Le titre de ce petit ouvrage est quelque peu trompeur, car il ne s'y agit pas des dessous précis de l'élection extraordinaire de 2008, mais bien d'un guide solide et fort bien documenté sur la nature du régime présidentiel américain, sur les limites d'une démocratie tant vantée, ainsi que sur les données générales de l'élection, en particulier dans sa dimension sociale. Une telle approche est rendue nécessaire par le poids médiatique de la présidence actuelle, dont le potentiel avait été, dès 1835, perçu par Tocqueville : «Si la vie de l'Union était sans cesse menacée, si ses grands intérêts se trouvaient tous les jours mêlés à ceux d'autres peuples puissants, on verrait le pouvoir exécutif grandir dans l'opinion par ce qu'on attendrait de lui et parce qu'il exécuterait… Le président des États-Unis possède des prérogatives presque royales, dont il n'a pas besoin de se servir et les droits dont, jusqu'à présent, il peut user sont très circonscrits; les lois lui permettent d'être fort, les circonstances le maintiennent faible».
Élisabeth Vallet se préoccupe justement des conditions qui permettent à un homme, car jusqu'à maintenant il n'y a pas eu de femme, d'exercer tous les droits que lui donnent les textes avec toute l'aura qui les entoure, dans un contexte très éloigné de celui de Tocqueville : «Les symboles de cette puissance sont nombreux, qu'il s'agisse du sceau présidentiel, de l'avion Air Force One, de la mallette présidentielle contenant les codes nucléaires, de la Maison-Blanche et son bureau ovale, ou encore du mont Rushmore (où le visage des quatre présidents marquants dans l'histoire, George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln, ont été, dans les années 1940, gravés dans une falaise du Dakota du Sud). Et ces symboles associés à la présidence ont souvent été exploités par les médias, ces derniers contribuant au développement et à l'expansion de la présidence américaine. Ajoutons à cela que si, initialement, le président devait être contenu et limité dans ses actes par des contrepoids comme le Congrès ou la Cour suprême, l'irruption de la radio et de la télévision dans la vie politique lui a permis de profiter de cette nouvelle tribune pour établir une relation unique et directe avec le peuple américain.» Tout au plus peut-on nuancer ce constat en indiquant que la médiatisation du président est relativement récente. C'est seulement dans les années quatre-vingt-dix que se sont multipliés des films faisant du président un personnage central; avant cela, une sorte de déférence faisait que, sauf exception, Hollywood se gardait de banaliser l'image du président, alors que les médias respectaient sa vie privée et ne dévoilaient pas ses problèmes de santé.
Dans les différentes parties de l'ouvrage (1- Être président, 2- Le système électoral est-il démocratique? 3- Devenir des présidents des États-Unis, Conclusion – L'état des États-Unis durant l'année présidentielle 2008) l'auteure prouve sa connaissance irréprochable des institutions américaines, mais aussi de l'histoire et de la culture du pays, dont elle tire de nombreux exemples bien choisis. Non seulement elle donne des explications et des analyses pertinentes, mais elle les complète avec des documents pertinents, des extraits de bons auteurs et des citations qui permettent d'aller plus loin, comme des reproductions de bulletins et d'autre matériel électoral. Entre autres, l'analyse du taux de participation est intéressante et nouvelle, car elle tient compte de la distorsion entre électeurs en âge de voter et électeurs dûment inscrits sur les listes (45–46). Les éléments portant sur le financement des élections et sur l'importance de l'argent, mais aussi sur ses limites, car les milliardaires qui ont tenté leur chance n'ont jamais réussi (95 et suivantes), ne sont pas nouveaux, mais ils sont clairs et précis. Les aléas des solutions technologiques (machines, bulletins à perforer, personnel électoral mal formé) sont également bien élucidés : ils nuisent au bon fonctionnement de la démocratie, car ils font douter les électeurs, surtout ceux des milieux populaires qui s'estiment exclus du suffrage par ces pratiques. Le rôle de la télévision et maintenant d'Internet, est bien apprécié, avec l'évocation du premier débat entre Kennedy et Nixon en 1960 comme lever de rideau. Le détail des élections primaires, avec caucus et scrutins ouverts ou non, est bien éclairci, comme l'est également le déroulement de la campagne de l'automne avec le système des grands électeurs. Enfin, la conclusion fait le point sur les changements sociaux de l'électorat dans la perspective de 2008. Les analyses de l'auteure, même si elle tend parfois à choisir trop d'exemples dans les seules élections de 2000 et de 2004 – qui sont les plus proches et qui ont été énormément analysées, surtout en raison du déroulement extraordinaire de la première –, n'ont pas été démenties par le scrutin de 2008. Cette dernière élection s'est déroulée avec une très forte participation, surtout parmi les jeunes, les Noirs et les autres groupes ethniques, elle a redonné vie à la convention du parti, qui depuis un vingtaine d'années était à peine retransmise à la télévision, et elle a rebattu les cartes de l'équilibre racial du pays. Un rappel de tous les présidents américains depuis Washington, un glossaire de termes techniques et une bibliographie, un peu légère par rapport aux notes très fournies, viennent compléter ce volume.
Au total, ce guide, destiné avant tout aux étudiants, survivra à la conjoncture, car Élisabeth Vallet a su tracer les bonnes perspectives d'une élection présidentielle aux États-Unis, qui, comme on le dit parfois, surtout avec Barack Obama, peut changer la face du monde. L'auteur de ce compte rendu exprime son accord avec la conclusion de la quatrième de couverture : «c'est au-delà des apparences que résident les véritables fondements de la politique américaine. Il y a de nombreux mécanismes, une histoire chargée, des identités et des perceptions propres à chacun des cinquante états fédérés, des usages, des coutumes, des personnalités». Et l'auteure a décrit et expliqué ces mécanismes, sans négliger l'histoire ni les mentalités, le tout avec finesse et talent.