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Le 1 % le plus riche. L'exception québécoise Nicolas Zorn, Presses de l'Université de MontréalMontréal, 2017, 191 pages

Published online by Cambridge University Press:  18 September 2018

Learry Gagné*
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

A la suite de la crise financière de 2007 et du mouvement Occupy de 2011, la question des inégalités de revenu entre le fameux « 1 % le plus riche » et le reste a pris une place prépondérante dans le discours socio-politique. Au niveau académique, la parution de l'ouvrage de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, en 2013 a parti le bal. C'est Nicolas Zorn qui entreprendra le premier l'étude exhaustive du phénomène pour le Québec dans les termes du nouveau débat.

Pour faire partie du premier centile des revenus au Québec, il faut gagner 194600 $ par année (23). Zorn s'intéresse aux revenus plutôt qu'à la richesse. Il affirme que les écarts de richesse n'ont pas tellement bougé entre les deux groupes, cela à cause surtout des gains en immobilier qui ont profité à la fois aux riches et aux moins riches (29-30). La tendance du 1 % en revenus au Québec suit une courbe particulière : elle se situe un peu en-dessous des hausses constatées dans les régimes dits « libéraux » (incluant le Canada) depuis les années 90, mais au-dessus de celles qui ont eu cours dans les pays européens (100). Entre 1985 et 2008, les revenus du 1 % québécois ont augmenté quatre fois plus rapidement que le reste, alors qu'après 2008, les revenus des premiers ont crû de 3,3 % en moyenne et ceux des derniers, de 1,7 % (148-50).

Pour expliquer ce phénomène, Zorn a recours à l'économie politique, à partir de modèles bien connus comme ceux de Esping-Andersen, de Hall et Soskice, et de Bruno Amable (chap. 2). Il retient six institutions pouvant influencer les écarts de revenu, soit les normes sociales (l'acceptabilité populaire des écarts), le mode de gouvernance d'entreprise, le degré de financiarisation de l'économie, l'organisation du marché du travail, la présence de l'État dans l'économie, et la fiscalité (chap. 1). L'auteur n'est pas convaincu de l'effet de ces quatre premiers facteurs au Québec, qu'il juge plutôt neutre (chap. 5). C'est la fiscalité qu'il retiendra comme facteur le plus déterminant. Il traite peu du rôle économique de l'État québécois hors-fiscalité, peut-être a-t-il manqué une piste ici.

Son traitement de l'impôt constitue la partie la plus intéressante de l'ouvrage (chap. 6). Le chemin que prend Zorn pour expliquer les inégalités de revenus se distingue de celui de Piketty, lui qui a surtout mis l'accent sur le rendement du capital versus la croissance nationale. Selon Zorn, c'est la baisse des taux marginaux maximal d'imposition (TMMI) au Québec et au Canada depuis les années 80 qui pèse le plus sur l'accroissement des inégalités. Il a recours à deux méthodes pour calculer l'effet de l'impôt sur les revenus des mieux nantis. La première prend en compte seulement le TMMI, et la conclusion est que sa baisse compte pour 49 % de l'accroissement des revenus élevés. Bien que nous ayons un résultat clair, le régime d'imposition ne peut se résumer à ce seul taux. La seconde méthode consistera donc à employer le taux effectif, soit le ratio de l'impôt total payé sur le revenu marchand. On perd le TMMI mais le calcul est plus réaliste. L'effet du taux effectif est seulement de 8,3 %. Zorn y ajoute une simulation des effets dynamiques tenant compte des gains cumulés provenant des baisses d'impôt entre 1982 et 2010, pour aboutir à un 10,1 % supplémentaire. Ces calculs lui permettent d'affirmer que les allègements fiscaux consentis aux plus riches depuis près de quatre décennies expliquent entre 18 % et 57 % des gains du premier centile québécois.

En conclusion, Zorn suggère aux gouvernements de revoir la fiscalité dans le but de réduire les inégalités. Au niveau provincial, il constate peu d'enthousiasme de la part du gouvernement libéral pour s'attaquer au problème. Il estime que même si toutes les recommandations de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise de 2015 (commission Godbout) étaient implémentées, cela ne changerait presque rien aux écarts de revenus (153-54). L'auteur nourrit plus d'espoir du côté fédéral. L'ajout en 2016 d'un cinquième palier d'imposition à 33 % pour les revenus supérieurs à 200000 $, suivant celui de 29 %, pourrait ramener le taux de croissance annuel des revenus du premier centile de 2,54 % à 1,5 %. L'auteur estime que pour retourner au ratio d'inégalités observé en 1982 pour 2038, il faudrait un TMMI fédéral encore plus élevé, à 39,2 % (159-63).

Par le biais de l'impôt, l'État peut très directement affecter la distribution de la richesse parmi les citoyens. La démonstration de Zorn est particulièrement éclairante à ce sujet. Il a eu accès à des données inédites sur la fiscalité des Québécois plus fortunés, et il a pu nous brosser un portrait étoffé de la situation qui nous manquait. Ce court ouvrage pourrait devenir une référence pour les prochains débats sur la fiscalité. L'approche institutionnelle a beaucoup de mérite. Zorn ne se contente pas d'une analyse purement économique. Toutefois, en se penchant de trop près sur la fiscalité, il semble se désintéresser des autres facteurs. Pourtant, tout l'intérêt des nouvelles approches institutionnelles est justement l'imbrication des institutions et leurs effets réciproques dans un système cohérent. Il y a là certainement du travail pour ceux qui voudront poursuivre dans la même veine.