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Petites sociétés et minorités nationales. Enjeux politiques et perspectives comparées.

Published online by Cambridge University Press:  15 March 2006

Marie-Joie Brady
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Petites sociétés et minorités nationales. Enjeux politiques et perspectives comparées., Jacques L. Boucher et Joseph Yvon Thériault (dir.), Sainte-Foy : Presses de l'Université du Québec, 2005, 398 p.

La diversité culturelle qui meuble et module les sociétés du monde s'exprime par plusieurs moyens, tels la politique de l'identité, la mobilisation de mouvements sociaux, l'élaboration des politiques publiques qui la gèrent ou le développement d'un discours des droits auquel les politiciens et les tribunaux font écho. Elle fait l'objet d'une attention soutenue dans le contexte des petites sociétés et des minorités nationales, qui sont constamment confrontées à leur condition minoritaire ou précaire de par leur position géopolitique ou de par leur diversité interne en conséquence de mouvements migratoires, de conquêtes, de colonisations ou de partitions. La mondialisation complique encore les choses, en provoquant une transformation des rapports de pouvoir, un repositionnement territorial de ceux-ci et une transformation du rôle de l'État et de la société. Tel est le contexte de la discussion proposée dans le recueil de Jacques L. Boucher et Joseph Yvon Thériault, intitulé Petites sociétés et minorités nationales. Enjeux politiques et perspectives comparées. Le volume rassemble une série de textes, eux-mêmes présentés lors d'un congrès tenu à Ottawa et Gatineau, à l'été 2002, tel qu'on nous le rappelle dans les détails bibliographiques. Démontrant une multidisciplinarité utile à la compréhension des nombreux enjeux propres aux petites sociétés, le volume propose une discussion de ces enjeux à partir de la situation du Québec et des communautés minoritaires ailleurs au Canada, ainsi que de celle de sociétés d'Europe et d'Asie. La mondialisation représente la trame de fond principale des débats, car elle transforme les capacités des petites sociétés, les forums vers lesquels elles se tournent pour faire entendre leurs revendications et la nature même de ces revendications. De plus, la mondialisation entraîne une restructuration de leur société civile et par conséquent l'apparition de nouveaux lieux et formes de conflits.

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BOOK REVIEWS
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© 2006 Cambridge University Press

La diversité culturelle qui meuble et module les sociétés du monde s'exprime par plusieurs moyens, tels la politique de l'identité, la mobilisation de mouvements sociaux, l'élaboration des politiques publiques qui la gèrent ou le développement d'un discours des droits auquel les politiciens et les tribunaux font écho. Elle fait l'objet d'une attention soutenue dans le contexte des petites sociétés et des minorités nationales, qui sont constamment confrontées à leur condition minoritaire ou précaire de par leur position géopolitique ou de par leur diversité interne en conséquence de mouvements migratoires, de conquêtes, de colonisations ou de partitions. La mondialisation complique encore les choses, en provoquant une transformation des rapports de pouvoir, un repositionnement territorial de ceux-ci et une transformation du rôle de l'État et de la société. Tel est le contexte de la discussion proposée dans le recueil de Jacques L. Boucher et Joseph Yvon Thériault, intitulé Petites sociétés et minorités nationales. Enjeux politiques et perspectives comparées. Le volume rassemble une série de textes, eux-mêmes présentés lors d'un congrès tenu à Ottawa et Gatineau, à l'été 2002, tel qu'on nous le rappelle dans les détails bibliographiques. Démontrant une multidisciplinarité utile à la compréhension des nombreux enjeux propres aux petites sociétés, le volume propose une discussion de ces enjeux à partir de la situation du Québec et des communautés minoritaires ailleurs au Canada, ainsi que de celle de sociétés d'Europe et d'Asie. La mondialisation représente la trame de fond principale des débats, car elle transforme les capacités des petites sociétés, les forums vers lesquels elles se tournent pour faire entendre leurs revendications et la nature même de ces revendications. De plus, la mondialisation entraîne une restructuration de leur société civile et par conséquent l'apparition de nouveaux lieux et formes de conflits.

Le volume s'ouvre sur un préambule de Joseph Yvon Thériault (p. xi–xx). La question des petites nations ou petites sociétés y est identifiée comme la question politique de notre époque, le lieu où s'incarnent les débats centenaires entre civilisation et culture et qui, ultimement, pose la question de la diversité culturelle. Le texte de présentation (p. 1–7) explique ensuite que les petites sociétés ont en commun non seulement une conscience “ de la fragilité du destin historique ” (2), mais servent aussi de révélateurs de domination sociale et de lieux de créativité face à la marginalisation. La première partie du livre s'intitule “ Le Québec comme petite société ”. Claude Bariteau (p. 11–25) propose d'abord une approche contextualiste et multidisciplinaire afin d'étudier les effets de la mondialisation sur la capacité des minorités nationales d'accéder à l'indépendance. Il distingue, dans les mouvements nationalitaires, ceux qui ont des revendications autonomistes et ceux qui visent une accession à la souveraineté. Ceci l'amène à se pencher sur les différentes réponses que provoquent de telles revendications et sur leur évolution depuis le 11 septembre 2001. Micheline Labelle (p 27–47) réfléchit d'un point de vue postcolonialiste aux mécanismes d'exclusion ou d'incorporation segmentée et aux rapports de pouvoir propres à ceux-ci, au sein des sociétés en général. Elle analyse les ramifications idéologiques de ces mécanismes et la force subversive des regroupements minoritaires. Elle se penche ainsi sur le cas du Québec et sur son projet d'indépendance où elle identifie certaines tendances à l'incorporation segmentée et discute du déficit démocratique qu'une absence de reconnaissance de la diversité provoque à l'égard de ce projet. Michel Seymour (p. 49–66) utilise une perspective normative et communautarienne et défend la nécessité pour le Québec de sauvegarder les droits de sa minorité anglophone. En contrepartie, cette dernière doit reconnaître le droit collectif de la société québécoise de protéger son caractère francophone et de promouvoir le français comme langue publique commune. Il définit ainsi les bases d'une politique de la reconnaissance réciproque dans le contexte québécois. Joseph Yvon Thériault offre un second texte (p. 67–77) qui reprend sa critique de la thèse de l'américanité du Québec (voir son livre Critique de l'américanité) pour réclamer une revalorisation de la spécificité, de la fragilité et de la petitesse québécoise et canadienne-française.

La deuxième partie du volume porte sur les “ petites sociétés à l'Est ”. Svetla Koleva (p 81–96) utilise l'approche de la sociologie réflexive et de l'épistémologie réaliste. Elle se penche sur la production du savoir sociologique en Europe de l'Est et centrale depuis 1989 et sur les efforts d'internationalisation de cette science fortement marquée par ses particularités culturelles et nationales. Elle discute des défis liés à l'internationalisation et l'institutionnalisation et des risques d'homogénéisation propres à un savoir scientifique en (re)construction. Liliana Deyanova (p. 97–109) examine la formulation du discours sur la gestion de la diversité ethnoculturelle en Bulgarie et le manque de transparence dans la production de la connaissance concernant cette problématique. Elle soutient que la prédominance des think tanks et l'importation de concepts étrangers obstruent l'horizon épistémologique et limitent le développement d'une véritable sphère publique de participation démocratique. Vladimir A. Kolossov et Tamara A. Galkina (p. 111–132) se tournent vers l'analyse quantitative pour étudier les rapports interethniques dans une région du Caucase du Nord et l'influence des mouvements migratoires et démographiques sur des communautés rurales et victimes du chômage. Lidija Hristova (p. 133–150) développe un modèle de compréhension des rapports interethniques dans les Balkans en général et en Macédoine en particulier. Ce modèle comporte trois aspects : l'étude des caractéristiques socioculturelles et démographiques, la prise en compte du contexte postcommuniste et l'appréciation de l'insertion de ces communautés dans un ordre géo-politique mondial. Anna Krasteva (p. 151–167) conclut cette partie du livre par une approche foucaldienne qui éclaire trois modes discursifs de gestion des différences interculturelles en Bulgarie : nommer, compter et se taire. Elle démontre le caractère performatif du langage dans le contexte des mécanismes d'inclusion/exclusion de la diversité et sa récupération par les élites politiques.

Dans la troisième partie, “ Identité et politique des dynamiques comparatives ”, Vincent Berdoulay et Montserrat Morales (171–185) analysent tout d'abord la construction du sujet en Catalogne et au Chiapas. À leur avis, le Chiapas semblerait plus apte à faire face à la mondialisation en sauvegardant sa spécificité culturelle que la Catalogne, qui se serait engagée sur le sentier de la folklorisation de sa culture. François-Pierre Gingras (p. 187–206) examine la géométrie des appartenances plurielles à l'aide de résultats de sondages effectués en France, en Belgique et au Canada. Il identifie quatre modèles de configurations d'identification : identités aux traits d'appartenance séparée, qui se recoupent partiellement, qui sont encastrées et qui se fondent l'une dans l'autre. Stéphane Paquin (p. 207–228) étudie l'importance de la paradiplomatie subétatique dans le contexte de la mondialisation, au Québec et en Catalogne, et sa pratique dans le contexte des incitations au commerce et à l'investissement et de la promotion d'une identité nationale. Il démontre la normalisation de ce phénomène et discute des obstacles à sa reconnaissance par les États à l'intérieur desquels ces minorités nationales se situent.

Dans la partie intitulée “ Peuples minoritaires ”, Rodolphe de Koninck et Yann Roche (p. 231–246) empruntent à l'ethnographie et à la géographie pour analyser la pression de la mondialisation sur les communautés minoritaires au Vietnam et en Indonésie. Ils examinent les effets sur la répartition démographique des nouvelles structures commerciales et de la modification de l'équilibre écologique et culturel imposées par la mondialisation. André Magord (p. 247–262) propose une analyse critique inspirée de la psychologie sociale pour évaluer les succès et les revers de l'établissement du Nunavut. Il observe une inadéquation entre le système mis en place et les objectifs des Inuit, en plus de noter que l'institutionnalisation au Nunavut se fait selon la norme canadienne, perpétuant ainsi une entreprise coloniale. Barbara Loyer (p. 263–280) se penche sur les relations tendues, qui émanent du discours et de la mobilisation nationalistes au Pays-Basque, entre le “ peuple basque ” compris comme les militants nationalistes et les “ citoyens basques ” compris comme les Basques de toutes allégeances politiques.

La dernière partie du volume s'intitule “ Les modèles de développement ”. Jacques L. Boucher (p. 283–303) y offre en premier une réflexion inspirée de l'approche des mouvements sociaux. Il examine la particularité du rôle et du pouvoir des mouvements sociaux au Québec, en observant les syndicats et les mouvements communautaires oeuvrant dans le logement social. Leur contribution à la mise en place d'un nouveau modèle de développement est présentée comme une troisième voie (ni fordiste, ni postfordiste) qui permet de penser de nouvelles formes d'action collective et de définir un nouveau rôle de coordination du développement et de la gouvernance. Les mouvements sociaux étudiés évitent ainsi de se faire absorber par le néolibéralisme et parviennent à maintenir une certaine autonomie dans la structure sociale. Daniel Tremblay (p. 305–315) poursuit la réflexion sur les modèles de développement et analyse l'idée de la “ société active ” comme paradigme de développement socio-économique et politique. Il se penche sur les présupposés qui se cachent derrière cette conceptualisation et sur la redéfinition qu'elle entraîne des modèles territoriaux et nationaux de développement. Paul Brochu (p. 317–333) utilise la sociologie économique et étudie le cheminement de la Fédération des caisses d'économie du Québec et l'évolution de son discours de légitimisation à travers son insertion dans le paradigme du capitalisme d'accumulation. À partir de la géographie structurale, Serge Gagnon (p. 335–350) examine le lien historique entre la mise en image du paysage de certaines régions du Québec, le développement touristique et l'appropriation nationaliste du territoire québécois. Il se penche sur les mécanismes de façonnement du paysage et les efforts d'appropriation et d'occupation des régions à la lumière des pressions géopolitiques. Mileva Gurovska (p. 351–363) s'inspire de la sociologie économique pour proposer une lecture culturaliste de l'imbrication de l'économie dans la société et la culture. Elle utilise la typologie de Hofstede sur la culture organisationnelle (dont les critères d'évaluation sont basés sur la perception du pouvoir et de l'autorité, sur le collectivisme et l'individualisme, sur la culture féminine et masculine et sur le rapport à l'insécurité) pour analyser la forme que prend la transition économique et politique en Macédoine. David Welch (p. 365–380) analyse comment la communauté franco-ontarienne fait face à la mondialisation et au néolibéralisme en développant une approche de l'économie sociale. Il soutient que cette approche est porteuse d'un élan démocratique et contribue au développement de solidarités locales qui participent à la prise d'autonomie par rapport à l'État. Guy Chiasson (p. 381–395) conclut ce volume en identifiant l'arrivée d'un deuxième modèle de développement au Québec, qui fait suite à celui de la Révolution tranquille. Il estime que la façon dont les fusions municipales se sont effectuées est anachronique dans le contexte de ce deuxième modèle, puisqu'elles font appel à une logique de centralisation propre au premier modèle, plutôt qu'à une logique de décentralisation, de concertation et de diversification typique du deuxième modèle.

L'ensemble des textes rassemblés dans le volume de Boucher et Thériault présente un portrait hétérogène des défis que rencontrent les petites sociétés. Au niveau théorique, ce recueil rassemble un ensemble de perspectives, ce qui prépare le terrain pour une discussion fondamentale, en français faut-il le dire, sur la capacité qu'ont ces petites sociétés de faire face à un contexte de mondialisation et de développer des outils propres à leur spécificité. La discussion doit cependant se poursuivre pour mieux identifier les rapports de pouvoir dans lesquels ces sociétés s'inscrivent et ainsi mieux apprécier leur contribution à un environnement géopolitique en mouvance. Au niveau méthodologique, les points forts de ce volume sont son emploi de la méthode comparative et sa division claire en cinq parties. De plus, la définition précise du contexte général des analyses crée un fil conducteur qui permet de lier les différentes approches théoriques et les disciplines à partir desquelles chaque auteur contribue au projet. Le sujet des petites sociétés et minorités nationales est évidemment très vaste; aussi le livre dirigé par Boucher et Thériault ne pouvait-il tout couvrir en détail ni même en passant. Par conséquent, toute critique qui s'attaque à l'absence de telle ou telle problématique est, jusqu'à un certain point, vaine voire même déloyale. Cependant, les discussions proposées dans le volume pointent vers plusieurs questions de recherche, ce qui est effectivement le signe d'un travail utile et bien fait. Par exemple, des articles rassemblés, aucun ne traite de la question des minorités au sein des minorités nationales; donnons comme exemple les communautés autochtones qui varient en taille et en étendue. Ces variations semblent sans importance, mais en réalité elles compliquent la reconnaissance des revendications territoriales de ces “ petites petites sociétés ”, ainsi que la négociation de mesures d'autonomie gouvernementale. Ailleurs dans le monde, on peut se poser la question des défis liés aux diasporas somme toute unies par un parcours historique et une certaine identité culturelle mais séparées par le territoire. Comment faire pour envisager des modes de gestion des demandes et des conflits qui émanent de telles sociétés “ multiterritoriales ”, alors même que le pouvoir se localise, délocalise, relocalise au fil des pressions géopolitiques ? La question du territoire n'est pas suffisamment prise en compte dans le volume dirigé par Boucher et Thériault. Malgré ces observations, leur livre ouvre des pistes de recherche fondamentales pour comprendre les enjeux des petites sociétés. Il est d'une lecture éclairante dans un monde où petites et grandes sociétés semblent capables les unes et les autres de belles et moins belles choses.