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Modèles de la cohésion sociale

Published online by Cambridge University Press:  04 February 2010

Caroline Guibet Lafaye*
Affiliation:
Centre Maurice Halbwachs – CNRS, Paris [caroline.guibet-lafaye@ens.fr].

Abstract

Social cohesion is frequently mentioned in political discourse. However this concept remains vague and ill-defined. We intend to propose a typology of social cohesion patterns and examine under which conditions this concept might be used. Firstly, we sketch a brief history of its introduction in the political debate. Then we sort out three different meanings of this concept, in order to analyze which representations it is associated with.

Résumé

La référence à la cohésion sociale est récurrente dans les discours politiques. Pourtant la notion demeure mal définie et indéterminée. Cet article propose une typologie des modèles de la cohésion sociale à partir de laquelle définir les limites et les conditions auxquelles un usage pertinent de la notion de « cohésion sociale » – préalablement définie – est possible. Après un bref rappel des étapes historiques qui ont marqué l'introduction de la notion de cohésion sociale dans le débat public, nous identifions trois types de modèles de cohésion à partir desquels nous proposerons une description systématisée des représentations que l’évocation de la cohésion suscite.

Zusammenfassung

Der soziale Zusammenhalt ist integrierter Bestandteil der Politik, obwohl vage und unbestimmt. Dieser Aufsatz bietet eine Typologie verschiedener Modelle des sozialen Zusammenhalts, um seine Grenzen zu definieren und die Bedingungen zu skizzieren, die eine sinnvolle Verwendung des Begriffs „sozialer Zusammenhalt” – im Vorfeld definiert – ermöglichen. Zuerst werden wir kurz die Ursprünge des Begriffs des sozialen Zusammenhalts in der öffentlichen Debatte erläutern, um dann, anhand dreier Modelle des Zusammenhalts, die jeweiligen Assoziationen zu untersuchen.

Type
Research Articles
Copyright
Copyright © A.E.S. 2009

Durkheim a été un précurseur dans la référence à la cohésion sociale. Il l'envisage comme un fait structurant la société et la définit comme l'interdépendanceFootnote 1 entre les membres d'une société ainsi qu'en référence aux loyautés partagées et à la solidarité. Selon les époques, le sens conféré à cette notion a varié. Elle a signifié la capacité de construire une identité collective, un sens de l'appartenance (Jenson Reference Jenson1998). À d'autres époques et dans d'autres circonstances, on a privilégié une approche et une appréciation de la cohésion à partir du sens de l'engagement d'une sociétéFootnote 2 et de sa capacité à assurer l’égalité des chances, en incluant tous ses citoyens et en réduisant la marginalité. Le sens de cette notion varie également selon les contextes dans lesquels elle est convoquée. Lorsqu'elle intervient dans les discussions sur la démocratie, la participation démocratique ou la légitimité des institutions représentatives, elle sert à souligner l'importance de l'engagement et de la participation de chacun. Lorsque sont envisagés des conflits de valeurs, au sein des démocraties libérales pluralistes, la référence à la cohésion sociale peut être mobilisée pour désigner la capacité sociale de médiation des conflits relatifs à l'accès au pouvoir et aux ressources, la capacité de la société à accepter les controverses sur les questions fondamentales, en essayant d'y mettre fin.

Alors que d'autres notions comme celle d'exclusion ont été portées par des individus issus de la société civile comme l'abbé Pierre puis, en France notamment, par des mouvements sociaux et politiques, celle de cohésion sociale semble émaner des élites intellectuelles et politiques (Saint-Martin 1999, p. 89)Footnote 3. Bien que promue par ces élites ou celles du milieu des affaires ainsi que par quelques intellectuels (Taguieff 2004, Viveret 2005a, 2005b), la notion de cohésion sociale fait rarement l'objet d'un débat politique. Cette présence constante dans le débat sociopolitique n'a pas non plus induit d’élaboration conceptuelle réelle de la notion.

Bien que largement convoqué dans le débat sociopolitique, le concept de cohésion sociale n'a en tant que tel suscité que peu de littérature scientifique. Jugeant que la notion est, pour partie, fondée sur une analyse des données de la situation mais néanmoins caractérisée par une indétermination fondamentale qui la rend adaptable à une très large variété de situations et, pour cette raison, excessivement susceptible de se plier aux exigences et contraintes de l'action publique, on l'a identifiée à un quasi-concept, à une construction mentale hybride (Bernard 1999, p. 48)Footnote 4. Notre analyse vise au contraire à montrer que ce concept a un contenu spécifique, certes pluriel, mais dont la variété tient aux cadres théoriques dans lesquels il se trouve mobilisé. Il s'agira donc ici de donner un contenu sociologique à une notion qui connaît une fortune politique remarquable. Nous nous attacherons, dans ce qui suit, au débat français des vingt dernières années concernant les questions de cohésion sociale, de lien social et d'intégration. Alors qu'avec la référence au « lien social » s'opère un déplacement d'un mode d'explication holiste et structurel à une vision du monde social de type interactionniste et relationnel (Gesnetier 2006, p. 21), la référence à la cohésion sociale articule explication holiste et explication individualiste des rapports sociaux. En effet, lorsque l'on évoque l'exclusion, l'accent est porté sur les individus qui sont exclus. En revanche, lorsqu'il est question de cohésion sociale, l'attention se porte sur la société. L'unité d'analyse tend à devenir plus holiste et moins individualiste (Saint-Martin 1999, p. 89), quoique nous dégagerons également des modèles de cohésion reposant sur des fondements individualistes. Nous vérifierons, en effet, qu'un nouveau paradigme a pris forme à partir « d'un rééquilibrage, d'un changement d’échelle qui permet de s'interroger au niveau de l'individu sur ce qui fonde l’être ensemble, le lien social » (Dosse 1997, p. 12).

Nous traiterons ici de cohésion sociale plutôt que de solidarité, d'intégration ou de lien social, en considérant que la première expression concerne prioritairement, dans le discours politique au moins, l'entité sociale en tant que telle, que la solidarité, envisagée de façon macrosociologique qualifie le rapport de l'entité à ses composantes ou la dépendance réciproque des parties entre elles, alors que l'intégration désignerait plutôt le rapport des composantes à l'entité sociale et le lien social, plus spécifiquement, le rapport de ces composantes entre elles. Le lien social, auquel on fait référence pour penser et expliquer ce qui fait tenir ensemble les individus d'une même société, désigne d'un point de vue individuel, en revanche, l'ensemble des relations personnelles, des normes, des valeurs et des règles communes qui relient les individus (Cusset 2006, p. 21). Nous n'entendrons pas la notion de cohésion sociale au sens de la solidarité, qu'elle soit propre à des entités sociales homogènes caractérisées par leur ressemblance et une forme d’égalité – i.e. au sens de la solidarité mécanique durkheimienne – ou que la solidarité renvoie à l'ensemble des institutions sociales d'un État-providence. Nous privilégierons enfin une acception de la cohésion distincte de celle d'intégration, pour autant que cette dernière soit aujourd'hui principalement mobilisée, dans le débat public, pour évoquer la place des populations immigrées dans la société d'accueilFootnote 5.

Notre propos sera donc, dans ce qui suit, de saisir les mécanismes d’élaboration théorique de la notion plutôt que de cerner, par exemple, la façon dont les individus appréhendent, vivent et conçoivent la cohésion sociale. Nous n'envisagerons pas non plus la cohésion comme une fonction de la perception qu'a chaque membre du groupe de son propre statut, dans ce dernier (Bollen et Hoyle 1990)Footnote 6. En revanche, nous tenterons de préciser les usages politiques de la notion afin de saisir les glissements et évolutions des politiques sociales de ces dernières décennies dans le domaine. Après avoir esquissé les jalons historiques de l'introduction de la notion de cohésion sociale dans le débat public, nous spécifierons des modèles de cohésion sociale, en en proposant une description systématisée dans un cadre typologiqueFootnote 7.

I. La naissance d'un paradigme

La prégnance de la référence à la cohésion sociale est aujourd'hui manifeste aussi bien dans les politiques publiques que dans la littérature théorique. Précisons le contexte et les raisons de ce recours devenu quasi systématique. En France, le commissariat général du Plan, récemment rebaptisé « Conseil d'Analyse stratégique », s'est distingué par la publication de deux rapports sur le thème de la cohésion socialeFootnote 8. Un « Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion sociale » a été crée par un décret du Conseil d’État le 7 avril 2000. Un « Plan national de cohésion sociale » a été établi, en 2005, par le ministre Jean-Louis Borloo, ministre du Travail du Logement et de la Cohésion socialeFootnote 9. Ce souci de la cohésion sociale n'est pas propre à la France. Il a émergé au Canada, depuis 1996, avec le réseau canadien de recherche sur les politiques publiques, dont l'objectif est de repenser, à l'heure de la mondialisation, l'unité de la société canadienne et la nature de son projet politique. Ce réseau a mis sur pied en 2000 un « nexus de la cohésion sociale », chargé de recueillir la réflexion existante sur ce sujet et de la développer.

L'idée de cohésion sociale a reçu une forte impulsion, dans le monde occidental, dans le cadre de l'Union européenne et du projet d'Europe sociale mené par Jacques Delors (Ross 1995). La notion de cohésion est introduite, comme telle, pour la première fois dans l'Acte unique de 1986Footnote 10. La cohésion économique et sociale devient alors une nouvelle compétence de la Communauté. Le traité de Maastricht (1992) consacre à la cohésion une place importante en prévoyant la création d'un Fonds de cohésion, alloué sur la base des caractéristiques économiques des États. La Commission européenne a fait de la cohésion sociale, lors du sommet de Lisbonne de 2000, le troisième de ses objectifs principaux. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe (2004) lui fait encore une place centrale puisque « l'Union promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » (art. I.3, al. 3). Dans ce projet, la notion de cohésion territoriale s'adjoint aux concepts plus anciens de cohésion économique et socialeFootnote 11. Certains jugent que le discours sur la cohésion sociale, dans le contexte européen, joue un rôle de légitimation politique et fait partie d'un processus de construction d'une entité supra-étatique et d'une nouvelle forme de citoyenneté (Saint-Martin 1999, p. 89). Plus généralement, la notion de cohésion sociale se voit mobilisée dans un cadre plus vaste de redéfinition de la social-démocratie et de construction d'une nouvelle « troisième voie » en Europe et en Amérique du Nord (Giddens 1998).

De fait, la référence à la cohésion sociale est devenue récurrente dans un contexte très spécifique, en l'occurrence celui d'une expansion de la mondialisation économique et financière, d'une très forte concurrence économique puis de la restructuration des années 1980-1990. Cette époque est effectivement celle de l'apparition des conséquences sociales de la mondialisation et des difficultés des États-providence à y faire face. Ce contexte de tensions, d'incertitude économique et politique semble également avoir été, au début du xixe siècle, le terreau duquel a émergé, dans les réseaux académiques et politiques, un intérêt pour la cohésion sociale (Jenson Reference Jenson1998, p. 8). Un souci spécifique pour les politiques communautaires en est alors né. Aujourd'hui l’émergence de la référence à la cohésion sociale paraît concomitante de l'identification d'un ensemble de problèmes (difficultés d'intégration de certains groupes sociaux, chômage, délinquance, échec scolaire, problèmes des banlieues, délocalisations, immigration)Footnote 12, d'une incertitude économique, de la peur de la dégradation.

En France, l'intérêt pour la cohésion sociale est associé aux préoccupations suscitées par le chômage, en particulier des jeunes. Au Canada, les débats sur la cohésion sont nourris par ceux sur l'identité. Incontestablement, les regrets à l’égard de la perte de cohésion sociale s'alimentent aujourd'hui du sentiment de perte de substance de l'idée d'organisation sociale et de dissolution de l'idée même de société, en particulier des rapports sociaux, sous les effets de la désinstitutionnalisation (Dubet et Martucelli Reference Dubet and Martuccelli1998), de la mobilité généralisée (Urry 1999), du développement de l'individualisme ou encore de celui de l'individualisme urbain (Bourdin 2005). Le discours est envahi d'une impression de dégradation des garanties du passé voire de décomposition des espoirs, consolidant ainsi la collusion de la notion de cohésion et d'un idéal d'harmonie sociale. La référence à la cohésion sociale ou au lien social – sous la forme, par exemple, du « vivre ensemble » ou de la « convivialité » dans des lieux privilégiés comme les mouvements associatifs – se donne comme une réponse à cette perte de substance, en continuant de postuler l'existence d'un fait sociétal et d'un phénomène d'appartenance collective qui lieraient des individus (Gesnetier 2006, p. 23).

Ce contexte d'inquiétude, associé à l'idéal que véhicule la notion de cohésion sociale, explique l'orientation prise par les politiques adoptées et les finalités qu'elles se donnent. La volonté politique de promouvoir la cohésion sociale est un slogan qui anime toutes les politiques sociales des pays européens depuis le début des années 1990. Elle est aussi présente dans les textes émanant des institutions européennes et de l'OCDE. Y répondent, sur le terrain, des pratiques de (re)construction du « lien social », dans un contexte où celui-ci serait dégradé voire rompu du fait de l'isolement social, du sentiment d'insécurité, de conflits entre certaines composantes de la société (jeunes/aînés, autochtones/migrants, etc.) ou entre les citoyens et l’État ou les pouvoirs publics. Dans les quartiers où la cohésion sociale est jugée défaillante, le « renforcement des liens sociaux » constitue l'un des objectifs des politiques publiques (Baillergeau 2007).

II. Modèles « sociétaux » de la cohésion sociale

Cet intérêt politique accentué pour la cohésion ne repose toutefois pas sur une définition précise et stable de la notion de cohésion sociale. Une lecture analytique de la littérature sociologico-politique permet néanmoins de distinguer plusieurs modèles de cohésion dont nous souhaitons dégager la systématique. Nous opèrerons ces distinctions en identifiant les facteurs et les mécanismes sociaux que chacun de ces modèles isole comme contribuant principalement à la cohésion du groupe ou comme étant à son fondement. Une dichotomie première entre deux types majeurs de modèles d'interprétation de la cohésion sociale s'instaure, bien qu’à cette première dualité s'adjoignent d'autres modèles que nous qualifierons de mixtesFootnote 13. Nous distinguerons donc les modèles dits « sociétaux » qui font de la cohésion sociale une propriété sociétale et l'expliquent à partir de processus ou de structures sociales, d'une part, des modèles de type « individualiste », d'autre part. L'analyse ne sera toutefois complète qu’à condition d'adjoindre à ce binôme des modèles mixtes, articulant les dimensions sociétales et subjectives des deux précédents, et parmi lesquels on compte aussi bien des modèles axiologiques que des modèles dits des forces.

1. Le paradigme intégrationniste

Les modèles « sociétaux » et intégrationnistes de la cohésion sociale font, conformément à l'inspiration durkheimienne, de l'intégration une caractéristique des sociétés – certaines étant davantage « intégrées » que d'autres – plutôt qu'une caractéristique des individus. Dans ces modèles, la cohésion est saisie comme un attribut objectif du groupe.

Le paradigme intégrationniste se décline dans des variantes organiques, fonctionnalistes et mutualistes (i.e., dans ce dernier cas, selon des liens de réciprocité). Chaque type illustre une intégration systémique (Lockwood 1956, 1964). L'accent est alors mis sur les parties différenciées et leur intégration dans la société.

  • - La première forme d'intégrationnisme – dont nous verrons qu'elle est assez proche de la seconde, de type fonctionnaliste – est la variante dite organique. L'intégrationnisme de type organique envisage l'entité sociale comme un organisme hiérarchiséFootnote 14. La cohésion sociale est interprétée conformément à une représentation organique voire vitaliste du tout social. Le modèle organique, nourri par la littérature sociologique classique, est unifiant, holiste puisqu'il considère la société comme une entité fermée sur elle-même, close, autonome, dont le fonctionnement ne dépend pas fondamentalement d’échanges avec l'extérieur. L'hypothèse sous-jacente est celle de l'autorégulation socialeFootnote 15, qui repose en particulier sur des « contacts continus » entre les corps concernés, en somme entre les « organes » de ce tout social. Le modèle organique (présup)pose que tous les éléments de l'entité participent du tout et y sont intégrés. Aucun ne peut donc (en) être exclu. Chacun a sa fonction ainsi qu'une place (et une utilité) dans l'interdépendance organique et sociale. Des relations de solidarité, fondées sur ces rapports d'interdépendance, se créent comme le souligne Durkheim (1893), qui suggère également que tout accroissement de l'activité fonctionnelle induit un accroissement de la solidarité. Ce modèle s'incarne dans des sociétés fondées sur une division du travail et des rapports de production inclusifs.

  • - La dimension fonctionnaliste de la variante organique du paradigme intégrationniste peut être autonomisée pour constituer, en tant que telle, un modèle d'intégration se formulant en termes non vitalistes. L'interdépendance mutuelle, la réciprocité, la complémentarité fonctionnelle peuvent être identifiées comme des composants fondamentaux de la cohésion. Dans la pensée durkheimienne, fonctionnalisme et organicisme sont indissociables. Néanmoins l'intégration fonctionnaliste se trouve, plus généralement, illustrée par une division intégrée du travail en régime capitaliste, marqué par la complémentarité fonctionnelle des activités, et dont on trouve un exemple historique avec la société industrielleFootnote 16. La cohésion sociale est induite, de façon indirecte, par la participation de l'individu à des champs d'activités différenciés et par les solidarités (assurances chômage, vieillesse, protection sociale, etc.) que crée le travail salarié. Ce faisant, la perte de lien avec la société est consubstantielle de la perte de travail. Au plan théorique cette compréhension de l'organisation sociale se retrouve dans la théorie fonctionnaliste de la stratification formalisée par Davis et Moore (1945). Ces auteurs appréhendent la stratification comme une conséquence immédiate de la division du travail : les emplois, correspondant à des fonctions d'importance variable dans le système de division du travail, doivent être inégalement rémunérés, matériellement et symboliquement. Réciproquement, la cohésion sociale introduit des relations fonctionnelles (Costa-Lascoux 2007, p. 567). Ce modèle décrit une société conçue comme une entité intégrée et inclusive, une communauté où l’égoïsme individualiste et les affrontements sociaux constituent des situations anormales, négatives. Cette interprétation fonctionnaliste, fondée sur le rôle du travail, demeure à l'horizon des plus récents projets politiques relatifs à la cohésion sociale. Tel est le cas du projet de loi de cohésion sociale du gouvernement d'Alain Juppé (1995-1997) transformé en loi du 29 juillet 1998, dite loi contre les exclusions sociales.

  • - Le paradigme intégrationniste demeure à l’œuvre dans la pensée sociologique contemporaine, mais ne s'exprime plus nécessairement en des termes vitalistes. Ainsi identifie-t-on une variante intégrationniste concentrique, en particulier dans les travaux de Robert Castel (Reference Castel1995). Cette interprétation s'inscrit dans une représentation du corps social qui se constitue autour du cercle des inclus stables, au centre, et qui perd de la cohésion en allant vers les cercles extérieurs, vers les marges marquées par la vulnérabilité et la désaffiliationFootnote 17. Alors que dans les variantes organique et fonctionnaliste, les individus occupent la place qu'ils ont, du fait de leur fonction ou de leur activité dans le corps social, l'intégrationnisme concentrique est un modèle situationniste. Les individus occupent la position qu'ils ont du fait de leur état, par exemple du fait de leur naissance, de leur héritage social ou de leur situation à l’égard du travail (comme le chômage). Ils sont dans tel ou tel cercle d'intégration mais pas principalement du fait de leur activité. Cette forme d'intégrationnisme connaît aujourd'hui un renouveau alors que le paradigme conflictualiste, reposant sur la domination, l'aliénation et la division de la société en classes tend à être délaissé (Soulet 2002).

2. Le contrat social

Radicalement distinct du paradigme organique, mais appartenant néanmoins aux modèles sociétaux de la cohésion sociale, se dessine un modèle contractualiste institutionnel. Le modèle contractualiste fonde la cohésion sociale sur le pacte social. Nous distinguerons deux formes de contractualisme, selon qu'il s'entend de façon politique ou de façon sociale. Selon la première acception, il entre dans les modèles individualistes de la cohésion sociale et se pense en référence au contrat social, thématisé par J.-J. Rousseau (1762) et fondé sur l'accord subjectif des volontés individuelles. L'accord politique entre les individus est alors envisagé comme étant au fondement de l'organisation sociopolitique.

Cependant la référence au contrat peut aussi être mobilisée dans une perspective sociale. Léon Bourgeois (1986) pense la solidarité comme fondée sur un contrat tacite qui lie l'individu à la société envisagée comme un tout. Le solidarisme place en son cœur le quasi-contrat d'association qui lie tous les hommes entre euxFootnote 18. La réalité de ce contrat social est sous-jacente à toutes les formes d'affiliation sociale et institutionnelle des individus dans les sociétés ayant déployé des systèmes de protection sociale (Paugam 2007). Le modèle de cohésion demeure ici de type holiste et sociétal, en ce sens que l'intégration individuelle dépend d'un rattachement à la structure, d'une affiliation mais également de la nature de cette structure. Cet élément justifie l'inscription du modèle contractualiste dans les modèles sociétaux de la cohésion sociale. Ce contractualisme de type macrosocial – par opposition aux modèles microsociaux de la cohésion sociale et à un contractualisme qui peut être mis en œuvre au niveau local, comme nous le verrons ultérieurement – se distingue du paradigme intégrationniste, aussi bien du fait de sa dimension formaliste que par une interprétation de la cohésion en fonction d'une relation verticale, par exemple comme étant fortement associée à l'existence d'un État social. C'est à cette dimension d'affiliation institutionnelle que nous accorderons ici notre attention. Elle présuppose une cohésion sociale fondée sur la solidarité sociale nationale, en l'occurrence sur les institutions et la structure de l’État social.

Ce modèle s'est incarné socialement du début du xxe siècle jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la plupart des pays d'Europe, où ont été mis en place des dispositifs de protection sociale ainsi que des transferts de ressources, à l'origine de nouvelles formes de solidaritéFootnote 19. D'organique et d'un type plutôt horizontal (au sens où la solidarité était le fruit de l'activité laborieuse et d'une solidarité entre groupes sociaux), la solidarité a évolué vers une forme verticale d'engendrement. Elle est impulsée par les pouvoirs publics pour engendrer des effets sociaux spécifiques. La cohésion sociale dépend alors des structures sociales de solidarité mises en place par l’État.

Les dispositifs de protection sociale, appréhendés comme des sources de cohésion sociale, prennent des formes variées dans chaque pays occidental et traduisent tous une certaine conception du pacte social. La référence au contrat est aujourd'hui prégnante dans les politiques sociales françaises à travers, notamment, les « contrats d'insertion ». La notion de contrat est utilisée comme instrument du travail social (Duvoux 2007). La réciprocité du contrat, fondée sur une symétrie des droits et des devoirs, absente des premières dispositions législatives relatives au RMI (revenu minium d'insertion), s'est vue introduite avec le RMA (revenu minimum d'activité), lui-même associé en 2003 au contrat d'insertion et qui modifie le sens du RMI en introduisant une contrepartie au droit socialFootnote 20. À terme toutefois, dans des sociétés où davantage d'individus sortent de la sphère salariale – comme c'est le cas en France aujourd'hui –, l'affiliation à l’État social peut finir par rester le seul vecteur d'intégration sociale. L'affiliation (ou la réaffiliation) devient principalement institutionnelle. Ce faisant les interactions tissées par l’État social tendent à devenir, dans l’État national, la composante majeure de son type de sociabilité, de telle sorte que le social forme, dans certains cas, l'ossature même du sociétalFootnote 21.

3. La sociabilité comme modèle de cohésion

La prévalence des relations sociales dans la compréhension des phénomènes de cohésion, ainsi que l'interprétation de cette dernière comme étant principalement une caractéristique du tout social se lisent également dans la tendance contemporaine, consistant à penser la cohésion sociale à partir de formes infrasystémiques de cohésion. Cet intérêt s'explique, d'une part, positivement par l'hypothèse ou la croyance que la cohésion macrosociale serait engendrée à partir de formes locales ou communautaires de cohésion. Mais il y a, d'autre part, une façon moins optimiste d'envisager la cohésion macrosociale, qui se nourrit du fait que la fragmentation de nos sociétés a irrémédiablement dissout cette dernière (Chauvel 2001, p. 344). Dans cette dernière perspective, la cohésion n'a de sens qu'au niveau des entités composant l'ensemble qu'est la société.

Ce type de modèle s'inscrit pourtant bien dans la branche « sociétale » de la typologie proposée puisque la cohésion sociale demeure envisagée comme une caractéristique de l'entité considérée, indépendamment de la taille de l'unité observée. En l'occurrence, elle s'explique à partir des connexions et des relations existant entre les unités sociales, telles que les individus, les groupes, les associations, les unités territoriales. La cohésion est pensée comme affleurant dans des relations et interactions intenses entre les individus. Ces interactions sont appréhendées selon une double dimension qualitative et quantitative. La force de ces interactions et l'intensité des échanges sociaux engendrent alors et entretiennent la cohésionFootnote 22. Ainsi certains, comme Leon Sheleff, jugent-ils que « la vie en communauté, au niveau local, est le paradigme de la cohésion sociale » (Sheleff 1997, p. 334). Dans ce type d'interprétation, la cohésion dépend de la nature du lien social ou reflète un certain état du lien social.

Plusieurs caractéristiques de cette sociabilité la distinguent comme un modèle, à strictement parler, de cohésion sociale, en particulier la dimension des contacts continus et du rapport en face-à-face, conformément à la version traditionnelle d'origine durkheimienne, de la cohésion fondée sur la sociabilité. Peut s'y adjoindre la solidarité de type intragroupe, non institutionnaliséeFootnote 23. L'attention peut enfin être portée sur des qualités sociétales, telles que l’étendue des inégalités ou la force des relations sociales et des liens dans la société. La perspective demeure, dans tous les cas, sociétale et objectiviste. Les modèles qu'elle privilégie sont alors la sociabilitéFootnote 24 et le capital social plutôt que la sodalité.

L'attention pour les formes locales, communautaires ou de cohésion fondée sur des liens de proximité, ne se déploie pas seulement au plan théorique mais aussi dans les politiques publiquesFootnote 25. Ainsi nombre de politiques sociales s'appuient sur le local pour produire de la cohésion comme les politiques visant à favoriser la démocratie participative locale ou la vie de quartier. Cette promotion de la référence à la cohésion locale s'explique pour partie du fait que les communautés locales sont souvent perçues comme un lieu de consensus plutôt que comme un lieu de conflits.

a) Cohésion locale et liens de proximité. Cette appréhension de la cohésion locale et des liens de proximité est récurrente dans les politiques publiques concernant le quartier ou la ville. On la perçoit également dans les discours mobilisant des idéaux de « cohésion », de « réciprocité », d’« équilibre », d’« ouverture » en référence au « lieu » et aux « territoires ». La justice sociale y est conçue à travers l'idée d'une coexistence pacifique, de l'image d'une sociabilité chaleureuse obtenue par la « coprésence », la « concitoyenneté », par les relations directes entre voisins ou « prochains » (Gesnetier 2006, p. 24). On s'appuie sur une appréciation positive des vertus supposément inhérentes à la localité, dans laquelle le quartier est assez systématiquement associé à une vision irénique du « village dans la ville ». Le quartier est perçu comme un espace de solidarité, d'identité et de convivialité, « naturellement » doté de vertus de réconciliation et d'efficacité (Neveu Reference Neveu2004, p. 59). Il est le lieu de l'euphémisation des conflits et de tous les consensus. Plus généralement, le territoire est conçu comme potentiellement porteur d'une force identificatoire propre, d'une capacité de production de l'appartenance communautaire. À travers le territoire, le lieu, on place l'accent et l'attention sur la concrétude inhérente à l’échelle de la proximité, du groupe de voisinage, de la communauté de vie quotidienne en délaissant la problématique de l'unité nationale pourtant conçue, dans les années 1960, comme une « communauté de destin » (Gesnetier 2006, p. 26)Footnote 26. En Grande-Bretagne également, les politiques publiques accordent une importance accrue aux relations sociales et associatives dans les quartiers urbains (Flint Reference Flint2006a, p. 22)Footnote 27.

La « communauté » doit être prise au sens de partage d'un même territoire, un « quartier » conçu à la fois comme espace physique et comme mode d'organisation sociale d'un milieu d'appartenance où des réseaux se sont constitués. Elle fait donc référence à une certaine qualité de relations sociales et à un mode de vie (façon de penser et de se comporter, attachement à certaines valeurs). (Favreau 1994, p. 97).

La référence à la communauté est aussi présente dans la littérature anglo-saxonne. La notion de community qu'elle mobilise est plus substantielle que les usages francophones de la notion de communauté puisque y sont prises en compte des dimensions :

« démographiques et géographiques, i.e. un territoire, une psychologie collective liée au sentiment d'appartenance à un lieu donné, une culture et des micro-institutions qui lui sont propres, c'est-à-dire un réseau d'organisations reliées entre elles par un dénominateur commun, la participation de la population à l'amélioration de ce « quartier » (Favreau 1994, p. 97).

Au regard des politiques envisagées, il ne s'agit pas seulement d'engendrer de la cohésion à un niveau social spécifique – en l'occurrence local plutôt que national – mais bien de s'appuyer sur une représentation de la cohésion caractéristique d'un niveau local ou communautaire qui servirait de référence au-delà de ce plan d'analyse. En somme, on croit pouvoir penser – et réaliser – une cohésion macrostructurelle en s'en remettant au local, à la proximité ou au communautaireFootnote 28. Ainsi dans l'approche putnamienne prévaut, comme nous le verrons, une vision non conflictuelle de la société (Portes 1998, Newton 1999), qui se trouve en outre associée à un ensemble d'autres traits distinctifs tels que la valorisation de la sphère non marchande. Elle donne lieu à une croyance dans l'effet essentiellement positif de la sociabilitéFootnote 29. Dans d'autres cas, en revanche comme les exemples évoqués le soulignent, on fait de l'espace un opérateur sociétal.

Ces différents usages justifient que l'on identifie la sociabilité – i.e. la cohésion s'exprimant soit localement soit de façon communautaire soit, ainsi que nous le verrons, à travers le capital social – comme un modèle, à strictement parler, de cohésion et pas seulement comme des niveaux distincts de son analyse. Néanmoins la référence à ces formes de sociabilité (comme celle des groupes ou des communautés locales) laisse ouverte la question de savoir si elles permettent d'expliquer et de penser la cohésion de macrostructures. On peut en particulier douter que la cohésion, fondée sur le face-à-face dans des communautés locales, soit aisément transposable à une autre échelle, par exemple à la communauté nationale notamment.

b) Le capital social. Alors que dans la première moitié du xxe siècle, les études empiriques des relations sociales ont principalement été conduites à un niveau microsociologique : études en entreprises, analyse de la diffusion des nouveautés, monographies de communautés (Redfield 1956), l'analyse sociologique des réseaux sociaux a connu un essor important dans la seconde moitié du xxe siècle (Degenne et Forsé 2004)Footnote 30. Les travaux sur la cohésion sociale et la nation, à la fin du xxe siècle, marquent un élargissement de cette réflexion aux limites de la société considérée globalement. Depuis les années 1980 mais surtout 1990, un engouement important se note en économie, en sociologie et en science politique, pour la notion de cohésion sociale. Celle-là a d'abord émergé de la littérature sociologique (Bourdieu 1980, 1986 ; Coleman 1990) puis a été diffusée par des travaux comparatistes d’économie politique (Fukuyama 1997) et de gouvernements comparés (Putnam, Leonardi et Nanetti 1973 ; Putnam Reference Putnam2000). Le concept de capital social s'est progressivement substitué à des notions sociologiques établies telles que les réseaux de relations, les rapports de réciprocité, la confiance, la médiation, la socialisation, la mobilisation.

Le capital social peut être défini, dans un premier temps, comme l'ensemble des normes et des réseaux qui facilitent l'action collective (Woolcok et D. Narayan Reference Woolcok and Narayan2000). Il présente alors une dimension normative puisqu'il fait référence aux valeurs, aux normes ou aux règles informelles qui régissent les interactions entre agents. Mais le capital social peut également être appréhendé à partir de caractéristiques structurelles (Coleman 1990). Il désigne alors le cadre formel au sein duquel s’établissent des relations entre les agents et peut être envisagé comme l'ensemble des institutions formelles ou informelles, c'est-à-dire l'ensemble des règles ou des cadres d'action des agents, qui facilitent la coopération entre acteurs en vue d'actions finalisées (Angeon et Callois 2006, p. 57).

L'interprétation de la cohésion sociale fondée sur les connexions et les rapports entre unités sociales, sur une liaison étroite ou intense entre les individus occupe aujourd'hui une part importante de la littératureFootnote 31 sur la cohésion sociale, développant le thème du « capital social » (Coleman 1990 ; Bagnasco et coll. 2001), lui-même associé aux notions de confiance et d'engagement civique (Putnam, Leonardi et Nanetti 1973)Footnote 32. Certains textes récents mobilisant, dans leur analyse de la cohésion sociale, la notion de capital social tendent à tenir ces deux expressions pour synonymes. Ainsi la fonction décisive du capital social dans le maintien et la production de la cohésion sociale est-elle fortement soulignée par le Social Cohesion Research Network du projet de recherche sur les politiques du gouvernement canadien. Dans ce type d'approche, la notion de capital social est conçue à partir de la prise en compte de la densité et de la qualité des relations et des interactions entre les individus et les groupes, de leurs sentiments d'engagement mutuel et de la confiance dans des valeurs et des normes communes, du sens de l'appartenance et de la solidarité, supposé être l'un des fondements de la cohérence interne d'une société (Jenson Reference Jenson1998 ; O'Connor 1998)Footnote 33.

Une approche, comme celle de Coleman, souligne sa dimension structurelle. Ce dernier envisage le capital social comme « une variété d'entités différentes, ayant deux éléments en commun : elles consistent toutes en aspects de la structure sociale et elles facilitent certaines actions des agents – qu'ils soient des agents individuels ou des corporations – au sein de la structure » (Coleman Reference Coleman1988, S 98). Robert Putnam (Reference Putnam, Leonardi and Nanetti1973, 1995) en donne une interprétation étroite et définit le capital social comme un ensemble d’« associations horizontales » entre les individus, comme des « réseaux d'engagement civique » (civicness) qui jouent un rôle de médiation entre les normes et les règles de fonctionnement de la société, et qui produisent et renforcent la confiance dans la crédibilité de ces règles comme dans les relations sociales (O'Connor 1998 ; Hjerppe 1999; Social Capital Initiative 1998)Footnote 34. En somme, le capital social consiste dans l'ensemble des réseaux sociaux et des normes de réciprocité qui y sont associées (Putnam 1995). Dans chacune de ces interprétations, le capital social est défini comme des « caractéristiques de l'organisation sociale, telles que les réseaux, les normes, la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour le bénéfice mutuel » (Putnam 1993, p. 36)Footnote 35. La ressource, inhérente à la structure, existe indépendamment de l'action ou de l'intention des acteurs. Elle est accessible à tous les membres d'une communauté et bénéficie à tousFootnote 36.

L'approche de R. Putnam (1995) revient à transposer au niveau macrosocial l'interprétation de la notion de capital social proposée par Coleman. Par ce biais, le capital social devient l'attribut de sociétés entières et le déterminant de leurs résultats concernant, par exemple, le bien-être, la santé, le bonheur. La définition putnamienne du capital social par une référence aux réseaux ainsi qu'aux normes de réciprocité et de confiance qui en émanent se voit alors mobilisée. Le capital social est conçu comme un fondement de la cohésion socialeFootnote 37.

Cette interprétation des rapports sociaux a marqué de son empreinte les politiques publiques canadiennes qui postulent que « le capital social d'une société inclut les institutions, les relations, les attitudes et les valeurs qui gouvernent les interactions entre les personnes et qui contribuent au développement économique et social. Le capital social, cependant, n'est pas simplement la somme des institutions qui fondent la société, il est aussi le ciment (glue) qui les fait tenir ensemble. Il comprend les valeurs partagées et les règles d'une conduite sociale exprimées dans les relations interpersonnelles, la confiance et le sens partagé d'une responsabilité ‘civique’, qui fait que la société est davantage qu'une collection d'individus. Sans un degré d'identification commune avec les formes de gouvernance, les normes culturelles, les règles sociales, il est difficile d'imaginer une société qui fonctionne » (Social Capital Initiative 1998, p. 1). La dimension structurelle prévaut fortement iciFootnote 38. Des recherches ultérieures vont effectuer un changement de niveau d'analyse et faire du capital social une caractéristique de certaines collectivités sociales, voire de certaines nations, en donnant au terme non plus une définition structurelle (le capital social comme ressource disponible variable selon les acteurs et selon les contextes) mais culturelle (le capital social comme disposition, collective et héritée, à coopérer) (Ritaine 2001, p. 50)Footnote 39.

Au plan méthodologique, l’étude de la cohésion sociale fondée sur le capital social peut s'appuyer sur la sociométrie ou l'analyse des réseaux sociaux. Il s'agit alors de compter la fréquence et la nature des interactions des membres du groupe. Cette approche se distingue spécifiquement des études sur la cohésion perçue (Bollen et Hoyle 1990, p. 483). La structural analysis, pour sa part, opérationnalise empiriquement la notion de capital social à partir de méthodes permettant de mesurer la taille, les propriétés morphologiques et les effets du capital social. D'autres travaux convoquent la notion de capital social ainsi que les acquis touchant à la force et à la morphologie des liens, pour interroger les inégalités de genre, d'ethnie, de revenu, de niveau scolaire, d'habitat (Lin Reference Lin2001).

La typologie établie par la Banque mondiale en 2000 marque une étape dans les usages empiriques de la notion de cohésion sociale. Cette typologie reprend les travaux antérieurement menés par Granovetter (Reference Granovetter1973), opposant liens forts et liens faibles. Elle identifie les liens sociaux en termes de bonding, linking, bridging (respectivement capital social qui unit, lie et relie). Les liens de type bonding unissent des individus au sein d'une même communauté. Ils sont « horizontaux ». Les agents appartenant, dans ce type de structure, au même groupe ont un statut identique. Il s'agit de relations familiales et amicales, de réseaux sociaux de type communautaire, d'organisations. Les liens de type linking caractérisent, en revanche, des interactions entre des agents appartenant à des groupes différents. Les agents y occupent des places ou des statuts différents. Ces liens sont de nature « verticale ». Enfin dans les relations de type bridging, les agents sont distants les uns des autres aussi bien physiquement (les liens de type bridging sont extraterritoriaux) que dans le temps car ces liens sont discontinus. Alors que le bridging est une forme de lien faible, les deux premières formes de liens sont des liens dits forts.

Des analyses territoriales, comme celle menée sur La Plaine Saint-Denis (Angeon et Lauro 2006), permettent de prendre la mesure de ces distinctions. Elles mettent en évidence le fait que les nouvelles formes de mise au travail reposent sur des dimensions sociales réticulairesFootnote 40. L'Économie sociale solidaire, dont l'association Halage d'insertion par l’économique offre un exempleFootnote 41, propose des services à la personne qui établissent des liens de proximité forte, de type bonding et linking, entre agents. Dans la littérature économique également, les liens de proximité forts entre acteurs – c'est-à-dire la cohésion locale – sont présentés comme un élément explicatif du développement territorialFootnote 42. Or ces approches trouvent leurs fondements théoriques dans les théories du capital social. Angeon et Callois (2006) proposent, dans une même perspective, une analyse du rôle des coordinations locales dans le développement des territoires, en l'occurrence s'agissant de deux territoires ruraux français. On trouve aujourd'hui, dans un nombre croissant de travaux empiriques, la conviction qu'en accroissant la capacité à faciliter l'action collective et la transmission d'informations, la cohésion sociale serait renforcée et contribuerait, de la sorte, au développement territorial, si toutefois cette cohésion ne se traduit pas par une fermeture à l'extérieur (Angeon et Callois 2006, p. 70). Cette foi dans la « force des liens faibles » (Granovetter) contribue à nuancer l'idée que seule la cohésion à petite échelle serait un facteur favorable au succès collectifFootnote 43.

L'interprétation de la cohésion sociale en référence à la notion de capital social nous porte donc à la frontière des deux principales orientations théoriques à partir desquelles penser la cohésionFootnote 44. Mobilisé pour expliquer les fondements de l'action collective et de la coopération entre individus anonymes (Axelrod 1984, Coleman 1990), le capital social est appréhendé comme une attitude de confiance qu'une personne développe vis-à-vis d'autres qui ne lui sont pas familières, attitude qui l'induirait à établir des relations de réciprocité, de collaboration et de coopération sociale (Levi 1996, Boix et Posner 1988, Newton 1997). Dans ce type de modèle, le lien causal s’établit de l'action de la communauté en direction des caractéristiques individuelles. Toutefois la confiance n'est pas seulement une propriété qui émane d'une configuration structurelle mais également un sentiment qu’éprouvent ou non les individus.

Aux antipodes des modèles précédemment exposés, certains théoriciens considèrent que la cohésion sociale repose principalement – et, pour certains, repose de façon ultime – sur le comportement, les attitudes et les évaluations des membres de la société. En effet, quand bien même la cohésion sociale serait une propriété sociétale, elle est aussi expérimentée et vécue au quotidien par les individus, à travers la perception d'inégalités ou dans le climat qui règne dans le voisinage, le milieu professionnel ou scolaire. S'esquissent alors des modèles de cohésion dans lesquels le lien causal ne s’établit plus, principalement voire exclusivement, à partir de l'action de la communauté en direction des caractéristiques individuelles.

III. Modèles « individualistes » de la cohésion sociale

Les modèles sont ici dits individualistes (par opposition à des modèles holistes), dans la mesure où la cohésion sociale n'est pas avant tout ni fondamentalement pensée comme une caractéristique sociétale mais plutôt comme une expérience et un ressenti subjectifs. Ces modèles s'inscrivent, pour partie, dans la tradition de l'individualisme méthodologique. Ils ne consistent pas simplement dans l’étude des manières dont la cohésion sociale est expérimentée quotidiennement par les individus qui vivent dans un contexte social reflétant, comme tel, cette cohésion. Ces modèles conçoivent l'individu – décideur et agent – comme l'origine de configurations sociales présentant une forme de cohésion. Ils offrent une réponse à la question de savoir comment les comportements individuels aboutissent aux résultats sociaux que l'on observe au niveau macro-économique. Les modèles de type « individualiste » désignent aussi bien des modèles de cohésion fondés sur le « sentiment d'appartenance », des modèles dits « libéraux »Footnote 45 que des modèles contractualistes d'inspiration politique.

1. Le modèle « individualiste communautaire »

La cohésion sociale est ici conçue comme se nourrissant et dépendant des sentiments d'appartenance que chaque individu porte à l’égard de l'entité sociale à laquelle il appartient, quelle que soit la taille de cette communauté et dont les limites peuvent s’étendre à celles de la communauté nationale ou de la communauté européenne. Plusieurs définitions de la cohésion sociale sont axées sur le sentiment subjectif d'appartenance. Jerome Frank définit la cohésion comme « le sens qu'ont les membres d'appartenir à un groupe » (Franck 1957, p. 54). Bollen et Hoyle proposent une définition théorique de la cohésion qui rend compte de l’étendue dans laquelle les groupes se sentent « liés à » (stuck to) ou se sentent « faisant partie de » groupes sociaux particuliers (Bollen et Hoyle 1990, p. 501).

Plus récemment Carron envisage la cohésion comme « la tendance pour un groupe à rester ensemble et à demeurer uni dans la poursuite de ses buts et de ses objectifs » (Carron 1982, p. 124). Buckner a cherché à combiner les perceptions des membres du groupe pour caractériser la cohésion du groupe comme un tout (Buckner Reference Buckner1988). Si les membres du groupe ressentent individuellement un plus fort lien au groupe – i.e. s'ils perçoivent une forte cohésion entre eux –, le groupe comme un tout en viendra à manifester une unité de fonction ou d'objectif (purpose) et d'expérience (i.e. une forte cohésion de groupe). Suivant la même inspiration, d'autres théoriciens ont envisagé la cohésion comme une fonction de la perception qu'a chaque individu de son propre statut dans le groupe considéré.

Le sentiment d'appartenance à un groupe peut s'actualiser dans une conscience collective commune dont Durkheim et Marx avaient souligné le rôle comme vecteur d'intégration et de cohésion sociales. On le saisit dans la conscience de classe, la classe sociale constituant, jusque dans les années 1970 au moins en France, un lieu positif d'appartenance collective. Le rôle du sentiment d'appartenance comme vecteur de socialisation n'est plus à démontrer. On observe par exemple que les adolescents, dans les cités, nourrissent une logique d'attachement et d'identification au quartier qui constitue pour eux un lieu de sociabilité et de solidarité (Avenel 2006). Se déploie dans la cité une sociabilité intensive, dominée par la convivialité et le sentiment de solidarité. Elle offre un contrepoint à la désorganisation et à l'exclusion (Avenel 2006, p. 129).

Plus généralement les formes d'intégration induites par le sentiment d'appartenance au groupe ou à la communauté sont exploitées par les politiques publiques opérant à l’échelon local et valorisant les affiliations communautairesFootnote 46. Ainsi les politiques mises en place par le gouvernement travailliste britannique se sont appuyées sur l'identification à la communauté (Rose 2001). Celle-ci est appréhendée comme un lieu et une instance de gouvernance. Le renforcement des processus de réaffiliation et l'effort pour faire participer activement les citoyens à l'atteinte des objectifs gouvernementaux sont passés par la promotion du communautarisme mettant l'accent sur l'action collective locale ainsi que sur les droits et responsabilités mutuels (Etziono 1995 ; Giddens 1998). Ils s'efforcent également d'encourager une implication civique active des individus au sein de leur communauté.

De la même façon, les politiques sociales au bénéfice des quartiers en crise, aux Pays-Bas dans les années 1990, ont mis à profit l'organisation communautaire (Baillergeau 2007). Afin de réaliser l'objectif de cohésion sociale qu'elles s’étaient donné, ces politiques ont favorisé le « vivre ensemble » dans un contexte multiculturel, ainsi que le dialogue et l'entraide entre des personnes dont les seuls points communs étaient la précarité sur le marché de l'emploi et l'appartenance à un quartier négativement stigmatiséFootnote 47. Dans cette perspective, ont été développées, dès le début des années 1990, des activités collectives d'animation de la vie de quartier, la valorisation des initiatives de nettoyage et d'embellissement des rues par l'attribution de primes à l'action (Duyvendak et Van der Graaf 2001), l'implication d'habitants dans des dispositifs de médiation des conflits de voisinage (Peper, Spierings et de Jong 1999). Ces exemples illustrent une interprétation de la cohésion sociale fondée sur un sens de l'engagement individuel, sur le désir et la volonté de vivre ensemble dans l'harmonie.

Cette variante communautaire des modèles subjectivistes de la cohésion a des liens étroits avec le modèle axiologique – que nous analyserons ultérieurement – dans la mesure où le sens de l'appartenance comporte à la fois des éléments cognitifs et des éléments affectifs Footnote 48. Or dans sa dimension cognitive, le sens de l'appartenance peut reposer sur l'identification personnelle à un système de croyances ou à une idéologieFootnote 49.

2. Le modèle « individualiste libéral »

Ce modèle décrit une forme minimale de cohésion sociale et s'appuie sur la thèse libérale selon laquelle une société qui fonctionne bien advient comme la résultante ou le produit de comportements privés. Les institutions publiques ont seulement un rôle restreint en matière d'engendrement de la cohésion. L'ordre social est induit par le marché ou par des institutions privées telles que la famille ou les réseaux sociaux. Ce modèle d'interprétation lie étroitement la cohésion sociale aux institutions économiques et, principalement, au marché. Ce dernier induit des phénomènes de stratification. Adam Smith (1776) considérait déjà que les salaires, et plus généralement, les rémunérations sociales (comme le statut) dépendent de l'offre et de la demande correspondant à tel ou tel emploi. L'offre est fonction de la difficulté d'apprentissage et d'exécution des tâches correspondant aux emplois, ce qui justifie que le statut de médecin soit supérieur à celui d'un employé. Dans ce modèle, la forme de cohésion sociale entre les individus est minimale puisque :

ce qui rend possibles l'accord et la paix dans une telle société, c'est que les individus ne sont pas tenus de se mettre d'accord sur les fins, mais seulement sur des moyens susceptibles de servir une grande variété d'objectifs, et dont chacun espère qu'ils l'aideront dans la poursuite de ses objectifs à lui (Hayek 2007, p. 4).

Bien que ce que Hayek nomme la Grande Société ne soit pas une unité économique, la Grande Société est principalement soudée par les relations économiquesFootnote 50.

Ces modèles trouvent une pertinence sociologique dans le domaine anglo-saxon. Aux yeux de certains auteurs, la « cohésion sociale est supposée être le résultat quasi automatique de la somme des ajustements constants entre les multiples intérêts de la société civile » (Ion 1995, p. 67). Dans ce type d'approche, la perte de cohésion sociale est appréhendée en termes de déclin de la participation des individus aux activités communautaires et aux corps intermédiaires qui les relient indirectement à l’État. La cohésion sociale vient des individus, la communauté étant alors seulement l'agrégat des intérêts individuels. La définition libérale de la cohésion sociale, qui fonde les liens sociaux en dehors de l’État et la fait reposer exclusivement sur des valeurs partagées par les individus, tend par conséquent à rendre invisibles les collectivités nationales ou politiques.

Cette approche de la cohésion sociale est toutefois mise en difficulté dès lors que l'on considère que la cohésion sociale est moins l'affaire d'individus partageant des valeurs que celles des institutions et de leur capacité à gérer efficacement les différences et de produire des compromis satisfaisants, au moins provisoirement, pour les parties en conflit.

3. Le contrat politique et la participation

Le modèle de la cohésion fondé sur le contrat politique (que Rousseau désigne néanmoins par l'expression de contrat social) est un modèle de type volontariste qui s'inscrit dans les modèles individualistes de la cohésion sociale, envisagée comme un phénomène induit, principalement, à partir de comportements individuels caractérisés. La référence au contrat se distingue ici spécifiquement de celle mise en œuvre précédemment. La notion de « pacte social » antérieurement convoquée suggérait un modèle social fondé sur des dispositifs de protection sociale se déployant à l’échelle macrosociale et dans lesquels l’État social constituait la clef de voûte.

Il s'agit à présent d'envisager les usages sociaux et politiques de la référence au contrat en tant qu'il lie un individu singulier – cette fois placé au cœur du dispositif – à un projet social plus englobant mais qui ne s’étend jamais aux limites de la nation. Le ressort est ici la volonté individuelle et l'engagement personnel. Le lien causal (et producteur de cohésion) s’établit à partir des caractéristiques et des comportements individuels en direction de la communauté et de la structure sociale. En l'occurrence, le « contrat [établit] une éthique et une légitimité institutionnelle du vivre ensemble » (Costa-Lascoux 2007, p. 567) et présente une force d'intégration spécifique. Ce modèle s'actualise dans la volonté de coopérer aussi bien sur le plan social que politique mais sa pertinence se vérifie principalement dans l'ordre politique et dans des qualifications de la cohésion à partir des thématiques de l'engagement et de la participation politiques.

La cohésion sociale repose ici, et est en partie définie, comme la somme de toutes les volontés individuelles de coopérer les uns avec les autres, notamment dans des entreprises collectives, sans contrainte dans un ensemble de relations sociales, nécessaires aux individus pour survivre, mener leur existence et prospérerFootnote 51. Par opposition à une appréhension objectiviste de la cohésion sociale, qui dégagerait les propriétés structurelles (telles que la garantie de l’égalité des chances), fondatrices et productrices de cohésion sociale, le présent modèle, de nature individualiste, voit dans la volonté de vivre ensemble et dans la disposition volontaire de chacun à coopérer, la matrice de cette cohésion.

Ce modèle n'a pas seulement une réalité théorique. Nous en étudierons les déclinaisons empiriques spécifiquement dans le cas français. En Europe et surtout en France, la cohésion sociale se fonde sur une conception républicaine de la citoyenneté : l'intégration dans le corps social ne se fait pas par le jeu des corps intermédiaires – à la différence de la tradition anglo-saxonne – mais par l'intermédiaire de l’État avec lequel le citoyen est en relation directe (Saint-Martin 1999, p. 92)Footnote 52. Le haut conseil à l'Intégration a refondé, depuis 2002, la politique de l'intégration sur le contrat (Haut Conseil à l'Intégration 2004). De même, le « contrat d'accueil et d'intégration », institué en 2004, constitue, en France, un outil d'intégration façonné par le droit et la citoyenneté.

Ce modèle contractualiste opère également dans nombre d'activités quotidiennes, tout de même qu'il se trouve convoqué à l'appui de certaines politiques sociales contemporaines à quelque niveau social qu'elles opèrent. Il s'explicite dans les contrats passés entre les jeunes de banlieue défavorisée et un organisme d’État, dans le cadre d'un dispositif d'insertion (Roulleau-Berger Reference Roulleau-Berger1994, p. 859). On le retrouve dans les contrats de ville en France 1994-1999 puis 2000-2006 ainsi que dans la loi de février 2002 sur la « démocratie de proximité »Footnote 53. Les « contrats ville » visent à rétablir le contact dans les quartiers concernés, à réinvestir les lieux, à innover concernant l'intervention publique et à répondre aux problèmes de délinquance et d'insécurité. De façon générale, ces politiques sociales et urbaines reposent sur la contractualisation d'objectifs, au bénéfice des populations les plus défavorisées des quartiers considérésFootnote 54. Elles œuvrent en s'appuyant sur les notions de « coordination », « réseau », « participation » et « médiation », cette dernière visant à reconstituer une communauté au nom de l'appartenance territoriale ou de la commune citoyenneté (Donzelot 1997).

Ces politiques et en particulier la gouvernance de proximité ont inspiré à A. Crawford (2003), le thème de la « communauté contractuelle ». Un exemple en est donné par les modes d'occupation du logement privé où sont élaborées des règles régissant la conduite des copropriétaires, instituant des responsabilités pour ces derniers à l’égard de la communauté et de leurs voisins. Ces dispositions s'appuient sur le cadre législatif, en matière civile et privéeFootnote 55.

De même, les efforts menés pour mettre en place une participation politique locale, fondée sur l'engagement participatif des habitants, dans une commune comme Aubervilliers vise à initier un processus de réaffiliation politique et, au-delà, à recréer du lien social ou un lien social plus englobant (Bacqué et Sintomer 201, p. 240 sq.) Dans la ville d'Evry, l'objectif majeur du contrat ville est la lutte contre l'exclusion, associée à une exigence de démocratie locale. Les structures mises en place ont pour ambition de retisser un lien au travers de la participation citoyenne. Les associations contribuent également à cette reconstitution du lien social en mobilisant l'autonomie et la créativité des habitants du quartier (Muller et Tengour 2000). Elles insistent sur la notion de responsabilité : les adhérents doivent s'investir, s'approprier les locaux et utiliser leur énergie créatrice. Parallèlement, existent des systèmes de solidarité de voisinage, ethniques, de compagnonnage et de convivialité qui permettent de maintenir la cohésion sociale dans les quartiers par l'entraide, l’échange de biens et de services, consolidant ainsi la communauté. La cohésion sociale des quartiers qui entrent dans le Développement social des quartiers (DSQ) est également organisée autour d'une solidarité de voisinage et d'une identité locale.

La volonté publique de créer davantage de cohésion convoque les outils de la participation politique et de l’« empowerment » des citoyensFootnote 56. Dans tous les pays européens, la participation des habitants est présentée comme un objectif essentiel. L'intensification de la cohésion sociale passe par l'accroissement de la participation de chacun dans la société civile, ce qui produit à la fois des résultats sociaux additionnels et un réseau d'associations, qui coopèrent plus facilement dans d'autres domaines tout en proposant des alternatives dans les façons de faire (Putnam 1995, 2000). En France, la participation des habitants, dont on attend qu'elle induise un surcroît de cohésion sociale et de sentiment d'appartenance individuel à la communauté politique, est, depuis le rapport Dudebout (1993), une injonction des ministères publics. Elle est réaffirmée dans les trois lois autour desquelles s'ordonne la politique de la Ville : la loi d'orientation pour la Ville (1991), le pacte de relance de la politique de la Ville (1996), la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU, 2000). La politique de la Ville, en France, est mobilisée à la fois pour promouvoir la démocratie participative, développer les liens de proximité et restaurer le lien social. Il s'agit de développer des pratiques susceptibles de renforcer l'intensité des relations de bon voisinage, d'organiser des manifestations, des fêtes de quartier, des projets d'amélioration du cadre de vie. On considère en effet que le renforcement des liens de proximité, l'organisation de petites actions communautaires, vont empêcher l'individu de basculer dans l'exclusion, et le quartier de se dégrader complètement ou de devenir une zone de relégation (Bresson 2007, p. 1224).

S'agissant de la participation et de l'implication politiques, on observe la mise en place, dans des quartiers en difficulté, de procédures participatives avec des jeunes visant à leur donner une capacité d'influence sur les décisions politiques et à leur offrir l'accès à certaines sources du pouvoir (Roulleau-Berger Reference Roulleau-Berger1994, p. 859). De même, les centres sociaux revendiquent de faire émerger la citoyenneté en œuvrant dans la proximité pour intéresser les citoyens aux enjeux politiques (Bresson 2004)Footnote 57. De façon générale, la participation des habitants est un objectif affiché de la politique de la Ville et de l'aménagement du territoire, dans le but de soutenir la cohésion sociale et de lutter contre les exclusions urbaines et les banlieues d'exil (Dubet et Lapeyronnie 1999). Elle repose sur une interprétation large du lien social. Cette injonction à participer, en particulier dans le cadre des centres sociaux et socioculturels français, vise en réalité davantage à restaurer un lien social minimal avec des populations exclues, qu’à développer l'engagement politique et social de citoyens éclairés (Bresson 2004)Footnote 58. On tient en effet pour acquis, en France, que les élus et les associations ont pour mission de « promouvoir le lien social ».

En Grande-Bretagne, on retrouve également des politiques encourageant la participation des citoyens aux politiques publiques et à l'autoréglementation (Kearns et Forrest 2000, Forrest et Kearns 2001, Loughlin, Lux et Martin 2004). On recherche un niveau d'implication supérieur des citoyens dans le secteur privé et associatif et l'on vise à promouvoir des communautés autonomes grâce à des structures de gouvernance de proximité (Local Government Association, 2004). Ce passage de la gouvernance étatique à la gouvernance communautaire (Flint 2006b) repose aussi sur des mesures visant à encourager l'autonomie, la représentation, l’empowerment et la responsabilité des citoyens et des communautés qui s'autoréglementent (Rose 1999). Ainsi le gouvernement travailliste pense-t-il pouvoir refonder le lien politique en suscitant de nouveaux comportements (Rose 1999, Field 2003). De la même façon, la loi en France sur la démocratie de proximité (2002) faisait de la participation des citoyens une condition cardinale du succès de la gouvernance locale (Loughlin, Lux et Martin 2004). En Grande-Bretagne, cet appel à la participation active des citoyens constitue une voie et un moyen de la réalisation d'objectifs gouvernementauxFootnote 59.

De même dans les villes allemandes, ont été mis en place des programmes Soziale Stadt insistant sur le rôle de l'engagement civique et de la participation locale dans les politiques des villes (Mayer 2006). L'accent est porté sur la qualité de citoyen actif et sur l'action sociale localeFootnote 60. Il s'agit explicitement de promouvoir la cohésion sociale puisque le programme Soziale Stadt vise à améliorer les conditions de vie des résidants dans des quartiers dégradés grâce à une « politique de développement urbain efficace qui favorise l'intégration » (Döhne et Kurt 1999, p. 25). Ce programme est comparable à ceux mis en place dans d'autres pays européens depuis les années 1980, notamment en Grande-Bretagne la National Strategy for Neighborhood Renewal et, en France, la politique de développement social des quartiers ou les régies des quartiers. Ces programmes visent la responsabilisation et l’empowerment des groupes démunis vivant dans des quartiers précis et, de ce fait, une meilleure cohésion au sein des villes (Mayer 2006, p. 39)Footnote 61. On veut penser que ces politiques induiront des améliorations économiques et sociales dans le quartier mais également en termes de cohésion sociale et de participation démocratique (Mayer 2006, p. 39). La participation incarne un idéal de promotion de la solidarité et du lien social.

Les formes prises par ces politiques, dans l'ensemble européen, révèlent donc une certaine homogénéité ainsi qu'un corpus relativement cohérent de pratiques (Baillergeau 2007)Footnote 62. Ces dynamiques que l'on retrouve dans plusieurs pays européens ainsi qu'aux États-Unis (Bacqué 2006), s'inscrivent dans des politiques dont l'une des préoccupations majeures est la cohésion sociale et la réduction de l'exclusion sociale. Leur ambition à toutes est de restaurer le lien socialFootnote 63. Un changement d'accent est en effet perceptible dans la sémantique des politiques publiques qui mobilisent moins les termes traditionnels de « pauvreté » et d’« égalité » que d’« exclusion sociale » et de « cohésion sociale ». Elles reposent sur le postulat selon lequel l'exclusion sociale sera mieux combattue en faisant travailler les personnes en difficulté aptes au travail, en intégrant les bénéficiaires d'aide sociale dans des programmes de recherche d'emploi ainsi que dans des structures participatives locales.

Toutefois, en France en particulier, il s'agit plutôt de « traiter les lieux », en ce sens que la politique de la ville promeut indirectement seulement la participation des habitants (Bresson 2007, p. 125). En effet, les thèmes de la participation et de la « restauration » du lien social, ou de la dynamisation urbaine ne sont posés en France ni sous l'angle des communautés, comme aux États-Unis, ni sous celui du voisinage comme aux Pays-Bas. Ils convoquent plutôt une représentation du rapport entre l'individu et la société et/ou entre l'individu et l’État ou le régime politique ainsi qu'une représentation du lien politique au sens de la cité ou des citoyens appartenant à un même territoire. Autrement dit, l'ambition de la politique de la ville n'est pas de restaurer ou de favoriser des liens sociaux pour les groupes ou pour les individus, mais de restaurer le lien social, la cohésion sociale ou la solidarité au sens durkheimien (Bresson 2007, p. 125), c'est-à-dire de « faire société »Footnote 64. L'idéal de la participation, sur lequel est fondée la politique de la ville, place en son cœur le lien politique, le « pacte civil » dont on juge que, dans certaines zones géographiques, il est mis en difficulté, faisant dès lors naître une menace pour la cohésion sociale, pour l'avenir de la nation et donc pour l'avenir du régime démocratiqueFootnote 65. De la sorte, les enjeux politiques, sociaux et urbains, au niveau national et de proximité, s'entremêlent (Bresson 2007, p. 125). Le pari de la politique de la Ville en France consiste indissociablement à lutter contre les exclusions, à refaire du lien social et politique, à refaire la ville, en développant des liens de proximité dans les quartiers, en mobilisant les habitants pour participer à la transformation de leur cadre de vie et en initiant des débats et des rencontres pour faire « remonter la parole des habitants ».

Il est certain que ces politiques, présentes dans nombre de pays occidentaux, ne vont pas sans poser de difficultés puisque la gestion communautaire, susceptible de s'associer à une solidarité spontanée, peut accroître la solidarité dans un milieu de vie au détriment de la cohésion nationale. L'incitation à créer des quartiers comme lieux de mobilisation des citoyens est susceptible d'affaiblir plutôt que de renforcer l'identification de ces derniers avec des domaines publics plus larges.

Le modèle du contrat politique ou du contrat social fondé sur un engagement politique peut aussi bien être mobilisé dans une perspective formalisteFootnote 66 que dans une perspective substantialiste. Dans ce dernier cas, il impliquera un consensus axiologique diffus et fort sur la légitimité des conventions, des valeurs et des objectifs que se donne le groupe social considéré. Appréhendé dans une perspective substantialiste, le modèle contractualiste politique a partie liée avec le modèle axiologique de la cohésion sociale. En revanche, réduit à sa dimension formelle, il ne présuppose aucune communauté de valeurs partagées. La cohésion sociale implique seulement une conformité formelle à un ordre social, c'est-à-dire un respect des règles qui structurent et organisent la vie sociale, politique voire économique. Elle ne dépend pas de l'identité ou de l'homogénéité des valeurs et des opinions, des croyances et des styles de vie ni du présupposé selon lequel les individus devraient s'y conformer.

IV. Les modèles mixtes

1. Modèle axiologique

Cette dimension substantialiste nourrit, comme telle, un modèle spécifique de cohésion sociale où se conjuguent les perspectives sociétales et individualistes. La cohésion consiste alors dans le fait de partager, pour les individus, une communauté de valeurs. Elle reflète et dépend d'un consensus sur la légitimité des conventions, des normes et des objectifs que se donne la sociétéFootnote 67. Auguste Comte (1839), par exemple, juge que l'accord des esprits est nécessaire pour former une société : il ne peut y avoir de société que dans la mesure où ses membres partagent les mêmes croyances et qu'existe une homogénéité des convictions et des conduitesFootnote 68. Le modèle axiologique de cohésion se trouve convoqué à tous les niveaux de l'organisation sociale. La référence à des valeurs partagées peut également être mobilisée dans l'un ou l'autre des modèles antérieurement esquissés, quoique de façon secondaire. Le présent modèle présuppose que les individus adhèrent, respectent – ou s'engagent à respecter – des valeurs, elles-mêmes léguées par une tradition et propres à l'entité sociale considérée. Les deux dimensions précédemment dissociées convergent ici puisque, pour une part, les valeurs incarnent des jugements normatifs propres à des cultures ou à des groupes sociaux (les valeurs sont collectivement partagées)Footnote 69 mais pour autant que ces valeurs font l'objet d'un consensus, elles sont le support d'un accord tacite entre des sujets. La dimension axiologique est portée par et résulte, pour partie, de mécanismes socialement intégrateurs (en l'occurrence de mécanismes de production et de contrôle social). Dans cette mesure, ce modèle de cohésion sociale appartient aux modèles sociétaux mais l'engagement qu'il implique de la part de chacun en fait également un modèle contractualiste de type individualiste. On démontrerait cette conjonction des perspectives sociétale et individualiste sur l'engagement en faveur des valeurs des démocraties libérales auxquelles la plupart d'entre nous tenons et pour lesquelles certains engagent des luttes (Rawls 1993)Footnote 70.

Le partage de valeurs communes concerne aussi bien des valeurs spécifiques à un pays qu’à une sous-communauté nationale. On trouve un exemple caractérisé de ce second cas dans le Manifeste in Warande (Pagano, Verbeke et Accaputo 2006) qui justifie la séparation de la Flandre du reste de la Belgique au motif que les orientations politiques des communautés wallonnes et flamandes sont différentes, que les valeurs de solidarité ne sont pas interprétées dans les mêmes termes ni ne suscitent les mêmes comportements. De façon plus large, l'intégration dans la communauté politique, conditionnée axiologiquement, s'opère à travers l'acceptation des principes fondateurs de l’État par ses membres, en l'occurrence en France des principes de l’État républicain (universalité, égalité, laïcité) ou, de façon plus large, des valeurs des démocraties libéralesFootnote 71. Intensifier la cohésion sociale signifie alors une adhésion plus forte des individus aux normes de comportement et aux normes instituées, une telle ambition sous-tendant en France par exemple les plus récentes directives sur l’« éducation civique, juridique et sociale » (ECJS)Footnote 72.

Une des critiques de taille qui peut néanmoins être adressée à ce modèle est qu'il n'est pas besoin de partager des valeurs communes pour qu'existe de la cohésionFootnote 73. On peut envisager des communautés où le lien social serait fort sans que le différend ne soit tu, minimisé ou évacué. Ainsi du point de vue de Benjamin Barber, les assemblées locales et les forums régionaux et nationaux sont des lieux où se déploieraient une « démocratie forte » (participatory democracy), un sens de la communauté non consensuel ni conformiste mais amical car construit sur le conflit, la différence et le différend (Guibet Lafaye 2008a). Les citoyens pourraient y discuter leurs désaccords et, selon Barber, prendre conscience de la supériorité des questions collectives sur leurs préoccupations individuelles.

2. Le modèle des forces

Le modèle des forces est un modèle de type dynamique – par opposition à ce que serait un modèle mécanique de cohésion fondé sur l'identité ou la similitude des individus, et présupposant une intégration définitive de l'individu à la communauté. Le modèle organique est également de nature dynamique. Comme nous l'avons souligné, les modèles que nous esquissons ne constituent pas des principes explicatifs exclusifs les uns des autres. Ce faisant, les propriétés qui les caractérisent, de façon prédominante, peuvent se retrouver dans d'autres modèles. Autrement dit, notre propos est de distinguer ces modèles en fonction de leurs propriétés mais également par les logiques qu'ils convoquent, pour rendre compte des rapports entre les individus et le tout comme des rapports interindividuels, ainsi que pour expliquer la cohésion et le fonctionnement social.

En l'occurrence, la cohésion sociale a été pensée comme une force, en particulier comme la résultante de « forces » individuelles supposées influencer les individus pour rester dans le groupe (Bollen et Hoyle 1990, p. 481)Footnote 74. L'attraction interpersonnelle est ici synonyme de cohésion. Cette interprétation – pour partie métaphorique – peut être convoquée dans une appréhension de la cohésion sociale d'inspiration intégrationniste ou dans une interprétation privilégiant la référence au capital social. Elle est sous-jacente à une compréhension de l'intégration sociale qui souligne, au-delà de la variété infinie des motivations individuelles, la convergence des comportements qui renforce la stabilité des institutions (Ben Rafaël 2005, p. 365). Une illustration paradigmatique de ce modèle fut offerte par les travaux de Festinger et ses collaborateurs menés en psychologie sociale sur de petits groupes. Constatant qu'il est souvent difficile de dire quelles forces sont les plus importantes ou combien de forces peuvent être mesurées pour déterminer correctement la cohésion (Gros et Martin Reference Gross and Martin1952), Festinger réinterprète la cohésion comme « la résultante de toutes les forces » qui influencent ou conditionnent les membres à rester dans le groupe (Festinger, Schachter et Back Reference Festinger, Schachter and Back1950, p. 194). La cohésion est alors saisie à la fois à partir des forces individuelles et comme la résultante de forces sociales.

Le modèle des forces est bien un modèle mixte puisque, pour une part, il fait référence à des forces qui attirent ou poussent les individus à rester dans le groupe – telle est sa dimension sociétale – mais il explique par ailleurs la cohésion en référence à des forces et à des comportements individuels. Pour autant il ne fait pas reposer exclusivement la cohésion sur des comportements individuels, dans la mesure où les individus sont, pour une part, « agis » par des forces qui leur sont extérieures, de nature strictement sociale et identifiables à des propriétés de la structure sociale, qui les poussent à l'agrégation ou à la sortie du groupe. Le lien causal entre la communauté et les caractéristiques individuelles est réciproque, ce qui confirme encore l'inscription du modèle des forces dans les modèles mixtes d'interprétation de la cohésion sociale.

Après la reformulation en 1950 par Festinger du concept de cohésion, plusieurs chercheurs ont continué de travailler sur les forces particulières qui œuvraient pour maintenir les groupes ensemble. Kurt Back se concentre sur la « force de l'attraction que le groupe a sur ses membres » (Back 1950, p. 21). Il met ainsi en évidence un lien causal qui prend son origine dans l'action de la communauté et induit des caractéristiques individuelles. Lott rend formellement opérationnelle cette force individuelle comme « le nombre et la force des attitudes mutuelles positives parmi les membres du groupe » (Lott 1961, p. 279). Schachter enfin défend l'utilisation de « composant d’amitié (friendship component) du champ des forces » comme un vecteur (proxy) de cohésion (Schachter 1952, p. 556).

Dans ces ultimes théorisations de la cohésion sociale en termes de forces, l'accent semble porté sur la dimension subjective et le comportement individuel. On évoque par exemple l'amitié. Néanmoins la mutualité et le fait que la coopération engendre de la confiance sont également des paramètres structurels caractérisant le groupe, qui justifient l'inscription du paradigme des forces dans les modèles mixtes de la cohésion sociale. La confiance interne au groupe joue le rôle de force attractive ou captatrice sur les individus qui appartiennent à ce groupe. Ce modèle présente toutefois certaines limites. En particulier l'attraction réciproque entre les membres d'un groupe ou l'attraction qu’éprouve un individu à l’égard d'un groupe, bien qu'elles soient susceptibles de produire de la cohésion (Lott et Lott Reference Lott and Lott1964) ne peuvent, en tant que telle, être confondues ni avec le phénomène de la cohésion ni avec son concept.

Lorsque l'on évoque la cohésion ou le lien social, le discours est fréquemment celui de la déploration. S'y exprime le regret d'un âge d'or voire une posture de résistance contre ce qui advient, en l'occurrence face à ce qui passe pour un double péril : la montée de l'individualisme postmoderne et la dissolution de la société industrielle des Trente Glorieuses, que l'on envisage souvent comme la haute époque de l'intégration sociale – du fait de la massification de la consommation, de la « moyennisation » sociale alors obtenue par l'extension du salariat et l'affermissement de l’État-providence.

Résolument distinct de ce discours, notre propos a consisté à dégager les grands axes à partir desquels envisager les modèles interprétatifs de la cohésion sociale et, par conséquent, à conférer une substance à un concept que l'on a jugé vague, indéterminé, vide (Bernard 1999, p. 48). Un moyen d'appréhender la diversité d'acceptions de cette notion est de souligner, de façon positive, qu'il n'existe pas de façon unique de définir la cohésion sociale. Cette plurivocité n'est toutefois pas synonyme d'indétermination. Elle signifie plutôt que l'on ne peut conclure à la cohésion d'une société complexe en référence à un critère unique. Ainsi la référence à la complémentarité fonctionnelle des positions, dans la société industrielle, ne peut être l'unique critère d'appréciation de la cohésion des sociétés passées ou contemporaines. Elle permet seulement d'affirmer qu'une telle société est intégrée.

Cette typologie devrait également contribuer à prévenir les jugements hâtifs sur l’état de décohésion qui affecterait les sociétés contemporaines notamment de la part de ceux qui prendraient pour modèle et référence une représentation de la cohésion exclusivement inspirée de celle des sociétés industrielles et pour partie reconstruite a posteriori (Dubet et Martucelli 1998). La typologie précédemment esquissée permet de saisir une évolution temporelle des usages de la notion de cohésion sociale ainsi que des politiques publiques s'efforçant de la promouvoir. Du début du xxe siècle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les politiques de « cohésion sociale » – qui n'en portaient pas le nom – ont consisté, dans la plupart des pays d'Europe, à adopter des dispositions publiques s'efforçant d'inclure et de protéger les travailleurs, de réduire l'extrême pauvreté ainsi que les plus hauts revenus. Après la Seconde Guerre mondiale, la recherche d'une plus grande cohésion sociale a pris forme dans l'adoption de dispositifs de protection sociale (chômage, maladie, vieillesse) ou de transferts de ressources (allocations familiales, allocations logement). Aujourd'hui, les politiques publiques européennes voire nord-américaines, visant à engendrer davantage de cohésion, opèrent à une autre échelle et suivant d'autres modalités. Elles prennent en particulier la forme de politiques de la Ville ou de politiques visant à recréer du tissu social à l’échelle locale. Au niveau national, on retrouve plutôt – en France au moins – des politiques à destination de populations spécifiques identifiées par leur « manque d'intégration ». Ainsi l'agence nationale pour la Cohésion sociale et l’égalité des chances, créée par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, concourt-elle à la lutte contre les discriminations et a-t-elle pour objectif l'intégration, sur l'ensemble du territoire national, des populations immigrées et issues de l'immigration résidant en France. Elle prend également part aux opérations en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la Ville dont on a vu l'importance dans les politiques d'intégration contemporaines. La typologie proposée permet donc de saisir et d'apprécier les changements de paradigmes – par exemple le passage d'un modèle organique à une interprétation de la cohésion faisant référence à un modèle individualiste ou localiste – dans l'interprétation et l’évaluation de la cohésion sociale, locale, communautaire ou nationale. Elle n'ouvre pas seulement une perspective descriptive et statique de la cohésion mais également une appréciation dynamique et évolutive de celle-ci.

Footnotes

1 Le concept durkheimien d'interdépendance est à la fois politique et sociologique.

2 L'idée que c'est la société comme telle et donc pour partie l’État, qui est le garant du maintien et de la consolidation de la cohésion sociale se retrouve chez Castel (Reference Castel1995) et chez Donzelot (Reference Donzelot2006).

3 J. Donzelot Reference Donzelot(2006) souligne que la fortune de l'expression de cohésion sociale est inversement proportionnelle à l'usage déclinant de celle de progrès social à partir des années 1980.

4 Récemment encore on pouvait lire, dans le domaine francophone, que « la cohésion se prête mal à une théorie générale sinon en termes vaguement métaphoriques, parce que la cohésion est un phénomène émergent et une sorte de bricolage historique » (Dubet 2009, p. 325).

5 En France spécifiquement et jusqu'en 2002, la référence à l'intégration s'inscrivait dans un projet de recherche d'une unité politique qui transcende la diversité des modes de vie et des cultures. Elle héritait du paradigme de l'assimilation qui opère par effacement de l'altérité dans un ensemble dominant (Costa-Lascoux 2002, p. 2) et se comprend comme une sorte d'aptitude à adopter les valeurs et les modes de vie de la société d'accueil. Le discours de Troyes du président de la République, en octobre 2002, et la création du Haut Conseil à l'Intégration inaugurent une nouvelle interprétation de l'intégration admettant la persistance de spécificités culturelles des populations immigrées ou issues de l'immigration.

6 L'existence d’écarts individuels excessifs de situation est un paramètre déterminant de la cohésion sociale et de sa préservation. Nous n'entrerons pas ici dans l'analyse des rapports entre ces deux dimensions qui est abordée dans un autre volet de nos recherches.

7 Nous ne traiterons pas par conséquent la question de savoir comment maintenir la cohésion d'une société ni ne mettrons en évidence les voies de l'affiliation à une société culturellement et normativement plurielle.

8 Le rapport « Cohésion sociale et prévention de l'exclusion » (Fragonard 1993) et le rapport « Cohésion sociale et territoires » (Delevoye Reference Delevoye1997).

9 Il s'agit, par le biais de ce plan, de réduire les inégalités en France, notamment celles que vivent les populations immigrées concentrées dans les banlieues défavorisées, par des mesures sur l'emploi, l'insertion des jeunes, le logement et l’égalité des chances. Une maison de la Cohésion sociale a également été installée dans les bureaux de la HALDE.

10 « Afin de promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de la Communauté, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique et sociale. En particulier, la Communauté vise à réduire l’écart entre le niveau de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées » (art. 23 de l'Acte unique européen).

11 En écho à cette perspective, un indice européen de cohésion territoriale a été mis au point par Grasland et Hamez (2005).

12 Dans le texte du commissariat au Plan, par exemple, la « décohésion » sociale (i.e. la menace pesant sur la cohésion sociale) est associée à des sentiments d'isolement de la communauté.

13 Nous ne postulons pas que, dans le détail de leur exposition, ces modèles sont exclusifs les uns des autres. Les distinctions que nous proposons indiquent seulement des orientations dominantes.

14 On en trouve une « exemplification » théorique dans la philosophie rousseauiste (Rousseau 1762, chapitre VII).

15 Si le comportement individuel a, dans ce modèle, une place et se voit reconnaître une certaine importance, les mécanismes sociaux sont interprétés comme ayant une certaine autonomie. On leur reconnaît des propriétés indépendantes du comportement individuel, telles que la coordination qui relève alors davantage des mécanismes sociaux que des individus.

16 Dès Adam Smith (1776), la division du travail entre les individus s'impose dans la pensée économique libérale comme facteur principal de la cohésion sociale (voir aussi Durkheim 1893, p. 1).

17 Ce modèle ménage néanmoins la possibilité d'une interprétation en termes de « degrés » d'intégration notamment à travers l'identification de zones de vulnérabilité. Dans ce type de modèle (de nature concentrique), la décohésion sociale ne se pensera pas en termes de rupture mais en termes de dissolution.

18 Léon Bourgeois fait explicitement référence à la notion de « quasi-contrat social » (1902, p. 81).

19 Le modèle contractualiste a donc une inscription historiquement datée, en ce sens qu'il correspond aux formes de solidarité qui se sont déployées avec les dispositifs de protection sociale de la période évoquée.

20 L'utilisation du contrat comme instrument du travail social intervient également, au niveau local et avec d'autres intentions, dans le programme Opsinjorn de la ville d'Anvers (Belgique).

21 Telle est l'interprétation que propose Robert Castel pour le cas français (Castel Reference Castel1995, p. 709). Une confirmation empirique en est apportée par une étude sur des quartiers défavorisés de la région parisienne (Bacqué et Sintomer Reference Bacque and Sintomer2001, p. 242).

22 Cette intuition est déjà présente chez Durkheim (1893), qui souligne que lorsque la coordination est absente, il n'y a pas de liens sociaux et, de ce fait, la société plonge dans l'anomie.

23 L'héritage durkheimien a imprimé sa marque sur les représentations de l'univers sociologique français. C'est en particulier le cas de la conception de l'intégration sociale – que l'on oppose aux phénomènes d'exclusion – fondée sur la solidarité et le lien social. Cette représentation est propre au système sociopolitique français, bien qu'elle ait essaimé en d'autres lieux (Silver 1994, pp. 586-590).

24 Rappelons que la sociabilité désigne la capacité humaine à former des réseaux, par lesquels les unités d'activités, individuelles et collectives, font circuler les informations qui expriment leurs intérêts, goûts, opinions (Baechler 1992, p. 58).

25 On l'appréhende dans la politique fédérale canadienne de recherche du sous-comité pour la cohésion sociale (PRSub-C) (Social Cohesion Research Work-plan, Mars 1997), dans le rapport produit par le commissariat général du Plan en 1997 sur Cohésion sociale et territoires (Delevoye Reference Delevoye1997), dans le rapport de 1997 de l'OCDE (Societal Cohesion and the Globalising Economy) ou dans le rapport du Club de Rome (1998). À chaque fois, le niveau local est considéré comme l’échelon clé de production de la cohésion sociale.

26 Voir les discours de la DATAR de cette époque.

27 De même, des études sur l’économie informelle ont montré que le rôle qu'y jouait la communauté. Alejandro Portes (1994) souligne le rôle essentiel de la confiance comme ciment social et du groupe comme instance de contrôle. Sur les solidarités communautaires, voir aussi Pairault (1995).

28 Ce faisant, on procède à une réification des rapports sociaux en des liens interindividuels et à la substantialisation des relations sociales au travers de leur lieu d'effectuation (Gesnetier 2006, p. 33).

29 De la sorte, on omet une difficulté de taille puisque, traditionnellement, la société est pensée par différence d'avec la communauté. En effet, l'une des définitions les plus influentes du concept de société, donnée par Ferdinand Tönnies (1887), se comprend par contraste d'avec celle de communauté, celle-ci étant caractérisée par la proximité, affective autant que spatiale, des individus (Deliège 2005, p. 652). La société, en revanche, est caractérisée par des formes modernes de sociabilité. Elle se fonde sur les intérêts personnels, l'intérêt étant à la base des rapports sociaux orientés vers le marché et le contrat.

30 La notion de réseau – en tant qu'il se différencie d'un agrégat – implique un partage de normes, d'informations, de ressources, qui le constitue en capital social (Langlois 2005, p. 596).

31 L'accent placé sur le capital social comme dimension fondatrice de la cohésion sociale est central dans les études canadiennes.

32 Le rôle central de la référence au capital social dans les théories de la cohésion sociale s'explique à partir de la corrélation entre capital social et réseaux sociaux (Lin 1999).

33 Reconnaissons toutefois qu'il existe une pluralité de définitions du capital social. Celle proposée par Pierre Bourdieu, quoique souvent critiquée, l'envisage comme « l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance ; ou en d'autres termes à l'appartenance à un groupe, comme ensemble d'agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes […] mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles » (Bourdieu 1980, p. 2).

34 Dans l'interprétation putnamienne, le capital social repose sur l'entretien de réseaux de sociabilité, la production de normes sociales et l'instauration d'une confiance mutuelle entre les acteurs.

35 De même pour James Coleman Reference Coleman(1988), le capital social correspond aux caractéristiques d'une structure sociale qui « facilitent les actions des individus au sein de la structure ». Coleman identifie les processus constituant le capital social : les obligations et les attentes, l'accès à l'information, les normes et sanctions, les relations d'autorité, les organisations sociales que les acteurs peuvent s'approprier (réseaux informels), les organisations sociales intentionnelles (i.e. créées dans un but précis) (Coleman 1990, p. 302). Ces processus ne sont pas tous de même niveau analytique mais reflètent la démarche microsociologique de l'auteur. Dans l'approche de Coleman et de Putnam, qui s'en est inspiré, le capital social ne se manifeste pas dans les ressources qu'un individu est susceptible de mobiliser grâce à ses contacts – ce qui distingue cette approche de celle de Bourdieu – mais sous trois formes qui renvoient à la notion de contrôle social : les attentes et obligations mutuelles, l'information – qui fait les réputations –, les normes et sanctions qui dissuadent des tentations opportunistes (Ponthieux Reference Ponthieux2008, p. 3).

36 Le capital social est un bien public qui réside dans la structure des réseaux sociaux mais c'est aussi un espace d'investissement pour des stratégies individuelles (Granjon et Lelong 2006, p. 151).

37 On considère que l'appartenance et la participation active à des associations (de loisirs, culturelles, religieuses, caritatives, etc.) (Walzer 1981) ou à des assemblées politiques, surtout locales (Barber 1984), favoriseraient l'apparition d'un sentiment de confiance, d'un sens de la responsabilité et du bien commun chez les individus (Putnam, Leonardi et Nanetti 1973, Putnam Reference Putnam2000).

38 L'idée d'attribuer un capital social aux entités collectives prête néanmoins à discussion. L'absence de modèles théoriques sur cette question oriente la recherche vers des études empiriques de type inductif (Angeon et Callois 2006, p. 62), pour lesquelles R. Putnam a joué un rôle de pionnier et qui sont fort nombreuses depuis le milieu des années 1990. Cependant on peut juger contestable l'approche de Putnam dans la mesure où elle confond, sous une même appellation, des phénomènes très différents (certains renvoyant à des pratiques – sociabilité, participation associative –, d'autres à des perceptions – normes et valeurs –) (Ponthieux Reference Ponthieux2008, p. 3). En outre, Putnam entend par « capital social » aussi bien ce dont ce dernier tire sa valeur (i.e. les réseaux) que ce qu'il produit (en l'occurrence une norme de réciprocité et de confiance). Le capital social est construit à la fois comme effet et comme cause.

39 Voir, pour une approche comparable mais relevant de l’économie politique, Francis Fukuyama (1997) qui, dans une analyse comparée des différents capitalismes nationaux, fait du capital social la variable explicative de l'efficacité économique dans un monde globalisé. L'inspiration putnamienne est nette.

40 La Maison de l'initiative économique locale (MIEL) soutient de jeunes entreprises, en proposant à leurs dirigeants des prestations de formation et d'accompagnement individuel (Angeon et Laurol 2006, p. 22). Elle met en relation des acteurs de statut identique et constitue de ce fait un cadre propice à la formation de liens cohésifs forts (de type bonding). Ayant des activités connexes avec d'autres organismes présents sur le territoire, dans le but de promouvoir la formation du public concerné, elle s'inscrit dans des dynamiques de liens de type linking.

41 Cette association incite certains acteurs du territoire à prendre collectivement part à des actions finalisées telles que le chantier-école de remise en état des berges de la Seine conduit par des chômeurs.

42 Les économistes, après les sociologues, se sont appropriés la notion de capital social.

43 Certains travaux étudient également les modalités de formation de la stratification sociale, afin de déterminer comment s'organisent les réseaux de sociabilité ainsi que les logiques d'agrégation et de séparation des personnes et des groupes. Ils mettent en évidence une diversité insoupçonnée de ces formes (Eve 2002). En effet, selon les individus, les logiques d'agrégation peuvent s'appuyer sur l'origine sociale, le quartier, les services de l’État, les institutions d'enseignement supérieur, la profession, la famille (Gribaudi 2000). Dans certains cas, ce sont les lieux de sociabilité qui s'avèrent particulièrement structurants (Maillochon 1998) sans que cette importance puisse être isolée des autres « variables » définissant les individus.

44 Cette dualité s'exprime déjà dans la définition que Coleman propose du capital social lequel recouvre « une variété d'entités qui ont deux éléments en commun : elles consistent toutes en aspects de la structure sociale, et elles facilitent certaines actions des acteurs – individus ou acteurs collectifs – à l'intérieur de la structure » (Coleman Reference Coleman1988, S 98).

45 Nous employons ici l'adjectif « libéral » au sens que lui donne la philosophie anglo-saxonne d'attachement et de prééminence des droits et libertés individuelles plutôt que conformément aux significations qu'il revêt dans le débat politique français.

46 Certains misent sur la dynamique des corporations de développement communautaire pour contrer la tentation de l'isolement que représentent les gated communities ainsi que la perte de confiance en soi et dans les autres qu'elle symbolise (Putnam Reference Putnam2000).

47 On peut toutefois émettre des doutes quant à la possibilité de faire société, c'est-à-dire de construire du lien social, uniquement à partir de l'insertion économique, et en ne s'appuyant que sur le ressort communautaire (Donzelot 2003).

48 Les éléments cognitifs concernent l'information. Les éléments affectifs sont à l'origine de la motivation.

49 La théorie de l'autocatégorisation a souligné l'importance du principe selon lequel l'identification à un groupe implique l'adhésion aux normes et aux valeurs qui prescrivent les comportements désirables et les attitudes valorisées au sein du groupe (Oakes, Haslam et Turner 1993).

50 « Voilà le sens très large dans lequel l'on peut utiliser le terme ‘économique’ en disant que l'interdépendance ou la cohésion des éléments de la Grande Société est purement économique » (Hayek 2007, p. 135).

51 Le pacte a le sens d'un accord sur le fait que les relations et interactions s'opèreront sur la base du respect des règles sociales, sans recourir à la force ou à d'autres formes illégitimes de contrôle social. Son expression paradigmatique se trouve chez Rousseau : « Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant ». Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution (Rousseau 1762, chapitre VI).

52 « L’État a la capacité de nourrir fortement la cohésion sociale » (Delevoye Reference Delevoye1997, p.5).

53 Comme nous l'avons évoqué, le programme Opsinjorn de la ville d'Anvers récompense ses citoyens qui s'engagent dans des activités de nature communautaire ou des initiatives visant à développer le capital social dans les quartiers tels que la signature d'un contrat entre au moins cinq voisins s'engageant à entretenir une rue ou un parc (Loopmans 2004).

54 Le contrat a été l'instrument privilégié de la mise en œuvre des principes (de ciblage, de globalité, de transversalité, de citoyenneté) animant les nouvelles politiques de la ville. Il est limité dans le temps et appelle une évaluation lorsqu'il touche à son terme.

55 Néanmoins ces « services soustraits à l'administration locale » (MacLeod 2004) sont un modèle d'autonomisation des citoyens et des quartiers qui pourrait bien engendrer un désengagement plutôt qu'un réengagement envers l’État (Flint Reference Flint2006a, p. 24). Tout en s'inscrivant dans la gouvernance de proximité encouragée par le gouvernement britannique par exemple, ces pratiques remettent en question l'existence d'un intérêt commun à l’échelon des municipalités ainsi que la volonté de faire société (Crawford 2003, p. 501).

56 L’empowerment désigne une pratique visant à élever la capacité d'action et de décision des habitants pour les aider à sortir de leurs difficultés par leurs propres moyens, à augmenter leur pouvoir d'agir sur leur espace et leur vie.

57 Dans la charte fédérale des centres sociaux et socioculturels de France, adoptée par l'Assemblée générale d'Angers (17-18 juin 2000), la démocratie est l'une des trois valeurs de référence énoncées. Elle est pensée en termes de démocratie participative, suggérant ainsi l'implication des adhérents et des bénévoles dans l'organisation des services de proximité (garderies d'enfants, centres de réunion, activités sociales et culturelles de toutes sortes).

58 Maryse Bresson a travaillé dans le Nord-Pas-de-Calais où l'on recensait, en 2003, plus de 120 centres sociaux, dont 90 % étaient à gestion associative.

59 « Un élément important de l'amélioration durable des services publics et de la participation des citoyens aux institutions du gouvernement consiste à offrir et à mettre au point des activités à l’échelon du quartier, mobilisant ainsi l'intérêt des gens envers les questions locales, qui touchent leur vie quotidienne » (ODPM 2005).

60 Ce type de mesure s'inscrit dans une reconfiguration d'ensemble des politiques sociales allemandes où l’ « État activateur » doit promouvoir et faciliter l'action de ses citoyens plutôt que leur offrir des mesures sociales renforçant leur passivité.

61 Cette forme d’empowerment est un objectif affirmé du programme Soziale Stadt qui déplore que « les résidants ne participent pratiquement pas à la vie politique ». Ce programme a comme objectif principal de « motiver les résidants à participer aux projets, à s'engager dans les associations et à s'organiser eux-mêmes sur une base permanente » (ARGEBAU 2000, site visité le 27 avril 2009). Tous les Länder ont souscrit à cet objectif. Certains le réalisent en mettant en place des structures de participation, tandis que d'autres s'emploient davantage à rendre les citoyens plus actifs individuellement (Institut für Stadtforschung und Strukturpolitik (IfS) 2004.

62 Notre propos n'est pas ici de juger de leur légitimité ou de leur à-propos mais de souligner le recours massif des politiques publiques et sociales à ce type d'instruments.

63 Il s'agit également de développer une intervention de « proximité » (Breviglieri 2005), au contact direct des destinataires des politiques sociales, en tenant compte de leurs difficultés et de leurs aspirations, en essayant de réduire la distance qui la sépare de la société. Enfin il s'agit de promouvoir la « participation » des personnes concernées par ces politiques sociales, de susciter leur implication dans la mise en œuvre de ces dernières, de susciter les initiatives émanant des citoyens, de développer les pratiques associatives en vue de contribuer au mieux-être collectif (Baillergau 2007).

64 La reformulation de l'idéal de cohésion, de justice ou de solidarité dans un discours sur le lien social, ainsi que son explicitation en référence à la proximité et à la localité, lui confèrent au moins une densité empirique, un surcroît de scientificité et, de ce fait, une tonalité moins idéaliste (Gesnetier 2006, p. 28).

65 Dans cette représentation du lien social défaillant, ce ne sont pas tant les relations de proximité entre des habitants obligés de vivre ensemble – parce qu'ils n'ont pas les moyens d'habiter ailleurs – qu'il faudrait promouvoir mais le vivre ensemble dans des lieux communs, comme les lieux publics.

66 Comme dans le libéralisme politique et la philosophie politique rawlsienne.

67 Dans sa forme radicale, ce modèle interprétatif revient à penser que l'ordre social serait la conséquence de valeurs plutôt que d'intérêts, du consensus plutôt que du conflit.

68 De façon comparable, la cohésion d'une société passe, pour Durkheim, par la mise en place d'une morale étayée par des valeurs collectivement partagées et rationnellement fondées.

69 L'attrait des valeurs dépend d'une évaluation et d'une échelle transitive des biens, tels qu'ils ont été établis dans une culture donnée, ou tels qu'ils ont été adoptés par un groupe particulier (Habermas 1995, pp. 114-115). Habermas envisage les « valeurs » comme des produits sociaux contingents, variant au gré des « mondes de la vie ».

70 Des travaux empiriques convoquent également la référence aux normes pour mesurer l'intégration de l'immigré dans la société d'accueil (Safi 2006).

71 Voir aussi la théorie du consensus par recoupement de Rawls (1993).

72 Voir également le « Socle commun de connaissances et de compétences », proposé par Gilles de Robien en 2006 et paru au Journal Officiel du 12 juillet 2006.

73 Voir Guibet Lafaye (2008b) sur l’éducation à la citoyenneté dans un contexte multiculturaliste et le traitement du multiculturalisme dans des pays comme le Canada ou les Pays-Bas. En effet, la reconnaissance comme membre d'une société n'implique pas nécessairement de partager l'idée d'une destinée ou de valeurs communes, si ce n'est celle de la mise en application concrète du respect des libertés et des chances de tout un chacun (Helly Reference Helly2002, p. 29).

74 Voir Aussi Back (1950) et Schachter (1952).

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