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Le BAPE devant les citoyens. Pour une évaluation environnementale au service du développement durable, Jean Baril, Les Presses de l'Université Laval, 2006, 192 pages.

Published online by Cambridge University Press:  30 June 2008

Louis Simard
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
RECENSIONS / REVIEWS
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2008

Toujours d'actualité, trente ans après sa création en 1978, le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) du Québec a fait l'objet de peu de travaux si l'on considère son importance dans la procédure québécoise d'évaluation environnementale, son influence sur le développement économique du Québec et son rayonnement dans le monde entier. En effet, à l'origine de plus de 250 audiences publiques sur des projets, programmes, plans et politiques et d'autant de rapports, son expérience a inspiré plusieurs administrations publiques, au Canada comme ailleurs, à mettre en œuvre des dispositifs d'évaluation environnementale et de participation du public. Le BAPE, qui a pour fonction «d'enquêter sur toute question relative à la qualité de l'environnement que lui soumet le ministre et de faire rapport à ce dernier de ses constatations ainsi que de l'analyse qu'il en a faite»,Footnote 1 est un instrument d'action publique au cœur de la gestion de l'environnement et ses auteurs et premiers praticiens font figure d'avant-gardistes en cette époque où la délibération apparaît si impérative pour la gouvernance de nos sociétés complexes.

Fruit du remaniement d'un mémoire de maîtrise en droit, l'ouvrage de J. Baril propose de répondre à trois questions principales liées à l'expérience du BAPE. 1) La procédure québécoise d'évaluation et d'examen des impacts environnementaux doit-elle être revue à la lumière des principes du développement durable? 2) Le rôle et le mandat actuels du BAPE dans l'évaluation environnementale peuvent-ils satisfaire aux exigences nouvelles posées par le développement durable? 3) Dans la négative, quelles modifications faut-il apporter pour que le BAPE soit un organisme majeur dans la poursuite du développement? Pour répondre à ces questions, l'approche méthodologique privilégiée par l'auteur consiste en examen d'une série de documents (code de déontologie du BAPE, rapports annuels, plans stratégiques, doctrine, décisions des tribunaux, textes en vigueur, conventions, archives du BAPE) et une observation procurée par un stage de six mois et et l'analyse des travaux d'une commission d'enquête.

La première partie présente un travail minutieux de compilation de faits administratifs et juridiques qui retrace l'évolution du BAPE du point de vue du droit environnemental, tout en le situant à l'échelle internationale. Les premier et second chapitres dressent un panorama de l'évolution qu'a connue l'évaluation environnementale et de ses objectifs et principes au Québec, au Canada, aux États-Unis et à l'échelle internationale grâce à une énumération des textes (lois, règlements et principales conventions). Largement répandue, elle a connu un progrès fulgurant au cours des trente dernières années et elle est devenue un outil essentiel au développement durable. De l'évaluation environnementale stratégique (politiques, plans et programmes) à l'audit environnemental, sa définition a évolué et sa portée essentiellement biophysique au départ intègre aujourd'hui la dimension socio-culturelle (Chapitre 1). Le Québec fut la première province canadienne à adopter, en 1978, une procédure d'évaluation d'impact sur l'environnement qui permet l'information, la consultation et la participation du public grâce à la création du BAPE, un organisme permanent et indépendant. Les avis du BAPE sont consultatifs et, dans la grande majorité des cas, ils se rapportent à une liste de projets préétablie (nature et portée) et excluant le territoire de la Baie-James et le Grand Nord. La procédure d'enquête et d'audiences publiques (la plus connue) prévoit notamment deux parties, une première de nature informative avec des périodes de questions et une seconde de nature consultative durant laquelle les participants exposent leurs points de vue. De toute la procédure administrative, seule la phase prévoyant la participation du BAPE et du public est limitée dans le temps (quatre mois). Si la procédure a peu changé au fil des ans, la pratique a montré quelques innovations, comme la création de séances d'information et le recours accru à l'Internet. Bien que le BAPE apparaisse comme un acquis social important et jouisse d'une crédibilité tant au Québec qu'à l'étranger, l'auteur rappelle qu'il fait régulièrement l'objet de tentatives de contournement et de réformes (Chapitre 2).

L'ouvrage se poursuit aux chapitres troisième et quatrième en répétant le même exercice pour la notion de développement durable. Du Club de Rome en 1968 à la convention d'Aarhus en 1998, la notion a franchi une nouvelle étape en consacrant le droit à l'information, à la participation publique et à l'accès à la justice. De plus, son évolution récente se caractériserait par une transformation de la perspective juridique substantive vers une mise en œuvre davantage procédurale (Chapitre 3). L'évolution «officielle» du concept au sein du gouvernement québécois se traduit par certaines thématiques (faune, eau, patrimoine naturel) et dès 1990, l'on observe son émergence dans les énoncés de mission de certains ministères et au BAPE. En fait, bien que le développement durable fasse une percée dans certains textes juridiques (Loi sur le développement durable et stratégie du développement durable, création du poste de Commissaire au développement durable et intégration à la Charte des droits et libertés d'un droit à un environnement sain), l'auteur conclut plutôt à un silence relatif du côté du droit, alors que depuis la fin des années 1980 la notion est omniprésente en politique et au sein de l'administration publique dans des déclarations, des rapports et des directives (Chapitre 4).

La deuxième partie de l'ouvrage se distingue franchement de la première dans le sens où elle prend la forme d'un long plaidoyer en adoptant une perspective normative. Plus précisément, J. Baril soutient, dans un premier temps, qu'il faudrait donner plus de place aux citoyens durant la procédure dès l'avis de projet ainsi qu'après la décision, lors du suivi des impacts environnementaux des projets. Ensuite des mandats plus généraux accordés aux commissaires favoriseraient une mise en valeur de l'expertise et de l'expérience du BAPE au bénéfice d'une approche plus intégrée qui favoriserait le développement durable. Le privilège de déclencher la procédure, accordé au ministre, devrait également revenir aux élus (provinciaux ou municipaux), à certaines associations de citoyens ou au BAPE lui-même. (Chapitre 5). L'auteur propose une série de moyens qui permettraient d'améliorer l'information mise à la disposition du public, notamment la création d'un registre de l'ensemble des documents utiles à l'évaluation environnementale dès le début du projet, des modifications à la Loi sur l'accès à l'information et la mise en discussion de l'analyse environnementale du MDDEP (Chapitre 6). Si certaines modifications devraient être apportées au fonctionnement du BAPE (processus et durée de la nomination des membres), alors que l'application stricte des lois reste à faire, il serait par ailleurs souhaitable que le BAPE devienne l'organisme officiel de consultation publique au Québec, au-delà des commissions parlementaires et des consultations ad hoc, et le responsable d'un véritable régime d'évaluation environnementale stratégique. Cela permettrait de mettre fin à des situations de «concurrence» ou de «contradiction» avec d'autres organismes, tels que la Commission de protection du territoire agricole du Québec ou la Régie de l'énergie, qui ont aussi un mandat de consultation et doivent favoriser le développement durable (Chapitre 7). Pour renforcer la démocratie participative, il faudrait octroyer des fonds aux participants, augmenter l'usage de l'Internet, télédiffuser des audiences publiques et justifier les décisions qui vont à l'encontre de l'avis du BAPE. Par ailleurs, l'auteur fait part de certains doutes à l'endroit des activités de médiation du BAPE. Absentes de tout texte de loi, peu transparentes, apparaissant parfois comme un contrôle des oppositions, elles peuvent conduire à un conflit des rôles (médiateur/commissaire). L'auteur aborde enfin la situation particulière des Premières Nations, concluant que l'obligation de les consulter pour qu'elles soient parties prenantes au processus participatif apparaît souhaitable (Chapitre 8). En conclusion, l'ouvrage réaffirme qu'«il faut revoir la procédure d'évaluation environnementale ainsi que le rôle et le mandat du BAPE à la lumière des principes du développement durable apparus entre temps» (163). Il alerte également le lecteur quant au déséquilibre existant entre les participants et la nécessaire réforme pour replacer le Québec à l'avant-garde, rappelant que la question de la participation citoyenne n'est pas un acquis et que des reculs sont possibles ou même planifiés (166).

L'ouvrage de J. Baril est une contribution importante tant pour le monde académique que pour toute personne intéressée par l'évaluation environnementale, la participation publique au processus décisionnel, la conduite des grands projets d'infrastructure ou, plus généralement, le développement durable. Les liens entre les divers thèmes abordés sont bien expliqués et ils sont exposés en détails par une énumération fine des éléments pertinents du droit québécois, par l'identification de jugements et en montrant les structures de l'administration publique qui permettent d'éclairer la mise en œuvre de la procédure. De plus, en faisant référence à la situation qui prévalait et prévaut actuellement à l'échelle internationale, l'ouvrage permet d'apprécier, à travers le temps, comment le Québec se situe sur la question.

Cette contribution laissera cependant sur sa faim le lecteur qui souhaiterait comprendre l'évolution décrite. Il aurait été intéressant d'approfondir plus régulièrement dans l'ouvrage des cas de projets marquants ou certaines décisions afin de mieux comprendre de manière concrète l'expérience du BAPE. L'ouvrage, en deuxième partie, passe malheureusement du descriptif au normatif, en ne cherchant pas tant à expliquer qu'à dénoncer. Nous saluons son parti pris pour l'éveil écocitoyen, qui tire ses origines dans la lutte pour l'intégrité des chutes du Parc de la rivière Batiscan, et bien que nous épousions les positions de l'auteur, le martèlement de celles-ci donne un caractère pamphlétaire et répétitif à l'ouvrage. On y trouve peu de nouvelles idées, la plupart de celles-ci étant déjà présentes au milieu des années 1980 dans les divers bilans réalisés sur l'expérience encore jeune du BAPE.Footnote 2 En ce sens, l'ouvrage n'atteint qu'en partie son intention déclarée de «décortiquer les mécanismes en jeu pour aider à les comprendre, soupeser leur efficacité, en démontrer les limites et avancer des propositions à soumettre au débat public le plus large possible» (2). L'analyse pour expliquer cette évolution est absente. Si «le diable est dans les détails» comme le mentionne Louise Vandelac (XII), qui signe la préface de l'ouvrage, pourquoi s'être limité aux éléments les plus formels? En ce sens, si le titre de l'ouvrage nous semble peu justifié (où sont les citoyens? étude sur la perception du BAPE par ceux-ci? sondage, entrevues?), le sous-titre s'avère plus près du contenu. Une analyse plus politique mettant à jour les rapports de force au cœur de l'expérience du BAPE aurait davantage permis de répondre à l'objectif fixé et de mieux prendre appui pour sauter de la description à la prescription. Somme toute, il s'agit d'une contribution nécessaire et d'un point de départ intéressant pour rendre compte de l'expérience du BAPE, institution incontournable pour étudier l'évaluation environnementale et la participation du public au Québec.

References

Notes

1 Loi sur la qualité de l'environnement (L.R.Q., C. Q-2), chap. 1, Sect. II, art. 6.3.

2 Gariepy, Michel, B. Ouellet, G. Dumon et Y. Phaneuf, 1986. Bilan et étude comparative de procédures d'évaluation et d'examen des impacts environnementaux. Montréal: Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, pagination multiple; Québec, 1988. L'evaluation environnementale: une pratique à généraliser, une procédure d'examen à parfaire (rapport Lacoste), Rapport du comité d'examen de la procédure d'évaluation environnementale, Québec, Gouvernement du Québec.