Avec l'arrivée au pouvoir de partis de gauche comme de droite qui misent sur le rejet des élites, les populismes sont devenus, depuis une décennie au moins, un objet d’étude prolifique dans le domaine de la politique comparée. Loin de constituer une série d'exceptions, ils tendent à se démultiplier empiriquement dans le paysage politique en incitant les politistes à un aggiornamento de la sociologie électorale. En contribuant au développement des réflexions sur les populismes, l'essai de Frédérick Guillaume Dufour permet de mieux comprendre certaines dynamiques-clés animant le monde des droites radicales. L'argumentaire s'articule autour de quatre assertions fortes.
D'abord, si les populismes recouvrent des références politiques très hétéroclites, l'auteur rappelle qu'outre le fait de partager une même dichotomie entre peuple et élites, ils reposent dans les faits moins sur des fondements idéologiques singuliers que sur des cadres moralisateurs. C'est ainsi qu'ils empruntent largement à des référentiels politiques préexistants tels que le nationalisme, le socialisme, ou encore le néolibéralisme. Les populismes de gauche comme de droite reposant sur autant d'abstractions possibles des notions de peuple et d’élite, tout en étant composites en termes d'influences idéologiques, l'auteur insiste sur l'importance de les distinguer sur le plan conceptuel. Pour ce qui est des populismes de droite, l'auteur soutient que si une branche embrasse volontiers le référentiel du néolibéralisme – comme pour la Turquie d'Erdoğan ou l'Inde de Modi –, la plupart le rejetteraient en faisant du nationalisme le principe phare du discours politique. Bien que comportant des nuances quant à leur degré de radicalité, « l'autoritarisme et le nativisme font ainsi partie [bien souvent] de l'idéologie substantielle de la droite radicale » (17).
Le deuxième chapitre analyse ensuite un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels contribuant à la fois à l'essor du populisme de droite et à en délimiter les paramètres pour en faire l’étude. D'abord, l'auteur identifie l'expression d'une demande politique de type conservatrice comme un terreau électoral particulièrement fertile, dans un contexte de libéralisation constante des mœurs. La peur du déclassement des ruraux par rapport aux urbains, la désindustrialisation, la crise financière, l'immigration et les transformations démographiques sont autant de thématiques qui alimenteraient les frustrations, et ainsi le populisme de droite. Viennent ensuite la crise de la représentation des institutions démocratiques et l’évolution des rapports entre gouvernants et gouvernés. Produisant des effets similaires, les dynamiques d'atomisation sociale de la vie politique entraîneraient aussi la perte de confiance des électeurs. La poussée des populistes de droite se verrait de surcroît facilitée par le déplacement d'une partie de l’électorat d'une certaine gauche désenchantée, mais demeurant réceptive aux discours misant sur la préservation des institutions sociopolitiques héritées de la modernité, pour contrer les dérégulations causées par la mondialisation.
Le troisième chapitre invite à situer les manifestations et la montée des droites radicales depuis 1945. Selon Dufour, une première vague fait suite à la Seconde Guerre mondiale. Elle se matérialise par l'intermédiaire d'une transformation de l'idéologie fasciste dans certains régimes, comme dans l'Espagne franquiste ou dans le Portugal de Salazar. Avec la crise pétrolière de 1973, une deuxième vague intervient dans le contexte d'une remise en cause de l’État-providence. C'est notamment dans ce climat que le Front National émerge en France. Une troisième vague, au cours des années 1990 et dans une atmosphère de forte intégration économique consécutive à la Guerre froide, aurait peu à peu accompagné la formation d'un discours rejetant le nouvel ordre mondial incarné par les élites cosmopolites et technocrates. Ces figures y sont jugées trop éloignées des préoccupations des classes populaires. Dufour considère que ce contexte a conduit à l'avènement de « formations [de droite] qui militent aujourd'hui pour l'instauration d'un modèle plus social, mais à préférence nationale » (46).
Le dernier chapitre interroge quant à lui le populisme de droite en tant que catalyseur des critiques de la démocratie libérale, voire en tant qu'acteur de sa déstabilisation. Le thème de la méfiance à l’égard des institutions démocratiques peut se voir incarné non seulement à travers la sémantique de certains partis au pouvoir ; on pense alors à des cas comme la Hongrie contemporaine, où le gouvernement s'affirme sans réserve en tant que « régime illibéral », tranchant ainsi clairement avec les pratiques politiques conventionnelles en témoignant par exemple d'une « violence partisane [où] ne sont pas considérés comme interlocuteurs légitimes les opposants politiques » (54). Ces dynamiques de rejet contribuent, selon Dufour, à instrumentaliser et à accentuer la polarisation autour d'enjeux tels que « l'avortement, la guerre, le droit des minorités sexuelles, la régulation des pratiques religieuses ou encore la transformation culturelle des sociétés » (58), et ce bien que ces clivages soient consubstantiels à la vie démocratique.
Finalement, ce court essai invite surtout à poursuivre les réflexions autour de la thématique du populisme. Plutôt que d'en venir à établir une série de généralisations, l'auteur ouvre de nombreux questionnements sur lesquels les chercheurs pourront se pencher dans le futur. L'une des contributions manifestes du livre de Dufour repose en effet sur les efforts de conceptualisation auxquels il nous convie. On pourra ainsi recourir à cet ouvrage afin de mieux cerner les contours et les dynamiques de structuration du populisme de droite. Très bien nourri sur le plan analytique ainsi que du point de vue des données empiriques mobilisées, Entre peuple et élite, le populisme de droite constitue un bon point d'entrée pour mieux comprendre les débats et travaux entourant les droites radicales et extrêmes. En revanche, l'essai aurait gagné à distinguer dans ses pages introductives sur les populismes de droite, des éléments de définition sur les populismes de gauche pour notamment approfondir le cadrage conceptuel entourant le thème des élites, celui-ci pouvant varier en fonction des imaginaires convoqués à gauche comme à droite. De la même manière, les nuances lexicales entre droites radicales et extrêmes gagneraient à être affinées dans cet effort de conceptualisation du populisme à droite.