Dans ce livre, Annette Boudreau propose une réflexion sur les discours et les idéologies qui sous-tendent les pratiques linguistiques en milieu minoritaire acadien. Alors que les recherches de cette auteure font autorité dans plusieurs disciplines connexes telles que la sociolinguistique et l'analyse du discours, cet ouvrage constitue une excellente synthèse de l'ensemble du travail qu'elle a mené dans sa carrière. L'auteure ne se limite cependant pas à faire état des enjeux linguistiques et sociaux en milieu minoritaire, elle propose également de lier sa propre expérience personnelle ainsi que celle de plusieurs Acadiens avec les concepts théoriques qu'elle aborde, ce qui en facilite grandement la lecture. L'ouvrage comporte neuf chapitres, une préface signée par Michel Francard et un épilogue servant de conclusion.
Dans le premier chapitre (13–48), l'auteure donne le ton en avouant que sa motivation à mieux comprendre la construction des discours sur la langue provient d'un sentiment éprouvé à un très jeune âge de ne pas maîtriser suffisamment bien le ‘bon français’ à l'oral. En faisant une rétrospection de ses premières années universitaires dans les années 70, elle raconte comment la variation linguistique était mise de côté dans l'imaginaire collectif au profit d'une conception plutôt essentialiste du français.
Le deuxième chapitre (49–72) aborde spécifiquement la situation (socio)linguistique de la ville de Moncton au Nouveau-Brunswick. Boudreau met de l'avant la complexité des rapports de domination qui pèsent sur les francophones de cette région alors que ces derniers sont minoritaires face aux anglophones en plus d’être locuteurs d'une variété anglicisée (nommée le chiac) très stigmatisée en comparaison avec le français dit standard.
Le troisième chapitre (73–92) se penche sur le rôle du chercheur dans la construction du savoir en milieu minoritaire. Boudreau soutient que le chercheur détient un certain pouvoir de par ses recherches dont il se doit de reconnaître les effets vis-à-vis l'image projetée sur le groupe social étudié. L'auteure offre également une réflexion intéressante sur le rapport particulier qu'un chercheur peut entretenir avec le milieu qu'il étudie lorsqu'il est lui-même un membre de ce milieu.
Le quatrième chapitre (93–108) mentionne les défis que posent la collecte et la transcription des données recueillies. Boudreau rappelle l'importance d'adopter une attitude empathique et d'avoir un membre du milieu pour réaliser ces entrevues afin que les locuteurs puissent être à l'aise de s'exprimer librement. Elle suggère ensuite d'adopter des conventions de transcription qui ne stigmatisent pas la parole de ces locuteurs mais qui ne masquent néanmoins pas la singularité des formes.
Le cinquième chapitre (109–144) illustre comment les discours sur la langue sont tributaires du positionnement des locuteurs face à leurs pratiques. Boudreau démontre que, dans les écoles des milieux minoritaires, plusieurs jeunes dévalorisent leur parler au profit d'une vision idéalisée du standard. Elle souligne également que les façons de nommer les variétés d'une langue représentent un autre moyen efficace d'analyser ces discours en ce qu'elles sont porteuses de significations et de valeurs.
Le sixième chapitre (145–184) met en relief l'enchevêtrement de trois discours identitaires qui circulent en Acadie. Le premier, dit traditionaliste, valorise l'aspect conservateur de la langue comme capital symbolique (Bourdieu, Reference Bourdieu1982). Le deuxième, dit moderniste, tourne autour de politiques linguistiques qui prônent l’égalité du français et de l'anglais. Le troisième, dit mondialisant, touche plutôt à la construction d'une authenticité culturelle qui s'inscrit dans le paradigme de la diversité au sein de la francophonie.
Le septième chapitre (185–200) lie les concepts de fierté et de profit avec l'usage du français en Acadie. Alors que la conservation du français en milieu minoritaire peut constituer une source de fierté, Boudreau soutient que la maîtrise du français et de l'anglais a connu une réinterprétation idéologique dans la nouvelle économie mondialisée (Heller, Reference Heller2002), où elle est devenue une source de profits sur le marché de l'emploi et dans le milieu touristique.
Le huitième (201–230) et le neuvième (231–256) chapitres illustrent l'apport primordial des artistes et des écrivains dans la promotion de la variation linguistique, du personnage de la Sagouine d'Antonine Maillet jusqu’à la musique de Lisa Leblanc, en passant par les ouvrages littéraires de Gérald Leblanc et de France Daigle. L'auteure fait part de leurs diverses contributions à la mise en forme d'un nouveau discours ébranlant la conception essentialiste du français.
Tout bien considéré, le livre d'Annette Boudreau s'avère une excellente ressource pour tous ceux qui s'intéressent à la construction du discours et des idéologies linguistiques. Bien qu'elle nous mette en garde dès le début qu'elle adhère à une sociolinguistique axée sur le rôle de la langue dans la structuration sociale d'un espace donné, les linguistes qui travaillent dans un cadre variationniste ou théorique y trouveront également plusieurs notions très utiles. Les défis énumérés par l'auteure, notamment concernant les façons d'approcher les locuteurs d'un milieu minoritaire et les façons de transcrire la parole de ces locuteurs sans pour autant la stigmatiser, sont d'une utilité indiscutable.