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Les Régimes passent, l’État développementaliste demeure : Le cas de la Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) au Brésil. Ruggero Gambacurta-Scopello Éditions L'HarmattanParis, 2017, 271 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 May 2018

Michael A. O'Neill*
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

C'est en avril 2010 que Jamie Dimon, alors PDG de la banque JP Morgan Chase, publia sa lettre annuelle aux actionnaires dans laquelle il fut l'un des premiers à utiliser l'acronyme de BRICS pour décrire les nouveaux acteurs incontournables de l’économie mondiale. L'inclusion du Brésil dans ce groupe de nouvelles puissances semblait l'aboutissement du développement du Brésil, dont plusieurs avaient prévu qu'il deviendrait la seconde économie du continent avec un poids politique correspondant. Les choses ont bien changé depuis. Il est bien loin le temps où certains voyaient dans le Brésil un contrepoids latin à l'hégémonie américaine après que le pays ait été ébranlé par deux crises, économique d'abord puis de succession politique. Cet ouvrage, écrit après la transition de Luiz Inácio Lula da Silva à Dilma Roussef, pose un regard sur la Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social (Banque Nationale de Développement Économique et Social ou BNDES). Cette banque, fondée en 1952, est l'un des principaux piliers du modèle de développement économique et social du Brésil et continue de jouer un rôle décisif dans la définition et la réalisation des objectifs économiques du pays. L'auteur nous propose un examen des jalons importants du développement de cette institution phare de l’État brésilien.

En plus de l'introduction qui met en contexte le propos, présente les cadres analytiques, les bases empiriques, la méthode et présente une synthèse de la littérature pertinente au sujet, le livre se décline en quatre chapitres et une conclusion. Le premier chapitre adopte l'approche de l'institutionnalisme historique et passe en revue les bases sociales et historiques de l’État développementaliste au Brésil avec un regard particulier sur la période d'après 1985. L'auteur conclut cet exposé en soulignant la durabilité du modèle brésilien, qui a survécu aux différents régimes (militaires et civils) et modèles économiques (corporatiste, néolibéral et interventionniste).

Le second chapitre poursuit en abordant l’évolution du rôle de l’État développementaliste et le rôle de la BNDES dans la transition d'un État partenaire à celui d'un État actionnaire. Par le biais de sa participation au sein des entreprises brésiliennes, la BNDES a développé son rôle de promoteur de l'internationalisation de celles-ci. Inspirée des modèles coréens et japonais, cette approche donne à l’État un rôle prépondérant dans une stratégie industrielle qui appuie une stratégie politique et économique nationaliste. Le troisième chapitre est consacré au rôle stratégique joué par la BNDES dans le développement de créneaux industriels prometteurs et la croissance au niveau international d'entreprises érigées en champion national, comme Embraer par exemple. Comme le souligne l'auteur, la BNDES exerçait ce rôle sans avoir ni mandat spécifique ni objectifs économiques et politiques durables soutenant ses interventions. Le rôle et les priorités de la BNDES semblaient plutôt changer au fil des changements de régimes. Pour un lecteur canadien, cela rappellera le flou entourant le mandat de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui, pendant des années, n'avait comme seule référence qu'un discours de Jean Lesage datant de 1965. Le quatrième chapitre décrit l'absence de liens entre la société civile et la BNDES. Ce chapitre nous rappelle qu'en dépit de son nom, les objectifs économiques de la Banque étaient privilégiées aux dépens des objectifs sociaux avec pour résultat une prise de décision favorisant le capital brésilien au détriment des acteurs sociaux et de la population. Comme le souligne l'auteur, tout cela remet en question des pans entiers du modèle développementaliste et nous rappelle que les champions industriels brésiliens doivent leur succès notamment à la négligence des conditions salariales des travailleurs brésiliens.

Dans sa conclusion, l'auteur nous rappelle qu'en dépit de ses mutations et des changements de régimes politiques, le modèle développementaliste brésilien résiste. Il reste cependant à déterminer si le modèle en place est réellement développementaliste ou si nous sommes en présence d'un modèle de capitalisme d’État. L'auteur ne répond pas directement à cette question et préfère nous proposer quelques pistes de recherches futures.

Issu d'une thèse de Masters français, cet ouvrage apporte un regard pertinent sur un modèle de développement économique et social qui a permis au Brésil de passer du statut de pays en développement à celui de puissance économique en devenir en deux générations. Le rôle primordial joué par la BNDES (ainsi que d'autres institutions brésiliennes) en tant que levier de développement du pays y est clairement évoqué. Cela laisse présager un recours aux mêmes leviers institutionnels pour amorcer la sortie de crise du pays. Bien que l'on ne puisse considérer cet ouvrage comme fondamental, il a le mérite d'apporter un éclairage utile sur une institution clé d'une économie mal connue d'un pays qui mérite une plus grande attention de la part de la science politique francophone. Fort d'une recherche exhaustive et d'une bibliographie couvrant à la fois la littérature consacrée à l’économie politique du développement et les particularités de la gouvernance au Brésil, ce livre jouera le rôle d'une introduction à des études plus développées sur le rôle des institutions étatiques dans le développement au Brésil ainsi que dans les autres pays où ces questions se posent.