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Obligations de comportement et obligations de résultat dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice

Published online by Cambridge University Press:  22 October 2021

Résumé

Cet article s’interroge sur la typologie des obligations internationales et, plus spécialement, la distinction entre les obligations de comportement et de résultat. Considérée comme opposant deux formes d’obligations — de s’efforcer ou de réussir — cette summa divisio est particulièrement utile dans l’examen de la violation du droit international, elle-même condition de l’engagement de la responsabilité internationale. À partir du constat d’une large utilisation dans la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, seront interrogés les critères, les conséquences mais aussi les vertus — et limites — de cette catégorisation.

Abstract

Abstract

This article examines the typology of international obligations and, more specifically, the distinction between obligations of means (or conduct) and of result. Seen as opposing two forms of obligation — to endeavour or to succeed — this summa divisio is particularly useful in examining the violation of international law, itself an element of international responsibility. Based on the observation of the distinction’s wide use in the case law of the International Court of Justice, the criteria for, as well as the consequences and value — and limits — of this categorization will be questioned.

Type
Notes and Comments / Notes et commentaries
Copyright
© The Canadian Yearbook of International Law/Annuaire canadien de droit international 2021

Introduction

Cet article s’interroge sur un aspect particulier de la typologie des obligations internationales: la distinction entre les obligations de comportement et de résultat à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour internationale de Justice (CIJ). En droit international, les études sur la structure et la théorie des obligations internationales sont relativement rares.Footnote 1 Certes, ce n’est peut-être pas le cas du thème évoqué ici, car il a fait l’objet d’une certaine attention des auteurs,Footnote 2 mais qui n’épuise pas les questionnements sur cette catégorisation des devoirs assumés par les sujets de droit international.

La distinction entre ces deux catégories de prestations a souvent été remise en cause.Footnote 3 Sans la reconsidérer à ce stade, il demeure que ce vocabulaire apparait bel et bien dans les arrêts des juridictions internationales, et notamment ceux de la CIJ. Dans de nombreuses affaires, les juges de La Haye faisaient face à la situation suivante. Ils devaient examiner un grief portant sur l’irrespect d’une obligation internationale. Dans le silence de la clause du traité, l’un des États soutenait que l’obligation en cause était une obligation “de résultat”; l’autre affirmait plutôt qu’il s’agissait d’une obligation “de comportement,” l’enjeu portant ainsi sur les modalités d’appréciation du comportement de l’État défendeur.Footnote 4 La cour devait donc interpréter la clause avant d’examiner la violation du droit international. Ainsi, cette question concerne surtout le contentieux de la responsabilité internationale afin de déterminer si une obligation est violée, ce qui constitue, avec l’attribution du fait internationalement illicite, la condition principale de l’engagement de la responsabilité. En effet, lus conjointement, les articles 2 et 12 du texte de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite nous disent que: “Il y a fait internationalement illicite de l’État lorsqu’un comportement consistant en une action ou une omission: (1) est attribuable à l’État en vertu du droit international et (2) constitue une violation d’une obligation internationale de l’État”; et qu’il y a “violation d’une obligation internationale par un État lorsqu’un fait dudit État n’est pas conforme à ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit l’origine ou la nature de celle-ci.”Footnote 5 Cependant, il est connu que la CDI, dans ses articles de 2001 et de 2011, a abandonné toute tentative de “classer” les obligations internationales — s’en remettant à sa distinction entre obligations primaires et secondaires — comme le faisait pourtant le projet adopté en première lecture.Footnote 6

Nul ne conteste que la catégorisation des obligations internationales puisse être déterminante. Cela a notamment été mis en lumière par Paul Reuter, pour qui la distinction

qui semble la plus importante et qui commande toutes les autres est celle qui oppose les obligations de comportement et les obligations de résultat. Dans les premières on s’oblige à une certaine conduite déterminée tendant vers le résultat, dans la seconde on s’oblige directement au résultat lui-même. […] Cette distinction est également fondamentale en droit international et entraîne de multiples conséquences, notamment en matière de responsabilité.Footnote 7

Par exemple, dans l’affaire du Génocide, la CIJ indiquait bien que “l’on ne saurait imposer à un État quelconque l’obligation de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide.”Footnote 8 Cette conclusion, selon laquelle l’obligation de prévenir le génocide n’est pas “de résultat” était-elle si évidente? N’est-il pas envisageable qu’un État, à certaines conditions bien sûr, soit tenu d’empêcher à tout prix la commission du “crime des crimes”? Outre un intérêt théorique peu contestable, la différenciation n’est donc pas dénuée d’intérêt pratique et mérite sans doute que l’on s’y intéresse, à la lumière de la pratique — récente et plus ancienne — de la CIJ.

Afin d’étudier la distinction entre ces deux types d’obligations, cet article, dans un premier temps, mobilisera la jurisprudence de la CIJ afin de constater l’utilisation de cette summa divisio, avant de tenter d’en dégager les critères de distinction puis son contenu.

L’utilisation de la distinction entre obligations de comportement et obligations de résultat par la CIJ

La distinction entre obligations de comportement et de résultat est bien présente dans la jurisprudence de la CIJ. Cela ressort explicitement ou implicitement de ses décisions. Précisons avant tout que cet article tient pour synonymes les “obligations de comportement” et les “obligations de moyens.” Le Dictionnaire de droit international public nous apprend en effet que l’obligation de comportement exige du débiteur “d’apporter ses soins et ses capacités” et qu’entendue ainsi elle se confond avec l’obligation de moyens.Footnote 9 La cour préfère cependant la notion “d’obligation de comportement” à “obligation de moyens,” qu’elle n’utilise pas, d’où le titre de la présente contribution.Footnote 10

lutilisation explicite de la distinction entre obligations de comportement et obligations de résultat

Un examen de la jurisprudence montre que l’obligation de comportement est souvent distinguée de l’obligation de résultat par la CIJ. Dans l’affaire de l’Accord intérimaire opposant la Grèce à la Macédoine du Nord (ex-République yougoslave de Macédoine), la CIJ s’exprimait ainsi à propos de l’obligation de “ne pas s’opposer” inscrite à l’article 11 dudit accord: “L’obligation énoncée dans la première clause du paragraphe 1 de l’article 11 est une obligation de comportement et non de résultat. La question qui se pose à la Cour est donc de savoir si le défendeur a, par son comportement propre, méconnu l’obligation de ne pas s’opposer à l’admission du demandeur qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 11 de l’accord intérimaire.”Footnote 11 Cette opposition entre les deux catégories d’obligations est très claire dans l’affaire du Génocide. Nous l’avons évoqué, dans l’arrêt de 2007, la cour affirmait que l’obligation de prévenir le génocide

est une obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne saurait imposer à un État quelconque l’obligation de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide: l’obligation qui s’impose aux États parties est plutôt celle de mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. La responsabilité d’un État ne saurait être engagée pour la seule raison que le résultat recherché n’a pas été atteint; elle l’est, en revanche, si l’État a manqué manifestement de mettre en œuvre les mesures de prévention du génocide qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher.Footnote 12

L’affaire Avena contient de longs développements sur la notion d’obligation de résultat, notamment dans l’arrêt sur la demande en interprétation rendu le 19 janvier 2009. La question posée était relative à l’interprétation de la mesure, ordonnée par la cour, d’“assurer, par les moyens de leur choix, le réexamen et la révision des verdicts de culpabilité rendus et des peines prononcées,” qui l’avaient été en contrariété avec le droit international: “La Cour observe qu’il doit être satisfait à cette obligation de résultat dans un délai raisonnable. Même des efforts sérieux des États-Unis, s’ils n’aboutissent pas à la révision et au réexamen, […] ne sauraient être considérés comme satisfaisant à une telle obligation.”Footnote 13

La CIJ poursuivit:

Il est vrai que l’obligation énoncée dans ce paragraphe est une obligation de résultat qui doit à l’évidence être exécutée de manière inconditionnelle; le défaut d’exécution constitue un comportement internationalement illicite. Cependant, l’arrêt laisse aux États-Unis le choix des moyens d’exécution, sans exclure l’adoption, dans un délai raisonnable, d’une législation appropriée, si cela est jugé nécessaire en vertu du droit constitutionnel national. L’arrêt Avena n’empêcherait pas davantage une exécution directe de l’obligation en cause, si un tel effet était permis par le droit interne.Footnote 14

Dans l’arrêt LaGrand, la CIJ évoquait des obligations imposées aux États-Unis dans l’ordonnance en mesures conservatoires rendue le 3 mars 1999. L’affaire est bien connue. Cette ordonnance visait à empêcher l’exécution d’un ressortissant allemand condamné à la peine capitale. Plus précisément, deux mesures distinctes étaient indiquées: l’une de comportement, l’autre de résultat. Selon la première, les États-Unis devaient “prendre toutes les mesures dont ils disposent pour que M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté.”Footnote 15 Pour la CIJ, elle n’imposait pas une obligation “de résultat,” c’est-à-dire de maintenir LaGrand en vie.Footnote 16 La seconde était bien de résultat et consistait à “transmettre la présente ordonnance au gouverneur de l’État de l’Arizona.”Footnote 17 Les autorités fédérales des États-Unis avaient simplement communiqué le texte de l’ordonnance au gouverneur. La CIJ conclut que l’obligation de résultat (deuxième mesure conservatoire) fut effectivement respectée; alors que l’obligation de moyens (première mesure conservatoire) ne le fut pas, les autorités américaines n’ayant pas pris les mesures adéquates exigées.

Dans un arrêt du 4 juin 2008 dans l’affaire relative à Certaines questions concernant l’entraide en matière pénale, la CIJ devait examiner à quelle catégorie la disposition suivante, issue d’une convention bilatérale du 27 septembre 1986, appartenait: “L’État requis fera exécuter, conformément à sa législation, les commissions rogatoires relatives à une affaire pénale qui lui seront adressées par les autorités judiciaires de l’État requérant et qui ont pour objet d’accomplir des actes d’instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents.”Footnote 18 Selon Djibouti, il s’agissait d’une obligation de résultat. Or, pour la CIJ, cette disposition impliquait seulement que l’État requis “doit certes veiller à ce que sa procédure soit déclenchée, mais il n’en garantit pas pour autant le résultat, dans le sens de la transmission du dossier qui fait l’objet de la commission rogatoire.”Footnote 19

Enfin, dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, la CIJ recourut à plusieurs reprises à la distinction, en soutenant que certains articles du traité concerné (dit Statut du fleuve Uruguay de 1975 [Statut de 1975]) contenaient une obligation de comportement, et non de résultat — point sur lequel se manifestait l’opposition des parties. Pour le premier, l’article 36, la CIJ affirma que “[l]’obligation d’adopter des mesures réglementaires ou administratives, que ce soit de manière individuelle ou conjointe, et de les mettre en œuvre constitue une obligation de comportement.”Footnote 20 Le second, l’article 41, se lisait ainsi: “[L]es parties s’obligent: a) à protéger et à préserver le milieu aquatique et, en particulier, à en empêcher la pollution en établissant des normes et en adoptant les mesures appropriées, conformément aux accords internationaux applicables.”Footnote 21 L’Argentine affirmait que “l’obligation d’empêcher la pollution du fleuve est une obligation de résultat.” Mais, pour la CIJ, cet article

impose d’exercer la diligence requise (“due diligence”) vis-à-vis de toutes les activités qui se déroulent sous la juridiction et le contrôle de chacune des parties. Cette obligation implique la nécessité non seulement d’adopter les normes et mesures appropriées, mais encore d’exercer un certain degré de vigilance dans leur mise en œuvre ainsi que dans le contrôle administratif des opérateurs publics et privés, par exemple en assurant la surveillance des activités entreprises par ces opérateurs, et ce, afin de préserver les droits de l’autre partie. Par conséquent, la responsabilité d’une partie au statut de 1975 serait engagée s’il était démontré qu’elle n’avait pas agi avec la diligence requise, faute d’avoir pris toutes les mesures appropriées pour assurer l’application de la réglementation pertinente à un opérateur public ou privé.Footnote 22

Même si la CIJ ne la qualifia pas explicitement ainsi, il ressort de cet extrait que nous avons affaire à une obligation de comportement.

Dans ces décisions, la CIJ recourt explicitement à la dichotomie entre obligations de comportement et de résultat. On retrouve d’ailleurs l’expression d’une telle différenciation dans d’autres affaires, mais où cela paraît moins déterminant,Footnote 23 ainsi que dans des opinions individuelles de juges de la CIJ.Footnote 24 On observe un mouvement similaire devant de nombreuses juridictions internationales, permanentesFootnote 25 ou non,Footnote 26 qui utilisent également cette distinction. Dans d’autres affaires, plus nombreuses, la terminologie n’est pas directement employée par la cour mais transparaît implicitement à la lecture de l’arrêt ou de l’avis.

lutilisation implicite de la distinction entre obligations de comportement et obligations de résultat

Dans certaines situations, la CIJ s’abstient de qualifier la nature de l’obligation. Par exemple, dans l’affaire Jadhav, la CIJ conclut à la violation, par le Pakistan, de l’obligation d’informer le ressortissant “sans retard” de ses droits au titre de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Footnote 27 Toutefois, elle ne mentionna pas la notion d’obligation “de résultat,” alors même qu’elle en est une à n’en pas douter.Footnote 28 Dans l’avis consultatif concernant le Différend relatif à l’immunité de juridiction d'un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, la CIJ conclut que “le Gouvernement de la Malaisie était tenu, en vertu de l’article 105 de la Charte et de la convention générale, d’aviser ses tribunaux de la position prise par le Secrétaire général” et que, ne l’ayant pas fait, “la Malaisie ne s’est pas acquittée de l’obligation sus-indiquée.”Footnote 29 Dans ces affaires, qui ne sont que des illustrations, la CIJ ne recourt pas explicitement à la différenciation bien qu’il soit impliqué que ces obligations sont “de résultat.”

L’obligation de négocier est un bon exemple d’utilisation implicite de la distinction. Déjà, dans l’avis consultatif sur le Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne, la Cour permanente de Justice internationale affirmait que “l’engagement de négocier n’implique pas celui de s’entendre, et notamment il n’en résulte pas pour la Lithuanie l’engagement et, en conséquence, l’obligation de conclure les accords administratifs et techniques indispensables pour le rétablissement du trafic sur la section de ligne de chemin de fer Landwarow/Kaisiadorys.”Footnote 30 On voit bien qu’il s’agit d’une obligation de comportement, même si le mot n’est pas utilisé. Cette idée a été souvent reprise dans la jurisprudence de la CIJ à propos de l’obligation de négociation, et ce dans divers contextes. Par exemple, dans l’affaire Somalie c Kenya dans un arrêt du 2 février 2017, “le paragraphe 1 de l’article 83 de la [Convention des Nations Unies sur le droit de la mer], en disposant que la délimitation est effectuée par voie d’accord, exige qu’il y ait des négociations menées de bonne foi, mais non que de telles négociations aboutissent.”Footnote 31

La CIJ a jugé qu’une obligation de négocier (pactum de negotiando) pouvait, dans certaines circonstances, être associée à une obligation “de s’entendre” (pactum de contrahendo). Ainsi l’obligation devient “de résultat.” En témoigne cet extrait de l’avis sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, se rattachant, cette fois-ci, à la dichotomie: “La portée juridique de l’obligation considérée dépasse celle d’une simple obligation de comportement; l’obligation en cause ici est celle de parvenir à un résultat précis — le désarmement nucléaire dans tous ses aspects — par l’adoption d’un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la matière.”Footnote 32 Elle évoque ensuite une “double obligation de négocier et de conclure.”Footnote 33

Cette analyse de la jurisprudence de la CIJ conduit à constater que la dichotomie entre obligations de moyens et de résultat est utilisée, explicitement ou implicitement, dans une part non négligeable des arrêts de la juridiction.

L’identification des critères de la distinction entre obligations de comportement et obligations de résultat

Reste une question essentielle: comment distinguer, en pratique, les obligations de comportement des obligations de résultat? En droit international, plusieurs critères ont été proposés par la doctrine et il convient de les examiner. La pratique de la CIJ sur ce point, qui ne semble pas recourir à un critère unique, sera ensuite analysée.

les critères proposés par la doctrine

Dans l’hypothèse où la nature de l’obligation est douteuse — ce qui ne saurait être, par exemple, le cas en présence d’une obligation de ne pas faire, toujours de résultat — c’est-à-dire où il ne ressort pas évidement de la clause qu’un résultat ou un effort est recherché, se pose la question de l’identification d’un critère permettant de ventiler les hypothèses. Deux principaux ont été proposés par la doctrine des internationalistes.

Le critère de l’aléa ou du risque est favorisé par les civilistes français et, en droit international, fut évoqué dans un célèbre article de J. Combacau aux Mélanges Paul Reuter: “[C]’est […] le degré de probabilité de la réalisation de l’objectif poursuivi par le créancier qui commande la nature de l’obligation imposée au débiteur: là où la réalisation en est hautement probable, la loi ou le contrat instituent des obligations de résultat; là où elle est plus essentiellement aléatoire, ils se bornent à réduire l’aléa et ne mettent en œuvre qu’une obligation de moyens.”Footnote 34 Les internationalistes se prononcent souvent en sa faveur. Par exemple, selon Pierre-Marie Dupuy, la classification “gravite autour de la plus ou moins grande part d’aléa qui entre dans la réalisation de l’objet de l’obligation.”Footnote 35

Un critère concurrent semble avoir été avancé. Selon celui-ci, la “liberté,” le choix qui est laissé dans les moyens à utiliser par la règle internationale permet de distribuer entre l’une et l’autre des catégories. Tel était le critère de distinction proposé par la CDI, sous l’influence de Roberto Ago, à la fin des années 1970.Footnote 36 La typologie de la CDI, mais qui fut depuis abandonnée, était construite ainsi: les obligations de “comportement” (article 20) étaient celles dont le contenu était déterminé par le droit international; les obligations “de résultat” celles dont le comportement était laissé “libre” (articles 21, 23).Footnote 37

Or, on a souvent affirmé que la typologie de Ago était très différente de celle du droit civil français.Footnote 38 Il existe ici une alternative. Soit on considère qu’elle avait, hormis la terminologie, un sens, un contenu et une fonction différents de la distinction étudiée.Footnote 39 Dans ce cas, le critère proposé reste sans pertinence pour notre étude et il s’agit de deux classifications différentes malgré un vocabulaire malheureux qui devrait donc être abandonné.Footnote 40 Soit, inversement, on considère que la distinction était en réalité la même, à l’exception du critère permettant de ventiler les hypothèses qui, plutôt que le risque ou l’aléa, serait la liberté.

Si les choses ne sont pas très claires, certains indices semblent conduire vers la deuxième alternative, ou a minima à se poser la question. En effet, les éléments — apparaissant dans le commentaire du projet adopté en première lecture — qui devaient être pris en compte pour constater la violation de l’obligation ressemblaient fort à ceux utilisés par la dichotomie telle que nous l’entendons habituellement et que nous préciserons ci-dessous. Il fallait, d’un côté, apprécier le comportement de l’État et le comparer à ce qui était exigé de luiFootnote 41 et, de l’autre côté, constater si “par le comportement adopté, l’État n’assur[ait] pas le résultat requis de lui par cette obligation.”Footnote 42 S’il n’était pas assuré, il y avait une violation “automatique” de l’obligation sans que le comportement importe.Footnote 43 Ici, comme l’affirme Jean Salmon, “seul le résultat compte.”Footnote 44

La classification était-elle donc, dans ses conséquences du point de vue de l’appréciation de la violation, identique à la typologie civiliste? Si nous supposons — par hypothèse — que oui, il faut bien admettre que le commentaire de 1977, resté inchangé jusqu’au milieu des années 1990, donnait des exemples inexacts. Dans certaines situations, le comportement à adopter était laissé libre — ce qui devait permettre d’identifier l’obligation comme “de résultat” — alors qu’il s’agissait en réalité d’obligation de comportement si l’on observe les modalités d’appréciation de la violation, ce que ne pouvait admettre la CDI sans remettre en cause la typologie. Par exemple, l’obligation de protéger les ambassades ou d’empêcher les actes xénophobes contre les étrangers étaient présentées par la CDI comme étant “de résultat,” car les moyens sont juridiquement indéterminés.Footnote 45 Or, ce sont, de manière incontestable, des obligations de comportement au sens même où la CDI l’utilisait et a fortiori celui où nous l’utilisons ici. Le critère, pour établir la violation de l’une ou l’autre de ces obligations, n’est pas le fait d’avoir failli à atteindre un résultat (invasion des locaux ou lynchage par la foule) comme le soutenait la CDI, mais d’avoir adopté un comportement suffisamment diligent pour l’éviter.Footnote 46 Il est éventuellement possible de soutenir que la survenance du résultat est un critère qui doit être rempli en sus d’un comportement insuffisant au regard de l’obligation internationale,Footnote 47 ce qui en fait bien une obligation de moyens.

S’il ne nous appartient pas de discuter ici de la validité théorique de la distinction proposée, qui a largement été critiquée par ailleurs, force est de constater que le critère de la liberté peine à convaincre même s’il n’est pas occasionnellement sans adéquation descriptive. La place du critère du risque — qui a la faveur d’une large partie de la doctrine — peut également être relativisée à la lumière de la position de la CIJ.

les critères de distinction dans la jurisprudence de la cour internationale de justice

Il convient, désormais, d’apprécier la position de la CIJ quant aux critères adoptés pour distinguer les deux types d’obligations. Nous devons préciser le contexte dans lequel s’inscrit la question posée. Le plus souvent, c’est préalablement à l’examen du respect d’une obligation dans un contentieux de responsabilité que la cour est appelée à déterminer si celle-ci est “de moyens” ou “de résultat.” Autrement dit, elle a la charge de procéder à une interprétation afin de préciser la nature de la prestation attendue.

Or, pour effectuer ceci, il ne nous semble pas que la CIJ utilise l’un ou l’autre des critères proposés par la doctrine de manière déterminante. Elle ne cherche pas à savoir s’il existe un aléa ou une relative certitude du résultat, ou si les moyens sont déterminés par la norme internationale. On voit mal comment elle pourrait s’écarter de la règle générale d’interprétation prévue à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités au profit d’un critère unique.Footnote 48 Autrement dit, il ne faudrait pas confondre le résultat de l’interprétation (faisant que les obligations de résultat paraissent peu soumises à l’aléa) et le critère de distinction entre les deux obligations (faisant qu’il découle de l’interprétation de la règle qu’un résultat n’était pas garanti par le débiteur).

En ce sens, selon les auteurs civilistes français, c’est lorsqu’on ne peut trouver dans la volonté des parties contractantes ou dans la loi la réponse à la question “cette obligation est-elle de comportement ou de résultat?” que l’on doit rechercher un critère extérieur — le plus souvent, celui de l’aléa — afin de ventiler les hypothèses.Footnote 49 Le critère du risque est donc supplétif et n’est d’ailleurs pas le seul proposé par les auteurs pour expliquer la jurisprudence.Footnote 50

La pratique interprétative de la CIJ n’est pas très fournie, mais on peut évoquer les éléments importants de plusieurs affaires. Dans l’avis relatif à la Licéité d’armes nucléaires, elle s’en tenait au sens ordinaire des termes, et s’appuya sur la pratique ultérieure.Footnote 51 Dans l’affaire de l’Application de l’accord intérimaire, elle se référa simplement à l’accord des parties sur l’interprétation à donner à la disposition selon laquelle elle était “de comportement.”Footnote 52 Dans l’affaire des Usines, l’article suivant était soumis à l’examen des juges: “Les parties coordonnent, par l’intermédiaire de la commission, les mesures propres à éviter une modification de l’équilibre écologique et à contenir les fléaux et autres facteurs nocifs sur le fleuve et dans ses zones d’influence” (article 36 du Statut de 1975). Contrairement à l’Uruguay, l’Argentine estimait que cette disposition contenait une obligation de résultat suivant le sens ordinaire des termes. La CIJ ne justifia aucunement son interprétation selon laquelle, à l’inverse, elle n’était que “de comportement.”Footnote 53

Dans l’affaire de l’Entraide judiciaire, la CIJ recourut expressément aux règles d’interprétation contextuelle pour préciser le sens de l’article contesté: “Interprété dans son contexte, comme le prévoit la règle coutumière reflétée au paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’article 3 de la convention de 1986 doit être lu en conjonction avec les articles premier et 2 de celle-ci.”Footnote 54 Cela permit à la CIJ d’affirmer que la disposition, contenant une clause selon laquelle l’exécution des commissions rogatoires devant s’effectuer “en conformité avec” la législation interne de l’État requis, ne constituait pas une obligation de résultat d’exécuter lesdites commissions.

Cependant, les deux approches doctrinales précitées ont de bonnes vertus descriptives. En effet, les obligations de comportement sont effectivement celles dont le résultat est en règle générale plus “difficile” à atteindre et donc où il existe un aléa ou un risque. Ainsi, dans l’arrêt LaGrand, la cour souligna que l’obligation de “prendre toutes les mesures dont ils disposent pour que M. Walter LaGrand ne soit pas exécuté” n’était pas une obligation de résultat en insistant sur le fait que “les autorités des États-Unis ont disposé de très peu de temps pour agir.”Footnote 55 L’existence d’un aléa peut aussi être un indice utile pour présumer qu’il n’entrait pas dans l’intention des parties de garantir un résultat. L’aléa reste cependant une notion relative, d’une part; et on voit mal, d’autre part, pourquoi l’État ne pourrait pas s’engager à garantir un résultat “difficile.” Inversement, il n’est pas inenvisageable que les États favorisent une obligation de comportement dans un contexte où, pourtant, l’issue paraîtrait aisément réalisable. En outre, il est vrai que les obligations de résultat laissent, bien souvent, une latitude dans le choix des moyens comme le dit la CIJ dans l’affaire Avena. Footnote 56 Il peut paraître superflu, dans ce cas, de régir les conditions matérielles de mise en œuvre de l’obligation. Toutefois, à l’inverse, une obligation de résultat peut également imposer un “comportement déterminé” comme elle le soutint dans l’avis sur la Licéité d’armes nucléaires. Footnote 57

Loin d’un critère unique permettant de répartir les hypothèses juridiques en l’une ou l’autre des catégories, il semble donc que la CIJ interprète les dispositions pertinentes à l’aune de l’herméneutique habituelle. Les critères supplétifs de l’aléa et du risque, sans en ignorer les attraits, semblent peu utilisés dans la jurisprudence de la CIJ. Finalement, l’affirmation de l’existence de la distinction dans la jurisprudence de la CIJ ne signifie pas qu’il n’existe aucune zone grise, autrement dit des obligations dont il n’est pas aisé de déterminer, à la lumière des décisions, si elles sont “de moyens” ou “de résultat.” On peut ici prendre l’exemple de l’obligation d’effectuer une étude de l’impact sur l’environnement. Dans l’affaire des Usines sur le fleuve Uruguay, la CIJ affirmait qu’“il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière.”Footnote 58

Ultérieurement, dans les affaires jointes Construction d’une route le long du fleuve San Juan et Certaines activités menées dans la région frontalière entre le Nicaragua et le Costa Rica, les juges signalent qu’“afin de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir les dommages environnementaux transfrontières importants, un État doit, avant d’entreprendre une activité pouvant avoir un impact préjudiciable sur l’environnement d’un autre État, vérifier s’il existe un risque de dommage transfrontière important, ce qui déclencherait l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement.”Footnote 59 Ce dernier extrait laisse penser que l’obligation appartient aux obligations de moyens. Or, certains considèrent qu’il s’agit bien d’une obligation de résultat,Footnote 60 interprétation qui nous semble préférable, et ce sans remettre en cause le fait que le contenu de l’étude d’impact est peu encadré par le droit international. Autre exemple, assez proche: l’obligation d’adopter une réglementation est explicitement présentée par la CIJ comme une obligation de comportement dans l’arrêt des Usines. Footnote 61 Pourtant, des auteurs considèrent que certaines obligations d’adopter une réglementation sont bien “de résultat.”Footnote 62 On doit donc admettre, semble-t-il, que la même activité matérielle est “de comportement” dans certaines situations et “de résultat” dans d’autres.

Le contenu de la distinction entre obligations de comportement et obligations de résultat

La distinction est essentiellement utile en matière de responsabilité internationale. Cela est tout à fait logique car elle repose sur la prestation attendue de l’État débiteur. D’un côté, l’État s’engage à atteindre un résultat, de l’autre, d’apporter soins et diligence pour atteindre un but, mais sans le garantir. En ce sens, Paul Reuter affirmait que “[l]’intérêt de cette distinction est évident. Lorsque l’on est en présence d’une obligation de résultat, la responsabilité est encourue du fait que le résultat n’est pas atteint et la règle qui est violée indique toujours clairement ce résultat; lorsqu’au contraire on est seulement en présence d’une obligation de comportement il faut déterminer quel est le contenu de comportement et le problème est infiniment plus délicat.”Footnote 63 On soutient le plus communément que l’obligation de moyens est de “s’efforcer” et de résultat “de réussir.”Footnote 64 La vertu principale de la distinction porte donc sur la détermination de la violation de l’obligationFootnote 65 — et de toutes les conséquences que cela peut avoir en droit de la responsabilité internationale.

L’objet de la violation de l’obligation de résultat réside dans la démonstration que le résultat avéré est différent de celui attendu; la preuve de la violation d’une obligation de moyen, théoriquement plus difficile, réside dans la démonstration que le comportement de l’État se situe en dessous de ce qui était attendu de lui.Footnote 66 Autrement dit, là où l’obligation de résultat ne nécessite que la comparaison d’un résultat idéal escompté avec la réalité; l’obligation de comportement nécessite de démontrer en quoi l’État n’a pas (assez) “essayé.” On a parfois dit que l’intérêt de cette dichotomie concernait surtout la question de “la charge de la preuve.” Ceci est sans doute inexact, comme le souligne Carlo Santulli: “[S]uivant la qualification retenue, c’est ‘l’objet’ de la preuve qui change, et non sa ‘charge’. Dans le cas de l’obligation de résultat, en effet, c’est encore celui qui allègue la violation de l’obligation qui doit en apporter la preuve, tout comme pour le non-respect des obligations de moyens.”Footnote 67 Il est vrai que l’objet de la preuve — mais qui n’est que le reflet de l’objet de l’obligation — est affecté par la catégorisation, mais s’il ne faudrait oublier que l’organe chargé de l’application du droit conserve son pouvoir dans la qualification juridique.

Nous pouvons revenir sur cet aspect à la lumière de la jurisprudence de la CIJ. D’une part, pour les obligations de résultat, si celui-ci n’est point atteint, on peut conclure à la violation de l’obligation, sauf à ce qu’il existe une circonstance excluant l’illicéité.Footnote 68 Cela ressort très bien de l’extrait précité de l’arrêt Avena: “La Cour observe qu’il doit être satisfait à cette obligation de résultat dans un délai raisonnable. Même des efforts sérieux des États-Unis, s’ils n’aboutissent pas à la révision et au réexamen, […] ne sauraient être considérés comme satisfaisant à une telle obligation […] [L]’obligation énoncée dans ce paragraphe est une obligation de résultat qui doit à l’évidence être exécutée de manière inconditionnelle; le défaut d’exécution constitue un comportement internationalement illicite.”Footnote 69 L’effort, le critère de l’obligation de comportement, n’est ici pas pris en compte. Dans la jurisprudence de la CIJ on trouve aussi, par exemple, l’obligation de parvenir à conclure un accordFootnote 70 ou de transmettre un document.Footnote 71 Notons cependant qu’il peut exister des incertitudes sur le “résultat” qui est attendu par l’obligation. Ainsi, une obligation de saisir les autorités compétentes pour la poursuite d’un criminel peut être considérée comme “de résultat”; mais pas dans le sens d’une obligation de condamner cette personne; ou même que des poursuites seront effectivement engagées par les autorités judiciaires.Footnote 72

Toujours à propos des obligations de résultat, on peut souligner qu’il est communément considéré qu’il est plus “aisé” de démontrer leur violation que celle d’une obligation de comportement.Footnote 73 Quoiqu’exacte, cette affirmation doit être nuancée.Footnote 74 En effet, certaines obligations “de résultat” restent permissives — on pense immédiatement à l’obligation de conclure un accord, bien illusoire en l’absence de contrainte temporelle. Inversement, un mécanisme de facilitation probatoire, opérant in fine un renversement de la charge de la preuve, peut favoriser la démonstration de la violation d’une “simple” obligation de moyens.

D’autre part, pour les obligations de comportement, c’est la conduite de l’État qui est examinée et non la finalité de son activité. La constatation de la violation de ces règles passe par l’appréciation du contenu du comportement de l’État. C’est ce qui explique que, même si un “résultat” négatif se produit, par exemple, l’invasion ou l’atteinte à la dignité des locaux diplomatiques, cette survenance ne suffit pas (mais peut être nécessaire)Footnote 75 pour engager la responsabilité de l’État.Footnote 76 On trouve un écho de cette idée dans l’affaire de l’Accord intérimaire:

La Cour rappelle l’obligation, telle qu’énoncée à l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de protéger les locaux d’une mission diplomatique et d’empêcher que la paix de celle-ci soit troublée ou sa dignité, amoindrie; elle fait observer que tout incident au cours duquel des biens appartenant à une mission diplomatique sont endommagés est regrettable. Ce nonobstant, les incidents en question ne démontrent pas ipso facto que le demandeur ait manqué à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 7 de “décourager” certains actes d’entités privées.Footnote 77

Cela apparait aussi en filigrane de l’arrêt Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran: “[D]e l’avis de la Cour, … la carence du Gouvernement de l’Iran était due à plus qu’une simple négligence ou un simple manque de moyens”;Footnote 78 ce qui signifie a contrario que la carence pourrait être justifiée si elle était due à un manque de moyens. Autre exemple, l’obligation de prévenir la commission du génocide qui fut dégagée par la CIJ dans l’affaire du Génocide comme une obligation de comportement. Le président yougoslave Milošević aurait déclaré au chef serbe bosniaque Mladić: “[J]e lui ai dit de ne pas le faire, mais il ne m’a pas écouté.”Footnote 79 On pourrait considérer (même si ce ne fut pas l’avis de la CIJ) que quelque chose a été fait, mais que ce n’était pas “suffisant” et que les autorités auraient dû “faire de leur mieux.”Footnote 80

L’appréciation du comportement de l’État peut varier en fonction de l’obligation elle-même et ce serait une erreur de croire que la classification achève toute description des obligations de moyens. Autrement dit, les obligations de comportement n’ont pas nécessairement la même précision, la même intensité ou les mêmes indices. Il appartiendra à l’organe chargé de l’application du droit de se référer au standard ou aux critères qu’il estime pertinents: la due diligence, une appréciation du comportement de l’État in abstracto ou in concreto, la présence d’une obligation de moyens “renforcée,” etc. Ceci est toujours une question intéressante mais dépasse l’objet du présent article.Footnote 81 L’idée qu’il existe plusieurs nuances d’obligations de moyens comme de résultat (obligations de comportement renforcées, obligations de résultat atténuées voire obligations de résultat renforcées qui excluraient la force majeureFootnote 82) est assumée dans la doctrine interne comme internationale. Ainsi, dans un article de 2011, Rüdiger Wolfrum a établi un spectre de chacune de ces catégories en proposant cinq formes d’obligations.Footnote 83 Ces affinements, plutôt que de remettre en cause la distinction, ne témoigneraient-ils pas de sa vitalité ?

Conclusion

Nous croyons avoir démontré que la distinction entre obligations de moyens et de résultat est omniprésente dans la jurisprudence de la CIJ et utile dans l’analyse des obligations internationales. Il nous semble d’ailleurs que, d’une certaine manière, la distinction proposée est indépassable en ce sens que toute obligation peut être qualifiée soit de comportement, soit de résultat.Footnote 84 Pour distinguer les deux formes d’obligations, la CIJ ne semble recourir à aucun critère unique et procède au cas par cas en interprétant les dispositions concernées. James Crawford, dans les travaux préparatoires du projet de 2001, affirmait en ce sens que “bien qu’il soit possible de classer exactement certaines obligations […] et bien que cela puisse éclairer le contenu ou l’application des règles en question, une telle classification ne saurait remplacer l’interprétation et l’application des règles elles-mêmes, compte tenu de leur contexte, de leur objet et de leur but.”Footnote 85

Il ne faudrait donner à cette dichotomie plus de valeur qu’elle ne mérite et ne peut apporter. Nous l’avons dit, elle ne termine pas de décrire les obligations internationales. Ainsi, une obligation peut bien être “de résultat” mais aussi facultative; ou associée à une condition suspensive; elle paraîtra alors bien moins “contraignante” que certaines obligations de comportement. Ainsi, cette typologie des obligations coexiste avec d’autres. Elle n’est pas toujours exclusive d’autres catégories parmi lesquelles il est possible de “ranger” les obligations internationales et qui peuvent aussi apporter de précieux éléments quant à l’appréciation de leur respect. On pense notamment à l’étude des obligations complexes (obligations conjonctives, alternatives ou facultatives), et même des obligations modales (obligations conditionnelles, obligations à terme), particulièrement éclairante dans l’analyse des devoirs internationaux.

Enfin, affirmer la pertinence de la distinction ne signifie pas qu’elle soit aisée à effectuer en toutes circonstances ou qu’elle n’est pas évolutive. En effet, rien n’impose l’immobilisme: certaines obligations peuvent, avec le temps, changer de catégorie.Footnote 86 Une obligation de comportement imprécise peut, par touches successives, se “transformer” en des sous-obligations dont certaines sont de résultat. On prend souvent l’exemple proverbial du médecin, qui n’aurait qu’une obligation de moyens. Or, certaines prestations médicales sont, en droit français, de résultat. Il est donc tout à fait possible que dans un ensemble d’obligations complexes, certaines imposent un résultat et d’autres non. Dans son récent cours à l’Académie de droit international de La Haye sur les obligations de due diligence, Samantha Besson explique, en ce sens, qu’il “ne faut pas exclure, cependant, qu’il puisse [exister des] obligations de résultat comprenant un volet comportemental soumis au standard de comportement qu’est la due diligence.Footnote 87

References

1 Joe Verhoeven, “Considération sur ce qui est commun: Cours général de droit international public” (2002) 334 Rec des Cours 9 à la p 112; Mohamed Bennouna, “Le droit international entre la lettre et l’esprit: Cours général de droit international public” (2017) 383 Rec des Cours 9 à la p 91.

2 Jean Combacau, “Obligations de résultat et obligations de comportement: Quelques questions et pas de réponse” dans Daniel Bardonnet et al, dir, Le droit international, unité et diversité: Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, 181; Pierre-Marie Dupuy, “Reviewing the Difficulties of Codification: On Ago’s Classification of Obligations of Means and Obligations of Result in Relation to State Responsibility” (1999) 10:2 EJIL 371. Pour des études plus récentes, voir Benoit Mayer, “Obligations of Conduct in the International Law on Climate Change: A Defence” (2018) 27:2 RECIEL 130; Rüdiger Wolfrum, “Obligation of Result versus Obligation of Conduct: Some Thoughts About the Implementation of International Obligations” dans Mahnoush H Arsanjani et al, dir, Looking to the Future: Essays on International Law in Honor of W Michael Reisman, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff, 2011, 363; Andrea Gattini, “Breach of International Obligations” dans André Nollkaemper et Ilia Plakokefalos, dir, Principles of Shared Responsibility in International Law: An Appraisal of the State of the Art, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, 25.

3 Voir Carlo Santulli, Introduction au droit international, Paris, Pedone, 2013 à la p 197.

4 Par ex, Usines de pâte à papier (Argentine c Uruguay), [2010] CIJ Rec 14 à la p 77 [Usines de pâte à papier].

5 (2001) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 26–27.

6 Le texte des articles adoptés en première lecture est reproduit dans (1996) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 62 et s. Les commentaires de ses dispositions doivent être recherchés dans les sessions précédentes de la Commission, notamment, pour ce qui nous concerne, (1977) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 13 et s; (1978) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 91 et s.

7 Reuter, Paul, “Principes de droit international public” (1961) 106 Rec des Cours 425 à la p 472 (italiques dans l’original).Google Scholar

8 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c Serbie-et-Monténégro), [2007] CIJ Rec 43 à la p 221 [Application de la convention de genocide].

9 Jean Salmon, dir, Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2000 à la p 766.

10 Nous pensons en revanche que l’on devrait être prudent à utiliser de manière synonymique les notions d’obligation de due diligence et de comportement/moyens. Voir Samantha Besson, “La due diligence en droit international” (2020) 409 Rec des cours 153 à la p 254.

11 Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c Grèce), [2011] CIJ Rec 644 à la p 667 [Application de l’accord intérimaire].

12 Application de la convention de genocide, supra note 8 à la p 221.

13 Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c États-Unis d’Amérique), [2009] CIJ Rec 3 à la p 12 [Affaire Avena].

14 Ibid à la p 17. Voir aussi Jadhav (Inde c Pakistan), [2019] CIJ Rec 418 à la p 458 [Jadhav].

15 LaGrand (Allemagne c États-Unis d’Amérique), ordonnance du 3 mars 1999, [1999] CIJ Rec 9 à la p 16 [LaGrand 1999]. Voir aussi Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c États-Unis d'Amérique), ordonnance du 9 avril 1998, [1998] CIJ Rec 248 à la p 258.

16 LaGrand (Allemagne c États-Unis d’Amérique), [2001] CIJ Rec 466 à la p 507 [LaGrand 2001].

17 LaGrand 1999, supra note 15 à la p 16.

18 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c France), [2008] CIJ Rec 177 à la p 221 [Entraide judiciaire].

19 Ibid à la p 222.

20 Usines de pâte à papier, supra note 4 à la p 77.

21 Ibid.

22 Ibid à la p 79.

23 Voir notamment Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c Slovaquie), [1997] CIJ Rec 7 à la p 77: “[L]es parties ont accepté d’assumer des obligations de comportement, des obligations de faire et des obligations de résultat.”

24 Par ex, Opinion individuelle du juge Schwebel dans l’affaire Elettronica Sicula (ELSI) (États-Unis d’Amérique c Italie), [1989] CIJ Rec 15 aux pp 115 et s.

25 Par ex, Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, Avis consultatif, [2015] TIDM Rec 4 à la p 40; Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, Avis consultatif, [2011] TIDM Rec 10 à la p 41.

26 Par ex, Proceedings pursuant to the OSPAR Convention (Irlande c Royaume-Uni) (2003), 23 RSA 59 à la p 101.

27 Jadhav, supra note 14 à la p 446. Convention de Vienne sur les relations consulaires, 24 avril 1963, 596 RTNU 261 (entrée en vigueur: 19 mars 1967).

28 Philippe Gautier, “On the Classification of Obligations in International Law” dans Holger P Hestermeyer et al, dir, Coexistence, Cooperation and Solidarity: Liber Amicorum Rüdiger Wolfrum, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff, 2012, 853 à la p 856.

29 Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, Avis consultatif, [1999] CIJ Rec 62 à la p 88.

30 Trafic ferroviaire entre la Lithuanie et la Pologne (1931), Avis consultatif, CPJI (série A/B), n° 42 à la p 116.

31 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c Kenya), [2017] CIJ Rec 3 à la p 37. Voir aussi Usines de pâte à papier, supra note 4 à la p 68. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, 1834 RTNU 3 (entrée en vigueur: 16 novembre 1994).

32 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] CIJ Rec 226 à la p 264 [Licéité d’armes nucléaires]. Voir aussi Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c Chili), [2018] CIJ Rec 507 à la p 539.

33 Licéité d’armes nucléaires, supra note 32 à la p 264. Voir aussi Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c Royaume-Uni), [2016] CIJ Rec 833 à la p 844.

34 Combacau, supra note 2 à la p 196.

35 Pierre-Marie Dupuy, “Le fait générateur de la responsabilité internationale des États” (1984) 188 Rec des Cours 9 à la p 47. Voir aussi, par ex, Riccardo Pisillo Mazzeschi, “Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme” (2008) 333 Rec des Cours 175 à la p 284.

36 Voir James Crawford, “Deuxième rapport sur la responsabilité des États” (1999) 2:1 Ann CDI 3 à la p 23.

37 (1977) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 15, 20. Ce critère n’est pas ignoré de la doctrine interniste française, et a notamment été proposé par J Frossard dans un ouvrage de 1965 (La distinction entre les obligations de moyens et de résultat, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1965).

38 Dupuy, supra note 2 à la p 375.

39 Et notamment si son intérêt réside uniquement dans l’exigence d’épuiser les voies de recours interne. Voir Hélène Raspail, Le conflit entre droit interne et obligations internationales de l’État, thèse, Paris II, 2011, à la p 36. Voir aussi Mazzeschi, supra note 35 aux pp 271 et s.

40 Raspail, supra note 39 à la p 38.

41 (1977) 2:2 Ann CDI 1 à la p 17.

42 Ibid à la p 24.

43 Ibid à la p 29. À noter, cependant, que pour les obligations de résultat de prévenir un événement donné (article 23), un critère supplémentaire s’ajoute (un “lien de causalité indirect”). (1978) 2:2 Ann CDI 1 à la p 93.

44 Jean Salmon, “Le fait illicite complexe: une notion contestable” (1982) 28 AFDI 709 à la p 719.

45 (1977) 2:2 Ann CDI 1 aux pp 28–29.

46 Voir texte accompagnant les notes 7580 ci-dessous.

47 Voir cependant, la position moins nette adoptée par la Commission du droit international (CDI) sous l’article 23, dans (1978) 2:2 Ann CDI 1 à la p 93. La CDI affirme que l’on doit effectuer “la comparaison entre le comportement effectivement adopté par l’État et celui qu’en l’occurrence on aurait pu raisonnablement s’attendre qu’il adopte pour éviter la survenance de l’évènement.” Cela évoque plutôt une obligation de comportement. À propos des obligations de prévention, voir Tiphaine Demaria, “Réflexions sur les obligations de prévention et de diligence requise en droit de la responsabilité internationale” (2019) 65 AFDI 51 à la p 55.

48 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 RTNU 331 (entrée en vigueur: 27 janvier 1980).

49 Philippe le Tourneau, dir, Droit de la responsabilité civile et des contrats. Régimes d’indemnisation, Paris, Dalloz, 2020 à la p 1327. Affirmant que le critère du risque ne devrait être utilisé que dans les situations où les règles d’interprétation ne permettent pas de résoudre la difficulté, voir Constantin Economides, “Content of the Obligation: Obligations of Means and Obligations of Result” dans James Crawford, Alain Pellet et Simon Olleson, dir, The Law of International Responsibility, New York, Oxford University Press, 2010, 371 à la p 379. Voir aussi Combacau, supra note 2 à la p 195.

50 Même s’ils n’ont pas tous retenus l’attention de la jurisprudence, les auteurs mentionnent, outre l’aléa: des critères s’attachant à la personnalité du débiteur (professionnel; obligation à titre gratuit, etc.) — qui était le critère de Demogue — ou du créditeur (obligations relatives à l’intégrité matérielle ou corporelle, rôle de la victime, etc.). Le critère de la participation active du créancier semble utilisé par la jurisprudence, conjointement avec celui du risque. Voir Mustapha Mekki, “La distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat: esquisse d’un art” (2013) 7 Revue de droit d’Assas 77 à la p 80.

51 Licéité d’armes nucléaires, supra note 32 à la p 264.

52 Application de l’accord intérimaire, supra note 11 aux pp 666–67.

53 Usines de pâte à papier, supra note 4 à la p 77. Statut du fleuve Uruguay de 1975, 26 février 1975, 1295 RTNU 331 (entrée en vigueur: 18 septembre 1976).

54 Entraide judiciaire, supra note 18 à la p 222.

55 LaGrand 2001, supra note 16 à la p 507.

56 Affaire Avena, supra note 13 à la p 17.

57 Licéité d’armes nucléaires, supra note 32 à la p 264.

58 Usines de pâte à papier, supra note 4 à la p 83.

59 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c Costa Rica), [2015] CIJ Rec 665 à la p 706. Voir aussi Usines de pâte à papier, supra note 4 aux pp 82–83.

60 Serena Forlati, “L’objet des différentes obligations primaires de diligence: prévention, cessation, répression?” dans Sarah Cassella, dir, Le standard de due diligence et la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 2018, 39 à la p 46. En ce sens, voir Besson, supra note 10 à la p 325.

61 Usines de pâte à papier, supra note 4 à la p 77.

62 Par ex, Economides, supra note 49 à la p 379. Voir aussi Mazzeschi, supra note 35 à la p 237.

63 Paul Reuter, La responsabilité internationale: Problèmes choisis, Cours de DES droit public, 1955–56 à la p 57, cité par Salmon, supra note 44 à la p 725. Ce cours est reproduit dans Paul Reuter, Le développement de l’ordre juridique international: Écrits de droit international, Paris, Economica, 1995 aux pp 377–571.

64 Combacau, supra note 2 à la p 196.

65 Ibid. Voir aussi, par ex, Irini Papanicolopulu, “Due Diligence in the Law of the Sea” dans Heike Krieger, Anne Peters et Leonhard Kreuzer, dir, Due Diligence in the International Legal Order, Oxford, Oxford University Press, 2020, 147 à la p 156.

66 Economides, supra note 49 à la p 377. Par ex, si un aéronef militaire d’un État A pénètre sur le territoire d’un État B sans son consentement, cette violation de l’obligation (de résultat) de respecter la souveraineté territoriale de l’État B pourrait être justifiée par une situation de détresse, prévue à l’article 24 des articles de la CDI de 2001. (2001) 2:2 Annuaire de la CDI 1 à la p 83.

67 Santulli, supra note 3 à la p 197.

68 Economides, supra note 49 à la p 377.

69 Affaire Avena, supra note 13 aux pp 12, 17 [nos italiques].

70 Licéité d’armes nucléaires, supra note 32 à la p 264.

71 LaGrand 1999, supra note 15 à la p 16.

72 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c Sénégal), [2012] CIJ Rec 422 à la p 456.

73 Crawford, supra note 36 à la p 23: “[I]l est clair que les obligations de résultat sont plus lourdes et que leur violation est donc plus facile à établir que dans le cas des obligations de comportement ou de moyens.”

74 Papanicolopulu, supra note 65 à la p 150.

75 Voir Application de la convention de genocide, supra note 8 à la p 221. Voir aussi l’art 14 des articles de la CDI sur la responsabilité des États. (2001) 2:2 Ann CDI 1 à la p 62.

76 Dupuy, supra note 2 à la p 379.

77 Application de l’accord intérimaire, supra note 11 à la p 688.

78 Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis c Iran), [1980] CIJ Rec 3 à la p 31.

79 Application de la convention de genocide, supra note 8 à la p 225.

80 Ibid.

81 À ce sujet, voir Pierre d’Argent et Alexia de Vaucleroy, “Le contenu de l’omission illicite: la non-utilisation de moyens raisonnables” dans Cassella, supra note 60, 255.

82 En ce sens, Crawford, supra note 36 à la p 31.

83 Wolfrum, supra note 2. En ce sens, selon Crawford, supra note 36 à la p 31: “[D]ans la pratique, les obligations de comportement et les obligations de résultat offrent plutôt l’aspect d’un spectre que d’un contraste bien tranché.”

84 Mayer, supra note 2 à la p 130.

85 Crawford, supra note 36 à la p 29.

86 Economides, supra note 49 à la p 380.

87 Besson, supra note 10 à la p 254.