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La fédéralisation de l'immigration au Canada Mireille Paquet Presse de l'Université de Montréal, Politique Mondiale Montréal, 2016, 304 pages

Published online by Cambridge University Press:  06 March 2018

Anne Boily*
Affiliation:
Université de Montréal
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

En six chapitres, Paquet présente l’émergence d'une nouvelle gouvernance fédérale dans laquelle les provinces canadiennes jouent un rôle central, en retraçant le processus de ce changement institutionnel graduel sur une période de vingt ans (p. 13–15, 24, 36). La fédéralisation est « […] l’émergence de nouveaux acteurs ou la modification du statut de ceux détenant une forte légitimité institutionnelle ou politique au sein d'un régime institutionnel » (p. 21) et s'opère par le mécanisme de la construction provinciale. Cette dernière, le développement de la province par la mobilisation d'une élite politique, est constituée en trois temps : (1) l'activation, (2) la consensualisation et (3) l'institutionnalisation (p. 41). Dans chaque province, l'immigration est mise à l'ordre du jour, puis reconnue comme importante par les élites politiques et institutionnalisée par une politique ou une administration publique (p. 43).

L'auteure présente les provinces selon quatre modes d'intervention en immigration, qu'elle a pu déterminer grâce à l’étude de leurs politiques publiques. La séquence de la construction provinciale est documentée par l'analyse des plateformes de partis provinciaux, des discours du Trône, des débats parlementaires et des décisions gouvernementales en matière d'immigration et d'intégration (à l'aide d'entretiens semi-dirigés avec des fonctionnaires fédéraux et provinciaux retraités ou en fonction) (p. 31, 33, 49–50, 267). L'auteure observe que le Québec et le Manitoba ont initié la fédéralisation de l'immigration avec leur mode d'intervention « holiste » dans l'optique d'un projet de société qui dépasse les seuls objectifs économiques (p. 57, 95). Au Québec où la préoccupation principale face à l'immigration était la survie de la langue française, l'immigration en vient à être perçue comme « une ressource économique et démographique » (p. 66). Parallèlement, au Manitoba, le gouvernement provincial désire obtenir sa « juste part » pour gérer l'immigration (p. 64). L'immigration passe d'une question sociale et humanitaire à un enjeu économique, démographique et sociétal au tournant des années 1990 (p. 77, 98).

De leur côté, l'Ontario et la Colombie-Britannique préconisent un mode d'intervention « réactif ». Ces provinces se trouvent lésées par les sommes qu'elles reçoivent, en particulier en comparaison avec le Québec (p. 110, 121, 151). L'Ontario passe d'une vision de l'immigration comme enjeu social à un enjeu économique, et c'est ainsi que son importance fera consensus parmi les élites politiques (p. 130, 132, 134). En Colombie-Britannique, la construction provinciale centrée sur l'immigration commence en suivant un tracé semblable à celui de l'Ontario : l'immigration, perçue comme un enjeu social, devient une ressource économique et sociétale (p. 134–135). Le mode d'intervention « passerelle », favorisé par les gouvernements provinciaux albertains et saskatchewanais, présente l'immigration comme un outil de développement économique (p. 160–161). L'importation de capital est primordiale en Alberta, puisque la province souffre de pénuries de main-d’œuvre (p. 162, 173). La Saskatchewan commence à se construire en tant que province au moyen de l'immigration au moment où son économie, en décadence, se revitalise (p. 183). La province recrute de plus en plus de travailleurs à l’étranger à partir de 2005 (p. 186, 189) et toutes deux revendiquent des fonds au gouvernement fédéral.

Les quatre provinces atlantiques agissent selon le mode « attraction-rétention », en partie pour pallier l'exode démographique de leurs provinces (p. 199, 202). Leur lenteur à s'intéresser à l'immigration peut être expliquée par la crainte de voir le taux de chômage augmenter avec l'arrivée d'immigrants et par l'inquiétude des coûts des programmes à mettre en place (p. 201, 207). L’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador auront moins de revendications auprès du gouvernement fédéral, mais suivent un parcours semblable aux autres provinces, en ce sens que la construction provinciale est activée quand l'immigration est perçue comme une ressource (p. 239, 211). Paquet conclut en observant le fédéral, en perte d'autonomie dans ce champ de compétence, cherche à la regagner en mettant sur pied d'autres programmes d'attraction et d'accueil d'immigrants au pays (p. 253–255) et que dans tous les cas, la construction provinciale est liée à la décentralisation du fédéral (la précédant ou la suivant), décentralisation qui s'est faite non sans résistance de la part de ce dernier.

L'ouvrage est extrêmement bien structuré, et la recherche sous-jacente à l'ouvrage est frappante par son ampleur. Les démonstrations sont très claires. Paquet parvient à montrer l'agentivité des provinces et leur rôle accru dans le fédéralisme. Le livre a le mérite de soulever plusieurs autres questions qui n’étaient pas le propos de l'auteur, mais qui ne trouvent pas de réponse dans ce livre : les raisons pour lesquelles le changement de vision de l'immigration se situe au début des années 1990, ou encore pourquoi l'immigration passe d'un enjeu social à une ressource économique dans le discours des élites provinciales, ni comment ce cadrage des nouveaux arrivants est perçu par ces derniers. En somme, Mireille Paquet a mis le doigt sur un changement réel dans la fédération, mais dont plusieurs facettes restent à explorer, notamment sur le plan des idées politiques des élites gouvernementales.