Le titre de cet ouvrage collectif reprend le thème d'une journée d'étude organisée en 2002 à Louvain-la-Neuve consacrée à l'Afrique centrale, une région considérée par Jean-Luc Vellut comme le parent pauvre de l'histoire urbaine en Afrique. Ce projet s'est par la suite enrichi de contributions de spécialistes d'autres régions. Ainsi en introduction, Zenep Celik, spécialiste des villes d'Afrique du Nord, propose une lecture stimulante quoique parfois biaisée de l'historiographie des villes d'Afrique subsaharienne. L'auteure synthétise l'essentiel des chapitres et insère ces contributions dans les courants plus généraux de l'histoire urbaine tout en suggérant des rapprochements entre des corpus disciplinaires différents notamment l'architecture et l'histoire sociale. La plupart de ces suggestions sont tout à fait stimulantes. En revanche resituer ‘les sujets africains dans le passé de leur continent, en leur reconnaissant leurs qualités d'agents dynamiques du changement’ (p. 22) ne constitue pas aujourd'hui un ‘renouvellement historiographique’ tant ce projet est partagé depuis bien longtemps par l'immense majorité des historiens travaillant sur l'Afrique.
Le souhait légitime du coordonateur de l'ouvrage de donner une plus grande place à l'Afrique équatoriale risque de décevoir le lecteur. Le premier chapitre est une description ethnologique hors contexte de l'urbanisme des royaumes de la savane du Congo (Rik Ceyssens): seules les notes de bas de page et l'évocation passagère du commerce caravanier laissent suggérer qu'il s'agit du dix-neuvième siècle sans nous permettre pour autant de savoir si ces pratiques urbanistiques royales furent innovantes. De même, les transformations du réseau urbain du Congo de 1958 à 2004 (Léon de Saint Moulin) et ses particularités ne sont pas explicitées: on ne connaîtra donc ni les origines ni les raisons de la macrocéphalie de Kinshasa, de la vertigineuse croissance de Mbuji Mayi (dans le Kasaï oriental) ou de l'explosion urbaine récente de la frontière orientale. Comment ne pas être désemparé par l'absence de critique des sources statistiques (les recensements de la période coloniale et des années 1960 à 1980 sont ‘solidement établis’ [p. 42]) et les erreurs factuelles grossières (‘Kinshasa et Lubumbashi créées en 1941 … Kisangani en 1958 … ’ [p. 62])? L'utilisation d'un corpus de photographies des années 1946–52 de l'agence Photo Presse pour analyser les villes du Congo (Françoise Hiraux) présente un certain intérêt mais nous révèle peu d'éléments nouveaux sur l'iconographie coloniale de l'après guerre. De même l'exploration des liens entre histoire et mémoire à partir des trois expositions de 2000–2001 sur les ‘Mémoires de Lubumbashi’ (Donatien Dibwe dia Mwembu) constitue pour l'essentiel une piste de recherche dont les recommandations (‘s’éloigner de l'historiographie coloniale et recourir aux récits de vie') paraissent trop évidentes aujourd'hui pour être vraiment utiles.
La suggestion initiale d'analyser les liens entre ‘forme et fond des structures urbaines’ est malheureusement peu suivie dans les trois chapitres consacrés à l'architecture. Johan Lagae propose moins une comparaison de Léopoldville et de Bruxelles qu'une analyse des projets avortés des ingénieurs et architectes belges dans la capitale du Congo. L'utilisation de sources exclusivement coloniales et européennes et les poncifs (‘le Belge est municipal avant d’être colonial' [p. 89]) limitent l'originalité de l'essai. La prétendue particularité du Congo belge marquée par le ‘pragmatisme, la planification à court terme et les ambitions individuelles’ est douteuse tant ces éléments sont communs aux administrations coloniales françaises et britanniques. Suit un article bien conventionnel des différents styles architecturaux des églises catholiques à Kinshasa (Pamphile Mabiala Mantuba-Ngoma). Brigitte Kowalski convainc en revanche davantage en retraçant les axes de circulation et les variantes locales du style afro-brésilien dans l'espace yoruba au Nigéria. La constitution d'un corpus architectural de maisons dites afro-brésiliennes lui permet – mais de manière plus exploratoire que systématique – d'enchâsser histoire architecturale et histoire sociale.
Il faudrait en réalité commencer à lire cet ouvrage par la fin tant les derniers chapitres proposent des pistes de recherches innovantes sur les pratiques foncières, l'insertion urbaine, la signification sociale du vêtement ou les héritages durables de l'apartheid. Andreas Eckert retrace l'histoire foncière de Douala à travers le prisme de son élite évoluée duala qui, dans un premier temps, s'opposa au projet de déguerpissement de ses quartiers (1910–31) avant de recourir massivement aux procédures d'immatriculation foncière et à la construction immobilière de standing (1930–60). Cet article vient ainsi rappeler tout l'intérêt de faire parler les archives foncières pour mieux rendre compte de la sociogenèse de certains groupes. Brigitte Reinwald retrace également avec précision grâce à une quarantaine de récits de vie l'itinéraire d'anciens combattants du Burkina Faso. Leur insertion dans la ville de Bobo-Dioulasso passe par l'acquisition foncière, par la distinction sociale notamment vestimentaire, par l'ouverture et la gestion de bars et de cabarets, un ensemble de pratiques qui témoignent parfaitement des processus historiques d'individuation. Katrin Bromber propose une analyse plus textuelle des débats d'un journal swahili au début des années 1930 à propos du buibui, vêtement populaire porté par les citadines de la côte de l'Afrique de l'Est. Le buibui est un signe visible d'expression personnelle des femmes en tant que citadines musulmanes respectables mais il est tout autant un marqueur des tensions entre les Africains nouvellement convertis et les gens de la côte. Quant à la contribution de Philippe Denis sur l'histoire de Pietermaritzburg (Kwazulu-Natal en Afrique du Sud), elle présente un triple intérêt: elle est centrée sur une ville moyenne qui a beaucoup moins retenu l'attention des chercheurs que les grandes villes; elle associe en permanence l'histoire locale à l'histoire nationale; enfin et surtout elle montre la continuité historique de mesures ségrégatives sur un siècle et demi et notamment les manières dont les habitants des beaux quartiers d'aujourd'hui refusent d'être intégrés à la municipalité afin de payer moins d'impôts. L'impression finale est donc mitigée, la grande qualité des derniers textes ne pouvant totalement faire oublier le manque d'un travail éditorial abouti.