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Charte canadienne et droits linguistiques. Pour en finir avec les mythes Frédéric Bérard Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2017, 375 pages

Published online by Cambridge University Press:  06 March 2018

Paul Dubé*
Affiliation:
Université de l'Alberta
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

Deux mythes issus de la doctrine québécoise du « nationalisme méthodologique » motivent cet essai (p. 22) : la politique du trudeauisme contre le Québec par voie de la Charte (1982) et « ses » juges de la Cour suprême venus de par leur fonction « charcuter radicalement la compétence québécoise en matière linguistique »; ensuite, la protection accordée par l'article 23 à la minorité anglophone du Québec mine « l'autonomie législative québécoise » et fait de la minorité francophone du Canada un allié à combattre.

Pour démythifier/démystifier les premiers, deux discours apparaissent dans le récit qui se déploie depuis 1982 et que l’étude de Frédéric Bérard dévoile systématiquement : d'une part, la mauvaise foi et la perte de crédibilité des mythologues québécois (intellectuels, politiques, juristes) en l'espèce; d'autre part, l'asymétrie herméneutique produisant un préjugé francophile favorable au fait français partout au Canada et au Québec dans le contexte de la Charte, contribuant ainsi à la pérennité des deux malgré tous les efforts du Québec pour torpiller la reconnaissance des droits de la minorité francophone.

L’étude exhaustive de Frédéric Bérard démolit effectivement ces mythes, dévoile l'idéologie de l'intelligentsia québécoise (classe politique et juristes compris) et l'accuse d'avoir manqué à son « devoir de réflexivité critique », d'avoir construit un « édifice politico-constitutionnel imaginaire » (p. 342), et même d'avoir à notre avis floué cette norme élémentaire d’éthique dont parlait Weber, « le devoir de vérité ». Des limites ont ainsi été franchies : « L'intellectuel, aussi militant et engagé soit-il, ne peut aller jusqu’à créer un univers constitutionnel parallèle, fondé sur une trame narrative fictive, sans affecter, d'un point de vue épistémologique et substantiel, la pertinence et la crédibilité de cette entreprise intellectuelle » (p. 339). L’étude des faits comme sa démonstration les déploie devrait, selon Bérard, « amener ces auteurs catastrophés [nourris en quelque sorte par le dicton, aujourd'hui trumpien, Do not confuse us with the facts!, P. D] à faire amende honorable et rectifier la teneur de leurs propos » (p. 342). Car il est démontré ici, sans l'ombre d'un doute, que l'attaque frontale du fédéral depuis 1982 par la voie/x de la Cour supême n'a pas eu lieu, comme la guerre de Troie (Giraudoux), et qu'en fait, c'est tout le contraire qui s'est produit, la cour faisant preuve d'un « préjugé largement favorable à la protection et à l'essor des droits francophones » (p. 341) au Québec comme au Canada français qui continue d'exister au grand dam des tenants du nationalisme méthodologique. En effet, ces derniers défendent la théorie selon laquelle « un gain (judiciaire) francophone hors Québec se traduit invariablement par un recul pour le fait français au Québec » (p. 294). « Allez vous y reconnaître! » comme dirait Sartre…

L‘essai de Frédéric Bérard développe son argumentaire en six chapitres structurant l’évolution du fait français au Canada à partir de la Constitution de 1867 où deux entités, d'abord solidaires, se font face depuis la fin des années soixante. Le premier chapitre retrace l’érosion des relations entre les deux, consacrée par le trudeauisme et l'avènement du nationalisme québécois. Le deuxième, par le titre même, « la mort annoncée de l'autonomie du Québec en matière linguistique », fait état des discours victimaires de l'intelligentsia multiple québécoise vertement contredite par les arrêts dénotant « l'ampleur de la sensibilité de la Cour suprême pour le fait français au Québec » (p. 340), et également pour ces « canards morts » ou « cadavres encore chauds », la francophonie hors Québec, le sujet du troisième chapitre. C'est ici que la Cour suprême témoigne le plus éloquemment d'un « préjugé favorable à l’égard du fait français au pays » et s'engage systématiquement « à assurer sa protection et son essor » en invoquant tous les moyens du bord, utilisés aussi pour le Québec : « lecture asymétrique, apologie de l’égalité réelle, considération du caractère collectif des droits linguistiques et mesures réparatrices pouvant aller, si nécessaire, jusqu’à la violation du concept de séparation des pouvoirs » (p. 227).

Le chapitre quatre déconstruit le prétendu mythe évoqué souvent avec virulence par tous les ténors du nationalisme méthodologique, quelle que soit leur affiliation professionnelle, selon lequel la Charte et la Cour suprême mènent contre le Québec une « attaque frontale » avec tous les aboutissements prévus mais où l'auteur constate, preuves à l'appui, que « rien, à vrai dire, n'est plus faux ». D'ailleurs, l'attaque vient plutôt dans l'autre sens au chapitre cinq, le Québec arrivant à faire du Canada français (« réalité désagréable »), un « ennemi implicite » dont « l’épanouissement par la reconnaissance de droits est perçu comme une menace » (p. 273). Depuis 1982 jusqu’à tout récemment avec la question des écoles au Yukon (2015), « jamais le Québec n'est allé prêter main forte en Cour suprême à une communauté francophone minoritaire » (p. 306). Pour montrer l’étendue du préjugé francophile de la Cour suprême (et par la même occasion, le faux discours/doxa de Québec et consorts), le sixième et dernier chapitre, focalise son analyse sur les arrêts non fondés sur la Charte depuis 1982 dont l'influence reste cependant palpable, confirmant ainsi le titre du chapitre, « Une tour de Pise francophile ».

Même pour les non-experts, le livre de Frédéric Bérard est abordable et très lisible à quiconque veut se donner la peine de s'intéresser sérieusement à une des grandes problématiques qui a toujours menacé l'existence du pays. D'une écriture précise, riche et limpide malgré le nombre infini de citations émanant d'arrêts, de lois, d'actes, de décrets, d'ordonnances, de règlements puisés dans la jurisprudence, Bérard nous livre une étude essentielle tant elle nous délivre des poncifs de l'idéologie nationaliste québécoise et nous ramène à la « vérité » du pays telle qu’énoncée dans le mandat de la Commission B&B. Dans ce sens, il a la possibilité de changer l'histoire et la politique/pratique de ce pays (pour ne rien dire de l'enseignement du droit et de l'histoire), notamment la relation entre le Québec et le Canada anglais et français.