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Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, 3e édition

Published online by Cambridge University Press:  19 September 2006

Sébastien Dubé
Affiliation:
Université de Montréal
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Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, 3eédition, Pierre Martin, Paris : Montchrestien, 2006, 156 pages.

Dans la troisième édition de son ouvrage Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Pierre Martin avance deux idées principales. La première est que les modes de scrutin sont les produits des systèmes politiques “ et vice versa ” (p. 10). Par cette position, l'auteur rejette le déterminisme sous-jacent à certaines études sur les modes de scrutin qui tendent à “ surestimer leur effet ” (p. 135). Après tout, analyse-t-il, “ [l]eur influence sur la structuration des systèmes partisans et la répartition des votes des électeurs entre les partis est faible et absolument pas décisive. ” La deuxième idée, complémentaire de la précédente, soutient que “ les systèmes partisans résultent principalement de l'influence de la sociologie et de l'histoire ” (p. 113).

Type
BOOK REVIEWS
Copyright
© 2006 Cambridge University Press

Dans la troisième édition de son ouvrage Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Pierre Martin avance deux idées principales. La première est que les modes de scrutin sont les produits des systèmes politiques “ et vice versa ” (p. 10). Par cette position, l'auteur rejette le déterminisme sous-jacent à certaines études sur les modes de scrutin qui tendent à “ surestimer leur effet ” (p. 135). Après tout, analyse-t-il, “ [l]eur influence sur la structuration des systèmes partisans et la répartition des votes des électeurs entre les partis est faible et absolument pas décisive. ” La deuxième idée, complémentaire de la précédente, soutient que “ les systèmes partisans résultent principalement de l'influence de la sociologie et de l'histoire ” (p. 113).

La thèse de Martin naît de l'observation que des modes de scrutin similaires ne donnent pas des systèmes partisans semblables dans tous les États. D'où la nécessité de chercher des facteurs explicatifs ailleurs que dans les institutions et les structures électorales.

Si son observation paraît juste, la solution qu'il propose reste toutefois à développer. En effet, la divergence des résultats amène Martin à remplacer l'idée d'effet de “ conditionnement ” des modes de scrutin sur les systèmes partisans par celle de “ correspondances ” (p. 135). La formule a certes l'avantage de permettre plus de souplesse et d'intégrer les cas déviants; cependant, le problème est alors transposé au niveau théorique : combien faut-il de cas qui ne correspondent pas aux “ lois ” pour être contraint de passer de la causalité à la corrélation? Et quelle amplitude la divergence doit-elle atteindre pour remettre ces lois en cause? Après tout, suffit-il de démontrer que, dans certains cas, les modes de scrutin proportionnels—lorsque la magnitude est faible—donnent des résultats à peu près similaires aux modes de scrutin majoritaires pour rejeter la logique causale dans l'étude des effets des modes de scrutin sur les systèmes partisans?

Parallèlement aux modes de scrutin, la sociologie et l'histoire ont également un effet structurant sur les systèmes partisans. En fait, ce sont ces dernières qui sont à la base de leur formation, les modes de scrutin n'ayant qu'un “ effet de frein ou d'accélérateur sur les phénomènes sociaux. ” En guise d'exemple, Martin affirme que la montée du Parti travailliste aux dépens du Parti libéral en Grande-Bretagne résulte bien plus des profonds changements socioéconomiques de la société britannique que du mode de scrutin. Même chose pour le réalignement électoral qu'a connu le Québec avec la montée du Parti québécois aux dépens de l'Union nationale. Martin avance que, dans ce processus, “ Le mode de scrutin (…) n'a pas joué un rôle moteur, il n'a pas provoqué le changement partisan, mais il a joué un rôle de frein ou d'accélérateur. C'est la montée des aspirations à l'indépendance et le recul du conservatisme au sein de la société québécoise qui ont provoqué l'apparition du Parti québécois et le déclin en voix de l'Union nationale après l'élection de 1966 que celle-ci avait gagnée avec une minorité de suffrages en raison de l'injustice du mode de scrutin. ” (pp. 114–115).

D'autres facteurs souvent négligés par les politologues ont aussi un effet sur les systèmes partisans. En effet, l'auteur jette un éclairage original sur les répercussions des règles institutionnelles—notamment celles qui régissent le fonctionnement des parlements et l'adoption des lois—comme facteurs structurants des systèmes partisans. Ainsi, la grande “ instabilité ” politique qu'a connue l'Italie entre 1945 et 1993, avec ses fréquents changements de gouvernement, était attribuable, selon Martin, à “ [l]a règle de vote à bulletin secret pour l'adoption des lois au sein des assemblées italiennes ” qui minait la discipline de parti, et non au mode de scrutin proportionnel qui aurait été “ loin de jouer un rôle négatif durant cette période ” (p. 129).

Il est dommage que l'argument théorique fort intéressant de l'auteur n'occupe que le dernier quart des quelque 150 pages que compte le livre, le reste de l'ouvrage étant plutôt consacré à une description des modes de scrutin et de leurs effets. Dans la première partie, Martin nous ramène cependant aux sources de la dynamique électorale avec une description des progrès historiques de la représentativité électorale. Bien que l'auteur parle d'une évolution marquée de “ progrès et de reculs ”, son propos a une dimension téléologique qui porte à soupçonner que, dans son esprit, nous avons en quelque sorte atteint “ la fin de l'histoire ” en matière de représentativité électorale dans les démocraties occidentales à mode de scrutin proportionnel. Et ce, bien que la représentativité demeure “ un idéal (…qui…) ne peut être atteint ” (p. 9). Si l'on en croit Martin, deux raisons expliquent l'impossibilité d'atteindre une totale représentativité. La première est le manque de volonté des élites favorisées par les modes de scrutin peu ou non proportionnels. La seconde est qu'il faut faire un compromis raisonnable entre, d'une part, la liberté de choix des électeurs et, d'autre part, l'évitement d'un “ nombre excessif de candidatures ” (p. 25).

Les trois parties qui forment le cœur de l'ouvrage, portent sur les grandes catégorisations classiques des modes de scrutin : majoritaires; proportionnels et mixtes. Plus descriptives, ces sections démontrent que la fonction dualiste de la démocratie représentative (désignation des dirigeants et représentation de la société) donne naissance à un très grand nombre de formules électorales. Bien qu'il ait recours à cette typologie classique, Martin l'estime erronée car elle repose sur des niveaux d'analyse différents; le terme “ majoritaire ” sert en effet à désigner le résultat courant de ce mode de scrutin alors que le terme “ proportionnel ” renvoie à l'objectif d'assurer la plus grande symétrie possible entre la part de votes obtenus et la part de sièges attribués aux partis politiques (p. 103). Pour l'auteur, la typologie classique a donc le désavantage de traiter les conséquences et les objectifs des modes de scrutin comme des éléments semblables. Cette façon de procéder cache le fait que les scrutins majoritaires et proportionnels ne reposent pas sur la même vision de la vie politique : “ Les scrutins majoritaires correspondent à des systèmes d'affrontement et les scrutins proportionnels à des systèmes de coopération. ” (p. 133).

Traiter d'un sujet aussi vaste, dans une perspective comparée, en moins de 150 pages (d'un format poche) relève pratiquement de l'exploit. Dans les trois parties décrivant les différents modes de scrutin, chaque formule est décrite de façon très succincte et est, le cas échéant, expliquée avec des exemples concrets tirés le plus souvent de France mais aussi parfois de pays des Amériques ou d'Asie. La recherche est donc fouillée et ce, tant dans le temps que dans l'espace. Le propos est généralement clair et précis, chacune des cinq parties de l'ouvrage contenant beaucoup de sections très courtes ou de paragraphes faisant d'ailleurs moins d'une page. La clarté et l'étendue du sujet sont donc valorisés mais au prix d'explications parfois très sommaires.

Cela dit, l'ouvrage sera peut-être plus utile aux néophytes qu'aux chercheurs aguerris puisqu'il se résume aux grandes lignes et aux principales conséquences des formules électorales. Le lecteur y trouvera certes de courts résumés utiles mais il devra sans doute compléter sa recherche par d'autres ouvrages. Finalement, le caractère descriptif des trois sections sur les modes de scrutin en fait une source précieuse pour tout professeur désirant ajouter des sources bibliographiques qui fassent, en français, un portrait exhaustif des différentes formules électorales. Il est toutefois à souhaiter qu'une éventuelle quatrième édition comporte également un index des modes de scrutin et des formules électorales en vigueur dans les différents régimes démocratiques du globe.

Un autre auditoire pourra également trouver le livre de Pierre Martin très instructif. En fait, tous ceux qui suivent de près ou de loin les débats sur les réformes des modes de scrutin au Canada y trouveront des éléments intéressants. Les partisans des réformes découvriront qu'un large éventail d'options s'offre à eux, alors que les partisans du statu quo seront sans doute rassurés d'apprendre que ces éventuelles réformes ne changeront pas toute la dynamique politique du jour au lendemain.