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SWAHILI VOICES IN THE CONTACT ZONE - De la Côte aux confins: Récits de voyageurs swahili. By Nathalie Carré. Paris: CNRS Éditions, 2014. Pp. 395. €25, paperback (ISBN 978-2-271-07597-0).

Published online by Cambridge University Press:  01 October 2015

CECILE VAN DEN AVENNE*
Affiliation:
Ecole Normale Supérieure de Lyon
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Abstract

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Reviews of Books
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Copyright © Cambridge University Press 2015 

De la Côte aux confins est la première publication en français des Safari za Wasuaheli, récits de voyage rédigés en swahili, relatant des expéditions menées dans les années 1890, par quatre auteurs différents: Mtoro bin Mweni Bakari, Sleman bin Mwenyi Chande, Abdallah bin Rachid, Selin Bin Abakari, tous hommes de famille de notables, musulmans, et lettrés, originaires de la côte orientale africaine, en actuelle Tanzanie. Ces récits, sans doute les premiers rédigés dans une langue africaine qui ne soit pas l'arabe, furent suscités et recueillis dans des conditions tout à fait particulières par Carl Velten, traducteur officiel du gouvernement impérial de l'Afrique orientale allemande de 1893 à 1896, puis professeur à Berlin. Il les publia pour la première fois en 1901, simultanément en swahili et en traduction allemande. Deux des récits furent ensuite publiés dans une édition bilingue swahili/français, dans un swahili ‘modernisé’ et une traduction éloignée du texte originelle et le rendant plus accessible à des auteurs occidentaux. Nathalie Carré est retournée à la source des textes swahili pour proposer une traduction française qui soit fidèle aux textes d'origine, qui ne les coule pas dans des canons littéraires occidentaux, et qui en garde la vivacité, liée notamment à une écriture très près de l'oral, mais aussi une part de leur irréductible ‘étrangeté’ (avec notamment le choix de ne pas traduire certaines notions très spécifiques au monde swahili). Elle a tâché, nous dit-elle, de restituer au mieux, par ses choix linguistiques et stylistiques, le plaisir de lecture que l'on peut avoir en lisant les textes en swahili, et ce que l'on peut ressentir de leur ‘modernité de ton’. En cela, sa traduction n'est pas seulement la première traduction française, elle est aussi la première traduction dans une langue européenne, qui rende justice à ces textes en nous les faisant lire au plus près de la façon dont ils ont été composés, et en les extrayant, d'une certaine façon, du contexte colonial dans lequel ils ont été recueillis. Et le résultat est réussi: les récits sont passionnants et portés par des voix qui permettent de caractériser des individus singuliers et attachants, tous bien ancrés dans le monde swahili dont ils font partie, mais également en contact avec la colonisation allemande, intermédiaires culturels entre ces deux mondes, de par les espaces sociaux dans lesquels ils évoluent.

Au delà de leur intérêt littéraire, ces récits sont aussi des témoignages importants émanant d'individus dont les voix sont peu entendues dans les écrits coloniaux allemands. Et en même temps, ce qui peut paraître quelque peu paradoxal, ils doivent leur existence à l'entreprise coloniale allemande et à l'intérêt, au sein de cette entreprise, porté à la langue swahili, enseignée dès 1897 à l'ouverture de l'Ecole des langues orientales de Berlin, et étudiée par les futurs cadres allemands du protectorat. Les Safari za Wasueheli étaient ainsi étudiés en classe de langue. Nous avons donc affaire à des textes produits dans et par la ‘zone de contact’ au sens où l'entend Mary-Louise Pratt (1992).Footnote 7 A ma connaissance, il n'existe aucun texte équivalent écrit par des écrivains africains et dans une langue africaine, édités dans l'Afrique coloniale française.

Sur les sept textes édités et traduits par Velten, Nathalie Carré a choisi de n'en garder que cinq, pour garder la cohérence thématique du récit de voyage, les deux textes mis de côté étant des notes ethnographiques. Sa traduction est accompagnée d'une introduction générale, permettant de situer historiquement ces textes (et complétés par des répères chronologiques et une carte). Chacun est par ailleurs introduit par un court texte, présentant brièvement le récit et son auteur. D'autres documents enrichissent l ‘édition et permettent une contextualisation fine des récits: différentes cartes des parcours, des notices biographiques de personnages historiques clés apparaissant dans les textes, un glossaire des termes swahili utilisés. Nathalie Carré a choisi de nous présenter ces récits dans un ordre, de la Côte aux confins, qui va du voyage ‘au plus proche’, dans l'arrière-pays de la côte swahili, au plus lointain, puisque le dernier écrivain du volume, Selin Bin Abakari, attaché au service d'un officier allemand, et parlant couramment l'allemand, le swahili et le kingazidja (comorien) est allé à Berlin avec son maître, puis l'accompagne dans un voyage en Russie, Sibérie et jusqu'au Kazakhstan. ‘J'ai parcouru le monde et découvert des choses innombrables, que l'on n'a jamais vues et dont on n'a jamais entendu parler sur le continent d'où je viens’ écrit celui-ci à la fin de son dernier récit. Ce livre nous ouvre donc aussi une fenêtre sur une fin de XIXème siècle caractérisés par des contacts culturels inédits et accrus, produits des situations coloniales mais les dépassant largement.

References

7 Mary-Louise Pratt, Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation (London, New York: Routledge, 1992).