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Action publique et changements d'échelles : les nouvelles focales du politique, Alain Faure, Jean Philippe Leresche, Pierre Muller et Stéphane Nahrath (dir.), L'Harmattan, collection Logiques politiques, Paris, 2007, 378 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 September 2010

Anne Mévellec
Affiliation:
Université d'Ottawa
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

Cet ouvrage collectif n'a pas a priori de prétention théorique forte. Pourtant, en posant la question de savoir «comment ces déplacements de compétences entre l'Europe, les États nationaux, les régions et les villes modifient les formes et les contenus de l'action publique» (9), les auteurs s'attaquent à des questions fondamentales de la science politique, telles que la place et le rôle de l'État, la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques, les formes de gouvernance accompagnant l'action publique et la place du politique, entre autres. Ainsi, comme l'indiquent les éditeurs de l'ouvrage, le changement d'échelle n'est pas simplement un questionnement sur les producteurs des politiques publiques, mais bien davantage sur le contenu de ces dernières, ce qui explique pourquoi on retrouve des questions relativement classiques de la science politique sous un nouvel angle.

Le double questionnement sur les formes de l'action publique et sur le changement d'échelle proposé ici, amène le lecteur à faire face à certains enjeux centraux de l'analyse de politiques publiques tels qu'ils sont présentés dans la littérature francophone européenne contemporaine. Les différentes contributions réunies dans l'ouvrage sont autant d'occasions de faire le pont entre les présupposés des auteurs du «rescaling», qui loin de voir le territoire comme neutre, considèrent que «la fabrication des échelles politiques de référence constitue à la fois un enjeu, une ressource et un produit de l'action collective» (Jouve, 47), et les outils de l'analyse cognitive des politiques publiques, telle que développée notamment autour de la notion de référentiel. Le tout est décliné à la fois sur les territoires institutionnels, allant du municipal à l'Europe (en passant par l'intercommunalité, la région et l'État), et sur leur rencontre avec des territoires «fonctionnels». Ce double questionnement est porté par plusieurs textes théoriques ainsi que par un ensemble de monographies originales traitant des formes et des contenus de cette action publique en transformation dans des contextes nationaux distincts : français, suisse et belge.

L'ouvrage réunit 18 contributions regroupées en quatre sections : les enjeux théoriques (1), la rhétorique comme ressource (2), entre territoires et secteurs (3), et pouvoirs et gouvernance (4). On notera le travail soigné d'édition qui dote le livre non seulement d'une introduction et d'une conclusion solides, mais également d'intéressantes introductions de section permettant de retisser un lien entre des travaux parfois épars, tant par leurs objets que par leurs approches. Les quatre sections sont cohérentes et permettent la mise en dialogue des textes les uns avec les autres.

La première section est particulièrement intéressante, car elle permet de faire le point sur l'état de la question et aussi d'en refaire l'origine. En ce sens, les textes de Négrier et de Jouve plantent parfaitement le décor. Ces articles, qui pourraient devenir des textes de référence, permettent de préciser le contexte intellectuel dans lequel les études de cas subséquentes sont menées. De façon complémentaire, la géographie est convoquée pour resituer la terminologie territoriale mobilisée par les politistes (Ruegg). L'exemple wallon développé ensuite (Leloup, Moyart, Pradella) offre une perspective politique, historique et économique de la question des échelles (passage ici de l'échelle sous-régionale à l'échelle régionale) dans le contexte belge.

La deuxième section aborde, dans un style français d'analyse des politiques publiques, les liens entre mise en sens et sens dans les politiques publiques. Les chapitres qui la composent allient habilement référentiel et autres outils analytiques pour explorer des objets présents sur différentes échelles : le tramway parisien (Zitoune), la mise en politique de l'échelon métropolitain (Ben Mabrouk), la question patrimoniale (Guérin), la coopération binationale franco-allemande (Delori) et les politiques du handicap en Suisse (Giraud et Lucas).

La troisième section reprend de front la question territoriale en la confrontant avec des approches plus sectorielles. Les logiques territoriales et sectorielles semblent vouées à être mises en tension, mais surtout à être combinées pour permettre une réelle compréhension des formes de l'action publique. C'est ce que montrent les exemples des politiques régionales ferroviaires en France (Barone), des enjeux liés à l'aéroport parisien (Halpern), du secteur vitivinicole (Costa, De Maillard, Smith) et des appellations d'origine contrôlée suisses (Boisseaux). Le dernier texte de cette section (Nahrath, Varone) est l'occasion d'une réflexion plus générale sur les espaces fonctionnels conçus comme des espaces de problèmes collectifs et de gestion de ces mêmes problèmes, indépendamment des logiques sectorielles et territoriales institutionnelles préexistantes. Les auteurs explorent cinq enjeux liés à l'affirmation de ces espaces fonctionnels dans les formes et les contenus de l'action publique contemporaine.

La dernière section rassemble des contributions interrogeant les «liens entre les processus de changements d'échelle et de gouvernance multi-niveaux» (253). Deux contributions placent l'européanisation au cœur des questionnements. La première est l'occasion de questionner et préciser le sens des transformations provoquées par l'emboîtement des échelles politiques (européennes, nationales, régionales) pour sortir d'une vision simplificatrice basée sur la polarisation Europe vs région (Carter et Pasquier). La seconde porte sur le réalignement d'une fonction régalienne comme la défense dans le nouveau contexte européen de la Politique européenne de sécurité et de défense (Desachaux-Beaume). Parallèlement, les politiques de la recherche (Crespy) et universitaire (Aust) sont l'occasion de décortiquer les configurations d'acteurs qui accompagnent l'enchevêtrement croissant des échelons, soit au niveau régional, soit de façon diachronique dans l'agglomération lyonnaise. Enfin, un dernier chapitre travaille la question des effets du rééchelonnement (ou changement d'échelle) sur le profil et les carrières des élus en Belgique (Pilet, Fiers, Steyvers).

On notera que le travail d'édition offre un retour sur ce questionnement en interrogeant également la portée et les limites de ces travaux, de leurs méthodes et de leurs résultats. La conclusion (Leresche, Narath) fait en cela un bilan clair des quatre principales acceptions du changement d'échelle et promeut le changement d'échelle comme un cadre d'analyse large de l'action publique dont les formes se diversifient. Ainsi, «une approche en termes de changements d'échelles permet de penser simultanément l'articulation entre différents niveaux de pouvoir (que ce soit par en bas ou par en haut), le travail et la compétition politiques qui se déroulent à chaque niveau, le jeu des acteurs au sein de réseaux sectoriels plus ou moins autonomes, la dissociation progressive des espaces de la représentation et de l'action ainsi que les jeux d'échelles possibles dans l'observation de ces phénomènes et une démarche méthodologique souple» (330).

En lien avec ces éléments de conclusion, il nous semble que l'ouvrage balance entre deux pôles. Le premier est celui de la question des échelles sous l'angle essentiellement, mais non exclusivement, fonctionnel (c'est-à-dire à la fois dé-sectorialisé et dé-territorialisé a priori). Le deuxième est celui de l'analyse des politiques publiques. Ainsi, plusieurs lectures sont possibles. La première est celle d'une série de politiques publiques analysées à l'aide de divers outils théoriques plutôt proches des approches cognitives. Ces contributions permettent ainsi d'avoir un aperçu de ce qui se fait aujourd'hui comme bricolage conceptuel dans une «tradition» française d'analyse des politiques publiques. Elles permettent de voir comment sont mobilisées des notions comme la dépendance au sentier, la rationalité et ainsi de suite. La seconde lecture est celle qui axe le questionnement du changement d'échelle per se dans les politiques publiques et dans la configuration de l'État. En cela, certains des textes réunis ici peuvent aussi servir à alimenter le questionnement en termes de gouvernance multi-niveaux dans des contextes fédéraux.

Ainsi, la force du livre réside dans cette occasion offerte au lecteur de saisir la question des changements d'échelle sous divers angles théoriques et dans différents champs des politiques publiques. Cette ouverture permet d'aller au-delà d'une littérature axée sur l'européanisation des politiques publiques ou sur leur métropolisation. D'autres échelons sont mobilisés, que ce soient les régions (patrimoine) ou les situations binationales (Office franco-allemand pour la jeunesse). Le contexte européen, bien que présent et parfois objet d'analyse, n'empêche pas une appropriation extra-européenne des questionnements et des réflexions qui sont réunis dans cet ouvrage.

Le caractère interdisciplinaire est également assumé par les directeurs de l'ouvrage qui ouvrent ce collectif, essentiellement composé de travaux de politistes, à quelques géographes et économistes dont le regard porte sur la question de l'échelle territoriale. Finalement, le parti pris pour l'empirie, qui est à la fois présent dans les chapitres clairement monographiques, mais aussi dans ceux de montée en généralité (Nahrath et Varone), permet d'explorer concrètement «cette intrication croissante des échelons de gouvernement» (289).