Il s’agit d’un plaisir de recenser la thèse de doctorat, maintenant publiée, d’Alexandre Genest, intitulée Performance Requirement Prohibitions in International Investment Law. Cette monographie s’ajoute à une littérature encore trop mince sur un sujet souvent considéré comme nébuleux ou secondaire du droit des investissements, les prescriptions de résultats et leurs prohibitions. Le sujet a été brièvement couvert par certains ouvrages généraux sur le droit des investissements ou sur les traités modèles, ainsi que par quelques articles ou rapports d’organismes comme la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, mais il semble s’agir de la première monographie entièrement consacrée au sujet.Footnote 1
La présente recension met d’abord en contexte les prohibitions de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement pour ensuite faire le survol et présenter une critique de la monographie en question.
Le contexte des prohibitions de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement
Les dispositions prohibant les prescriptions de résultats sont loin d’être aussi fréquentes que celles sur le traitement juste et équitable, la compensation en cas d’expropriation, ou le traitement de la nation la plus favorisée (TNPF), qui sont incluses dans essentiellement tous les traités de promotion et protection des investissements.
Le premier traité bilatéral d’investissement (TBI) contenant des prohibitions applicables aux prescriptions de résultats est le TBI États-Unis–Égypte signé le 29 septembre 1982 et le premier traité modèle à les inclure est celui des États-Unis de 1982.Footnote 2 Les dispositions sur les prescriptions de résultats font donc une arrivée tardive dans le droit des investissements puisque le premier TBI moderne (Allemagne-Pakistan) est signé en 1959.Footnote 3 Aussi, les dispositions conventionnelles requérant un traitement juste et équitable, la protection et sécurité intégrales, ou encore diverses formes de traitement national ou de TNPF, peuvent être retracées au moins au début du 20e siècle dans les traités d’amitié, de commerce et de navigation.Footnote 4 Aujourd’hui, les prohibitions de prescriptions de résultats sont quand même contenues dans un nombre significatif, et vraisemblablement grandissant, de ces traités et chapitres sur les investissements d’accords de libre-échange.
Dans sa monographie, Alexandre Genest limite son examen des prohibitions de prescriptions de résultats à 414 accords d’investissements, dont soixante conclus par les États-Unis, trente-sept par l’Australie, cinquante par le Canada, quatre-vingt-un par le Chili, 107 par la France et soixante-seize par l’Inde.Footnote 5 De ces 414 traités, 196 (ou 47 pour cent) contiennent des prohibitions de prescriptions de résultats (États-Unis: soixante; Australie: neuf; Canada: quarante; Chili: dix-neuf; France: soixante-quatre; Inde: quatre).Footnote 6
Comme le souligne correctement Alexandre Genest, il n’y a pas de définition généralement acceptée de ce qu’est une “prescription de résultat” dans un traité d’investissement ou encore d’approche consensuelle concernant lesquelles devraient être prohibées.Footnote 7 Pour comprendre ce qu’est une “prescription de résultat” prohibée, il est plus facile d’examiner le texte spécifique de chaque traité. La genèse de ces prohibitions peut probablement être retracée aux débats ayant mené à l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce (Accord sur les MICs) lors des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1994.Footnote 8 Ces débats ont des antécédents sous l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 1947), notamment la décision du panel du GATT dans Canada – Administration of the Foreign Investment Review Act, en 1984.Footnote 9 Dans cette affaire, les États-Unis avaient contesté avec succès des dispositions législatives canadiennes sur l’approbation des investissements étrangers requérant que des investisseurs étrangers s’engagent à acheter des biens locaux et à exporter un certain pourcentage de leur production. Suivant cette jurisprudence, l’Accord sur les MICs requiert maintenant qu’“aucun Membre [de l’OMC] n’appliquera de [mesure concernant les investissements et liée au commerce] qui soit incompatible avec les dispositions de l’article III [traitement national] ou de l’article XI [restrictions quantitatives] du GATT.”Footnote 10 Il est aussi interdit d’imposer ou d’obtenir un engagement d’un investisseur étranger ayant pour résultat “que les achats ou l’utilisation, par une entreprise, de produits importés soient limités à un montant lié au volume ou à la valeur des produits locaux qu’elle exporte.”Footnote 11
Les prescriptions de résultats prohibées par les traités d’investissement peuvent inclure celles mentionnées ci-dessus, ainsi que plusieurs autres, notamment l’achat ou l’usage de services locaux ou encore le transfert de technologies.Footnote 12 D’autres dispositions prévoient aussi quels avantages peuvent ou ne peuvent pas être octroyés en échange de certaines prescriptions de résultats.Footnote 13 Souvent, ces prohibitions sont rédigées de manière très détaillée. Elles peuvent aussi comporter des exceptions, exclusions ou “réserves” négociées permettant le maintien de mesures existantes non-conformes, sujet à l’obligation que ces mesures ne deviennent pas moins conformes dans le futur.Footnote 14 Certains traités prohibant les prescriptions de résultats interdisent aussi toute mesure “similaire” aux prescriptions de résultats énumérées ou “ayant un effet similaire” à ces prescriptions de résultats.Footnote 15
Si toute mesure étatique affectant un investissement étranger comporte nécessairement un certain élément politique, les prescriptions de résultats y sont tout particulièrement assujetties. Dans le contexte d’investissements étrangers importants, les prescriptions de résultats peuvent s’insérer dans une négociation entre l’état hôte et l’investisseur étranger. De manière plus générale, les prescriptions de résultats peuvent répondre à un désir d’augmenter la capacité de production ou de fourniture de services dans certains secteurs. Les prescriptions de résultats peuvent ainsi être perçues comme des moyens de développer l’économie de l’état hôte. Les prohibitions de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement seraient, quant à elles, justifiées parce que les prescriptions de résultats auraient tendance à fausser les conditions du marché en obligeant un investisseur étranger à adopter des pratiques inefficientes.
Ces dispositions soulèvent ainsi des questions non seulement politiques mais aussi sur l’attraction des investissements. Notamment, elles soulèvent la question de l’équilibre approprié entre les retombées locales qu’un gouvernement peut requérir d’investissements étrangers au-delà de la contribution apportée simplement par la présence de l’investissement.
Un investisseur ayant une relation à long terme avec un état hôte pourra dès lors hésiter avant d’initier un arbitrage contre cet état même si l’investisseur subit une violation alléguée de la prohibition de prescriptions de résultats contenue dans un traité d’investissement. Par exemple, dans l’affaire Mobil et Murphy c Canada, les sociétés Mobil Investments Canada et Murphy Oil Corporation ont poursuivi le Canada pour l’adoption de lignes directrices, en 2004, requérant de dépenser, dans la province de Terre Neuve et Labrador, 0.5 pour cent des revenus annuels des projets pétroliers Hibernia et Terra Nova en recherche et développement (R&D) et en formation.Footnote 16 Ces lignes directrices se voulaient une mise en œuvre de dispositions législatives datant de 1987 requérant des opérateurs de ces gisements d’effectuer des dépenses de R&D et de formation dans la province de Terre Neuve. En 1994, le Canada avait inclus ces dispositions législatives dans ses “réserves” à l’ALÉNA. Footnote 17 Les lignes directrices de 2004 ont été adoptées après une baisse perçue de dépenses en R&D et en formation après 1997, alors qu’aucun seuil de dépense de R&D et en matière de formation n’avait été fixé. La position de Mobil et Murphy, acceptée par une majorité du tribunal, était que les lignes directrices de 2004 constituaient une application disproportionnée des mesures “réservées” sous l’ALÉNA, rendant cette exclusion inapplicable. Fait intéressant, la société américaine Chevron, qui détenait aussi un intérêt dans les développements Hibernia et Terra Nova,Footnote 18 n’a jamais poursuivi le Canada sous le chapitre 11 de l’ALÉNA.
Le calcul de certains investisseurs étrangers à ne pas poursuivre un état hôte pour des prescriptions de résultats soulève aussi des questions sur l’effectivité de la prohibition des prescriptions de résultats et le meilleur moyen de faire appliquer cette prohibition. Un investisseur peut être plus intéressé à maintenir une bonne relation avec un état hôte et pourrait accepter de s’assujettir à des prescriptions de résultats prohibées, par exemple en échange de certains avantages, notamment fiscaux, surtout dans le contexte d’accords d’investissements qui ne sont pas toujours publics. Une telle situation soulève aussi des questions quant au traitement similaire ou différentiel de différents investisseurs étrangers opérant dans le même secteur lorsque les opérations pourraient, au moins de facto, être assujetties à des prescriptions et avantages variables.
Une autre raison pour laquelle il est possible que peu d’arbitrages d’investissement aient été initiés à l’encontre de mesures constituant exclusivement des prescriptions de résultats est que les dommages n’en valent pas toujours la chandelle, la mesure n’affectant souvent qu’une partie limitée de l’investissement. Les affaires du “sucre” contre le Mexique ne constituent pas une exception à la règle. Même si certains tribunaux ont jugé que le Mexique avait violé l’article 1106 (prescriptions de résultats) de l’ALÉNA, la violation principale alléguée était celle de l’article 1102 (traitement national).Footnote 19 Dans ces affaires, le Mexique avait adopté une importante taxe sur le “high fructose corn syrup,” produit principalement par des entreprises américaines. Cette taxe avait détruit au passage la part de plusieurs entreprises américaines sur le marché de la vente de sucre pour la production mexicaine de boissons gazeuses, au profit du sucre à base de canne, produit au Mexique.
Les prohibitions des prescriptions de résultats n’en demeurent pas moins un aspect important et sensible des réglementations sur les investissements étrangers (et le commerce international). Cette sensibilité se manifeste dans l’exclusion de ces obligations du mécanisme de résolution des différends investisseur-état dans certains traités importants. C’est le cas du Traité sur la Charte de l’énergie,Footnote 20 du chapitre d’investissement de l’Accord économique et commercial global Canada-Europe (AÉCG)Footnote 21 (même si nombre de TBIs entre le Canada et certains états membres de l’Union européenne antérieurs à l’AÉCG assujettissaient les prescriptions de résultats à l’arbitrageFootnote 22), ainsi que du nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique. Footnote 23 Le récent Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), cependant, assujettit les prescriptions de résultats à l’arbitrage investisseur-état.Footnote 24
Description et critique de l’ouvrage d’Alexandre Genest
L’ouvrage d’Alexandre Genest contient sept chapitres:
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1. Introduction générale;
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2. Les caractéristiques et objectifs généraux des prescriptions de résultats et des prohibitions de prescriptions de résultats;
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3. L’intégration systémique et la fertilisation croisée pour une meilleure compréhension de la prohibition de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement;
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4. Typologie et analyse de la prohibition de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement;
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5. Caractéristiques récurrentes qui modulent l’étendue et la couverture de la prohibition de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement;
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6. L’élargissement de l’effet de la prohibition de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement par la voie de la clause de la nation la plus favorisée;
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7. Conclusions générales.
L’objectif de la monographie est d’établir: (1) comment les états prohibent les prescriptions de résultats et (2) comment ces prohibitions sont interprétées et appliquées.Footnote 25 L’auteur se met ainsi en opposition avec une grande partie de la littérature qui tend à se focaliser sur l’opportunité même des prohibitions de prescriptions de résultats, plutôt que d’aborder leur cadre interprétatif dès lors que de telles prohibitions ont été négociées.
Le sujet n’était pas facile, car il existe peu de sentences arbitrales qui se penchent sur le sujet et encore moins d’affaires où l’enjeu principal est l’application d’une prescription de résultat prohibée. L’auteur a donc décidé de recenser les 414 traités d’investissement mentionnés ci-dessus (sur 3,317 traités d’investissement existant à la fin 2018). Les traités choisis reflètent les modèles de plusieurs pays différents, et ayant des approches parfois divergentes: les États-Unis, le Canada, la France, l’Australie, le Chili et l’Inde. L’auteur a aussi puisé dans la pratique des états sous le GATT 1947 et à l’OMC où la prohibition des prescriptions de résultats a pris forme et été discutée de manière élaborée, notamment dans le contexte de l’Accord sur les MICs. Concernant la question de savoir quels avantages peuvent ou ne peuvent pas être conditionnés à une prescription de résultat, l’auteur puise aussi dans la jurisprudence de l’OMC sous l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires. Footnote 26
L’ouvrage est souvent descriptif en ce qu’il examine le contenu des dispositions prohibant les prescriptions de résultats. Aussi, l’ouvrage s’attarde plus sur l’interprétation de ces dispositions conventionnelles, in abstracto et celle faite par les tribunaux arbitraux, que sur l’application de ces dispositions par les états, au jour le jour. Il semble exister tellement de prescriptions de résultats — parfois énumérées par transparence dans les annexes de certains traités sur les mesures existantes non-conformes pouvant être maintenuesFootnote 27 — qu’il est difficile de croire à un respect généralisé, par les états, des prohibitions négociées. Même si le livre contient un certain nombre d’exemples d’application réelle des prescriptions de résultats, la pratique des états est vaste. Par exemple, les mesures incompatibles avec les prescriptions de résultats, en particulier sur le commerce des biens, sont discutées au sein de l’OMC au comité sur l’Accord sur les MICs. Footnote 28 Cela dit, Alexandre Genest a fait son choix en préférant fournir un cadre interprétatif pour un examen approprié des prohibitions de prescriptions de résultats. Sur cette voie, le livre est un succès et constitue une contribution importante sur la manière de mieux appréhender les prohibitions de prescriptions de résultats.
Le chapitre le plus intéressant de la monographie est sa conclusion, construite petit à petit, un chapitre à la fois. La conclusion présente 14 thèses pour une interprétation et un encadrement plus appropriés des prohibitions appliquées aux prescriptions de résultats. Si l’auteur de la présente recension aurait formulé différemment certaines critiques des décisions des tribunaux arbitraux pertinentes, les thèses d’Alexandre Genest doivent être généralement retenues et méritent d’être sérieusement considérées par toute personne qui se penche sur la question des prescriptions de résultats, qu’il s’agisse d’arbitres, de conseils ou de négociateurs.
Ces thèses sont:
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• La signification des termes utilisés dans les prohibitions de prescriptions de résultats n’est pas toujours évidente. Les caractéristiques des prescriptions de résultats, leurs objectifs, ainsi que leur rôle dans la négociation, entre état hôte et investisseur, du cadre d’un investissement spécifique, aident à cerner l’objet de ces prohibitions.
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• L’interprétation et l’application des prohibitions de prescriptions de résultats dans les traités d’investissement devraient se faire au moyen de la fertilisation croisée et de l’intégration systémique.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats reproduisent un nombre limité d’archétypes fréquemment utilisés.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats incorporant l’Accord sur les MICs soulèvent des questions difficiles.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats résultant d’une liste non-exhaustive ou ouverte se réfèrent à un ensemble identifiable de mesures.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats résultant d’une liste non-exhaustive ou ouverte contraignent de manière excessive les états. Les prescriptions de résultats considérées suffisamment importantes pour les intérêts d’un état devraient être maintenues à l’aide d’exceptions ou de “réserves” clairement rédigées et négociées par les états contractants aux traités.
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• Les listes détaillées de prohibitions de prescriptions de résultats suivent un nombre limité d’archétypes fréquemment utilisés.
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• Au moins quatorze catégories de prescriptions de résultats apparaissant dans les prescriptions prohibées au moyen de listes détaillées et exhaustives utilisent des termes ayant acquis une signification établie.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats sont mieux comprises lorsque chaque prohibition est examinée individuellement et séparément des autres prohibitions énumérées. Il est mieux d’éviter les énoncés de principe sur l’objet et la nature des prescriptions de résultats. Les différentes prescriptions ne sont pas liées de manière égale au commerce internationale ou encore à la limite des imports ou exports.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats devraient aborder explicitement le lien permissible ou non entre tout avantage accordé par un état hôte et toute prescription de résultat, plutôt que de laisser planer l’incertitude sur la licéité d’avantages en lien avec de telles prescriptions.
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• La définition jurisprudentielle du terme “avantage” (benefit en anglais) sous l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, à l’OMC, peut améliorer la compréhension du même terme “avantage” (advantage en anglais) utilisé dans l’Accord sur les MICs et les dispositions prohibant les prescriptions de résultats dans les traités d’investissement.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats ne devraient pas être confinées aux objectifs liés à la promotion ou protection des investissements ou encore à l’objet des prescriptions explicitement liées au commerce international. Chaque prohibition de prescription de résultat devrait être interprétée selon le degré spécifique du lien qu’elle possède avec les objectifs liés à l’investissement ou au commerce qui sont les siens.
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• Les prohibitions de prescriptions de résultats examinées contiennent un grand nombre de variantes dont les négociateurs de futurs traités peuvent s’inspirer, afin de moduler adéquatement l’étendue de l’application de ces prohibitions. Il faut interpréter de manière pleinement effective et utile les prohibitions de prescriptions de résultats contenues dans les traités existants.
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• L’application de clauses de TNPF aux prohibitions de prescriptions de résultats ajouterait clairement à l’incertitude et à la déstabilisation déjà créée, de manière inhérente, par celles-ci. Les tribunaux arbitraux pourraient être tentés d’appliquer certaines restrictions non-écrites aux clauses de TNPF adoptées par certains tribunaux arbitraux dans l’application de clauses à l’arbitrage investisseur-état.
Ces quatorze conclusions ou thèses méritent les sept observations suivantes.
D’abord, il est effectivement important de ne pas interpréter les termes d’un traité sur le fondement de généralisations de principe, mais bien d’examiner individuellement chaque prohibition, sans se fonder sur des principes qui s’appliqueraient à toutes les prescriptions de résultats. En ce sens, la critique d’Alexandre Genest de la sentence Merrill & Ring c Canada semble tout à fait justifiée.Footnote 29
Ensuite, le principe d’intégration systémique, tel que reflété par l’article 31(3)(c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 mérite évidemment d’être appliqué.Footnote 30 Les dispositions pertinentes des accords de l’OMC, notamment de l’Accord sur les MICs ou encore de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires devraient effectivement être prises en compte dans l’interprétation et l’application de prohibitions de prescriptions de résultats, pour des traités où toutes les parties sont aussi membres de l’OMC,Footnote 31 lorsque les dispositions interprétées ont un lien avec ces autres traités. Quant à la fertilisation croisée (cross-fertilization), il est un peu moins clair qu’il s’agisse d’un principe applicable à l’interprétation des traités. La pratique des états parties à un traité, par exemple telle que reflétée dans leurs autres traités ou dans leur traité modèle, peut évidemment être pertinente à l’interprétation, mais seulement lorsqu’elle reflète un accord des différentes parties au traité étant interprété.Footnote 32
Troisièmement, Alexandre Genest souligne avec raison que les traités contenant des prohibitions de prescriptions de résultats ouvertes ou non-exhaustives peuvent être problématiques parce qu’elles créent de l’incertitude quant à l’étendue des mesures prohibées. Alexandre Genest souligne donc avec pertinence la situation difficile dans laquelle se trouvait le tribunal dans Lemire c Ukraine face à une mesure requérant la diffusion radiophonique de contenu local alors que la liste de prohibitions était non-exhaustive.Footnote 33
Quatrièmement, face aux listes non-exhaustives, une des démonstrations les plus convaincantes d’Alexandre Genest, établie par un examen de la pratique de plusieurs états, est qu’il existe 14 types de mesures généralement reconnues comme pouvant être considérées comme des prescriptions de résultats.Footnote 34 Cette liste pourrait être considérée comme une liste définitive des prescriptions pouvant être prohibées lorsqu’un traité contient une obligation ouverte de prohiber les mesures ayant un effet similaire aux prescriptions de résultats.
Cinquièmement, les prohibitions de prescriptions de résultats devraient bien évidemment être interprétées de manière à leur donner un effet utile, plutôt qu’à restreindre indûment leur effet.
Sixièmement, la meilleure façon d’obtenir une interprétation et une application effective mais balancée des prohibitions de prescriptions de résultats est en les définissant de manière détaillée et en incluant les exceptions, exclusions et “réserves” appropriées afin de préserver les intérêts légitimes des états. Ces intérêts peuvent inclure le maintien de prescriptions de résultats existantes au moment de la conclusion d’un traité.Footnote 35 Cependant, même avec des annexes détaillées et des principes d’interprétation spécifiques aux “réserves” concernant les mesures non-conformes maintenues en vertu de l’accord des parties au traité, comme ceux prévus à l’Annexe I de l’ALÉNA, l’affaire Mobil et Murphy c Canada démontre que l’interprétation et l’application de telles “réserves” ne sont pas exemptes d’incertitudes.Footnote 36
Finalement, Alexandre Genest souligne avec raison les questions difficiles pouvant être soulevées par le lien entre les clauses de TNPF et les prohibitions de prescriptions de résultats. Cependant, il ne prend pas réellement position sur l’étendue de l’application des clauses de TNPF dans ce contexte. On peut souligner que plusieurs états ont, par le passé, dans leur pratique conventionnelle, inclus des dispositions explicatives ou exclusions indiquant leur opinion sur l’étendue que devraient avoir, de manière générale ou spécifique, les clauses de TNPF.Footnote 37 Aucune note explicative ne semble avoir explicitement visé les prohibitions de prescriptions de résultats. Cependant, dans l’AÉCG, il peut être noté que les prohibitions de prescriptions de résultats sont exclues du mécanisme de résolution des différends investisseur-état, ce qui peut refléter une politique selon laquelle les différends sur ces dispositions devraient être soulevés seulement entre états, plutôt que par les investisseurs. Cette position permet évidemment un contrôle plus serré des contestations de ces mesures. À l’opposé, le PTPGP soumet au mécanisme de résolution des différends investisseur-état les prohibitions sur les prescriptions de résultats. Le Canada étant partie à ces deux traités, on peut conclure que la position canadienne sur le sujet reflète un réalisme pragmatique. Le Canada s’étant assujetti à des obligations détaillées et étendues sur les prescriptions de résultats dans ses traités d’investissement depuis l’ALÉNA en 1994, incluant dans ses TBIs et accords de libre-échange par la suite, le Canada s’adapte à ses partenaires de négociation tout en continuant d’inclure, dans la mesure du possible, les obligations les plus étendues possibles. Ces obligations créent des conditions de marché compétitives pour les investisseurs étrangers au Canada et pour les investisseurs canadiens à l’étranger.
En guise de conclusion, nous ne pouvons que remercier Alexandre Genest pour sa contribution à la littérature sur le droit des investissements, tout en espérant que les acteurs du domaine en prendront bonne note.