Dans ce manuel pour traducteurs et apprenants avancés de français, Paul Boucher aborde la problématique de la traduction français-anglais par le biais d’une analyse contrastive de la structure linguistique des langues source et cible. L’approche est résolument pratique. Les sujets abordés, sélectionnés en raison de la difficulté qu’ils sont réputés poser aux traducteurs, sont illustrés à l’aide d’extraits de genres variés (littéraires, journalistiques et technico-scientifiques), tous analysés et accompagnés de traductions professionnelles. Des exercices dont le corrigé se situe en fin d’ouvrage servent à consolider les acquis et des renvois bibliographiques dispersés permettent à ceux qui le désirent d’aller plus loin.
Le livre est sous-divisé en trois sections comportant chacune quatre chapitres. La première propose une introduction à la morphosyntaxe du français et de l’anglais. Les constructions nominales et verbales, objet des chapitres 1, 3 et 4, reçoivent une attention particulière. Le chapitre 2, quant à lui, introduit le procédé de ‘transposition’ (traduction avec changement de structure ou de catégorie grammaticale), procédé qu’illustre le passage de « Certains parlent de… » à « There is talk of… » (28). Tout semble ici question d’expérience et d’intuition : après une brève présentation du phénomène, l’auteur passe immédiatement aux exercices pratiques.
La deuxième section est entièrement consacrée à la notion de ‘perspective’, abordée via le procédé de ‘modulation’ (chapitre 5), lequel caractérise toute traduction qui induit un changement de point de vue métaphorique (« The rain pattered… » > « une pluie […] martelait… », 71), métonymique (« lost property office » > « bureau des objets trouvés », au lieu de perdus, 72), ou grammatical (traduction du subjonctif par des verbes modaux). Le chapitre 6 (« Tense and aspect ») s’interroge sur la valeur respective des temps français et anglais et sur les temps à utiliser selon le genre de texte. On regrettera la discussion trop rapide (95) des effets du passé composé par rapport au passé simple, discussion qui confond les concepts, issus de la narratologie de Genette (Reference Genette1972), de « focalisation interne ou externe » (relevant du ‘mode’) et de « narrateur intra- ou extradiégétique » (relevant de la ‘voix’), qu’il importe de distinguer. Les chapitres 7 et 8 examinent respectivement les types de discours (direct, indirect, libre) et les modalités de phrases et leur valeur illocutoire, présentant une analyse fine des différents types d’interrogatives.
Une hypothèse importante qui éclaire la différence entre l’anglais et le français est introduite au chapitre 6 : les systèmes topographiques, temporels et aspectuels de l’anglais, décrits comme ‘déictiques’, seraient explicitement raccrochés à la situation de parole alors que les systèmes équivalents du français, décrits comme ‘contextuels’, auraient recours à des points de référence posés par le discours même, et dès lors variables dans le développement discursif. En effet, dans « Hey, don’t go out there, it is raining ! » (87), les mots out et there, et en particulier le morphème progressif -ing, sont explicitement ancrés dans les coordonnées du centre déictique. En revanche, la traduction française « Eh, ne sors pas, il pleut ! » (88) ne donne aucune indication comparable (il n’y a pas de « dehors » qui s’oppose à un « dedans », ni d’ « ailleurs » qui s’oppose à un « ici ») outre ce qui est inclus dans le sémantisme même du verbe sortir, dont même la forme verbale du présent, évidemment susceptible de renvoyer au centre déictique, ne peut le faire qu’en fonction du contexte, puisque ce temps de l’indicatif peut aussi bien renvoyer à des évènements passés (« Jean arrive à l’instant ») que futurs (« On se voit tout à l’heure ? ») (89).
La troisième et dernière section aborde le texte dans son ensemble et examine les procédés de ‘cohésion’ (coréférence, réseaux sémantiques, jonctions inter-phrastiques, types de progression thématique, anaphores et ellipses) (chapitres 9 et 11) et la ‘structure de l’information’ ou les moyens syntaxiques du français (phrases clivées, présentatives, voix passive…) permettant de distinguer l’information ancienne (le thème) de l’information nouvelle (le rhème) (chapitre 10). Le procédé de ‘compensation’ concerne la façon dont peut s’exprimer un trait textuel du texte source inexistant dans la langue cible. Ainsi est-il observé que les traducteurs jugent souvent nécessaire d’expliciter les relations causales ou adversatives implicites du texte original par des connecteurs ou par la ponctuation (chapitres 9 et 12), ce qui donne l’impression que la traduction est plus claire que l’original. Au chapitre 11, l’auteur montre que les démonstratifs français (ce, cela) sont le plus souvent neutres par rapport au centre déictique, alors que les démonstratifs anglais sont normalement marqués comme proximaux (this) ou distaux (that) par rapport à la situation de parole.
Le chapitre 12, intitulé « Textual coherence », clôt l’ouvrage ; il compare la progression thématique dans des textes de vulgarisation scientifique français et anglais. L’auteur illustre la nécessité de trouver un équilibre entre les traditions de la langue cible et celles de la langue source lors de la traduction de la terminologie légale, en proposant notamment de rester proche de la terminologie source et de la munir de gloses explicatives. L’hypothèse déictique est de nouveau mise à contribution pour informer l’analyse de la traduction en français d’un texte de science politique anglais solidement ancré dans le moment de parole : le texte français doit compenser cette absence de centre déictique stable par l’ajout de connecteurs, ou par la modification d’adverbiaux temporels tels que « several years ago » traduit par « quelques années auparavant » (201).
Une question de traductologie qui traverse l’ouvrage dans son ensemble est de savoir s’il est préférable de respecter les structures linguistiques du texte source ou d’adapter la traduction aux traditions stylistiques-culturelles et aux attentes des locuteurs de la langue cible. Diverses solutions apportées par des traducteurs professionnels dans des situations particulières sont envisagées ; comme il se doit, aucune réponse définitive n’est proposée, sauf dans le cas, signalé ci-dessus, de la traduction de documents légaux.
Cet excellent manuel est manifestement le fruit d’une expérience pédagogique approfondie : les exercices et les textes retenus illustrent de façon convaincante les points étudiés, et les explications proposées sont particulièrement claires et précises. L’ouvrage pourra rendre service non seulement dans tout séminaire de traduction mais aussi dans tout cours avancé d’analyse du discours.