Propos liminaires
Le chapeau de l’article 7-1 du Statut de Rome (StR) de la Cour pénale internationale (CPI) Footnote 1 dispose:
Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque.
Cette disposition, consacrant deux variantes (comme branches d’alternative et non cumulatives) de l’attaque, le caractère généralisé et le caractère systématique de celle-ci, est suivie d’actes, tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage et la déportation ou le transfert forcé de population.
Par ailleurs, d’après l’article 7-2-a du StR,
aux fins du paragraphe 1: par “attaque lancée contre une population civile,” on entend le comportement qui consiste en la commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque. Footnote 2
À l’instar d’autres éléments contextuels des crimes contre l’humanité, Footnote 3 la condition tenant à l’existence d’une politique d’un État ou d’une organisation (élément politique ou élément de politique), pour peu qu’elle soit considérée comme un élément contextuel, se présente sous forme d’“étiquette ... sans indications des contenus.” Footnote 4
En effet, d’une manière générale et contrairement à ce qu’en disent certains auteurs, Footnote 5 la jurisprudence de la CPI Footnote 6 ainsi qu’une abondante doctrine relèvent que nombre des termes clés de l’article 7 du StR, parmi lesquels figurent les éléments contextuels des crimes contre l’humanité, sont ambigus et ne sont pas définis par les instruments juridiques de la CPI. Footnote 7
L’une des conséquences de l’ambiguïté de l’élément politique est que celui-ci a été analysé par de nombreux auteurs, dès l’insertion de l’alinéa 2-a à l’article 7 du StR, en 1998, comme une réintroduction de facto du cumul des caractères systématique et généralisé de l’attaque, Footnote 8 engendrant du coup un conflit entre l’article 7-1 et l’article 7-2-a du StR.
L’adjonction de cet alinéa était le compromis entre les partisans de l’exigence cumulative des caractères généralisé et systématique de l’attaque et les partisans de l’alternative entre ces deux variantes de l’attaque. Toutefois, en définitive, signalent certains auteurs,
tout l’art du texte de compromis [l’article 7-2-a du StR] réside dans son ambiguïté créative. Les “récalcitrants” pouvaient soutenir que ce texte préservait l’effet de la condition conjonctive — “généralisé et systématique” — tandis que les “progressistes” pouvaient soutenir que la condition disjonctive l’avait emporté.” Footnote 9
Les difficultés potentielles d’interprétation de l’élément politique ne s’arrêtent pas là; elles se rapportent également aux éventuelles sources d’inspiration des chambres de la CPI. Ainsi, comme nous le verrons, les tribunaux pénaux internationaux (ci-après “TPI”) Footnote 10 et les tribunaux mixtes ne voient pas dans la politique d’un État ou d’une organisation un élément à part entière des crimes contre l’humanité, mais l’analysent comme une composante facultative du caractère systématique de l’attaque. Or, les chambres de la CPI et une abondante littérature juridique affirment que, dans le cadre du StR, l’élément politique est un élément constitutif différent du caractère systématique d’une attaque. Footnote 11
Il incombe désormais aux chambres de la CPI de définir l’élément politique, de le clarifier et d’en lever les ambiguïtés comme l’avaient suggéré — sans évoquer spécifiquement l’élément politique — certaines délégations durant la Conférence diplomatique de Rome et durant les travaux d’élaboration des éléments des crimes Footnote 12 (EC). Footnote 13 La question la plus significative à laquelle ces chambres doivent répondre est celle de savoir si la condition tenant à l’existence d’une politique (art. 7-2-a StR) revient à réintroduire de facto l’exigence à la fois des caractères généralisé et systématique de l’attaque dans la définition des crimes contre l’humanité ou, au contraire, si une telle condition ne crée pas de conflit entre les alinéas 1 et 2-a de l’article 7 du StR, car elle laisse intacte l’alternative entre l’une ou l’autre de ces deux variantes de l’attaque.
Les enjeux de cette clarification ou de cette désambiguïsation sont mis en relief par le grand nombre des poursuites pour crimes contre l’humanité devant la CPI; Footnote 14 par la nécessité de distinguer les crimes imprescriptibles que sont les crimes contre l’humanité des crimes de droit commun; par le rôle prépondérant que les définitions des éléments contextuels des crimes revêtent pour le respect des principes de légalité (art. 22 StR) et de la sécurité juridique; Footnote 15 par l’encadrement des sources de droit applicable par la lex lata (art. 21 StR), mais également par l’influence aujourd’hui avérée de l’article 7 du StR sur le droit interne (en matière de droit d’asile, voire en matière répressive) et, dans des proportions limitées, sur le droit international. Footnote 16
Par ailleurs, la clarté et la désambiguïsation s’imposent, car l’on ne peut prouver qu’un élément légal clairement défini. Footnote 17 Sans nous attarder ici sur les sources du droit applicable et les méthodes d’interprétation, Footnote 18 nous nous bornerons à rappeler que la clarification ou la désambiguïsation doit obéir aux règles d’interprétation prévues aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités et demeurer dans les limites strictes fixées par les articles 7, 10, 21 et 22 du StR.
L’on est dès lors en droit d’attendre des chambres de la CPI qu’elles s’en tiennent à leur jurisprudence, selon laquelle “le cadre juridique de la CPI est différent de celui des tribunaux ad hoc,” Footnote 19 d’où la “nécessité de ne pas transposer mécaniquement la jurisprudence des tribunaux ad hoc dans le système de la Cour,” Footnote 20 notamment “sans [l’]avoir ... analysée en détail,” Footnote 21 mais de “prêter toute l’attention voulue au cadre juridique du tribunal dont il est question et aux circonstances particulières de l’espèce considérée,” Footnote 22 sous peine d’aboutir à des résultats “contraires à l’esprit et à la lettre des textes statutaires” Footnote 23 de la CPI.
Quatrième d’une série d’études que nous dédions aux éléments contextuels des crimes contre l’humanité prévus par l’article 7 du StR, la présente contribution se propose uniquement de répondre aux trois questions suivantes. Quelle définition les chambres de la CPI ont-elles attribuée à la notion de politique? À quelles sources d’inspiration ces chambres ont-elles fait appel? La jurisprudence de la CPI permet-elle d’éviter le spectre du conflit entre les alinéas 1 et 2-a de l’article 7 du Statut de Rome?
À cette fin, notre contribution met en exergue la teneur de l’élément politique dans les principales sources invoquées par les chambres de la CPI sur la question qui nous intéresse et se penche sur les travaux préparatoires du StR et des EC. Ensuite, elle analyse tour à tour l’abondante jurisprudence (2005 à 2014) des chambres préliminaires et la jurisprudence naissante de la Chambre de première instance II de la CPI, à la lumière des sources et travaux préparatoires précités, mais également sous l’éclairage du peu de critiques que la doctrine Footnote 24 formule progressivement à l’endroit de la jurisprudence de ces deux catégories de chambres. Les définitions de l’élément politique adoptées par les chambres préliminaires et par la Chambre de première instance II de la CPI, ainsi que les variations notables qu’elles présentent, sont mises en exergue. Il est fait état de sources qui sous-tendent une définition lorsqu’elles apparaissent dans une décision; sinon, comme cela se produit à plusieurs occasions, nous indiquons l’absence de source. De l’examen des différentes définitions ainsi recensées, nous avons tiré trois enseignements majeurs, dont un concerne l’existence éventuelle d’un conflit entre les alinéas 1 et 2-a de l’article 7 du StR, soit un éventuel anéantissement de l’alternative entre les caractères généralisé et systématique de l’attaque par la jurisprudence de la CPI.
Notion de politique
La doctrine, partiellement suivie par la jurisprudence de la CPI, attribue essentiellement trois fonctions à l’élément politique. Premièrement, il permettrait d’exclure du champ des crimes contre l’humanité des actes isolés, fortuits, erratiques ou d’un auteur qui agit de sa propre initiative. Footnote 25 Deuxièmement, c’est l’existence de la politique qui agrégerait des actes inhumains énoncés par l’article 7 du StR, actes non autrement reliés, de manière à ce que l’on puisse affirmer qu’ainsi réunis, ils constituent une attaque au sens de l’article 7 du StR. Footnote 26 Pour terminer, l’élément politique soustrairait les actes énoncés à l’article 7 du StR à l’ordre juridique interne pour en faire des delicta iuris gentium (crimes internationaux), Footnote 27 par conséquent imprescriptibles.
Nous avons déjà souligné qu’en théorie les chambres de la CPI déclarent que l’élément politique est un élément à part entière de la définition des crimes contre l’humanité et, qu’à ce titre, son existence doit être établie.
L’analyse de la jurisprudence de la CPI qui est dédiée à cet élément ne peut être efficiente si elle n’est pas précédée d’un exposé succinct des principaux outils juridiques évoqués dans cette jurisprudence Footnote 28 ou dans la doctrine: le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité élaboré par la Commission du droit international (CDI) en 1996, la jurisprudence des TPI et des tribunaux mixtes et les travaux préparatoires du StR et des EC. L’examen des travaux de la CDI de 1996 et de la jurisprudence des TPI et des tribunaux mixtes permet de s’imprégner de la teneur de la notion de politique dans deux cadres juridiques spécifiques. Ce préalable permet par la suite de savoir si, au regard des travaux préparatoires du StR ainsi que des EC, l’élément politique (tel que l’entendent la CDI [en 1996] et les TPI) est compatible avec le StR, et si leurs lectures peuvent contribuer au respect de la formulation disjonctive des variantes “généralisé” et “systématique” de l’attaque dans le cadre de la CPI. Si la présente contribution examine uniquement les travaux de la CDI de 1996, ce n’est pas faute pour les travaux subséquents d’être intéressants, mais parce que la jurisprudence pertinente de la CPI n’en fait pas cas. En revanche, les travaux de la CDI de 1996 ont, eux, été débattus dans le cadre de l’élaboration du StR et des EC, et sont évoqués par la CPI et par les TPI.
l’élément politique (ou de politique) dans le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l ’humanité de 1996
D’après l’article 18 du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité élaboré par la CDI, en 1996 (Projet de code), “on entend par crime contre l’humanité le fait de commettre, d’une manière systématique ou sur une grande échelle et à l’instigation ou sous la direction d’un gouvernement, d’une organisation ou d’un groupe, l’un des actes ci-après.” Footnote 29
La CDI fait savoir que cette définition renferme deux types d’éléments contextuels: (1) le caractère systématique ou généralisé des actes incriminés (et non d’une quelconque attaque), ainsi que (2) l’instigation ou la direction d’un gouvernement, d’une organisation ou d’un groupe.
Elle explique que l’exigence selon laquelle “les actes inhumains doivent avoir été commis d’une manière systématique” signifie “en application d’un plan ou d’une politique préconçus, dont la mise en œuvre se traduit par la commission répétée ou continue d’actes inhumains. Le but de cette disposition est d’exclure l’acte fortuit qui ne ferait pas partie d’un plan ou d’une politique plus vaste.” Footnote 30
Il découle de ce qui précède que le terme “politique” est uniquement évoqué comme faisant partie du caractère systématique de la commission des actes et que la politique n’est pas nécessairement requise à partir du moment où l’on peut prouver l’existence d’un plan. En parlant du second élément contextuel, à savoir — non pas la politique, qui elle, fait partie du premier élément — mais l’instigation ou la direction d’un gouvernement, d’une organisation ou d’un groupe, la CDI précise que
l’instigation ou la direction nécessaire peut ... émaner soit d’un gouvernement, soit d’une organisation ou d’un groupe. Cette alternative est destinée à exclure les situations où un individu commet un acte inhumain de sa propre initiative dans la poursuite de son propre dessein criminel, en l’absence de tout encouragement ou de toute directive de la part soit d’un gouvernement, soit d’un groupe ou d’une organisation ... C’est l’instigation ou la direction soit d’un gouvernement ou d’une organisation ou d’un groupe quelconque, qui donne à l’acte sa dimension et en fait un crime contre l’humanité, imputable à des particuliers ou à des agents d’État. Footnote 31
L’élément politique (ou de politique) dans la jurisprudence des TPI et des tribunaux mixtes
Il faut remarquer qu’en ce qui concerne les crimes contre l’humanité, les statuts des TPI ne prévoient pas explicitement l’exigence d’une politique. En outre, la caractéristique systématique de l’attaque n’est pas prévue par le Statut du TPIY. Footnote 32 Prévue par le Statut du TPIR (art. 3), cette caractéristique est précédée de la conjonction “et” dans la version française dudit statut, ce qui donne à penser que l’attaque doit être à la fois généralisée et systématique.
Une bonne partie de la jurisprudence élaborée au sein des TPI les dernières années au cours desquelles le StR (1997–98) et les EC (1999–2000) ont été débattus et adoptés considère que l’existence de l’élément politique est requise en droit international, mais elle estime que cet élément est dissout dans le caractère systématique de l’attaque. Footnote 33 Comme nous le verrons, cette position a légèrement évolué.
Il importe de garder à l’esprit que compte tenu du fait que dans la jurisprudence des TPI et des tribunaux mixtes, l’élément politique n’a pas d’existence propre (en dehors du caractère systématique et, d’une façon marginale, du caractère généralisé de l’attaque), il n’a pas besoin d’être formel; la preuve de l’existence de l’une de deux variantes de l’attaque suffit. Il ne doit pas faire l’objet d’un examen séparé.
S’agissant de la jurisprudence contemporaine à l’élaboration du StR et des EC, dans l’affaire Tadić, la Chambre de première instance du TPIY a fait valoir que le caractère systématique de l’attaque indique “qu’un schéma ou un plan méthodique est évident.” Footnote 34 Puis, à cet égard, elle reproduit la définition donnée par la CDI à l’expression “actes inhumains commis d’une manière systématique” à l’article 18 du Projet de code élaboré par cette dernière. Footnote 35
Elle poursuit en avançant que “le caractère d’actes généralisés ou systématiques démontre l’existence d’une politique visant à commettre ces actes, qu’elle soit ou non énoncée formellement.” Footnote 36
Quelques mois après l’adoption du StR, alors que les EC étaient en cours d’élaboration, la Ch. Ire inst. I du TPIR a considéré dans les affaires Akayesu et Musema que
le caractère “systématique” tient ... au fait que l’acte est soigneusement organisé selon un modèle régulier en exécution d’une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou privés considérables ... Il doit cependant exister une espèce de plan ou de politique préconçus. Footnote 37
Dans l’affaire Kayishema et Ruzindana, la Ch. Ire inst. II soutient, à l’instar de la CDI et du jugement Tadić, qu’“une attaque systématique s’entend d’une attaque perpétrée en application d’une politique ou d’un plan.” Footnote 38 Toujours d’après elle, “en droit international coutumier, pour qu’il y ait crimes contre l’humanité, il faut que la preuve soit rapportée que les actes incriminés ont été commis en application d’un ordre ou d’une politique émanant d’un État.” Footnote 39 Qui plus est, elle poursuit en affirmant que “l’absence de l’une ou de l’autre des deux conditions que sont le caractère généralisé ou systématique du crime suffit pour entraîner l’exclusion des actes qui ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une politique ou d’un plan plus vaste.” Footnote 40 Pour expliquer la notion de politique, notion qui, d’après la CDI, est dissoute dans le caractère systématique de la commission des actes, cette chambre cite expressément le passage de l’article 18 du Projet code relatif à la définition de “l’instigation ou la direction d’un gouvernement, d’une organisation ou d’un groupe.” Footnote 41 Pourtant, vraisemblablement pour la CDI, l’instigation ou la direction constituent un élément à part, différent du caractère systématique de la commission des actes et, par conséquent, de la “politique.”
Il est fait grief à cette jurisprudence du TPIR, qui assimile l’élément politique au caractère systématique, de ne pas mettre assez l’accent sur cet élément dans le cadre d’une attaque généralisée. Footnote 42
La jurisprudence des TPI et des tribunaux hybrides a évolué de sorte qu’après l’adoption du StR et des EC, elle ne considère plus que l’existence d’une politique est requise, que cette dernière est un élément constitutif de tous les crimes contre l’humanité et que le caractère systématique de l’attaque se réduit à l’élément politique. Footnote 43
Ainsi, dans l’affaire Kunarac, la Ch. d’appel du TPIY a estimé que: (1) à la différence du fait que l’attaque doit être dirigée contre une population civile et du fait qu’elle doit être généralisée ou systématique, qui sont des éléments constitutifs des crimes contre l’humanité, l’existence d’une politique ou d’un plan n’est pas un élément constitutif des crimes précités; Footnote 44 et (2) ni le Statut du TPIY ni le droit international coutumier n’exigent la preuve de l’existence d’un plan ou d’une politique visant à la perpétration des crimes contre l’humanité. Footnote 45 Par conséquent, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’une attaque dirigée contre une population civile, une attaque systématique ou une attaque généralisée résultait de l’existence d’une politique ou d’un plan. La preuve de la survenance de ces attaques peut être administrée autrement. Footnote 46
L’élément politique (ou de politique) à travers les travaux préparatoires de l’article 7 du StR et des EC
En 1996, la définition de l’attaque systématique suggérée par certaines délégations au sein du Comité préparatoire faisait de la politique un élément d’une telle attaque. Ces délégations ont suggéré que “par “attaque systématique” on entend une attaque qui constitue en soi une politique ou un plan concerté, qui fait partie d’une telle politique ou d’un tel plan ou qui est conforme ou qui vise à réaliser les fins de cette politique ou de ce plan ou se traduit par la répétition d’actes d’agression.” Footnote 47 En 1997, la volonté d’associer l’élément politique à l’attaque systématique était toujours présente dans les travaux du Comité préparatoire. On peut lire dans un projet d’article relatif aux crimes contre l’humanité que l’acte criminel doit s’inscrire “dans le cadre d’un plan ou d’une politique systématique ou [doit être] commis de manière massive à l’encontre d’une population.” Footnote 48 L’assimilation de l’élément politique à l’attaque systématique a continué.
À la Conférence diplomatique de Rome, Footnote 49 les États-Unis d’Amérique, qui n’avaient pas proposé de définition de l’élément politique, ont soutenu que “le terme “systématique” signifie que l’attaque correspond à une politique ou à un plan concerté, ou à une pratique répétée pendant une certaine période, ou en fait partie ou en favorise la réalisation.” Footnote 50 Nous n’avons retrouvé aucune trace d’une éventuelle suite à cette proposition.
Toujours à Rome, le paragraphe 2-a a été ajouté au texte initial de l’actuel article 7 du StR. Ce paragraphe aurait pour point de départ une proposition que le Canada aurait émise à titre de compromis entre les partisans du caractère cumulatif de l’attaque généralisée et systématique et les délégations qui défendaient l’alternative entre ces deux variantes d’une attaque. Footnote 51 Le Canada aurait précisé s’être inspiré explicitement de la jurisprudence Tadić évoquée plus haut, y compris au sujet de l’élément politique. Footnote 52 Cette proposition canadienne, de surcroît débattue et retouchée, Footnote 53 ne devrait pas laisser croire que le mot “politique” avait été clairement défini. Footnote 54
Ainsi, d’après le professeur Bassiouni, à Rome,
l’élément d’existence d’une politique, déclencheur de la compétence, est dénoté par des actes qui sont “généralisés ou systématiques.” Cette définition de l’élément de politique n’est pas des plus claires. Les auteurs peuvent avoir eu des incertitudes, mais, plus probablement, le manque de clarté était intentionnel — il permettait de contourner de façon diplomatique les pressions exercées par les ONG pour que les crimes contre l’humanité soient transformés en crimes couvrant les violations massives des droits de l’homme, qu’elles aient ou non été commises en application de la politique d’un État ou d’une organisation (ce qui couvre les acteurs non étatiques). Footnote 55
À l’occasion de l’élaboration des EC, les États-Unis d’Amérique ont réitéré leur définition du terme “attaque systématique,” proposée à Rome et faisant allusion à la politique. Footnote 56
En outre, au sujet de l’approche générale commune à tous les crimes contre l’humanité, le Canada et l’Allemagne ont estimé que “l’existence d’une politique peut être déduite des éléments de preuve disponibles en ce qui concerne les faits et les circonstances. Il n’est pas nécessaire de prouver qu’une politique a été adoptée.” Footnote 57 Après avoir énoncé l’exigence d’une attaque généralisée ou systématique, la délégation de l’Égypte a souhaité que les EC mentionnent le fait que “l’attaque systématique a été organisée minutieusement et a suivi un modèle régulier fondé sur une politique commune qui était évidente.” Footnote 58
La délégation suisse a présenté une compilation de la jurisprudence pertinente des TPI (essentiellement les jugements Tadić et Kayishema) et du Projet de code de la CDI de 1996 déjà évoqués. Footnote 59
Le premier rapport de la Commission préparatoire n’a mentionné aucun élément de ces propositions. En revanche, on y voit apparaître la disposition aux termes de laquelle “il est entendu que pour qu’il y ait “politique ayant pour but une telle attaque,” il faut que l’État ou l’organisation favorise ou encourage activement le comportement en tant qu’attaque contre une population civile.” Footnote 60 Critiquée par certains auteurs, Footnote 61 cette disposition qui s’apparente à certains égards au second élément contextuel prévu par l’article 18 du Projet de code de la CDI de 1996, c’est-à-dire “l’instigation ou la direction soit d’un gouvernement ou d’une organisation.” a été reprise dans la version définitive des EC. Footnote 62 En attribuant à l’élément politique une telle définition et en ne faisant pas allusion au caractère systématique de l’attaque, cette disposition des EC marque probablement la différence entre l’acception de l’élément politique, d’une part, dans l’espace normatif de la CPI et, d’autre part, dans le cadre de la CDI et de la jurisprudence des TPI et des tribunaux mixtes. À ce titre, elle mériterait une attention particulière de la part des chambres de la CPI.
La version définitive des EC prévoit, à la note de bas de page n° 6, que
dans des circonstances exceptionnelles, une telle politique peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir, par laquelle l’État ou l’organisation entend consciemment encourager une telle attaque. On ne peut inférer l’existence d’une telle politique du seul fait que l’État ou l’organisation s’abstienne de toute action. Footnote 63
Même si certains auteurs relèvent qu’il est difficile de mesurer l’influence potentielle de la jurisprudence des TPI sur le StR et sur les EC dans le domaine qui nous intéresse, Footnote 64 il ne fait pas de doute que la version définitive des EC ne contient aucun des éléments suggérés par les différentes délégations, à l’exception de ce qui vient d’être dit à propos de l’instigation, et ne renvoie pas à la jurisprudence des TPI dont étaient issues la plupart des définitions proposées. Pour l’heure, on ne saurait ignorer que les rédacteurs du StR et des EC ont pris connaissance de nombreuses propositions relatives à l’élément politique issues de la jurisprudence des TPI, mais qu’ils ne les ont intégrées ni dans les dispositions du StR ni dans celles des EC.
l’élément politique (ou de politique) selon les chambres de la CPI
À la différence des dispositions des statuts des TPI et des tribunaux hybrides, le StR (art. 7-2-a) prévoit explicitement l’élément politique qu’il rattache à la notion d’attaque, cette dernière pouvant être généralisée ou systématique. Footnote 65
Les décisions de confirmation des charges portées contre Katanga et Bemba constituent la jurisprudence de base à propos de la notion de politique. Ces premières décisions de la CPI ont inspiré la quasi-totalité de décisions subséquentes des chambres préliminaires, voire dans une certaine mesure, de la Ch. Ire inst. II. Certaines thèses soutenues dans ces décisions ont été critiquées par la doctrine ou rejetées par la Ch. Ire inst. II ou encore n’ont pas fait l’unanimité au sein de la jurisprudence des chambres préliminaires. Une partie des décisions relatives à la Situation en Côte d’Ivoire a ainsi été remise en cause par certains auteurs.
Dans l’affaire Katanga, la Ch. prél. I ne définit pas l’élément politique, mais elle déclare, sur le fondement de la jurisprudence des TPI, Footnote 66 que
l’adjectif “systématique” a été compris comme renvoyant soit à un plan organisé dans la poursuite d’une politique commune, qui épouse un modèle régulier et qui se traduit par la commission continue d’actes, soit à un “scénario des crimes,” de telle sorte que ces derniers constituent une “répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires.” Footnote 67
Ainsi, de l’avis de cette chambre, les violences survenues dans le village de Bogoro (Rép. dém. Congo) au mois de février 2003 faisaient partie d’une attaque systématique parce qu’elles “n’ont pas été commis[es] contre la population civile de façon fortuite, mais en application d’une politique commune et d’un plan commun organisé.” Footnote 68
Au paragraphe 396, elle affirme, sans citer de source, d’une part, que la politique ne doit pas nécessairement être définie explicitement Footnote 69 et, d’autre part, que:
une attaque généralisée doit aussi s’inscrire dans le cadre de la politique d’une organisation, c’est-à-dire qu’elle doit avoir été soigneusement organisée selon un modèle régulier. Elle doit également être exécutée dans la poursuite d’une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou privés. Footnote 70
De manière générale, cette chambre, qui ne fait nullement référence au jugement Tadić au sujet de la notion de politique, ne s’est pas pour autant éloignée du jugement Akayesu.
Ces extraits, dont le contenu a été suivi dans les décisions ultérieures des chambres préliminaires et qui sont soutenus par certains auteurs, Footnote 71 sont critiqués dans la littérature juridique à cause des termes utilisés, Footnote 72 à cause du recours à la jurisprudence des TPI sans proposition d’explication, à cause du recours à certaines décisions des TPI déjà remises en cause par d’autres, Footnote 73 mais également du fait que certains de ces extraits seraient perçus comme une interprétation erronée de l’élément politique Footnote 74 et donneraient à penser que, de l’avis de cette chambre, une attaque généralisée est synonyme d’une attaque systématique qui, à son tour, correspond à l’élément politique.
Dans l’affaire Bemba, la Ch. prél. II soutient, sur la base de la décision relative à la confirmation des charges portées contre Katanga et de la jurisprudence du TPIY, Footnote 75 que:
la condition tenant à “la politique d’un État ou d’une organisation” exige que l’attaque ait été organisée selon un modèle régulier ... Une telle politique n’a pas besoin d’être énoncée de façon formelle. Cette condition est ... remplie par une attaque planifiée, dirigée ou organisée. Footnote 76
Toujours dans cette affaire, la Ch. prél. III, déclare que “l’adjectif systématique” dénote le “caractère organisé des actes de violence.” Footnote 77
En outre, elle souligne, Footnote 78 à l’instar de la Ch. prél. I (aff. Katanga), Footnote 79 que “l’existence d’une politique d’un État ou d’une organisation constitue un élément permettant de conclure à la nature systématique d’une attaque.” Footnote 80
Certains auteurs font remarquer que cette chambre n’indique pas ses sources au sujet de cette affirmation, Footnote 81 tandis que d’autres relèvent que, dans cette affaire, la Ch. prél. II assimile l’élément politique au caractère systématique d’une attaque, Footnote 82 ce qui, d’après une partie de la doctrine, est l’interprétation appropriée de l’élément politique dans le cadre du StR. Footnote 83
Dans le droit fil des décisions relatives à la confirmation des charges portées contre Katanga et Bemba, les chambres préliminaires maintiennent dans leurs décisions subséquentes Footnote 84 qu’au nombre des caractéristiques de l’élément politique figurent: le fait que la politique “a) ... doit avoir été soigneusement organisée et selon un modèle régulier; b) ... doit être exécutée dans la poursuite d’une politique concertée mettant en œuvre des moyens publics ou privés ...; et d) ... ne doit pas nécessairement être définie explicitement ou officialisée.” Footnote 85
L’exigence posée par ces chambres, aux termes de laquelle la politique doit être organisée soigneusement et selon un modèle régulier, s’apparente à la proposition faite par la délégation égyptienne devant la Commission préparatoire, qui — comme précisé plus haut — n’a pas été reprise dans les EC.
Toujours à propos d’éventuels indices de l’existence d’une politique, la Ch. prél. II précise qu’en “soi, le non-respect des principes du droit international humanitaire [n’est pas nécessairement] révélateur de l’existence d’une ... politique.” Footnote 86
À la différence de ce qui vient d’être souligné, les Ch. prél. II (affaire Ntaganda et Situation en République du Kenya) et III (Situation en Côte d’Ivoire) considèrent que le fait qu’une attaque soit organisée selon un modèle régulier constitue l’indice révélateur de son caractère systématique. Footnote 87 En outre, dans l’affaire Ruto et autres, la Ch. prél. II fait valoir que l’élément politique est distinct d’un plan ou de la planification, même si — comme cela serait le cas dans cette affaire — en pratique, ils peuvent parfois se chevaucher. Footnote 88
Outre les affaires Katanga et Bemba, l’affaire Gbagbo a particulièrement retenu l’attention de la doctrine. En premier lieu, c’est en se fondant sur les faits de cette affaire que des auteurs (des amici curiæ) ont identifié des indices dont, selon eux, l’existence prouve l’élément politique. Footnote 89 Ils énoncent à cet égard:
[L]es circonstances générales, comme les attaques répétées de forces pro-Gbagbo contre des civils soutenant son adversaire politique; le défaut d’intervention voire la participation de la police; la préparation des atrocités, comme lorsque des policiers amenaient des préservatifs au site où ils violaient des femmes ayant participé aux manifestations; des mesures permettant d’identifier les partisans de l’opposition; les déclarations publiques des dirigeants appartenant à l’entourage immédiat; des instructions internes; des avertissements à l’avance selon lesquels des manifestants non armés seraient tués; et des déclarations de témoins selon lesquelles les auteurs des crimes faisaient référence à des instructions ou prenaient des victimes pour cible en raison de l’opposition de ces personnes à Laurent Gbagbo. Footnote 90
Ils ajoutent que l’on peut déduire l’élément politique de la répétition des actes, de leur ampleur et du contexte politique global. Footnote 91 Or, comme indiqué plus haut, dans l’affaire Katanga, la Ch. prél. I déclare que l’adjectif systématique renvoie à une “répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires.” En second lieu, l’interprétation de l’élément politique dans l’affaire Gbagbo a valu des critiques sévères à la Ch. prél. I de la part de certains auteurs. En effet, celle-ci a décidé d’ajourner l’audience de confirmation des charges portées contre Gbagbo, faute de preuves suffisantes pour confirmer ou non lesdites charges. Elle a par conséquent demandé au Procureur,
d’envisager d’apporter, dans la mesure du possible, des éléments de preuve supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes relativement aux points suivants: ... la structure organisationnelle des “forces pro-Gbagbo,” y compris la manière dont les différents sous-groupes s’inscrivaient dans la structure d’ensemble et notamment la manière dont “l’entourage immédiat” a coordonné et financé les activités des différents sous-groupes et a fourni à ceux-ci les moyens nécessaires pour ces activités; tout changement ou évolution de la structure susmentionnée et/ou de ses méthodes de fonctionnement qui serait survenu entre novembre 2010 et mai 2011. Comment, quand et par qui ont été adoptés la politique ou le plan allégués d’attaquer la “population civile pro-Ouattara,” notamment des informations spécifiques sur les réunions au cours desquelles cette politique ou ce plan auraient été adoptés, ainsi que sur la manière dont l’existence et la teneur de cette politique ou ce plan ont été communiquées aux membres des “forces pro-Gbagbo” ou portées à leur connaissance une fois adoptés. Footnote 92
Dans un mémoire présenté en qualité d’amici curiæ, les Professeurs Robinson, DeGuzman, Jalloh et Cryer reprochent à cette chambre d’éprouver des difficultés à identifier l’élément politique Footnote 93 et d’exiger plus de preuves qu’il n’en faut, particulièrement d’exiger la preuve directe de l’adoption d’une politique formelle. Footnote 94 Par conséquent, ils voient dans sa lecture de l’élément politique “une interprétation erronément stricte du droit relatif à l’élément d’existence d’une politique” Footnote 95 ou, encore, “une conception formaliste et bureaucratique de l’élément d’existence d’une politique.” Footnote 96
Dans la décision relative à la confirmation des charges, rendue après les observations de ces amici, et après que le Procureur a produit les éléments de preuve demandés, la chambre en question fait valoir, sur le fondement de la jurisprudence des chambres préliminaires, dans les affaires Katanga, Bemba et Kenyatta, d’une part, qu’“une attaque planifiée, dirigée ou organisée — par opposition à des actes de violence spontanés ou isolés — satisfait au critère d’existence d’une politique” Footnote 97 et, d’autre part,
que les notions de “politique” et de caractère “systématique” de l’attaque dans le contexte de l’article 7-1 du Statut renvoient l’une et l’autre à un certain degré de planification de l’attaque. En ce sens, la preuve qu’un État ou une organisation a planifié, organisé ou dirigé l’attaque peut être utile pour établir tant l’existence d’une politique que le caractère systématique de l’attaque , mais les deux notions ne doivent pas être amalgamées, car elles servent des fins différentes et correspondent à des critères différents au regard des articles 7-1 et 7-2-a du Statut. Footnote 98
Cette chambre, comme la majorité des autres, Footnote 99 ne dit pas comment distinguer les deux notions. En revanche, au paragraphe 225 de sa décision, elle considère que l’attaque imputée à Gbagbo est, entre autres motifs, systématique parce qu’elle était planifiée et coordonnée. Toujours dans la Situation en Côte d’Ivoire de laquelle relève l’affaire Gbagbo, la Ch. prél. III avait déjà conclu qu’“au vu de la manière systématique dont ces attaques ont été menées ... il y a tout lieu de penser qu’une politique d’organisation était en place.” Footnote 100
Ainsi, tout donne à penser qu’en réalité, dans cette affaire, la position de la Ch. prél. I n’est pas totalement éloignée de la jurisprudence antérieure qui assimile l’élément politique au caractère systématique d’une attaque.
Pour clore l’analyse de la jurisprudence des chambres préliminaires, signalons que dans les affaires Mbarushimana et Mudacumura, après avoir conclu à l’absence de l’élément politique, les Ch. prél. I Footnote 101 et II Footnote 102 se sont abstenues d’examiner le caractère systématique ou généralisé de l’attaque, ou les deux.
Au stade de première instance, dans le jugement Katanga, la Ch. Ire inst. II fait observer ce qui suit:
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i) “les Éléments des crimes, comme l’article 7-2-a du Statut, rattachent ce concept [la politique] à la définition même de l’attaque (et non pas à la caractérisation de cette dernière dont il est dit qu’elle doit être généralisée ou systématique)” Footnote 103 et les termes “systématique” et “politique” ne peuvent pas être considérés comme synonymes; Footnote 104
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ii) “assimiler le terme “politique” au concept de “modèle régulier,” tel que cela a déjà été le cas dans certaines décisions rendues par la Cour, Footnote 105 reviendrait à lui donner un sens analogue à celui qu’a le caractère “systématique.” Il aboutirait, en définitive à ce qu’une attaque généralisée présente, avec la démonstration de l’existence d’une politique, le caractère d’une attaque systématique, ce qui serait contraire à la formulation disjonctive des termes du Statut”; Footnote 106
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iii) l’élément politique “renvoie essentiellement au fait que l’État ou l’organisation entend mener une attaque contre une population civile que ce soit en agissant ou en s’abstenant délibérément d’agir”; Footnote 107
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iv) compte tenu de la rareté de l’adoption et de la diffusion d’un projet préétabli ou d’un plan matérialisant la politique, l’existence de cette dernière peut être déduite, “notamment, du constat de la répétition d’actes réalisés selon la même logique, de l’existence d’activités préparatoires ou encore de mobilisations collectives orchestrées et coordonnées par cet État ou cette organisation.” Footnote 108
Théoriquement d’accord sur ce principe qui s’apparente à certains égards à celui d’une politique informelle, la juge Van Den Wyngaert semble se montrer plus nuancée en pratique, puisqu’elle souligne, dans une opinion dissidente, qu’
il n’est fait nulle part mention de documents faisant état d’une politique, d’un plan ou d’un dessein commun ngiti visant à éliminer la population civile hema, ou de réunions durant lesquelles une telle politique ou un tel dessein commun aurait été débattu. Pour étayer la thèse de l’existence d’un dessein commun, la Majorité se fonde exclusivement sur des preuves indirectes. Ces preuves sont, selon moi, totalement insuffisantes. Footnote 109
Au stade d’appel, à propos de l’interprétation de l’élément politique, la Chambre d’appel a estimé, dans l’affaire Gbagbo, qu’il était prématuré de se prononcer, notamment parce que la chambre préliminaire saisie ne s’était pas encore prononcée et que la Chambre d’appel “n’est pas un organe consultatif.” Footnote 110
Observations finales
Les chambres de la CPI ont certainement franchi une étape dans la recherche d’une définition et d’un contenu à l’élément politique. Cependant, il résulte de la présente étude qu’il reste probablement d’autres étapes à franchir, notamment, afin de remédier au manque d’unanimité au sein des chambres préliminaires, aux problèmes de motivation de leurs décisions et au déficit de clarté dans la distinction entre le caractère systématique d’une attaque et l’élément politique.
En premier lieu, l’examen de la jurisprudence de la CPI témoigne de l’absence d’unanimité entre les chambres préliminaires concernant le contenu de l’élément politique, chambres qui ne s’accordent pas non plus avec la Ch. Ire inst. II à cet égard. Par ailleurs, s’agissant des décisions de certaines chambres préliminaires, l’on doit s’intéresser à la notion d’attaque systématique pour lire entre les lignes ou pour en extraire des informations relatives à l’élément politique parce que ce dernier n’y est pas explicité séparément. Une telle démarche est difficile à expliquer dans le chef de ces chambres qui citent sans ambages l’élément politique en tant qu’élément contextuel des crimes contre l’humanité au même titre que d’autres éléments contextuels de ces crimes.
En outre, les chambres de la CPI n’indiquent pas toujours leurs sources d’inspiration et, lorsqu’elles les citent, elles n’avancent pas nécessairement d’explications. Dès lors que, d’une part, l’élément politique ne semble avoir ni le même contenu ni la même place parmi les éléments des crimes contre l’humanité au sein du Projet de code de la CDI, dans le StR et les EC ou dans la jurisprudence des TPI et des tribunaux hybrides et, d’autre part, que les auteurs du StR et des EC ont pris connaissance de cette jurisprudence sans en reprendre les définitions, il est souhaitable que les chambres donnent de plus amples explications sur le recours à ce Projet de code ou à cette jurisprudence.
En dernier lieu, certes la Ch. Ire inst. II s’est employée à clarifier un tant soit peu la notion de politique en remettant partiellement et ouvertement en cause la jurisprudence des chambres préliminaires. Cependant, la jurisprudence de la CPI demeure imprécise et porte à croire à la neutralisation redoutée de la formulation disjonctive des variantes “généralisée” et “systématique” de l’attaque.
En effet, les chambres préliminaires affirment que l’existence d’une politique permet de conclure à l’exigence d’une attaque systématique et — comme dans le jugement Tadić (para. 653) — que l’existence d’une attaque systématique prouve qu’une politique était en place.
Pour montrer qu’elles sont persuadées de l’existence d’une politique, la plupart de ces chambres font référence aux mêmes éléments factuels et indices que ceux mis en lumière dans la démonstration de l’existence d’une attaque systématique, Footnote 111 au point de pousser certains auteurs à conclure que “la formulation disjonctive pour laquelle certains s’étaient battus à Rome a perdu tout son sens dans le cadre des premières affaires de la Cour.” Footnote 112
La doctrine émet quatre grandes pistes pouvant, selon elle, permettre de ne pas exiger que l’attaque soit à la fois systématique et généralisée et, par conséquent, d’éviter le conflit entre l’article 7-1 et l’article 7-2-a du StR: interpréter l’élément politique de manière souple en étant moins exigeant en matière de preuve, ôter l’autonomie d’existence à cet élément en s’alignant sur la jurisprudence des TPI, lui attribuer un contenu selon que l’attaque est systématique ou généralisée, et enfin supprimer cet élément des dispositions de l’article 7 du StR.
En ce qui concerne la première piste, des auteurs, tels que DeGuzman, soutiennent que
la CPI exige des actes soit généralisés soit systématiques pour la qualification de crimes contre l’humanité, l’élément d’existence d’une politique ne peut pas être interprété comme équivalent au caractère systématique des actes. Un tel point de vue violerait la présomption selon laquelle aucune disposition du Statut n’est superflue. Mais surtout, la grande majorité des États qui s’étaient ardemment opposés à l’exigence d’un caractère généralisé et systématique n’auraient certainement pas consenti à l’adoption d’une disposition qui serait équivalente à une telle exigence. Footnote 113
et que l’élément politique requiert
une interprétation très large ... La politique ne doit pas nécessairement impliquer une planification ou une action systématique, ni une préméditation clairement exprimée. L‘élément d’existence d’une politique devrait plutôt être défini comme exigeant simplement “une conduite donnée, un principe directeur ou une procédure” qui serait associé à une certaine entité, au-delà de l’individu qui commet le crime. Footnote 114
Par ailleurs, certains professeurs suggèrent que
l’interprétation contextuelle de l’article 7 ... dicte qu’il soit fait une interprétation modeste de l’élément d’existence d’une politique. Pour éviter une contradiction entre les paragraphes 1 et 2-a de l’article 7, le terme “politique” doit dénoter un seuil moins élevé que le terme “généralisé” (tout comme le terme “multiple” doit être moins exigeant que “généralisé”). Autrement, la nature disjonctive des caractères généralisé ou systématique serait écartée ... Toute preuve supplémentaire d’efforts d’organisation peut être pertinente au regard de la condition de caractère “systématique” (dont la définition précise n’est pas en cause ici), mais n’est pas requise pour établir l’existence d’une “politique.” Footnote 115
Comment savoir que le seuil ou le critère d’appréciation est suffisant ou qu’il est excédé? Si l’on doit comprendre, d’après ces auteurs, que l’élément politique n’est rien d’autre qu’une attaque systématique modérément appréciée, l’on peut en déduire que toute attaque systématique rend compte ipso facto de l’existence d’une politique.
Pour ce qui est de la deuxième piste, certains, comme Hwang, suggèrent que
le Jugement Tadić et la manière dont y est traité l’élément d’existence d’une politique seront particulièrement pertinents dans le cadre de l’interprétation du Statut de Rome parce que la proposition canadienne pour le chapeau de la disposition relative aux crimes contre l’humanité a été justifiée sur la base du raisonnement exposé par le TPIY dans cette décision. Footnote 116
Suivre une telle suggestion, c’est rejoindre les auteurs qui opinent, à propos de l’élément politique dans le StR, qu’
il n’est pas certain que cette exigence supplémentaire apporte quelque chose de nouveau au droit en vigueur ... les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ont déjà pris en compte, largement, l’existence d’une telle politique, pour apporter la démonstration du caractère systématique de l’attaque en cause ... les conditions précédentes d’attaque généralisée ou systématique suffisaient. Cette condition renforce en fait, et l’explique, la condition alternative d’une attaque massive ou systématique, mais, érigée en élément constitutif, elle ajoute à la difficulté de démontrer l’existence de l’attaque. Footnote 117
Quant à la troisième piste, le professeur Ambos, pour qui le contenu de la notion de politique varie selon que l’attaque est systématique ou généralisée, argue que la politique active — c’est-à-dire, selon lui, une conduite active qui se matérialise par le fait de déclencher, de planifier, d’organiser ou de diriger l’attaque — est implicite dans le caractère systématique. Quant à la politique derrière une attaque généralisée, elle devrait selon lui s’entendre, à la différence de ce qui est indiqué dans les EC, d’une inaction délibérée (par example, déni de protection), de la tolérance ou de l’acquiescement dans le chef de l’entité en cause (État ou organisation), pour autant que cette entité soit légalement obligée et capable d’agir. Footnote 118
La quatrième et dernière piste nous vient, entre autres auteurs, de Halling pour qui, plutôt que de maintenir l’exigence de l’élément politique au risque de l’assimiler au caractère systématique de l’attaque, il faut supprimer purement et simplement cet élément des dispositions de l’article 7 du StR. Footnote 119
Pour espérer d’éventuelles réponses aux questions soulevées ici, il reste maintenant à observer la tendance que dessineront d’autres chambres de première instance et la Chambre d’appel, qui ne se sont pas encore prononcées sur l’élément politique.