Le débat public sur les fake news rate la cible : une attention démesurée sur leurs prétendus effets fait l'impasse sur des questions pressantes, notamment celle des ressources fournies aux citoyens pour jauger de la crédibilité des informations dans un écosystème numérique. C'est le propos de ce livre, lequel aborde les défis épistémologiques et réglementaires des fausses nouvelles, les raisons de leur existence et les solutions pour limiter leur portée. Vu la nature collective de l'ouvrage, ne seront résumées que les contributions les plus abouties ou originales.
La première partie du livre s'interroge sur la manière d’étudier les fausses nouvelles. Tommaso Venturini (ch.1), de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (France), estime que les considérations ontologiques perpétuent l'idée contestable d'une distinction nette entre le vrai et le faux. Conséquemment, il plaide pour une recherche savante qui cartographie les dynamiques de circulation de l'information numérique induites par les fausses nouvelles (par exemple, mutation des contenus, viralité). Guillaume Latzko-Toth de l'Université Laval (ch. 3), pour sa part, analyse les rapports symbiotiques entre fake news et médias traditionnels et rejette le projet d'appréhender les fausses nouvelles comme un phénomène émanant d'un écosystème médiatique alternatif. Serge Proulx de l’Université du Québec à Montréal (ch. 4), enfin, s'attarde aux ressorts politiques que renferme l'objet d’étude. Le partage de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, lui semble-t-il, doit être vu comme une tentative des laissés-pour-compte de la société de contrecarrer les messages des élites avec leurs propres « vérités ».
La seconde partie regroupe des contributions de journalistes. Craig Silverman (en entrevue avec le chercheur Simon Thibault, ch. 5) et Jeff Yates (ch. 6), tous deux spécialistes des phénomènes de désinformation sur le web, purgent la question de l'idéologie en s'attardant au principal moteur des fausses nouvelles : l'argent. Exemples à l'appui, ils esquissent les contours d'une activité économique, aussi profitable que moralement discutable, qui consiste à publier de fausses informations dans l'optique qu'elles génèrent des clics, puis des recettes publicitaires. De son côté, l’éditeur du Harper Magazine, John R. MacArthur (ch. 9), examine la complicité des médias d'information américains dans la manipulation de l'opinion publique. À travers les exemples des deux guerres du Golfe, lors desquelles l'esprit critique a cédé le pas à un patriotisme béat, MacArthur rappelle que les fake news n'ont pas débuté avec les réseaux sociaux.
La dernière partie contemple les avenues possibles pour aider nos sociétés à déterminer la valeur des informations. Ainsi Victoria L. Rubin de l'Université Western Ontario (ch. 10) décrit-elle les efforts de son laboratoire pour perfectionner un système de détection automatique des fausses nouvelles, sur la base des signaux linguistiques communs décelés dans ce type de contenu par des algorithmes. Normand Landry de l'Université TÉLUQ (ch. 11) explore les solutions éducatives, passant au crible les lacunes du cursus québécois en matière d’ « alphabétisation à l'actualité ». Elles doivent s'articuler, argumente-t-il, autour d'un renforcement des compétences informationnelles et numériques des élèves, indissociable d'un réinvestissement gouvernemental dans ce domaine. La section se termine par une revue des solutions réglementaires. L'exemple de l'Allemagne (ch. 12), où une loi encadre le retrait des contenus litigieux sur le web, illustre les risques de censure préventive, les plateformes comme Facebook pouvant être tentées, pour éviter les amendes, d’ôter des contenus avant même qu'un problème soit signalé. L'exemple de la France (ch. 13) démontre que les lois existantes sont souvent suffisantes pour réprimer la fabrication de nouvelles pourvu qu'elles soient appliquées. Aux États-Unis (ch. 14), la seule manière de sanctionner les fausses nouvelles pourrait être de les considérer comme du discours commercial, compte tenu des intérêts pécuniaires qui sous-tendent leur distribution. Ceci permettrait de les assujettir à des contraintes plus sévères, alors même que le premier amendement de la Constitution rend très difficile la moindre limitation du droit à la liberté d'expression. Enfin, Pierre Trudel et Simon Thibault de l'Université de Montréal (ch. 15), concluent à la nécessité que les États régulent l'infrastructure algorithmique qui permet le ciblage d'internautes et la prolifération des fausses nouvelles.
L'ouvrage, heureusement, évite les facilités qui d'ordinaire monopolisent le débat sur les fausses nouvelles dans la sphère publique. Ainsi s'abstient-on d'instruire le procès des technologies numériques, en reconnaissant le caractère multifactoriel du problème et sa continuité historique avec les notions anciennes de propagande et de désinformation. Tout aussi judicieuse est la volonté de ne pas s’appesantir sur les effets de persuasion des fake news; certes, la face la plus spectaculaire du sujet, mais aussi sa plus hasardeuse, tant les résultats d’études en la matière sont peu concluants. Affranchi de ces éléments, le livre dégage des perspectives plus fécondes. À cet égard, rappelons les apports de Venturini et Latzko-Toth (ch. 2 et 3) au plan épistémologique, ou encore, les chapitres explorant les moyens concrets d'un réarmement collectif face aux fausses nouvelles par le biais de l'intelligence artificielle (ch. 10), de l'éducation (ch. 11) et de la réglementation (ch. 12, 13, 14 et 15). Le livre nous convainc, du reste, que le vrai danger des infox se trouve dans leur capacité à asphyxier les débats publics, reléguant au second plan des enjeux d'importance.
On demeure surpris, toutefois, de l'absence de passages sur les initiatives de Facebook contre les fausses nouvelles. De même aurait-on voulu voir discuté la situation du Canada : la pertinence ou non de réviser le mandat du CRTC afin qu'il englobe les communications numériques, les efforts du gouvernement canadien pour sécuriser son système électoral à l'encontre des infox et des ingérences étrangères, et son critiquable partenariat avec Facebook Canada à cet effet. En outre, l'ouvrage accorde une attention limitée au fact-checking, à l'exception d'un chapitre sur les efforts de journalistes ukrainiens de contrer la désinformation des médias russophones (ch. 8). Aussi conseille-t-on la lecture de L’information d'actualité au prisme des fake news (éds., Pelissier et Joux, 2019), pour une analyse critique et exhaustive de cette pratique journalistique. Finalement, rappelons que le livre met la focale sur la gestion des fausses nouvelles. Il s'agit d'un choix légitime, qui pourrait néanmoins laisser sur leur faim les lecteurs en quête d'un regard philosophique sur le phénomène. Pour ceux-là, plusieurs ouvrages récents sur le concept de post-vérité, mêlant épistémologie et théorie politique, sauront les satisfaire – par exemple, Post-Truth Knowledge as a Power Game (Fuller, 2018), How to Save Politics in a Post-Truth Era : Thinking Through Difficult Times (Baron, 2018) et Post-Truth and Political Discourse (Block, 2019).
Les fausses nouvelles, comme le souligne la conclusion, représentent davantage qu'un bégaiement historique : bien qu'elles aient essaimé toutes les époques, leur forme actuelle recouvre des modes de production/diffusion, des motifs et des défis inédits. Sans conteste, cet ouvrage constitue une entreprise –essentiellement réussie– de décrypter ces singularités.