La parité, ou l'idée que les sièges dans les assemblées élues devraient être partagés également entre les femmes et les hommes, a fait couler beaucoup d'encre, surtout depuis la première moitié des années 1990. Dans ce contexte d'abondance, l'apport original de L'égalité introuvable est d'étudier cette problématique sous l'angle du processus de légitimation discursive, c'est-à-dire en s'interrogeant sur les normes juridiques et politiques qui ont rendu possible la parité. En d'autres mots, Lépinard cherche à mettre au jour les mécanismes discursifs qui ont permis que la revendication de la parité soit mise en conformité avec les valeurs de la République française, notamment celles de l'égalité formelle de tous les citoyens et de l'universalisme abstrait.
L'auteure est docteure en sociologie de l'École des hautes études en sciences sociales de Paris. Elle a enseigné à l'Université du Québec à Montréal. Outre la représentation politique des femmes, elle s'intéresse aussi aux politiques antidiscriminatoires et au multiculturalisme. Ces champs d'intérêt colorent le jugement critique qu'elle porte sur la revendication de la parité, un jugement qui remet en question la légitimité du primat de la différence des sexes sur tous les autres clivages sociaux décrété par les paritaires.
Entre l'introduction et la conclusion, l'ouvrage compte quatre chapitres. Le premier fait la généalogie de la revendication de la parité. Il montre comment celle-ci a pu bénéficier d'une culture politique de l'égalité des sexes globalisée pour s'imposer dans le contexte français. En effet, à l'échelle internationale, la notion d'égalité des sexes est passée d'une lecture formelle, qui consiste en un traitement identique des femmes et des hommes, à une compréhension substantielle, qui admet un traitement différent de l'un et l'autre sexes pour atteindre une égalité de résultat. La parité devient ainsi non seulement synonyme d'égalité des sexes, mais condition de parachèvement d'un régime véritablement démocratique, c'est-à-dire égalitaire envers les sexes. Le deuxième chapitre porte sur les luttes qui se sont opérées au sein du féminisme français pour donner un sens à la notion de parité. Lépinard rappelle à cette occasion les vieilles (et ô combien toujours actuelles) animosités entre les féministes différencialistes et égalitaristes, radicales et réformistes. Ce sont ces dernières qui tiendront le haut du pavé dans les débats sur la parité. Le troisième chapitre analyse la manière dont les paritaires ont construit le problème de la parité pour le rendre légitime à la doxa républicaine française. Selon Lépinard, la parité a été légitimée d'abord parce qu'elle a été posée en termes généraux et dissociée de la représentation des intérêts “particuliers” des femmes, ensuite parce qu'elle a été présentée comme la réponse à la crise que traverse la démocratie représentative. Le dernier chapitre analyse les débats constitutionnels et parlementaires sur la parité. Hier comme aujourd'hui, le Sénat cache mal son hostilité envers les femmes : qu'il s'agisse des droits d'éligibilité que la Chambre haute leur refusa ou des résistances qu'elle manifesta envers la parité, le Sénat pose un frein à la promotion de la citoyenneté politique des femmes.
Quiconque s'intéresse à la parité ne pourra ignorer L'égalité introuvable. L'approche privilégiée par Lépinard est originale et affirme la raison d'être de ce livre portant sur un sujet qui est maintenant très bien documenté. La facture de l'ouvrage est clairement académique, ce qui en rend la lecture assez ardue, parfois même pénible. Les (trop) nombreuses notes en bas de page accentuent également cette lourdeur. En outre, qui n'est pas au parfum des hauts et des bas du féminisme et du mouvement des femmes en France depuis les années 1970 risque carrément de se perdre en parcourant les pages du livre.
Ce sectarisme qui caractérise trop souvent les ouvrages français détonne avec l'ouverture qu'adopte Lépinard pour mener son analyse. L'intérêt porté par l'auteure aux questions du multiculturalisme n'est probablement pas étranger à sa critique, selon laquelle la primauté donnée à la différence des sexes sur les autres clivages sociaux est difficilement défendable. C'est juste : comment justifier que la différence des sexes soit un critère premier et plus important que les autres marqueurs identitaires? Cette position est, en outre, scandaleusement essentialiste. Lépinard est l'une des rares intellectuelles françaises à oser poser cette question. Qui plus est, pour qui s'intéresse aux problématiques transsexuelles et transgenres, rien n'est moins convaincant que l'existence limitative de deux sexes et de deux genres—deux et pas davantage. Malheureusement, Lépinard n'entre pas sur ce terrain, ce qui est dommage.
Bref, je recommande la lecture de L'Égalité introuvable à qui s'intéresse à la question de la parité et à qui possède un bon bagage de connaissances sur le féminisme français.