La première partie débute avec un article de Gilles Labelle qui s'emploie à résumer l'analyse historique que propose Freitag de la liberté. Cette histoire serait celle d'une liberté qui, dès l'Antiquité grecque, était concrète et située et qui deviendra « radicalement » abstraite, « incarnée dans la propriété et les droits individuels » (23). Georges Leroux, pour sa part, s'intéressera à l'abîme lui-même dans « L'abîme de la liberté » : « quel est cet abîme, sinon l'abîme de l'histoire ? » (36). Leroux s'interroge sur cette « signification négative de la liberté moderne (qui) découle précisément d'une lecture historique du libéralisme politique (…) » (37). L'abîme en question est la « perte de toute communauté politique comme lieu de sens » (38), cette fameuse notion de « monde commun » chez Arendt. Le long texte d'Olivier Clain reprend les propositions de départ de Freitag (la liberté comme principe pratique et ontologique de la modernité) et discute de sa thèse en la situant dans une analyse philosophique systématique du concept de « liberté » qu'il décompose en « quatre grands types de problématisations » (84). Ce texte de Clain est une leçon magistrale. Stéphane Vibert mettra le focus sur la troisième partie du livre de Freitag, la critique de cette « postmodernité libérale » (120) où « le politique (…) s’évide autant par le bas que par le haut (…) dans une arène cosmopolite régie par le droit et le marché » (125). Il faut donc refonder la société : Pour Freitag, ce sera par le projet d'un « universum concret », néorépublicain.
La deuxième partie est la plus courte de l'ouvrage. L'article de Jean-François Filion semble être le prolongement du texte précédent (Vibert), particulièrement à propos du marché globalisé, cette « barbarisation capitaliste du monde » (146). L'auteur reprends les termes de la critique radicale de Freitag et en offre une excellente synthèse. Même solution au problème de la modernité : l'universum, « une universalité concrète » (164) inspirée des caractéristiques de l'esprit de la Renaissance. De son côté, la contribution de Brian C.J. Singer propose d'insister sur la dimension hiérarchique d'une ontologie de la liberté : « c'est (…) ce caractère hiérarchique de son concept de liberté qui, selon moi, fait l'originalité et la force de ce livre de Freitag et, plus généralement, de son œuvre » (171). Le texte de Daniel Tanguay reprend l'idée de hiérarchie, appliquée ici à la distinction entre l'animalité et l'humanité chez Freitag : « Ce qui manque (…) à l'animal, c'est cette capacité d'objectiver son monde et d'ainsi prendre une distance à son égard » (203). C'est par le rôle des médiations symboliques et particulièrement du langage que l'humanité se réalise.
Troisième partie. Pour Patrick Ernst, les critiques sociales ne sont plus suffisantes puisqu'elles « (…) n'ont fait que prolonger une vision moderniste, utilitariste et libérale (…) » (245). Il faut refonder l'humanisme, ancrer la liberté dans l'expérience et « maintenir en éveil cette vie intérieure, afin de réanimer un principe espérance en le politisant d'une référentiel inspiré du monde de la vie et de l'histoire (…) » (263). L'article d’Éric Martin poursuit cette réflexion à partir de l'exploration d'une possible « mondialisation sociétale humaniste » (284). Le texte de Daniel Dagenais, quant à lui, nous présente la pensée de Freitag concernant l'identité : « l'identité est le mouvement par lequel une autonomie reconnaît le rôle constitutif de la normativité dans sa liberté » (295). À partir de la page 297, Dagenais fait le portrait des réflexions sur l'identité, de John Locke jusqu’à Judith Butler, pour terminer sur une opposition entre Butler et Freitag. Cette troisième partie se termine par un texte de Yves Bonny qui résume les principales composantes de la théorie critique de Freitag et qui réitère le projet idéal d'une conception positive d'un monde possible à venir (l'universum).
Avec la dernière partie, ce livre collectif se termine avec force. La contribution de Jacques-Alexandre Mascotto se distingue par une capacité pédagogique exceptionnelle dans l'exposé de la pensée de Freitag, qu'il rapproche violemment de la géopolitique américaine d'un Samuel P. Huntington (« Le choc des civilisations », Paris, Odile Jacob, 2000), ou, pour le dire autrement, de la globalisation comme « logique totalitaire » (388). L'intéressant article de François L'Italien se concentre sur une théorie de l'aliénation à partir de Freitag : « Avec l'organisation systémique de la capacité à organiser, c'est l'aliénation des capacités réflexives des sociétés formellement engagée un siècle plus tôt qui se trouve réalisée » (419). Gilles Gagné termine le livre en présentant avec brio la théorie de l'idéologie sous-jacente que Freitag produit dans sa critique du libéralisme (425-437) et son rapport au monde de la communication (443-465). Ici aussi, on a droit à une brillante démonstration.
Ce livre est remarquable par la cohérence de sa structuration et, bien sûr, par le choix des contributeurs. Il s'agit d'un livre incontournable sur la pensée de Michel Freitag mais qui s'adresse peut-être particulièrement aux initiés.