à des fins sécessionnistes et/ou électorales.
L'invasion de l'Irak
L'absence de militaires québécois en Irak rendit possible une position beaucoup plus ferme de la part des élus québécois à l'encontre d'une invasion anglo-américaine et d'une participation canadienne à celle-ci. Dès septembre 2002, les chefs des trois principaux partis politiques exprimèrent leur inquiétude devant l'intention de l'administration de George W. Bush d'intervenir militairement en Irak (Boivin, Reference Boivin2002 : A4). Le premier ministre Landry alla encore plus loin deux mois plus tard, plaidant en faveur d'une solution diplomatique à la crise irakienne. Sans répudier le recours à la force militaire, arguant que, « parfois, la violence est nécessaire pour préserver la paix », M. Landry s'aligna sur la position du gouvernement Chrétien : « Que rien ne soit fait sans l'aval et l'accord des Nations unies » (Duchesne, Reference Duchesne2002 : A5).
La crise diplomatique s’étira jusqu'en mars 2003, avec la possibilité que le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) adopte une seconde résolution autorisant une intervention militaire en l'absence de coopération du régime irakien à éliminer toute arme de destruction massive sur son territoire. Le gouvernement Chrétien entretint jusqu’à la dernière minute une ambiguïté diplomatique quant à la nécessité ou non d'une seconde résolution afin de légitimer une action militaire (Massie et Roussel, Reference Massie, Roussel, MacLeod and Morin2005). Les élus québécois, quant à eux, ne se privèrent pas de se positionner clairement sur le sujet. Les chefs des trois principaux partis politiques déposèrent une motion à l'Assemblée nationale six jours avant la décision du premier ministre Chrétien de ne pas participer directement à l'invasion de l'Irak. La motion affirmait, notamment, la « volonté de voir la crise résolue par les voies diplomatiques et pacifiques », exhortait « l'Irak de se conformer à toutes les résolutions de l'Organisation des Nations unies » et demandait « au gouvernement fédéral, au nom des Québécoises et des Québécois, qui se sont exprimés en faveur de la paix, de ne pas intervenir en Irak sans l'accord des Nations unies » (Assemblée nationale du Québec, 2003a). Cette motion outrepassait sans conteste les champs de compétence de la province québécoise.
Au cours du débat entourant la motion, le premier ministre Landry exprima la solidarité du Québec envers les États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme, mais exhorta à ce que celle-ci s'opère en conformité avec le droit international. Dans ses mots : « en tout respect pour la première puissance du monde, elle n'est plus habilitée, depuis que la Charte des Nations unies a été proclamée, à quelque forme d'unilatéralisme, quelle que soit sa puissance ». M. Landry profita de l'occasion pour déplorer que le Québec fût condamné, par son statut provincial, à faire pression sur le gouvernement fédéral et dénonça la position « louvoyante » d'Ottawa sur la crise irakienne. Il ajouta : « si le Québec était membre de l'Organisation des Nations unies, il serait habilité à voter, avec fierté, son message dans les enceintes appropriées » (Assemblée nationale du Québec, 2003a).
Le chef de l'opposition officielle, Jean Charest, reprit le même propos tout en évitant, bien entendu, de cautionner la protodiplomatie de son adversaire. Il inscrivit plutôt son intervention dans le langage typique de la paradiplomatie identitaire, arguant que « pour nous, Québécois, et pour nous, Canadiens, les institutions multilatérales sont d'une première importance ». Il critiqua également le gouvernement fédéral, déclarant : « il aurait mieux valu que le premier ministre du Canada, dès le début de cette affaire, prenne une position très ferme et qu'il la maintienne jusqu'à aujourd'hui. Et je l'invite effectivement à le faire et à continuer à plaider avec beaucoup de fermeté –et avec amitié pour nos voisins américains– que toute intervention militaire doit se faire sous l'autorité des Nations unies » (Assemblée nationale du Québec, 2003a).
L'opposition vive des Québécois à une guerre unilatérale contre l'Irak a certainement motivé les élus québécois à s'exprimer contre la position attentiste du premier ministre Chrétien. Au même moment où l'Assemblée nationale adoptait sa motion sur l'Irak, seule 10% de la population québécoise était en faveur d'une participation canadienne à une guerre non sanctionnée par le CSNU (Massie et Haglund, Reference Massie and Haglund2014 : 186). Cet appui fléchit tout au cours de la crise, partant d'un sommet d’à peine 35% en septembre 2002. Plus encore, l'opposition québécoise à la guerre était fortement mobilisée. Pas moins de quatre manifestations populaires contre la guerre eurent lieu entre janvier et mars 2003, la plus importante étant celle du 15 février, où plus de 150 000 personnes défilèrent dans les rues de Montréal (Cauchy, Reference Cauchy2003 : A1). La volonté des élus québécois de rester au diapason des préférences distinctes des Québécois pourrait donc expliquer les prises de position de MM. Landry et Charest.
En revanche, le langage employé par ceux-ci demeura teinté, respectivement, de protodiplomatie et de paradiplomatie identitaire. En dépit du fait que la guerre d'Irak fut déclenchée en pleine campagne électorale québécoise, aucun des partis politiques ne chercha à mobiliser le sentiment anti-guerre des Québécois à des fins électorales. Aucune plateforme électorale ne fit mention du conflit irakien. Tout au plus, les chefs de partis commentèrent les événements à la faveur de leur position sur la question nationale. Le premier ministre Landry n'hésita pas à interpréter l'ampleur des manifestations québécoises contre une guerre en Irak comme la preuve ultime « qu'il y a vraiment deux nations au Canada. […] On voit là, en tout respect pour tout le monde, que les Québécois forment une nation et que cette nation doit accéder aux instances internationales » (Larocque, Reference Larocque2003 : A3).
M. Charest, de son côté, s'objecta à la conclusion tirée par M. Landry à l’égard des manifestations, louangeant plutôt les valeurs pacifiques et l'attachement des Québécois au multilatéralisme. Il qualifia l'invasion de l'Irak de « guerre que nous ne voulons pas, que nous n'avons pas espérée » (Breton, Cloutier et Benessaeih, Reference Breton, Cloutier and Benessaeih2003 : B1) et prédit que le fait d'agir unilatéralement allait créer d'autres conflits dans la région (Cornellier, Reference Cornellier2003 : A1). Une fois au pouvoir, en 2004, il fit un plaidoyer en faveur d'un rapprochement entre les présidents français et américain, en prévision d'une rencontre bilatérale avec le président Chirac. Ces démarches, argua-t-il, ne regardaient en rien Ottawa. « Le premier ministre du Québec n'a pas à demander la permission pour intervenir ou exprimer son point de vue sur ces questions » (Lessard, Reference Lessard2004 : A8). Deux ans plus tard, M. Charest précisa sa vision des intérêts nationaux du Québec en matière de politique étrangère. Il déclara que le Québec se rangeait du côté des « atlantistes » d'Angela Merkel sur la question de l'Irak, rappelant que le Québec a tout à gagner d'une coopération étroite entre Paris et Washington, ses deux principaux alliés. Une telle alliance bénéficie au Québec dans la mesure où elle peut à la fois tempérer l'unilatéralisme américain et l'isolationnisme européen (Rioux, Reference Rioux2006 : A1).
En somme, l'invasion de l'Irak amena le chef du PQ à mousser la protodiplomatie québécoise et le chef du PLQ à promouvoir la paradiplomatie identitaire bien au-delà des champs de compétence provinciale. La saillance de la guerre fut telle que M. Landry prit lui-même part aux manifestations de février 2003, alors que M. Charest engagea des efforts diplomatiques afin de réconcilier les alliés français et américains. Tous deux appuyèrent en outre une motion de l'Assemblée nationale cherchant à émuler la diplomatie d'un État souverain.
Le conflit au Mali
En janvier 2013, le président François Hollande ordonna le déploiement de milliers de soldats français afin de stopper l'offensive de djihadistes liés à Al-Qaida vers la capitale malienne, Bamako. L'opération militaire française fut menée en vertu d'une résolution des Nations unies demandant à la communauté internationale de porter assistance aux autorités maliennes et à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). Le gouvernement Harper mit à la disposition des forces françaises et africaines opérant dans la région un avion de transport stratégique afin d'aider à l'acheminement de personnel, de véhicules et de ravitaillement. Aucune force terrestre canadienne ne fut déployée et la mission canadienne exclut la participation à des combats contre les extrémistes islamiques.
C'est dans ce contexte que la première ministre québécoise, Pauline Marois, se prononça sur le conflit au Mali. Au lendemain du début de l'offensive française, elle émit un communiqué déclarant son appui aux efforts internationaux en faveur de la résolution du conflit (Gouvernement du Québec, 2013). Interrogée quelques jours plus tard par des journalistes, Mme Marois critiqua, de manière plutôt timide, le caractère très modeste de l'engagement canadien au Mali. « J'ai souhaité que la communauté internationale s'implique davantage et […] je crois que le Canada a les moyens […] de participer ». Amenée à préciser sa pensée, Mme Marois refusa de s'immiscer davantage au-delà de ses compétences constitutionnelles : « C'est à lui [Stephen Harper] de prendre sa décision, je ne peux le faire à sa place. Moi, je souhaite cependant que ce conflit puisse se régler, et nous constatons que ce n'est pas nécessairement très facile » (Rioux, Reference Rioux2013 : A2).
Ce refus de critiquer vertement la politique du gouvernement Harper et de saisir l'occasion de promouvoir la protodiplomatie québécoise peut sembler étonnant. Quelques mois plus tôt, la première ministre Marois avait pourtant profité du sommet de la Francophonie tenu à Kinshasa pour dénoncer le désengagement du Canada en Afrique francophone. Plus encore, rappelons la plateforme électorale du PQ (Parti quebecois, 2011 : 45) qui se lamentait du fait que la politique étrangère canadienne entrait « trop souvent en contradiction avec les intérêts et les valeurs du Québec ». Mme Marois ne chercha donc pas à mobiliser les Québécois contre le désengagement du gouvernement fédéral, ceux-ci étant pourtant attachés au monde francophone. En conformité avec l'argument de la paradiplomatie identitaire, la première ministre fit valoir les préoccupations de la nation québécoise au sein de la fédération multinationale, sur la base de son appartenance à la Francophonie.
La guerre contre le groupe État islamique
La participation du Canada à la coalition militaire contre le groupe armé État islamique (ÉI) en Irak et en Syrie, enjeu saillant de la campagne électorale fédérale d'octobre 2015, n'a pas suscité autant d'intérêt de la part des souverainistes québécois. Les chefs du Parti québécois se sont en effet abstenus de se prononcer directement sur ce conflit, et ce, autant sous la direction du chef intérimaire, Stéphane Bédard, que sous la direction de Pierre Karl Péladeau. En revanche, tous les autres chefs de parti se sont exprimés sur le sujet, incluant, à maintes reprises, le premier ministre Philippe Couillard.
Ce n'est qu'après la décision du premier ministre Stephen Harper de déployer des avions de combat afin de mener des frappes aériennes contre le groupe terroriste que le premier ministre Couillard déclara son appui tacite à la mission canadienne de combat. « L'EI est un mouvement qui suscite la réprobation internationale », argua-t-il. « Le Canada ne peut échapper à ses obligations de participer avec la communauté internationale à des actions concertées. Elle s'attend à ce que le Canada joue un rôle » (Lecavalier, Reference Lecavalier2014 : 5). S'il cautionna ainsi la politique de M. Harper, le premier ministre québécois prit néanmoins la peine de demander à son homologue fédéral de préciser l'objectif de la mission (Vastel, Reference Vastel2014 : A1). Le gouvernement Couillard se prononça également en faveur de la prolongation et de l'expansion en Syrie de la mission de combat du Canada en mars 2015. Dans une déclaration écrite, la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, affirma : « Malgré les avancées notables de la coalition dans sa lutte contre l'EI, la barbarie de l'État islamique se poursuit toujours et ne s'arrête pas aux frontières d'un État. Nous croyons donc pertinent que la mission militaire se poursuive » (Croteau, Reference Croteau2015). Le chef par intérim du PQ, Stéphane Bédard, pressa le gouvernement Harper de faire preuve de « transparence » au sujet de l'effort militaire canadien, mais ne se prononça pas sur la justesse de la nouvelle mission élargie de combat. Il critiqua d'ailleurs le premier ministre Couillard de se prononcer sur le conflit irakien plutôt que se préoccuper de la radicalisation de jeunes Québécois (Assemblée nationale du Québec, 2015).
Suite aux attentats terroristes à Paris en novembre 2015, le premier ministre Couillard réitéra son appui aux frappes de combat en Irak et en Syrie, et ce, en dépit de la décision du nouveau premier ministre fédéral, Justin Trudeau, de retirer les avions de chasse canadiens de la coalition internationale. « Il faut réagir très, très fortement. Le Canada doit se montrer disponible pour ce que la communauté internationale va lui demander de faire » (Dutrisac, Reference Dutrisac2015). Suite à la fusillade de San Bernardino, aux États-Unis, quelques semaines plus tard, M. Couillard renchérit. Satisfait que le premier ministre Trudeau ait décidé de demeurer « fortement et complètement engagé dans la coalition », il exigea néanmoins davantage de son homologue fédéral : « J'ai indiqué que la réponse doit être proportionnelle et je vais être très explicite : pour moi, ça comprend l'utilisation de la force létale ». Clarifiant son objectif, il ajouta : « Je veux qu'on soit visiblement et fortement engagés dans la coalition et qu'on joue le rôle que la coalition internationale nous demandera de jouer » (Rioux, Reference Rioux2015).
La guerre contre le groupe État islamique ne fut donc pas mobilisée de manière à soutenir les velléités sécessionnistes du Parti québécois. En outre, si les élus québécois divergèrent d'opinion sur la pertinence de mener des frappes de combat en Irak et en Syrie–le gouvernement Couillard allant jusqu’à dénoncer la politique du gouvernement fédéral–aucune forme de contestation à saveur électorale ne fut manifestée. Et pour cause. Les Québécois s'exprimèrent de manière générale en faveur de la mission de combat du Canada contre l’État islamique. Les appuis les plus importants provinrent des partisans de la CAQ avec 72% d'appui, suivi du PLQ (69%), du PQ (63%) et de QS (37%) (Léger Marketing, 2015). Seul Québec solidaire eut donc intérêt à mobiliser ses partisans contre la prolongation de la mission de combat du Canada. Interrogée par un journaliste sur la prolongation et l'expansion de l'intervention militaire canadienne en Irak et en Syrie, la porte-parole de QS, Françoise David (Reference David2015), exposa une critique modérée. Elle se contenta de souligner le manque de clarté de la décision du gouvernement Harper et d'offrir son appui à l'aide humanitaire canadienne. Ses propos les plus durs portèrent sur le refus du premier ministre Harper de débattre formellement de sa décision au parlement fédéralFootnote 4. L'important appui populaire québécois à la mission militaire canadienne pourrait ainsi expliquer l'absence de prises de position contestataires de la part des élus libéraux, péquistes et caquistes sur la question de la lutte contre le groupe État islamique.
Le positionnement répété du gouvernement Couillard en faveur de la lutte armée contre les djihadistes islamistes s'est pour sa part clairement inscrit dans un discours nationaliste typique de la paradiplomatie identitaire. Le gouvernement provincial appela non seulement le gouvernement Trudeau à rompre avec sa promesse électorale de retirer les avions de combat du Canada en Irak et en Syrie ; il profita également de la lutte contre ÉI pour accroître son rayonnement international. Il fut ainsi à l'origine de l'initiative d'organiser une conférence internationale sur la lutte contre la radicalisation menant à la violence, sous l’égide de l'UNESCO, à l'automne 2016 (Moalla, Reference Moalla2016). Les prises de parole de Philippe Couillard, et les gestes concrets qui en découlèrent, contribuèrent ainsi à consolider l'identité et l'autonomie politique du Québec.
Les interventions militaires ignorées
Si les élus québécois se sont prononcés à l’égard de certaines interventions militaires canadiennes, ils ont préféré s'abstenir de s'exprimer sur d'autres. Deux absences sont notables. Ni les interventions militaires canadiennes en Europe centrale et de l'Est ni la contribution militaire du Canada à la guerre en Libye ne furent abordées par les élus québécois, et ce, malgré l'ampleur de ces opérations (beaucoup plus importante d'ailleurs que la contribution canadienne au conflit au Mali), l'implication des principaux alliés du Canada, dont la France, et le déploiement de soldats québécois en Europe orientale et en Libye (Massie et Brizic, Reference Massie and Brizic2014 : 24).
Cette absence de prise de position est d'autant plus intéressante que les interventions militaires ignorées furent toutes deux menées par le gouvernement Harper, dont la politique étrangère fut plutôt impopulaire au Québec. Ceci est particulièrement le cas de la part du gouvernement péquiste, dont les velléités sécessionnistes auraient pu être mobilisées par l'entremise d'enjeux de politique étrangère. Dans les mots de la première ministre Pauline Marois, au lendemain des élections provinciales de 2012 : « les Québécois ne se reconnaissent plus guère dans la politique étrangère canadienne qui tourne le dos à sa tradition d'ouverture, de médiation et de multilatéralisme » (Marois, Reference Marois2012). Or, dans le cas de la guerre en Libye, alors que deux tiers des Québécois s'exprimèrent, en mai 2011, en faveur d'une participation canadienne aux frappes aériennes visant à protéger les Libyens de la répression commise par le régime de Mouammar Kadhafi, l'appui chuta drastiquement un mois plus tard (tombant à 37% d'appui), alors qu'il devint évident que la guerre visait à renverser le régime libyen (Massie et Boucher, Reference Massie and Boucher2013 : 377). Similairement, en septembre 2014, seuls 29% des Québécois exprimaient leur appui à la réaction diplomatique et militaire du gouvernement Harper face à l'intervention militaire russe en Ukraine (Anderson et Coletto, Reference Anderson and Coletto2014).
Il est difficile d’évaluer avec précision les raisons pour lesquelles les interventions militaires en Libye et en Europe de l'Est furent ignorées par les élus québécois, mais il est possible de les comparer aux interventions ayant fait l'objet de commentaires afin de mettre en exergue quelques variations pouvant expliquer cette indifférence. Premièrement, ni la Libye ni l'Ukraine ne sont membres de la Francophonie (l'Ukraine a le statut d’État observateur), un facteur qui a largement contribué à l'intérêt des élus québécois pour le conflit malien. Deuxièmement, ces interventions furent moins saillantes parmi la population québécoise, en comparaison aux guerres d'Irak et d'Afghanistan et à la lutte contre l’État islamique. Enfin, le fait que les deux interventions militaires ignorées aient été menées dans un cadre multilatéral, sous l’égide de l'OTAN, et n'aient entraîné la mort d'aucun Canadien ou Québécois pourrait également expliquer le faible intérêt des élus québécois. Autrement dit, les conditions ayant amené les élus québécois à mener de la paradiplomatie sécuritaire –la saillance populaire d'un enjeu ou encore les liens avec la Francophonie– ne furent pas réunies en ce qui concerne les interventions militaires en Libye et en Ukraine.
Conclusion
Sans égard aux limites constitutionnelles qui s'imposent à eux, les élus québécois n'hésitent pas à se prononcer sur des enjeux qui relèvent clairement de la compétence du gouvernement fédéral. Nous avons cherché à comprendre pourquoi en analysant les prises de position des chefs de partis québécois à l’égard des six interventions militaires canadiennes depuis le 11 septembre 2001. Tout d'abord, la protodiplomatie n'apparaît pas être une explication probante. L'absence d'interventions du PQ sur les interventions en Libye, en Ukraine et contre le groupe État islamique, ainsi que la faible critique formulée à l'encontre de l'engagement canadien au Mali attestent d'un faible intérêt pour instrumentaliser les enjeux de guerre et de paix à des fins sécessionnistes. Si le premier ministre Bernard Landry fut plus proactif en ce qui a trait à la guerre en Irak, sa position générale sur la guerre fut partagée par l'ensemble des élus à l'Assemblée nationale.
Similairement, la compétition électorale semble avoir eu peu d'incidence sur le positionnement des élus québécois dans le domaine de la défense nationale. À l'exception de l'invasion de l'Irak en mars 2003 et, dans une moindre mesure, de la guerre d'Afghanistan, les campagnes électorales québécoises (avril 2003, mars 2007, décembre 2008, septembre 2012, avril 2014) ne furent pas marquées par une recrudescence de prises de position en matière de guerre et de paix. Plus encore, ni le PLQ ni le PQ n'ont utilisé la guerre afin de mobiliser la population québécoise à des fins électorales. Si l'invasion de l'Irak fut discutée lors de l’élection d'avril 2003, le consensus bipartisan contre celle-ci empêcha toute mobilisation électorale. L'opposition des Québécois à la participation canadienne à la guerre d'Afghanistan à Kandahar fut quant à elle mobilisée sommairement par Pauline Marois, mais la guerre ne mérita pas une mention dans les plateformes électorales du PQ de 2007 et de 2008. Le premier ministre Jean Charest manifesta, quant à lui, un appui constant à cette mission et au rôle que devaient y jouer les soldats québécois, peu importe l'impopularité de la guerre auprès de l’électorat.
À la lumière de notre analyse, force est de constater que la paradiplomatie identitaire représente la meilleure explication des prises de position du Québec en ce qui a trait aux enjeux de sécurité internationale. Au nom de la spécificité des valeurs « pacifiques » du peuple québécois, respectueux du droit international et du multilatéralisme, les élites politiques, tant libérales que péquistes, se sont opposées à Ottawa sur la question de l'Irak, du Mali et du retrait des frappes de combat contre le groupe État islamique. Pour ces mêmes considérations, les gouvernements du Québec se sont ralliés au gouvernement fédéral sur les opérations de combat du Canada en Afghanistan et contre l’ÉI. Si les élus québécois furent indifférents à l’égard des interventions en Libye et en Ukraine, nous pouvons en déduire que le peu de saillance populaire de ces conflits explique l'indifférence des élus.
Cette étude se veut exploratoire. D'autres enjeux de compétence fédérale doivent être examinés de manière rigoureuse afin de vérifier la pertinence des hypothèses avancées. Certaines avenues nous semblent prometteuses à cet égard. D'abord, il est possible que la présence du Québec au sein d'instances internationales telles que celles de la Francophonie offre une tribune stimulant son intérêt à s'exprimer sur des enjeux qui dépassent ses champs de compétence. Ensuite, il est possible que le caractère particulier de la Constitution canadienne façonne la paradiplomatie sécuritaire québécoise par rapport à d'autres environnements constitutionnels, que le contexte d'un référendum sur la sécession influe sur la valeur de l'hypothèse de la protodiplomatie, ou encore que les luttes intra- et inter-partisanes révèlent des dynamiques électoralistes. En conséquence, d'autres études de l'impact du nationalisme minoritaire (de l’Écosse, de la Catalogne, du Pays basque, etc.) sur la paradiplomatie sécuritaire pourront raffiner notre compréhension des motivations des États non souverains à repousser les limites constitutionnelles de leurs pratiques internationales.