Introduction
L’année 2021 a décidément été marquée au fer rouge par la pandémie de COVID-19. Replis nationalistes notamment chez notre voisin du sud, pénurie de main-d’œuvre et confinements à répétition, entre autres en Chine, ont provoqué des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement comme jamais. Néanmoins, le Rapport sur le commerce mondial 2021 considère que le commerce s’est montré plus résilient que lors de la crise financière mondiale de 2008: “Il a aidé les pays à faire face à la crise en facilitant l’accès aux fournitures médicales, aux produits alimentaires et aux biens de consommation, et en contribuant à leur redressement économique.”Footnote 1 Au niveau canadien, les enjeux d’approvisionnement, entre autres de puces et de semi-conducteurs, ont affecté la production manufacturière. La hausse des prix des matières premières a provoqué une augmentation des prix à la consommation. Si le citoyen a subi ce phénomène, les entreprises ont vu la valeur de leurs exportations augmenter, plafonnant à un niveau jamais vu de 637 milliards de dollars américains.Footnote 2 C’est donc dire que le Canada a non seulement rattrapé le déficit de l’année 2020, mais a surpassé les résultats de l’année 2019 de 7 pour cent.Footnote 3 Au niveau des importations, les résultats atteignent aussi des chiffres records avec une hausse de 12,2 pour cent comparativement à 2020 et de 2,7 pour cent par rapport à 2019.Footnote 4
Il n’en demeure pas moins que cette année 2021 a aussi vu les inégalités s’accentuer. Les femmes ont été les plus affectées par la pandémie en raison de leurs charges familiales, mais aussi du fait qu’elles occupent des emplois plus précaires ou qui les ont placées en première ligne dans la lutte contre la pandémie. Les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) “ont été plus touchées par les effets de la pandémie que les grandes entreprises en raison de leur accès limité à l’infrastructure financière, physique et numérique, et à l’information relative à la gestion des risques.”Footnote 5 Évidemment, les pays en développement ont ressenti les effets de la crise de manière exponentielle. À défaut d’une prise en compte réelle par les États et les institutions internationales, ces inégalités marquées provoqueront certainement des remises en question, des contestations, voire des bouleversements dans les années à venir. Ce phénomène mondial d’accentuation des inégalités n’a pas épargné le Canada.Footnote 6
En bouleversant les prémisses du monde construit des décennies avant, cette année pandémique a modifié l’agenda à plusieurs égards. Mais elle ne doit pas nous faire perdre de vue un autre phénomène, d’une ampleur plus marquée, dont les répercussions ont déjà bien commencé à affecter notamment le commerce mondial et qui n’ira qu’en s’accélérant: les changements climatiques. Ainsi, “les tremblements de terre ont provoqué plus de 884 000 décès entre 1980 et 2020, et plus de 4 800 inondations se sont produites dans le monde pendant la même période, touchant plus de 3,5 milliards de personnes. Le coût économique total imputable aux catastrophes naturelles entre 1980 et 2020 a atteint 3 600 milliards de dollars [américains].”Footnote 7 Les négociations en cours font état d’une prise en compte croissante, bien qu’insuffisante, de la part des États de la donne environnementale, et ce tant aux niveaux bilatéral et plurilatéral que multilatéral. En la matière, le Canada agit comme leader, notamment au sein du Groupe d’Ottawa.
Cette chronique brosse un portrait de points saillants ayant marqué le domaine du droit du commerce international en 2021. Elle aborde le commerce canadien aux plans bilatéral et plurilatéral, les différentes affaires contentieuses nord-américaines ayant impliqué le Canada, et les développements au sein du système de l’Organisation mondiale du commerce, tant dans sa dimension de négociation que contentieuse.
Le commerce canadien aux plans bilatéral et plurilatéral
Si l’entrée en fonction de l’administration Biden annonçait un retour à une meilleure prévisibilité dans les relations économiques canado-américaines, elle faisait néanmoins craindre l’avènement de politiques protectionnistes. Sans surprise, le Canada a donc continué, voire intensifié, ses démarches visant à diversifier ses partenaires commerciaux tant au niveau de l’Amérique latine et en Europe qu’en Afrique, en Asie et en Océanie.
états-unis
Les États-Unis de l’administration Biden ont su souffler le chaud et le froid dans leurs relations avec le Canada. En effet, le début de l’année a été marqué par un durcissement sans précédent de la politique Buy America et du Buy American Act. Néanmoins, une rencontre virtuelle importante a permis aux deux chefs d’État d’adopter une feuille de route pour un partenariat renouvelé.
Le plan Buy American
Le 25 janvier 2021, soit 5 jours après son entrée en fonction, le président américain Joe Biden a présenté son plan Buy American. Ainsi, par décret, il a renforcé le cadre normatif déjà existant de deux programmes importants (la politique Buy America et le Buy American Act).Footnote 8 Par le fait même, il a nommé un représentant spécial Buy America au sein du bureau du président pour veiller à l’application de ces programmes, a créé un Made in America Office, a demandé à toutes les agences une augmentation des seuils de contenu local, et a encadré très sévèrement les demandes de dérogation.Footnote 9 En réalité, ce décret a le potentiel de réduire considérablement l’accès des fournisseurs canadiens aux marchés publics américains dans la mesure où le président Biden augmente et encadre l’obligation d’achat de produits et de services américains, et diminue la possibilité d’obtenir une dérogation à cette obligation. Considérant que le gouvernement américain dépense environ 600 milliards de dollars américains par année et que les gouvernements infra étatiques (États américains et villes) déboursent quant à eux environ 3,1 billions (mille milliards) de dollars américains annuellement en approvisionnement, ce décret inquiète les industries canadiennes qui risquent de perdre un accès à ces contrats faramineux.
Plusieurs se demandent si le Canada ne pourrait pas obtenir une dérogation de la part des États-Unis en se fondant sur le précédent de 2010. En effet, le président Biden reproduit la stratégie de l’administration Obama — dont il assurait la vice-présidence — qui avait aussi eu recours à la stratégie Buy American dans le cadre du plan d’investissement massif pour réagir à la crise financière de 2008. À l’époque, le Canada avait réussi à obtenir un accès préférentiel en faveur des fournisseurs canadiens.Footnote 10 Or, compte tenu du contexte juridique actuel, les choses semblent plus compliquées pour les Canadiens. En effet, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) contenait un chapitre sur les marchés publics applicable entre le Canada et les États-Unis.Footnote 11 À l’inverse, le nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACÉUM) ne contient pas d’obligation entre les États-Unis et le Canada en matière de marchés publics.Footnote 12 Cette exclusion emporte deux conséquences. Premièrement, cela signifie que les États-Unis n’ont pas d’obligation à l’égard du Canada en matière de marchés publics, outre celles qui sont prévues dans l’Accord sur les marchés publics (AMP) révisé de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), entré en vigueur en 2014.Footnote 13 Deuxièmement, cela implique surtout que les États-Unis n’ont pas le droit d’accorder au Canada de traitement préférentiel, à moins de rouvrir l’ACÉUM et d’y inclure un chapitre sur les marchés publics applicable entre le Canada et les États-Unis. En effet, les États-Unis étant partie à l’AMP, suivant le principe de la nation la plus favorisée et sans accord de libre-échange le spécifiant, ils ne peuvent accorder un traitement préférentiel à un seul État sans l’accorder à l’ensemble des autres États parties. En 2009, lorsque le Canada a négocié avec l’administration Obama pour que les fournisseurs canadiens puissent participer aux appels d’offres réservés aux entreprises américaines, nous avions un accord de libre-échange, l’ALÉNA, qui couvrait les marchés publics. En d’autres mots, l’ALÉNA nous permettait d’avoir un accord préférentiel avec les États-Unis en matière de marchés publics. Aujourd’hui, l’ACÉUM ne contenant aucune règle sur les marchés publics régissant les relations entre le Canada et les États-Unis, il est impossible d’espérer une dérogation en faveur des fournisseurs canadiens tant en ce qui concerne le Buy American Act que la politique Buy America.
Selon Affaires mondiales Canada, la politique Buy America n’est pas un programme relatif aux marchés publics, mais un programme de financement des États américains et des villes qui réalisent des marchés publics. Suivant cette conception, comme la politique Buy America encadre uniquement les subventions du gouvernement fédéral octroyées aux entités subétatiques qui, elles, passeront les contrats publics, l’AMP ne s’appliquerait pas au Buy America.Footnote 14 Dès lors, les États-Unis ne seraient pas liés par le principe de la nation la plus favorisée contenu à l’AMP et pourraient conclure une entente préférentielle avec le Canada. Cette interprétation semble douteuse dans la mesure où même les États-Unis ont prévu des exemptions à la politique Buy America lorsqu’ils sont devenus partie à l’AMP. Ils reconnaissent donc son applicabilité.
Feuille de route pour un partenariat renouvelé
Le 23 février 2021, lors d’une rencontre bilatérale virtuelle, le premier ministre du Canada Justin Trudeau et le président américain Joe Biden ont annoncé la mise en place d’une feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis – Canada.Footnote 15 Le Canada et les États-Unis entretiennent l’une des relations commerciales bilatérales les plus importantes au monde avec des biens et services totalisant 2,7 milliards de dollars traversant tous les jours la frontière séparant les deux pays.Footnote 16
Par cette feuille de route, les dirigeants ont indiqué leur intention commune de rebâtir en mieux afin de favoriser une relance économique durable et inclusive. Pour cela, des initiatives conjointes visant à accélérer la relance économique des petites et moyennes entreprises (PME) seront mises en place, avec un intérêt particulier pour les PME appartenant à des femmes, à des personnes issues de groupes minoritaires et à des Autochtones, sur la base du chapitre 25 de l’ACÉUM relatif aux PME et du modèle du Centre de développement de la petite entreprise.Footnote 17 En outre, les deux dirigeants ont lancé une stratégie de renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement canado-américaine pour donner suite à leur discussion sur l’importance d’éviter les mesures ayant pour effet de restreindre la sécurité des échanges commerciaux et des chaînes d’approvisionnement.Footnote 18
Enfin, dans le but d’établir des alliances mondiales, les dirigeants canadien et américain ont réitéré leur ferme attachement à l’OMC. Ils ont ainsi discuté des moyens pour mieux harmoniser leurs approches concernant la Chine, notamment pour surmonter les défis qu’elle présente pour leur intérêt collectif et l’ordre international fondé sur des règles. Ils ont notamment l’intention de contrer les pratiques économiques coercitives et déloyales tout en coopérant avec la Chine dans des domaines où il est dans leur intérêt de ce faire.Footnote 19
amérique latine
Le Canada poursuit ses négociations avec deux blocs importants de l’Amérique latine, le Mercosur et l’Alliance pacifique. Aucune nouvelle entente n’a toutefois été conclue.
Négociation d’un accord de libre-échange avec le Mercosur
Depuis mars 2018, le Canada négocie avec le Mercosur (“Marché commun du sud”), composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, en vue de conclure un accord de libre-échange, conformément aux priorités du gouvernement canadien en matière de diversification commerciale.Footnote 20 Les opportunités d’affaires sont nombreuses pour les Canadiens, mais la position conservatrice de l’Argentine a mis un sérieux frein aux négociations. En effet, alors que les trois autres partenaires sont prêts à rendre le Mercosur plus flexible en concluant des accords de libre-échange avec d’autres États et à réduire les droits de douane du bloc, le président argentin Alberto Fernandez s’y oppose. C’est pourquoi, en 2020, l’Argentine s’est officiellement retirée des négociations du Mercosur avec le Canada.Footnote 21 Pendant ce temps, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay ont maintenu les négociations ouvertes avec le Canada. Toutefois, en l’absence d’un consensus entre les membres du Mercosur, les négociations ne peuvent être conclues.
L’année 2021 marquait les 30 ans du Mercosur et annonçait donc l’heure du bilan. De toute évidence, le Mercosur peine à s’ouvrir et à augmenter ses échanges commerciaux avec le restant du monde.Footnote 22 Les tensions entre les États du Mercosur ralentissent les négociations avec le Canada,Footnote 23 qui demeure néanmoins ouvert à conclure un accord.Footnote 24
Négociation d’un accord de libre-échange avec l’Alliance pacifique
Le Canada négocie aussi son adhésion à l’Alliance pacifique,Footnote 25 composée du Chili, de la Colombie, du Mexique et du Pérou.Footnote 26 Un éventuel accord commercial avec l’alliance remplacerait les accords de libre-échange conclus avec chacun de ces États et devrait augmenter l’accès du Canada à ces marchés.Footnote 27 Contrairement aux États membres du Mercosur qui peinent à s’entendre, l’Alliance pacifique avance et concrétise des projets commerciaux. En juillet 2021, elle a conclu son premier accord avec un État non latino-américain (Singapour),Footnote 28 laissant présager le meilleur pour le Canada.Footnote 29
europe
Le Canada continue d’être un partenaire privilégié du Royaume-Uni par l’entrée en vigueur de l’Accord de continuité commerciale Canada–Royaume-Uni (ACC).Footnote 30 Les relations entre le Canada et l’Europe se pérennisent alors que l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG) en est à sa cinquième année.Footnote 31
Accord de libre-échange Canada – Royaume-Uni
Le Canada et le Royaume-Uni ont conclu l’ACC le 9 décembre 2020. D’abord entré en vigueur de manière provisoire à partir du 1er janvier 2021, il est définitivement entré en vigueur le 1er avril 2021. Essentiellement, il s’agit de l’AÉCG modifié pour le rendre applicable entre les deux États. Il a permis au Canada de maintenir ses relations commerciales préférentielles avec le Royaume-Uni en attendant la conclusion d’un accord de libre-échange en bonne et due forme. Une absence d’entente aurait eu des conséquences majeures: une perte de 427 millions de dollars canadiens au niveau du produit intérieur brut du Canada d’ici 2025 et une perte de 2 milliards de dollars canadiens au niveau du commerce bilatéral.Footnote 32 Comme prévu dans l’ACC, le gouvernement du Canada a déposé devant le Parlement canadien son avis d’intention d’entamer des négociations en vue d’un nouvel accord de libre-échange global avec le Royaume-Uni.Footnote 33 Suivant cet avis d’intention, le Canada entend conclure un accord dit progressif qui touchera aux domaines de l’environnement et du climat, du genre, du travail et des Autochtones. Le Canada assure qu’il défendra la culture et le système de gestion de l’offre, “notamment en ne concédant aucun accès supplémentaire au marché pour les produits soumis à la gestion de l’offre.”Footnote 34
Accord économique et commercial global (Canada–Union européenne (UE))
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’AÉCG entre le Canada et l’UE, l’année 2021 a donné lieu à plusieurs rencontres du comité mixte et des comités spécialisés incluant les comités sur l’agriculture, sur le commerce des marchandises, sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, sur les matières premières, sur les produits forestiers, sur la réglementation des véhicules automobiles, sur les questions de l’accès au marché de la biotechnologie, sur la coopération en matière de réglementation, sur les produits pharmaceutiques, sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, sur les services financiers et sur les services et investissement.Footnote 35
Conformément à l’article 26.1 de l’AÉCG, le comité mixte de l’AÉCG a tenu sa deuxième réunion le 25 mars 2021, coprésidé par la ministre canadienne de la petite entreprise, de la promotion des exportations et du commerce international du Canada, l’honorable Mary Ng, et le vice-président exécutif et commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis.Footnote 36 Après avoir fait le point sur l’évolution positive et constante des échanges bilatéraux, le comité a noté que l’AÉCG avait continué de fonctionner comme prévu malgré les défis causés par la pandémie de COVID-19. En effet, les économistes en chef ont indiqué que malgré les répercussions de la pandémie, les échanges commerciaux entre l’UE et le Canada étaient supérieurs de 15 pour cent en 2020 à ceux d’avant l’entrée en vigueur provisoire de l’accord, soulignant ainsi l’amélioration du taux d’utilisation des préférences de l’accord pour les deux parties, s’élevant à 55 pour cent.Footnote 37
Dans le cadre d’une enquête sur la situation des entreprises, ces dernières ont été questionnées sur les raisons pouvant expliquer qu’elles ne recourent pas toujours aux préférences accordées dans le cadre de l’AÉCG. Un nombre largement majoritaire d’entreprises a répondu ne pas faire affaire avec des pays de l’UE.Footnote 38 Bien que d’autres raisons relatives au processus, à la complexité des documents ou aux règles d’origine a été mentionnées par les participants, leur pourcentage reste très faible. Néanmoins, dans le but de fournir des renseignements pratiques aux entreprises canadiennes sur la façon de répondre aux exigences réglementaires de l’UE et de bénéficier de l’AÉCG, un centre d’excellence de l’AÉCG a été mis en place en décembre 2021 par le Service des délégués commerciaux du Canada.Footnote 39
Aux termes des mises à jour conjointes dans le cadre du comité mixte, il faut souligner les progrès satisfaisants relatifs à la mise en œuvre des recommandations du comité mixte sur l’égalité des genres, l’action climatique et les PME, la création d’un nouveau partenariat stratégique sur les matières premièresFootnote 40 ainsi que la tenue de sept cycles de négociations d’un accord de reconnaissance mutuelle concernant les qualifications professionnelles des architectes.Footnote 41 En matière d’investissement, quatre décisions importantes relatives aux règles définissant le fonctionnement du tribunal d’appel, au code de conduite des membres du tribunal, des membres du tribunal d’appel et des médiateurs, aux règles de médiation, et à la procédure d’émission d’interprétations contraignantes à adopter par le comité mixte de l’AÉCG Footnote 42 ont été adoptées au cours de l’année 2021.
La troisième réunion du comité mixte se tiendra à Ottawa en automne 2022, marquant ainsi le cinquième anniversaire de l’accord.Footnote 43
afrique, asie et océanie
La Zone de libre-échange continentale africaine
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), appliquée effectivement dès le 1er janvier 2021, a considérablement renforcé les perspectives positives du continent en matière de commerce et d’investissement.Footnote 44 L’accord a été signé par cinquante-quatre des cinquante-cinq États membres de l’Union africaine (UA) (l’Érythrée n’a pas signé). En fin d’année 2021, trente-neuf États membres de l’UA avaient complété la procédure de ratification.Footnote 45
La ministre Ng a reçu pour mandat de développer une stratégie pour la coopération économique en Afrique, notamment en soutenant la ZLECA.Footnote 46 Le Canada soutient ainsi la négociation, l’établissement et la mise en œuvre de la ZLECA en contribuant au Centre africain pour la politique commerciale de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, à la hauteur de 15,2 millions de dollars pour la période de 2021–25.Footnote 47 Ces fonds contribueront à l’instauration de la ZLECA, une étape importante de l’intégration économique africaine qui favorisera l’emploi et la croissance à l’échelle du continent.Footnote 48
Selon le gouvernement du Canada, l’intégration économique en Afrique contribuera à approfondir les liens commerciaux avec les pays du continent africain et offrira de nouveaux débouchés potentiels aux entreprises canadiennes.Footnote 49 Le Canada continuera de fournir une assistance technique et de transférer des connaissances aux États membres de l’UA, en formant les principaux intervenants et en menant des actions de sensibilisation, afin d’aider les pays africains à poursuivre les réformes nécessaires à la mise en œuvre efficace de l’accord. Il s’agit notamment d’intégrer les considérations d’égalité des genres dans la politique commerciale, en levant les obstacles à la pleine participation des femmes africaines, sur un pied d’égalité, aux avantages du commerce régional.Footnote 50
Adhésion du Royaume-Uni à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP)
Le 1er février 2021, le Royaume-Uni a demandé à entamer des négociations en vue de son adhésion au PTPGP. Footnote 51 La commission du PTPGP a donné suite à cette demande et a créé un groupe de travail sur l’adhésion, composé de représentants gouvernementaux de chaque partie et présidé par le Japon. Les représentants du Royaume-Uni sont invités aux réunions du groupe de travail sur l’adhésion. Le mandat du groupe est d’examiner la demande d’adhésion et les informations fournies afin que soit déterminée la capacité du Royaume-Uni de se conformer aux conditions du PTPGP, de mener les négociations et, une fois celles-ci terminées, de soumettre à la commission un rapport écrit sur les conditions de l’adhésion du Royaume-Uni.
Relations avec la Chine
En 2016, le Canada et la Chine avaient entamé des négociations vers un accord de libre-échange.Footnote 52 La détention de deux ressortissants accusés d’espionnage par la Chine, le refus de la Chine d’insérer des clauses relatives au droit des travailleurs, les enjeux de genre et de protection de l’environnement ainsi que la ferme position du Canada sur les conditions de traitement du peuple ouïghour, ont eu raison des maigres avancées des négociations entre le Canada et la Chine. En 2020, le Canada semblait avoir renoncé à cet accord.Footnote 53 Pourtant, avec la libération des “deux Michael,” des gens d’affaires entrevoient la possibilité de rebâtir des bases solides pour les relations commerciales entre les deux États.Footnote 54 L’adoption par le Canada de sanctions économiques, en mars 2021, pour réagir à la répression dans la région autonome ouïghoure de Xinjiang,Footnote 55 risque toutefois de retarder pour un bon moment la reprise des relations sino-canadiennes.
Pourparlers avec l’Inde
Les relations du Canada avec la Chine ayant compliqué le développement d’un accord commercial entre les deux États, le Canada souhaite désormais se tourner vers d’autres partenaires. Motivé par la nouvelle politique commerciale de l’Inde,Footnote 56 le Canada a annoncé vouloir relancer les pourparlers pour un accord de libre-échange qui avaient initialement commencé en 2010.Footnote 57 Quatre rencontres exploratoires se sont tenues dans l’année.Footnote 58 L’Inde bénéficie d’une croissance considérable et peut être un marché d’intérêt pour le Canada, notamment dans les domaines des sciences de la vie et des technologies d’énergie propre et d’énergie renouvelable.
Accord de libre-échange avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE)
Par communiqué de presse daté du 16 novembre 2021, le Canada a annoncé être en négociation avec l’ANASE en vue d’un accord de libre-échange.Footnote 59 Le groupe des dix membres de l’ANASE (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam) constituerait le sixième plus grand partenaire commercial du Canada, leurs échanges de marchandises représentant plus de 26 milliards de dollars et le commerce de service s’élevant à 5,8 milliards de dollars.Footnote 60 Le Canada discute à présent les prochaines étapes, incluant un premier cycle de négociations.Footnote 61
Consultations sur un accord de libre-échange avec l’Indonésie
Du 9 janvier au 23 février 2021, le Canada a consulté les Canadiens sur un potentiel accord de partenariat économique global avec l’Indonésie.Footnote 62 Les résultats de la consultation sont favorables à un tel accord. En effet, selon les intervenants du milieu d’affaires ayant déposé des avis, ce projet apparait comme un moteur de compétitivité.Footnote 63 Les consultations ont toutefois mis en exergue les lacunes en matière de protection de l’environnement et souligné la contribution des industries indonésiennes à la dégradation de l’environnement.Footnote 64 La ministre Ng et le ministre du commerce de l’Indonésie, Muhammad Lufti, ont annoncé en juin 2021 le début officiel des négociations d’un accord de partenariat économique global.Footnote 65
Contentieux commercial nord-américain impliquant le Canada
Malgré un apaisement entre le Canada et les États-Unis depuis l’arrivée du président Biden, trois différends commerciaux continuent d’affecter la relation bilatérale. D’abord, le chapitre relatif aux produits laitiers est au cœur d’un différend entre le Canada et les États-Unis, ce qui fait craindre pour le système de gestion de l’offre canadien. Ensuite, les États-Unis ont doublé les droits compensateurs qu’ils imposent aux importations de bois d’œuvre canadien, et ce, malgré le fait qu’un groupe spécial de l’OMC ait donné raison au Canada dans ce dossier en 2020. Enfin, le Canada a demandé l’ouverture de consultations à la suite de l’adoption et l’application de mesures de sauvegarde par les États-Unis dans l’affaire des cellules photovoltaïques à base de silicium cristallin, aussi appelées “produits solaires.”
acéum : plainte des états-unis sur les mesures d’allocation de contingents tarifaires pour les produits laitiers au canada
L’administration Trump avait fait de l’accès des produits laitiers au marché canadien un de ses chevaux de bataille de la renégociation de l’ALÉNA. Dans le jeu des concessions mutuelles, le Canada a été forcé d’accepter une série d’obligations en matière de commerce de produits laitiers. Celles-ci sont formalisées au sein de l’article 3.A.3 de l’ACÉUM et ne s’appliquent qu’entre le Canada et les États-Unis. Pour rappel, le Canada a accepté d’accorder de nouvelles parts de marchés aux producteurs de lait américains, d’abolir les classes de lait 6 et 7, de plafonner quantitativement les exportations canadiennes de certains produits à travers le monde et de se voir imposer des obligations considérables en matière de transparence.Footnote 66 L’ACÉUM est entré en vigueur le 1er juillet 2020. Le 9 décembre 2020, conformément au chapitre relatif au règlement des différends, l’administration Trump a demandé des pourparlers sur le sujet. Ceux-ci n’ayant pas mené à une résolution du différend, le 25 mai 2021, l’administration Biden a demandé la constitution d’un groupe spécial conformément à l’article 31.6 de l’ACÉUM. Footnote 67 Essentiellement, les États-Unis reprochent au Canada de ne pas respecter ses engagements dans la mesure où il réserverait aux transformateurs et aux surtransformateurs canadiens de 85 à 100 pour cent des contingents tarifaires en ce qui concerne quatorze catégories de produits laitiers. En effet, on se rappellera que le Canada a accepté de soumettre ces produits laitiers à des contingents tarifaires, c’est-à-dire qu’il admet l’importation d’une certaine quantité de lait, de yogourt, de fromages, de crème glacée, de beurre, etc., en franchise de droits de douane. Pour pouvoir bénéficier de ce traitement, une licence d’importation doit toutefois être octroyée. La manière dont ces dernières sont octroyées est au cœur du différend entre le Canada et les États-Unis car en réalité, les licences sont octroyées sous réserve du respect de certaines conditions comme l’utilisation des produits importés par des transformateurs. On comprend dès lors que si le Canada admet dorénavant les produits laitiers américains sur son territoire, il continue de contrôler la finalité des produits importés et empêche largement les distributeurs d’importer des produits finis. Cette position est difficilement défendable et laisse apparaître un gouvernement canadien tentant de minimiser les concessions qu’il a dû faire face aux méthodes agressives de l’administration Trump.Footnote 68 Se faisant, selon les États-Unis, le Canada contrevient aux articles 3.A.2.11(b), 3.A.2.11(c) et 3.A.2.4(b) (lu avec les articles 3.A.2.11(e) et 3.A.2.6(a)). Le groupe spécial chargé de l’affaire aura donc à déterminer la marge de manœuvre du Canada dans un domaine hautement critique, soit celui de la gestion de l’offre canadienne.
le contentieux sur le bois d’œuvre en provenance du canada
La saga concernant l’industrie du bois d’œuvre, opposant le Canada et les États-Unis, a continué en 2021. Depuis 1981, les deux voisins sont en désaccord au sujet du prix du bois d’œuvre produit au Canada et vendu aux États-Unis. Les États-Unis reprochent au Canada et ses provinces de subventionner de manière importante l’industrie du bois d’œuvre en octroyant aux entreprises forestières des droits de coupe à prix modique. L’argument principal repose sur le fait que ces subventions “déguisées” favoriseraient le dumping, préjudiciant de fait l’industrie américaine du bois d’œuvre. En contrepartie, les États-Unis imposent des droits antidumping et compensateurs sur certains produits canadiens de bois d’œuvre.
Pour rappel, un groupe spécial a rendu un rapport, en août 2020, concluant que les mesures compensatoires imposées par les États-Unis étaient incompatibles avec l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC.Footnote 69 Le 28 septembre 2020, les États-Unis ont saisi l’Organe d’appel de cette affaire, mais considérant le blocage de l’Organe d’appel de l’OMC – provoqué par les États-Unis eux-mêmes – cette affaire n’a toujours pas été entendue.
En novembre 2021, les États-Unis ont doublé leurs droits compensatoires – de 8,99 pour cent à 17,90 pour cent – perçus sur les exportations de bois d’œuvre canadien.Footnote 70 Répondant à cette action, la ministre Ng a indiqué que “le Canada a fait savoir à maintes reprises aux États-Unis qu’il était prêt à travailler à une solution négociée à ce problème commercial de longue date, qui permettrait le retour à un commerce transfrontalier prévisible du bois d’œuvre résineux, dans l’intérêt des travailleurs des deux pays.” Le 21 décembre 2021, la ministre Ng a déclaré que le Canada contesterait les droits imposés par les États-Unis sur le bois d’œuvre résineux en vertu du chapitre 10 de l’ACÉUM. Footnote 71
demande de consultations du canada sur la sauvegarde des produits solaires aux états-unis
Le 28 janvier 2021, le Canada a tenu des consultations au titre du chapitre 31 de l’ACÉUM Footnote 72 relativement aux mesures de sauvegarde imposées et appliquées par les États-Unis sur les cellules photovoltaïques à base de silicium cristallin, aussi appelées “produits solaires.”Footnote 73 Depuis 2018, l’imposition de ces mesures par les États-Unis avait entrainé une baisse de près de 82 pour cent des exportations de produits d’énergie solaire du Canada vers les États-Unis.Footnote 74
Les consultations n’ayant pas permis de régler le différend et conformément à l’article 31.6 de l’ACÉUM, le 18 juin 2021, le Canada a demandé la constitution d’un groupe spécial de règlement des différends, composé de trois membres.Footnote 75 Le Canada estime que la mesure prise par les États-Unis est incompatible avec l’article 2.4 (art. 2.4.1 et 2.4.2), l’article 10.2 (art. 10.2.1, 10.2.2 et 10.2.5) et l’article 10.3 de l’ACÉUM. Footnote 76 Le Canada considère en effet que la mesure de sauvegarde sur les produits solaires imposée par les États-Unis annule ou compromet les avantages qu’il pourrait tirer directement ou indirectement de l’ACÉUM. À la suite de sa constitution, une audience en personne a eu lieu devant le groupe spécial à Washington le 10 novembre 2021.Footnote 77
Les développements dans le système commercial multilatéral
Malgré le vent nouveau insufflé par la nouvelle directrice générale, les négociations n’ont donné aucun résultat concret en cette année 2021, notamment en raison du report de la conférence ministérielle de décembre 2021. Néanmoins, le Canada est demeuré actif tant au sein du Groupe d’Ottawa qu’à Genève en vue de faire avancer les discussions sur une éventuelle réforme de l’OMC. D’un point de vue contentieux, l’année a été extrêmement tranquille.
négociations commerciales
Entrée en fonction d’une nouvelle directrice générale
Le 14 mai 2020, le directeur général Roberto Azevedo a annoncé son départ pour la fin août de la même année, soit une année avant la fin de son mandat. Motivant ce choix pour des raisons personnelles, il a aussi expliqué qu’il lui apparaissait stratégique de dissocier le processus de désignation de son successeur et la préparation de la douzième conférence ministérielle.Footnote 78 Aussitôt, une campagne s’est organisée à l’OMC. Si huit candidats se sont initialement présentés, deux femmes ont terminé cette course: la Coréenne Yoo Myung-hee et la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala. Rapidement, la candidate nigériane a eu un appui massif, entre autres du Canada. Or, l’administration Trump s’est opposée fermement à sa désignation, considérant que seule la candidate coréenne possédait la compétence pour occuper cette fonction. À partir du 29 octobre 2020, la désignation d’une future directrice générale semblait être bloquée par le refus des États-Unis. L’entrée en fonction d’un nouveau président américain en janvier 2021 a permis de mettre fin à ce blocage et, le 5 février 2021, le Conseil général de l’OMC a désigné par consensus Ngozi Okonjo-Iweala. Cette dernière est ainsi devenue la 7e personne à occuper le poste de directeur général de l’OMC, mais surtout la première femme et la première Africaine. Âgée de 66 ans, elle a étudié l’économie à Harvard et obtenu un doctorat du MIT. Elle s’affiche ouvertement comme une outsider de l’OMC. En effet, elle est surtout une experte du développement international et de la finance mondiale. Elle a d’ailleurs travaillé pendant vingt-cinq ans à la Banque mondiale, ayant entre autres occupé le poste de directrice générale des opérations. Ministre des finances à deux reprises (2003 à 2006 et 2011 à 2015) et ministre des affaires étrangères (2006) du Nigéria, elle a contribué à relever le pays en renégociant la dette souveraine. Considérée comme une dame de fer, elle s’est aussi attaquée à la corruption. Enfin, mentionnons qu’elle a multiplié les activités, dont un siège au conseil d’administration de Twitter et la présidence du conseil d’administration de Gavi Alliance, ce qui a certainement eu un impact majeur sur sa manière d’aborder le rôle de l’OMC durant la pandémie de COVID-19. Aussitôt arrivée, madame Okonjo-Iweala a commandé un audit de l’organisation et nommé une unité de pilotage des résultats. Le profil managérial de la nouvelle directrice générale semble déjà avoir eu un impact sur l’OMC: “Des observateurs se disent impressionnés par son dynamisme et son audace, mais aussi par sa poigne et sa détermination à montrer des résultats.”Footnote 79 De toute évidence, ce vent de fraicheur ne peut faire de tort à cette organisation qui a souvent un pas de retard sur le reste du monde.Footnote 80
Impossibilité de tenir la douzième conférence ministérielle (CM-12)
La dernière conférence ministérielle (CM) s’est tenue à Buenos Aires en décembre 2017. La suivante a été reportée trois fois. Elle devait initialement se tenir à Noursoultan en décembre 2019 avant d’être reportée, faute d’avancées significatives, à juin 2020. En raison de la pandémie de COVID-19, elle a ensuite été reportée à décembre 2021 à Genève. Or, en raison d’une 5e vague et d’un nouveau variant contagieux, les membres ont été dans l’obligation de l’annuler quelques jours avant son commencement.
Négociations commerciales
Quatre sujets majeurs étaient à l’ordre du jour de la CM-12 qui devait finalement se tenir en décembre 2021. Comme la CM ne s’est pas tenue, les négociations n’ont pu être conclues. La directrice générale a néanmoins exhorté les membres à tenter d’obtenir des résultats dans les premiers mois de l’année 2022, surtout en ce qui concerne les deux premiers sujets.Footnote 81 Premièrement, malgré des divergences concernant entre autres le traitement spécial et différenciéFootnote 82 ou encore le “management carveout,”Footnote 83 l’Accord sur les subventions aux pêches arrivait dans sa phase finale d’adoption puisqu’un nouveau texte consolidé avait été adopté le 8 novembre 2021.Footnote 84 Si cet accord est adopté, il s’agira là d’une avancée majeure pour les membres de l’OMC. En effet, ce sera le deuxième accord à être adopté dans le cadre de l’OMC depuis l’Accord de Marrakech (l’Accord sur la facilitation des échanges ayant été le premier accord adopté en 2013).Footnote 85 Toutefois, si on répète sans cesse que cet accord permettra aux membres de l’OMC de participer à l’atteinte d’un des objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies, plus précisément l’objectif 14.6, on peut se demander jusqu’à quel point il s’ancrera réellement dans la protection de la biodiversité marine. En effet, le projet d’accord fait pour l’heure l’économie d’une référence explicite à l’objectif de développement durable 14 et ne réfère pas non plus explicitement aux conventions pertinentes en la matière. Est-ce à dire que les membres de l’OMC préfèrent limiter les interactions avec les autres branches du droit international? En tout cas, considérant le contexte actuel, un message clair quant à une meilleure coordination commerce – environnement aurait été fort à propos. La prochaine conférence ministérielle sera en tout cas importante puisqu’on s’attend à l’adoption de ce projet d’accord. On peut toutefois craindre que l’Inde reproduise la stratégie utilisée à Bali en 2013 et utilise cet accord comme monnaie d’échange pour obtenir d’autres concessions, notamment, une solution permanente à la question de la détention de stocks à des fins de sécurité alimentaire.
Deuxièmement, les États devaient adopter une déclaration ministérielle relative à la réponse de l’OMC à la pandémie de COVID-19. Un projet de déclaration de l’ambassadeur Walker a permis une discussion concrète, mais a néanmoins fait ressortir des divergences de points de vue entre les membres. Certains se sont opposés à la création de nouvelles règles, alors qu’une majorité a rappelé l’importance de faire preuve de flexibilité face à une situation exceptionnelle. Le Canada a participé à la dernière proposition de l’année, aux côtés de trente-quatre autres membres dont l’UE, le Royaume-Uni et la Chine.Footnote 86 Essentiellement, cette déclaration s’attaque aux restrictions à l’exportation de matériel sanitaire, met l’accent sur la facilitation des échanges, insiste pour une réduction ou une suppression des droits de douane sur les biens considérés comme essentiels pour lutter contre la pandémie, et demande une meilleure transparence des mesures prises durant la pandémie. Enfin, le texte fait état d’une intensification des efforts pour renforcer la collaboration dans cette crise sans précédent. L’année 2021 a aussi été consacrée à de nombreuses discussions au sujet de la demande de l’Afrique du Sud et de l’Inde visant à offrir une dérogation à certaines dispositions de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC).Footnote 87 Aucune solution n’a été trouvée. À ce titre, le Canada ne s’oppose pas formellement à l’adoption d’une telle dérogation, mais souligne que l’Accord sur les ADPIC et plus précisément l’article 31bis offre déjà la marge de manœuvre nécessaire pour offrir des dérogations.Footnote 88 De toute évidence, la tâche des membres de l’OMC est colossale puisque les yeux du monde sont rivés sur eux et sur leur capacité à trouver une solution à ce défi global que représente la pandémie. Surtout, ils devront reconnaître la plus-value découlant de l’inclusion des entreprises pharmaceutiques dans les travaux de l’OMC, dynamique initiée par la nouvelle directrice générale. Cette façon de faire est peut-être susceptible d’éviter que les États se retranchent derrière l’industrie pour motiver leur inaction, et de mener à identifier des solutions plus concrètes et réalistes pour les pays en développement. Reste à voir si les membres développés de l’OMC sont prêts à prendre les décisions qui s’imposeront.
Troisièmement, les membres devaient discuter de la réforme de l’OMC et plus particulièrement de celle de l’Organe d’appel. En effet, au début de l’année 2021, vingt-quatre affaires avaient été portées en appel et étaient donc suspendues dans l’attente d’un déblocage. Lors de la réunion de l’Organe de règlement des différends (ORD) du 30 novembre 2021, l’ensemble des membres de l’OMC s’est dit en faveur d’une réforme du système de règlement des différends. On se rappelle que les États-Unis bloquent la nomination ou le renouvellement de membres à l’Organe d’appel depuis quelques années, en raison de “leurs préoccupations systémiques exprimées depuis 16 ans” et qui n’ont pas été prises en compte.Footnote 89 Depuis décembre 2019, l’Organe d’appel n’est plus en mesure de fonctionner.
Quatrièmement, les membres devaient adopter un agenda de travail sur certains volets des négociations en matière agricole. Un texte a été examiné le 25 novembre 2021. Il couvre plusieurs thèmes non résolus comme le soutien interne, l’accès aux marchés, la concurrence à l’exportation, les restrictions à l’exportation, le coton, la détention de stocks à des fins de sécurité alimentaire, le mécanisme de sauvegarde spéciale et la transparence. Sans surprise, une majorité de pays en développement ont souligné le peu d’ambition du texte notamment en matière de soutien interne et de sécurité alimentaire.Footnote 90
En marge de ces points majeurs, d’autres discussions ont avancé à l’OMC durant l’année 2021. Entre autres, les membres continuent de négocier dans le cadre d’initiatives conjointes plurilatérales (usuellement appelées à l’OMC les “JSI” pour “Joint Statement Initiatives”).Footnote 91 C’est le cas de l’initiative conjointe sur la réglementation intérieure dans le domaine des services. En effet, le 2 décembre 2021, soixante-huit membres ont adopté une déclarationFootnote 92 mettant fin aux négociations débutées en 2017, qui visaient à améliorer la transparence, la prévisibilité et l’efficacité des procédures d’autorisation pour les fournisseurs de services. Fait notable, une disposition sur la non-discrimination entre les genres a été insérée afin que les femmes puissent profiter davantage du commerce des services. Ceci répond directement à une préoccupation de la directrice générale de l’OMC, madame Okonjo-Iweala, qui déclarait en mars 2021: “Nous ne pouvons pas espérer élaborer de bonnes politiques pour tous les membres de la société si la moitié de la population n’est pas représentée de manière adéquate et égale dans les discussions.”Footnote 93 Les membres doivent maintenant inclure les engagements contenus dans la déclaration au sein de leur liste d’engagements spécifiques, d’ici la fin de 2022.Footnote 94
L’initiative conjointe sur le commerce électronique à laquelle participent quatre-vingt-six membres de l’OMC dont le Canada, lesquels représentent 90 pour cent du commerce mondial,Footnote 95 semble bien avancée. Des convergences substantielles ont été réalisées sur huit textes relatifs aux messages commerciaux non sollicités,Footnote 96 aux signatures électroniques et l’authentification,Footnote 97 aux contrats électroniques,Footnote 98 aux données publiques ouvertes et à la protection des consommateurs en ligneFootnote 99 ainsi qu’à la transparence, au commerce sans papier et à l’accès à l’Internet ouvert.Footnote 100 Discutant de l’architecture juridique des résultats des négociations, les facilitateurs ont indiqué que tout résultat devrait s’inscrire dans le cadre de l’architecture de l’OMC, permettre un niveau d’ambition suffisant avec un niveau élevé d’engagements sur des sujets clés, et être soumis au système de règlement des différends de l’OMC.Footnote 101 L’Australie, le Japon et Singapour, coorganisateurs des négociations, ont déclaré être en bonne voie d’atteindre une convergence sur la majorité des questions faisant l’objet des négociations d’ici la fin de l’année 2022.Footnote 102
Enfin, en octobre 2021, l’initiative sur les MPME, auquel le Canada participe, a adopté six recommandations pour la facilitation des échanges relativement (1) à la collecte et la mise à jour des renseignements relatives aux MPME; (2) à l’accès à l’information; (3) à la facilitation des échanges; (4) à la promotion de l’inclusion des MPME dans l’élaboration des règles dans le domaine du commerce; (5) aux MPME et la base de données intégrée de l’OMC et (6) à la prise en compte des aspects liés au commerce de l’accès des MPME au financement et aux paiements transfrontières.Footnote 103
groupe d’ottawa et réforme de l’omc
En 2021, le Groupe d’OttawaFootnote 104 s’est réuni à plusieurs reprises afin de discuter des enjeux liés au système commercial multilatéral. Dirigé par le Canada, le Groupe d’Ottawa cherche à relever les défis auxquels le système commercial multilatéral est confronté. Depuis ses débuts en 2018, le Groupe d’Ottawa s’est efforcé d’avancer sur la question de la revitalisation de la fonction de négociation, y compris en ce qui concerne la prise en compte du développement dans l’élaboration des règles.Footnote 105 Il a également travaillé sur le renforcement de la fonction de délibération de l’OMC et de la fonction des comités de l’OMC, ainsi que sur la sauvegarde et le renforcement du mécanisme de règlement des différends.Footnote 106
Le 22 mars 2021, une réunion du Groupe d’Ottawa s’est tenue en présence de la nouvelle directrice générale de l’OMC, madame Okonjo-Iweala. Pour la première fois depuis le retrait du Royaume-Uni de l’UE, la secrétaire d’État au commerce international du Royaume-Uni, Liz Truss, y assistait. Cette réunion a surtout permis aux différents ministres de discuter de la question de la réforme de l’OMC et de s’entendre sur les priorités en vue de la CM-12. Parmi celles-ci, on retrouve l’éventuel Accord sur les subventions aux pêches, l’initiative sur la réglementation intérieure des services, et le commerce électronique.Footnote 107 Les ministres du Groupe d’Ottawa ont souligné leur souhait de faire progresser les efforts en matière de santé, d’agriculture, d’environnement, de transparence et de questions relatives au genre et au commerce.Footnote 108 Lors de cette rencontre, les ministres se sont entendus pour s’impliquer auprès de tous les membres de l’OMC, ainsi qu’auprès de Katherine Tai, la représentante américaine au commerce.
En mai 2021, s’est tenue une autre rencontre, encore en présence de madame Okonjo-Iweala, au sujet des questions relatives à l’accès équitable aux vaccins, aux restrictions à l’exportation de biens médicaux essentiels, à la capacité de fabrication des vaccins, aux droits de propriété intellectuelle, et au transfert de technologie.Footnote 109 Le 22 juillet 2021, le Groupe d’Ottawa a poursuivi sa conversation lors d’une réunion virtuelle, à laquelle Katherine Tai s’est finalement jointe. On se rappellera que jusqu’à présent, les États-Unis ne participaient pas aux travaux du Groupe d’Ottawa. Lors de cette rencontre, la ministre Ng a réitéré la volonté du Canada de faire aboutir les négociations relatives aux subventions aux pêches, mais surtout de négocier pour que cet accord protège les travailleurs et favorise les pratiques de pêche durable.Footnote 110 La ministre canadienne a profité de cette rencontre pour insister sur l’importance de la coopération entre les membres de l’OMC pour faire de la CM-12 un succès.Footnote 111
Réunis à Paris le 7 octobre 2021, les membres du Groupe d’Ottawa ont réitéré leur engagement sur les questions discutées lors des rencontres précédentes et ont manifesté leur volonté de faire avancer certains sujets à l’instar du commerce et l’environnement, mais aussi du commerce et du genre.Footnote 112 La veille, la ministre Ng avait rencontré la secrétaire au commerce Tai afin de discuter d’une collaboration, et ce notamment dans le cadre de l’OMC et l’importance du système commercial multilatéral.Footnote 113
La dernière rencontre de l’année a eu lieu le 16 décembre 2021 de manière virtuelle.Footnote 114 Ce fut l’occasion pour le Groupe d’Ottawa de revenir sur les avancées de certains dossiers. Le Groupe d’Ottawa a souligné son rôle important dans la promotion d’une déclaration sur le commerce et la santé, qui a permis de recueillir le soutien de cinquante-huit membres de l’OMC représentant 60 pour cent du commerce mondial des produits médicaux essentiels.Footnote 115 La pandémie COVID-19 a en effet mis en lumière les lacunes des États dans la préparation aux situations d’urgence et a créé une concurrence en matière de fourniture de produits médicaux vitaux. C’est pour pallier une potentielle crise du même acabit que le Groupe d’Ottawa pousse les membres de l’OMC à adhérer à la déclaration.
contentieux commercial impliquant le canada
Durant l’année 2021, aucune nouvelle affaire n’a été portée devant l’ORD de l’OMC impliquant le Canada à titre de demandeur ou de défendeur. Toutefois, le Canada a demandé à agir à titre de tierce partie dans le cadre de 7 différends.Footnote 116 Parmi ceux-ci, on notera que deux concernent le conflit commercial entre la Chine et l’Australie. Il conviendra d’être attentif à ces différends dans les prochains mois.
Toujours en 2021, le Canada est resté impliqué à titre de plaignant dans l’affaire Chine – Mesures concernant l’importation de graines de canola en provenance du Canada. Footnote 117 Le 9 septembre 2019, le Canada avait déposé une demande de consultation à la Chine en vertu de l’article 4:4 du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends (Mémorandum d’accord).Footnote 118 Selon le Canada, les mesures prises par la Chine auraient pour effet de suspendre les importations de graines de canola en provenance du Canada, et de mettre en place des inspections forcées des graines de canola canadiennes. Le 17 juin 2021, le Canada a demandé l’établissement d’un groupe spécial, qui a finalement été établi lors de la réunion de l’ORD le 26 juillet 2021. Le 24 septembre 2021, le Canada et la Chine ont indiqué à l’ORD qu’ils s’accordaient sur la procédure d’arbitrage au sens de l’article 25 du Mémorandum d’accord pour ce différend. Ils se sont mis d’accord pour donner effet à l’Arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire conformément à l’article 25 du Mémorandum d’accord. Footnote 119 La composition du groupe spécial a été arrêtée le 12 novembre 2021.Footnote 120
Le différend Canada – Mesures régissant la vente de vin a connu un dénouement durant l’année 2021. Le 31 mars 2021, le Canada et l’Australie ont demandé au groupe spécial un report, au 30 avril 2021, de la remise du rapport intermédiaire en attendant d’obtenir des renseignements mis à jour sur l’état d’avancement des discussions entre les parties. Le groupe spécial a accédé à cette demande le 6 avril 2021. En date du 22 avril 2021, les parties ont conjointement informé le groupe spécial qu’elles avaient trouvé un commun accord. En effet, lorsque l’Australie avait demandé l’ouverture de consultations avec le Canada le 12 janvier 2018, sa demande portait sur “diverses mesures en matière de distribution, de licences et de ventes comme majorations des prix des produits, des politiques relatives à l’accès au marché et à l’inscription au catalogue, ainsi que les droits et taxes sur le vin appliquées aux niveaux fédéral et provincial qui peuvent établir une discrimination, directement ou indirectement, à l’encontre du vin importé.”Footnote 121 Selon l’Australie, ces mesures étaient incompatibles avec les obligations du Canada en vertu des articles III, XVII et XXIV:12 de l’Accord général sur les tarif douaniers et le commerce 1994. Footnote 122 Les mesures identifiées par l’Australie étaient celles mises en place au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial en Colombie-Britannique, au Québec, en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Le 12 mai 2021, l’Australie et le Canada ont indiqué à l’Organe de règlement des différends qu’ils avaient trouvé une solution concernant les mesures fédérales et provinciales en cause. Le 25 mai 2021, le groupe spécial a distribué son rapport, faisant état des développements de l’affaire et de la solution trouvée par les parties.Footnote 123 Essentiellement, dans les deux ans, le gouvernement fédéral a accepté d’abroger l’exonération fédérale des droits d’accise sur le vin canadien vendu au pays.Footnote 124 En sus, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont aussi accepté de modifier leur législation afin de répondre aux demandes de l’Australie notamment en ce qui concerne l’espace d’étalage dans les rayons d’épicerie.Footnote 125 Quant au Québec, l’entente négociée permet aux producteurs québécois de continuer à vendre leur vin en épicerie et dépanneur, mais une majoration équivalente à celle imposée aux produits importés sera appliquée dès 2023. Compte tenu des entraves évidentes aux règles du commerce international que les mesures canadiennes et provinciales induisaient, on peut considérer que le Canada s’en tire à bon compte.
Le différend Canada – Mesures concernant le commerce des aéronefs commerciaux, opposant le Brésil au Canada, s’est soldé par le retrait de la plainte du Brésil. Ce retrait a été notifié par le Brésil à l’ORD le 18 février 2021.Footnote 126 Dans sa communication, le Brésil précise toutefois qu’il “reste d’avis que les mesures contestées dans le différend sont incompatibles avec plusieurs dispositions de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires”Footnote 127 comme indiqué dans sa demande d’établissement d’un groupe spécial. Le Brésil a d’ailleurs annoncé se réserver le droit de contester ces mesures dans des différends futurs.
Conclusion
L’année 2021 a finalement été marquée par peu de rebondissements. Au niveau multilatéral, la pandémie ayant encore retardé la douzième conférence ministérielle, peu d’avancées ont été concrétisées au sein de l’OMC. De même, mise à part l’entente entre l’Australie et le Canada sur le différend vinicole, aucun développement substantif n’est à signaler du côté de l’ORD de l’OMC. Au niveau régional, le Canada continue à développer de nouveaux partenariats. Certes, l’affaire du lait l’opposant aux États-Unis dans le cadre de l’ACÉUM est venue une fois de plus fragiliser cette industrie déjà mise à mal par la multiplication des concessions faites au cours des dernières années, mais elle a au moins eu le mérite de confirmer le système de gestion de l’offre canadien.
L’année 2022 devrait accueillir la douzième conférence ministérielle de l’OMC. Les membres ne se sont pas réunis dans ce cadre depuis près de cinq ans. C’est dire combien les attentes sont grandes puisque normalement, les conférences ministérielles se tiennent tous les deux ans. Le Canada a été très proactif pour faire avancer divers dossiers tant par son travail à Genève que dans le cadre du Groupe d’Ottawa.
Certains dossiers devront être suivis de près dans la prochaine année. C’est le cas d’un potentiel mécanisme d’ajustement carbone aux frontières canadiennes dont on reparlera certainement dans les années à venir.Footnote 128 Certains partenaires du Canada sont en phase de réflexion quant à l’adoption d’un tel mécanisme. Souhaitant procéder à une transition vers une économie à faibles émissions de carbone, tout en restant compétitif à l’échelle mondiale, le Canada se penche sur une telle mesure. Durant l’année 2021, le gouvernement du Canada a ainsi procédé à des consultations publiques afin de réunir des avis concernant notamment les répercussions économiques de ces ajustements carbone, les effets des ajustements sur les relations commerciales internationales du Canada, et la capacité des ajustements à mener à des résultats environnementaux équivalents ou meilleurs.Footnote 129 Ces consultations viennent à point nommé étant donné que l’UE a pris de l’avance sur ses partenaires commerciaux en proposant son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières en juillet 2021. Ce dernier entrera en vigueur de manière provisoire dès 2023 à l’égard de certains produits dont certains, comme l’aluminium, qui présentent un intérêt évident pour le Canada.
Enfin, le Canada devra trouver le moyen de réagir aux visées de plus en plus protectionnistes de son principal partenaire commercial, les États-Unis. De toute évidence, en plus de diversifier ses marchés, il devra peut-être profiter de la marge de manœuvre qu’il possède pour rendre plus équitable sa relation commerciale avec les États-Unis, en plus de demeurer très vigilant à l’égard de toute nouvelle velléité protectionniste ou nationaliste de la part de l’administration Biden.