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Un historien dans la cité. Gaétan Gervais et l'Ontario français François-Olivier Dorais Les Presses de l'Université d'Ottawa, Amérique françaiseOttawa, 2016, 264 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 May 2018

Anne Boily*
Affiliation:
Université de Montréal
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

François-Olivier Dorais signe une biographie de Gaétan Gervais, « historien, intellectuel, conférencier, maître à penser et homme d'action […] » (5). Ancien professeur d'histoire à l'Université Laurentienne de Sudbury, Gervais fait partie des penseurs de l'identité franco-ontarienne. Il est d'ailleurs l'un des deux concepteurs du drapeau franco-ontarien en 1975 (74-75). La démarche de Dorais, étayée sur quatre chapitres, est celle de l'histoire d'un intellectuel, compris comme étant nourri par sa société d'appartenance (10). Dorais analyse le corpus de l’œuvre de Gervais en la contextualisant aux plans historique et biographique pour bien rendre compte de sa pensée.

Le « premier enracinement intellectuel » (22-23) du jeune Gervais est au Collège du Sacré-Cœur, à Sudbury. Dans ce premier chapitre, Dorais explique que le Collège deviendra éventuellement l'Université Laurentienne, université laïcisée et bilingue, où Gervais commence ses études d'histoire (30). Il poursuit ses études de maîtrise et de doctorat à l'Université d'Ottawa et revient enseigner à son alma mater. Dorais explique que dans la pensée de Gervais se trouvent deux pôles, une sorte de « double héritage » : « la conscience d'appartenir à une culture singulière » et « la rigueur méthodologique » héritée du travail universitaire (54-55). Le second chapitre s'ouvre avec le positionnement de Gervais par rapport au projet de la contre-culture dans le Nord de l'Ontario, qui repense l'identité selon des appartenances multiples ainsi que le bilinguisme (61, 65). Pour Gervais, l'approche est autre : l'Ontario français doit être pensé dans la continuité de l'appartenance au Canada français. Au fond, pour l'historien, l'Ontario français est une entité autonome, un fait social indépendant, non une ethnie de plus dans un ensemble national plus vaste (79-80, 97, 110-111).

L'auteur de l'ouvrage approfondit trois positionnements de Gaétan Gervais dans son troisième chapitre. Au plan épistémologique, Gervais réfléchit « à partir » de l'Ontario français, et non seulement à propos de l'Ontario français (102). En ce sens, histoire et mémoire sont intimement liées pour l'historien, et la recherche devient nécessairement « engagée » (105). On retrouve des positionnements épistémologiques similaires chez des figures comme Lionel Groulx, Hubert Aquin, Fernand Dumont ou encore Joseph Yvon Thériault. Traditionalisme et nationalisme sont les deux versants du positionnement idéologique de Gervais, dont la « sensibilité conservatrice » serait « […] d'ordre philosophique et identitaire plutôt que social ou moral. » (115-116, 124). Au plan historiographique, Gervais s'inscrit dans le courant de « l'histoire nationale », soit l’étude de ce qui assure l'unité d'une collectivité au fil du temps (148). C'est pour cette raison que la « rupture du Canada français » lors des États généraux de 1969 est centrale dans la pensée de Gervais, qui gardera d'ailleurs toujours une amère rancœur envers le Québec pour ce qu'il appelle un « coup d’État culturel » (159, 162).

Les batailles de Gervais pour l'enseignement postsecondaire en Ontario français forment l'objet du dernier chapitre de l'ouvrage. L'implication de l'historien à l'Université Laurentienne, malgré plusieurs revers, portera ses fruits éventuellement avec une augmentation du nombre d'inscriptions en français (192, 199). Dorais réussit à bien expliquer au lecteur, tout au long du livre, quelle est la situation de l’éducation en français dans la province. Ce qui demeure central, pour Gervais, qui milite aussi pour l'obtention d'une université de langue française en Ontario, c'est que la solution ne réside pas dans une institution bilingue (205). En effet, explique-t-il, « c'est limiter un droit linguistique que de l'accorder à un groupe tout en le soumettant à la volonté d'un autre groupe linguistique. » (207).

Dorais est, selon nous, parvenu à éviter les écueils d'une « lecture présentiste du passé » (5). C'est à bon droit qu'il se demande, au moment de conclure, si l'appartenance du Canada français comme peuple fondateur demeure encore un ancrage important dans la compréhension de l'identité franco-ontarienne contemporaine (229). Les quelques longueurs du troisième chapitre ne portent pas atteinte à la clarté du propos dans tout l'ouvrage ni à la « pédagogie » dont l'auteur fait montre envers son lecteur.

Les événements politiques mentionnés dans la reconstruction du contexte dans lequel émergeaient les idées de Gervais ne sont pas tous analysés en détail, mais là n’était pas l'objectif de l'ouvrage d'histoire. Pour un politologue, il aurait certes été intéressant d'y trouver plus de réflexion sur les retombées politiques de la Commission Laurendeau-Dunton, l'adoption de la Loi sur les langues officielles par le gouvernement Trudeau en 1969 ou encore la vision du Canada véhiculée par ce dernier, mentionnée au passage par l'auteur, quand il la qualifie d'individualiste et multiculturelle (127). Il n'en demeure pas moins que l'ouvrage est un apport incontestable aux études sur l'Ontario français, à ses figures fondatrices et marquantes et, de par la rigueur de la démarche, sa lecture ne peut qu'ouvrir des horizons sur la compréhension de l'identité franco-ontarienne.