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Les droites provinciales en évolution (2015–2020). Conservatisme, populisme et radicalisme Frédéric Boily (dir.), Québec: Les Presses de l'Université Laval, coll. CÉFIR, 2021, pp. 176

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Les droites provinciales en évolution (2015–2020). Conservatisme, populisme et radicalisme Frédéric Boily (dir.), Québec: Les Presses de l'Université Laval, coll. CÉFIR, 2021, pp. 176

Published online by Cambridge University Press:  22 July 2022

Maxime Fleury*
Affiliation:
Université du Québec à Chicoutimi (mfleury5@etu.uqac.ca)
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Recension/Book Review
Copyright
Copyright © The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Cet ouvrage collectif dirigé par le professeur Frédéric Boily a pour objet l’évolution récente des droites provinciales au Canada. Le constat de départ est que l'année 2015 apparaît « comme un tournant en politique canadienne, c'est-à-dire un moment où se produit un changement radical de direction idéologique et politique par rapport à ce qui se passait depuis près d'une décennie » (1), témoignant d'un « réveil » des droites provinciales. Ainsi, le livre a pour objectif de cerner la nature de ce phénomène en comparant les cas du Québec, de l'Ontario, de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick. La conclusion pointe vers trois variables qui, selon les auteurs, permettent de mieux comprendre les développements récents à ce sujet : « la diversité des droites, le populisme et la question de la radicalité » (157).

En premier lieu, il s'agit de comprendre comment se manifestent les diverses droites provinciales. À cet égard, Frédéric Boily questionne puis corrobore partiellement la validité de la thèse d'une « vague bleue » (22). Certes, le succès des droites incarnées par Jason Kenney (Alberta), Doug Ford (Ontario) et François Legault (Québec) ont en commun d'avoir mobilisé un discours articulé sur le rejet du parti jusqu'alors au pouvoir. Cependant, le cas québécois se distingue en raison de la dimension identitaire, où l'on insiste sur « l'importance d'assurer la viabilité d'un État national québécois » (22). En ce qui concerne le conservatisme de Kenney, il appartient surtout à la droite économique néolibérale et il s'appuie fortement sur le développement des énergies fossiles (157). De même, à la lumière de la gestion de la crise sanitaire, Ford et Legault ont quant à eux équilibré leur idéologie conservatrice avec un interventionnisme plus prononcé que celui de leur homologue albertain (157). Ainsi, même si ces trois gouvernements peuvent être rangés au sein de la même famille idéologique, Boily rappelle que leur manière de gouverner n'est pas identique pour autant.

L'enjeu du populisme est le deuxième thème transversal du livre. La conclusion est nuancée et les auteur.e.s ne tombent pas dans le piège de limiter l'expression du phénomène au style auquel nous a habitué l'ancien Président des États-Unis, Donald Trump. Comme le font valoir Stéphanie Chouinard et Kelly Gordon, le cas de Kris Austin au Nouveau-Brunswick incarne l'une des déclinaisons du populisme caractéristique des droites provinciales canadiennes. Le fondateur de l'Alliance des gens du Nouveau-Brunswick est principalement associé à ses innombrables attaques formulées à l'encontre du bilinguisme dans la province – une institution qui avantagerait les « groupes d'intérêts spéciaux » au détriment de la majorité anglophone (78–79). Les analyses des prises de position de Doug Ford, de Kris Austin et de Jason Kenney illustrent aussi « que le populisme est présent à des degrés variables dans les provinces canadiennes, sans pour autant qu'il faille décrire les trois chefs comme étant des prétendants au populisme trumpien » (159). Il faut donc situer les populismes canadiens dans la lignée de celui des années 1990, incarné notamment par l'Albertain Ralph Klein, qui se concentrait principalement sur la dénonciation du pouvoir des « élites ».

Le troisième axe structurant le livre est le radicalisme. Cet angle est tout spécialement développé dans le chapitre de Louis Audet-Gosselin et Martin Geoffroy, intitulé « Zoomer, groypers et intégristes catholiques : vers une nouvelle génération d'extrême droite ? » (105–138). Ce chapitre s'intéresse à l'extrême-droite québécoise et, plus particulièrement, à sa manifestation chez les jeunes–d'où l'expression « zoomers », qui renvoie à la génération Z. Le terme « groyper » désigne quant à lui la mouvance d'extrême-droite fondée par Nick J. Fuentes. L'animateur du balado America First y reprend essentiellement des arguments formulés par Donald Trump, en lien avec « l'opposition à l'immigration dite ‘de remplacement’, la promotion d'un conservatisme social radical, s'opposant à l'homosexualité, à la réalité trans et à l'avortement au nom des valeurs chrétiennes présentées comme les fondements de la nation américaine » (107–108). Par contre, lorsque l'on observe la frange québécoise de l'extrême-droite, nous devons porter attention aux caractéristiques propres à la situation, puisque les emprunts d'idées proviendraient en plus grande partie d'Europe (ce qu'on désigne parfois comme la Nouvelle Droite française ou le néofascisme italien) (107). Il faut aussi souligner l'intégrisme catholique et l'inspiration maurassienne des jeunes extrémistes (134). On observe aussi l'idéalisation de la Nouvelle-France et du Canada français, où certains placent sur un piédestal des figures comme Lionel Groulx, Dollard des Ormeaux, l’évêque ultramontain Mgr Ignace Bourget et, étonnement, Camille Laurin (132). Dans tous les cas, la diffusion des idées et les échanges entre les membres des groupes d'extrême-droite se font, majoritairement, sur les réseaux sociaux. Sans exagérer ou minimiser la présence de l'extrême-droite parmi les jeunes, l'analyse parvient à donner un aperçu limité à la nouvelle génération de cette partie de la droite.

Enfin, il importe de souligner la qualité du livre et des analyses qu'il rassemble. Les nuances et les précautions méthodologiques sont aux nombres des principales forces du livre. Il y a aussi un souci réel de démontrer la diversité idéologique des droites provinciales canadiennes. L'intelligence de l'ouvrage dépeint de manière limpide la complexité du sujet, qui contraste avec les amalgames, discours tranchés et simplismes réducteurs quant aux extrémismes et populismes, que nous pouvons entendre dans l'espace public et jusque dans le milieu universitaire. En particulier, le chapitre 6 de Audet et Geoffroy nous offre des outils pour saisir un phénomène plutôt difficile à analyser, comme ces derniers le rappellent. À cet égard, la principale faiblesse du livre tient probablement au manque d'approfondissement relatif au déterminant économique. Il ne s'agirait pas de réduire le populisme à une réaction des perdants de la mondialisation ou à d'autres lieux communs du genre ; cette dimension reste centrale, et l'on peut difficilement comprendre toute l’évolution des droites sans cet apport.