Ce petit livre, clair et sans trop de jargon, peut être compris comme l'élaboration d'un argumentaire à l'attention des «praticiens du fédéralisme d'ouverture», et aussi comme la démonstration que le fédéralisme d'ouverture peut être «plus qu'une vague idée» et pas «seulement une série de mesures ad hoc» (78). Le fédéralisme d'ouverture aspire ainsi, dans la perspective de l'action, à la clarification et à une synthèse de ces pratiques et de ces intuitions.
La caractérisation du contexte historico-politique dans lequel s'enracine le propos découle d'une interprétation des résultats du référendum de 1995 qui stipule qu'«une solution de rechange à la souveraineté doit être envisagée par les Québécois» et qu'«il existe au Québec un malaise profond vis-à-vis du fédéralisme canadien» (115). Montpetit aimerait convaincre les trudeauistes et les souverainistes québécois que le référendum de 1995 comporte des conséquences notables (et désagréables) pour leurs positions et discours respectifs, et ce, à peu près dans une égale mesure.
Contre une lecture réductrice («monochrome») du fédéralisme canadien, l'auteur entend rappeler que «[l]a réalité institutionnelle canadienne est […] complexe» (33), que la «compréhension qu'ont les Canadiens de leur pays est […] en constante évolution» (116) et que «la constitution canadienne est vivante» (58). Cette configuration alimente l'optimisme de l'auteur et se traduit, en pratique, par des possibilités et des occasions que les nationalistes québécois (l'un des publics clés visé par ce livre) seraient avisés d'exploiter.
L'effort d'explicitation et de clarification déployé par Montpetit doit également permettre au premier ministre actuel de dissiper «l'ambiguïté de son fédéralisme d'ouverture», en plus d'élargir les horizons des autres partis politiques canadiens. L'auteur aimerait que cette vision de la politique canadienne soit plus et autre chose qu'un simple épiphénomène rhétorique, qu'elle s'incarne de manière pérenne dans les pratiques canadiennes, qu'elle s'institutionnalise (faute d'être rapidement constitutionnalisée) et se consolide.
L'auteur considère que le premier ministre du Canada «n'a pas semblé pousser très loin sa réflexion sur ce fédéralisme d'ouverture» (115) et n'a «toujours pas précisé les principes, sinon la vision du Canada» (116) qui l'alimentent, confinant ainsi le fédéralisme d'ouverture à n'être qu'«une série de mesures sans lien apparent entre elles». Il n'en demeure pas moins que Stephen Harper a déjà explicité l'une des convictions fondatrices et définitoires de cette vision en soutenant que «la clause nonobstant crée un équilibre des pouvoirs entre les Parlements et les tribunaux» (62), désactivant ipso facto une application cruciale du logiciel trudeauiste, ce dernier étant la véritable cible de cette «recherche d'une légitimité canadienne au Québec».
C'est dans la vaste discussion sur les suites à donner au «déferlement du trudeauisme» (113) qu'intervient cet essai qui tente, contre le trudeauisme, de réactualiser le trope de la dualité. Dépoussiérer et légitimer à nouveaux frais les principes du fédéralisme authentique, du dualisme et de l'asymétrie, Montpetit estime que cela ne peut s'accomplir qu'en pensant contre Trudeau. S'agissant de l'héritage trudeauisteFootnote 1, la stratégie de Montpetit consiste à nuancer son triomphe, qui serait réel mais pas «absolu». N'en déplaise à Trudeau et à ses nombreux épigones, «la Loi constitutionnelle de 1982 a laissé un espace […] à l'intérieur duquel le gouvernement québécois et l'Assemblée nationale peuvent adopter les politiques qu'ils jugent nécessaires […]». Cela explique que le Canada ait évolué dans le sens d'une asymétrie de fait, mal assumée, une closet-asymétrie.Footnote 2
La crise de «légitimité canadienne au Québec» comporte une évidente dimension constitutionnelle. Une solution définitive à cette crise comportera done un important volet constitutionnel. L'ambition paradoxale de l'auteur est d'accepter que, «[t]ant que la conception trudeauiste du Canada demeurera populaire chez les Canadiens anglais, ceux-ci risquent de refuser un changement constitutionnel satisfaisant pour les Québécois» (116), de déduire qu'«un changement à ce texte ne peut être envisagé à court terme» (119), mais de continuer à penser que, pour autant, il reste possible, moyennant des «actions» ou des «mesures concrètes», de faire rapidement évoluer le fonctionnement du Canada dans une direction qui aurait fait horreur à Trudeau et contrecarre certaines de ses visées, parce qu'ici «d'autres voies que la voie constitutionnelle peuvent être empruntées» (58).
Il n'est pas étonnant que Montpetit se dépense autant à réfuter «l'idée que tout ce qui n'implique pas un amendement constitutionnel [serait] insuffisant pour satisfaire le Québec» (53), lui qui, d'une part, estime pourtant que «l'Assemblée nationale commettrait une erreur si elle devait accepter le texte de la constitution sans que celui-ci soit amendé» (53), et qui, d'autre part, reconnaît expressément que la «reconnaissance de la nation québécoise est au cœur du problème de légitimité dont souffre le fédéralisme canadien au Québec» (52) et, enfin, que «le rapatriement de 1982 est à la source du problème constitutionnel canadien» (120). Montpetit décompose le défi que prescrit le rapatriement de 1982 aux nationalistes québécois, dans le but de différencier les problèmes pratiques des problèmes symboliques, les difficultés auxquelles on peut s'attaquer immédiatement de celles dont il faut reporter la solution à plus tard.
Le livre de Montpetit propose une variation optimiste sur des thèmes hérités de Kenneth McRoberts et Guy Laforest. L'auteur propose un bémol argumenté (que ces derniers accepteront sans doute) à la conviction qu'ils partagent que «les racines de la vision de Trudeau [seraient] trop profondes pour rendre le Canada conforme aux aspirations des Québécois» (30). Cette nuance est formulée en deux temps : d'abord, la mise en évidence d'un potentiel inexploité de la constitution et de la situation actuelles; ensuite, la substitution d'une approche dynamique de la situation à une appréhension statique.
Si «la vision trudeauiste n'a peut-être pas triomphé autant que plusieurs l'ont craint», cela signifierait que, «malgré les efforts de Trudeau, il subsiste dans la fédération canadienne un espace de possibilité pour le Québec» (32–33). Plus spécifiquement, Montpetit voudrait décomplexer et légitimer le recours à la clause dérogatoire. Il rappelle qu'en principe, «la clause nonobstant […] participe au partage des pouvoirs entre les Parlements et les tribunaux», et présente un programme suivant lequel elle y participera aussi en réalité.
Il considère que la lettre de la constitution n'a que des conséquences vagues et indirectes sur la vie politique et est loin de sur-déterminer l'évolution d'une culture politique. Un excursus métajuridique (57–59) doit permettre à Montpetit d'expliquer que le texte constitutionnel canadien contient des possibilités «rigides» qui devraient ouvrir un espace jurisprudentiel et politique pour certaines visions du Canada, mais qu'un certain discours sur la constitution a rendu ces possibilités invisibles, et la promesse de cet espace, inaudible. Le fédéralisme d'ouverture tente de couvrir cet angle mort politico-constitutionnel et entreprend de restituer sa visibilité à une option réelle, mais voilée.
L'auteur soutient que le potentiel constitutionnel est compromis par une dimension extra et méta-constitutionnelle, c'est-à-dire par le «discours sur la constitution» : en fait, le fédéralisme d'ouverture est beaucoup moins compromis par la constitution du Canada que par le «discours sur la constitution» hérité de Trudeau (qui équivaut ici à quelque chose comme «la conception de la légitimité au Canada» héritée de Trudeau). Ainsi, c'est le «discours trudeauiste sur la constitution» qui «en est venu à déformer la compréhension et la pratique du fédéralisme canadien» (117) et l'urgence serait aujourd'hui de mettre fin à l'«hégémonie» ou la «prévalence» de ce discours.
Rien dans la constitution n'interdit de revoir le mode de nomination des juges à la Cour suprême et ainsi d'«institutionnaliser le principe fédéral dans le système judiciaire» (69). En outre, un règlement définitif du déséquilibre fiscal, par le transfert de points d'impôts, contribuerait aussi à remédier au déficit de légitimité canadienne au Québec, dont l'une des sources est ce que G. Laforest a appelé le «déficit fédératif». L'asymétrie intervient à ce stade de l'argumentation : Montpetit précise qu'il n'y a aucune raison valable d'interdire aux provinces qui le souhaitent d'opter pour une intervention de l'État central dans leur(s) champ(s) de compétence, mais, pour ainsi dire, Montpetit a d'abord scrupuleusement renversé la situation, et interverti le fardeau de la preuve, puisque le principe d'une ingérence unilatérale, non concertée et non consentie, a été rejeté explicitement.
Le fédéralisme d'ouverture suscite l'«optimisme» de l'auteur, car ce dernier y perçoit le type d'option susceptible d'«atténuer l'inconfort ressenti présentement par plusieurs Québécois au sein du système fédéral canadien» sans provoquer «une aliénation du Canada anglais que des tentatives d'accommodement du Québec ont provoquée dans le passé». Il s'agit, avec le fédéralisme d'ouverture, de tenter de résoudre un «problème de légitimité» sans en créer un autre.
Telle que définie ici, l'originalité de la stratégie du fédéralisme d'ouverture pour remédier à ce problème de légitimité est, d'une part, que cette solution ne repose pas sur quelque amendement constitutionnel, quoique, d'autre part, elle puisse éventuellement contribuer à en préparer le terrain ou à en favoriser l'avènement. Le fédéralisme d'ouverture ne se caractérise pas prioritairement par une intervention constitutionnelle; mais une telle modification fait partie du scénario que pourrait mettre en branle une pratique réussie du fédéralisme d'ouverture. L'auteur définit une action multiforme qui devrait engendrer une spirale vertueuse. Le fédéralisme d'ouverture doit contribuer à favoriser l'émergence d'un climat de confiance et un esprit partenarial qui permettront éventuellement de procéder avec succès à un amendement de la constitution qui puisse satisfaire toutes les parties.Footnote 3
Montpetit aimerait qu'on ne se laisse pas trop impressionner par les symboles et que les ratés associés à tout ce que l'on regroupe au Canada, depuis Charles Taylor, sous la rubrique de la reconnaissance, n'entravent ni n'occultent la capacité réelle d'avancer et de progresser, par technicalités locales ou ponctuelles cumulées, en quelque sorte. En d'autres termes, Montpetit fait partie des nombreux analystes de la politique canadienne qui en proposent une lecture empreinte de tragédie, d'incompréhension et de malentendu, mais qui estiment que ces défauts sont, tout compte fait, relativement mineurs et gérables, qu'ils ne dépassent pas le seuil du supportable et qu'ils ne suffisent pas à compromettre ou délégitimer l'aventure canadienne; bref, une position aux antipodes de tout radicalisme monomaniaque.
Montpetit n'a donc nullement démontré que la fin de notre différend canadien était en vue, mais il a défini un itinéraire qui, sous une forme ou sous une autre, et tant que les «conditions gagnantes» ne seront pas rassemblées, devra être emprunté par tous les nationalistes québécois. Il a démontré que ces derniers avaient l'obligation morale et politique d'investir ce processus mais, parce que cela n'est pas possible actuellement, il n'a pas démontré l'obligation politique des trudeauistes de faire de même. On a bien compris que Montpetit aimerait que ces derniers s'abîment dans les oubliettes de l'histoire canadienne, mais il doit reconnaître qu'ils sont encore loin de n'être qu'un mauvais souvenir.
L'une des convictions de l'auteur est qu'il sera difficile de faire évoluer le Canada ou de modifier sa trajectoire actuelle sans ou avant que s'instaure une meilleure compréhension entre les Canadiens des différentes nations qui composent le Canada. L'auteur estime sans doute que le recours au rapport de force a plutôt accentué les malentendus et la tragédie. Il importe donc de susciter un dialogue honnête et ouvert, qui permettra seul de faire émerger des médiations fécondes entre les différentes visions du Canada. Une telle conversation devra porter sur le fédéralisme d'ouverture et comporte des conditions de participation minimales : «Les participants à une conversation sur le fédéralisme d'ouverture doivent, au minimum, accepter le principe fédéral […]» (85) au sens robuste où l'entend Montpetit. Il insiste avec raison sur le fait que les «Québécois devront […] être patients et ils devront aussi, eux-mêmes, faire preuve d'ouverture» (125).
L'auteur considère que les esprits canadiens se sont massivement trudeauisés. Il estime en outre que le principe fédéral est exactement ce à quoi des esprits trudeauisés ne peuvent plus adhérer sans aliénation. Cela devrait anéantir les espoirs qu'il investit dans les résultats d'un tel dialogue. L'intuition ou l'hypothèse qui doit sauver le projet est celle de l'existence d'une alliance objective entre les visions provincialiste et dualiste du Canada, la dualiste consistant en une coordination de la provincialiste avec l'idée de l'asymétrie. À cette condition, une «conception dualiste […] demeure compatible avec une vision provincialiste du pays» (27). Cette alliance objective devrait favoriser l'émergence de médiations fructueuses.
Cette appréhension dynamique de la situation et du problème est un élément original et intéressant du propos. L'auteur s'assure, dans un premier temps, de diminuer certaines attentes pour élaborer un scénario raisonnable et lucide, qui soit lesté du moins de présuppositions extravagantes et de présomptions coûteuses possible. Il élabore une proposition solide sur la base d'attentes maintenues au minimum. La suite du scénario table sur les conséquences et le prolongement probables, quoique nullement garantis, du succès du premier stade des opérations «qui pourrait, à long terme, préparer les Canadiens pour un changement constitutionnel» (116). Il n'est pas déraisonnable d'imaginer, voire d'anticiper, qu'une modification qualitative authentique des rapports entre le Québec et le ROC (Rest of Canada), à travers une médiation réussie entre différentes visions et exigences, n'aménage les «conditions favorables à un amendement constitutionnel qui mettrait un terme au problème causé par le rapatriement de 1982» (125).
S'agissant enfin des rapports complexes qui animent d'une part tribunaux et parlements, d'autre part les majorités du Canada, et enfin, les divers projets collectifs qui structurent la vie sociopolitique canadienne, Montpetit nous permet d'apercevoir, au moins sur le mode de l'hypothèse raisonnable, qu'en résolvant la question de la nomination des juges aux tribunaux supérieurs et de la Cour suprême, ainsi qu'en apportant une solution aussi définitive que possible au déséquilibre fiscal, les Canadiens s'assureraient que le dialogue entre les tribunaux et les Parlements ait lieu sans les connotations impérialistes que peuvent y percevoir certains pans (voire certaines nations au sein) de la société canadienne.
Montpetit tente d'approcher ces questions sous un angle très pratique et aussi pragmatique que possible; il veut déterminer ce qu'il est possible hic et nunc d'accomplir de positif, sans attendre de solution totale et parfaite et sans tenter de capitaliser politiquement sur un pourrissement de la situation. Cela a beaucoup de sens, cela est tout à fait louable, mais son propre «réalisme» et le genre de lucidité pour lesquels il milite le contraignent à ne pas amoindrir le défi et à n'arrondir aucun coin de cette situation difficile. Il ne peut y échapper, car il refuse la plupart des arguments qui circulent actuellement contre la reconnaissance franche et robuste de l'existence d'une nation québécoise et de ses droits. Malheureusement, certains arguments et certaines affirmations contenus dans le chapitre 5 intitulé «Est-ce trop peu?», adressé spécifiquement aux souverainistes radicaux et impatients, sont un peu sournois et assez insidieux pour le genre de climat qu'il tente d'installer entre les Québécois et les autres Canadiens. Ils se résument à une défense du maintien dans le Canada par la crainte, le risque et les périls de la solution alternative principale, bref, une défense bien pusillanime du Canada.
Ainsi, pour clore cette présentation d'une tentative dont les maîtres mots sont le raisonnable, la prudence, la patience et la conciliation, peut-être peut-on signaler quelques questions ouvertes et formuler quelques critiques, malheureusement schématiques et désordonnées, à l'égard du travail entrepris par Montpetit. L'auteur parle souvent comme si le souci de préservation et de persévérance dans leur être des Québécois était d'ordre culturel et d'ordre linguistique, entendus comme des sphères d'être ou d'activité qui sont autonomes et indépendantes du politique, de l'économique et ainsi de suite (voir 89 et 93 notamment), et comme si cette exigence pouvait être assumée sans conséquences politiques. Cela est court. Cette prémisse est typiquement, et raisonnablement, remise en question par les indépendantistes.
Il précise des raisons pour lesquelles les ROCanadians devraient participer à sa conversation sur le fédéralisme d'ouverture, mais il en dit très peu sur les raisons qui vont effectivement faire en sorte que cette conversation ait réellement lieu. Il parle d'un effort pédagogique qu'auraient, à cet effet et dans cette perspective précise, intérêt à déployer les politiciens du ROC. Mais qui dit qu'ils perçoivent leur intérêt ainsi (125)? L'incapacité à combler ce vide motivationnel au Canada anglophone constitue sans doute le plus grand problème et le plus grand échec du fédéralisme québécois.
En outre, on peut se demander si son plaidoyer en faveur de ce qu'il appelle le «dualisme»Footnote 4 canadien intègre et prend suffisamment en considération le rejet du fédéralisme exécutif au ROC. «On ne peut reconnaître, rappelle Montpetit, un pays fondé sur deux cultures sans reconnaître que l'accord des représentants des deux cultures soit essentiel pour tout changement constitutionnel important» (46)?Footnote 5
Montpetit s'est-il inquiété que son plaidoyer pour un usage militant de la clause dérogatoire pourrait motiver une réhabilitation des impériaux pouvoirs de désaveu et de réserve? Il n'y a pas ici à spéculer sur le pire, mais on peut se demander si sa position pourrait survivre, dans la «conversation», à une opposition de ces pouvoirs et à une mobilisation de ces leviers.Footnote 6 Un usage décomplexé, généralisé et banalisé de la clause nonobstant peut-il sérieusement être considéré comme préludant à une conversation constructive, alors qu'au contraire, le recours à cette clause signalera toujours un échec de cette «conversation»?
D'ailleurs, s'il n'y a pas eu, comme le soutient l'auteur, d'activisme de la Cour suprême, pourquoi parler de la clause nonobstant si ce n'est de manière symbolique? Toute sa démarche traduisait pourtant une saine méfiance envers toute dimension symbolique!
Si la culture des droits est solidement implantée au Québec, si les tribunaux n'ont pas manifesté d'activisme particulier, et s'il règne, en réalité, non pas une subordination du Parlement québécois aux tribunaux, mais simplement un dialogue qui, dans son essence et dans ses conséquences pratiques réelles, s'avère tout à fait louable (en tout cas Montpetit insiste sur le fait qu'il ne s'agit en aucune façon, avec le fédéralisme d'ouverture, d'y mettre un terme ou d'y «faire ombrage», mais au contraire, de l'«encourager» (63), l'importance de ce «dialogue» étant un leitmotiv de ce livre), alors pourquoi argumenter si éloquemment en faveur d'un recours facilité et plus systématique à une clause dérogatoire (cette dernière étant «un moyen pour contrer une éventuelle attitude activiste des tribunaux» (45)?
La clause nonobstant «contribue à protéger un héritage parlementariste auquel plusieurs […] Québécois, sont attachés» (39) et ainsi «fait obstacle à la tentative de Trudeau de subordonner le pouvoir législatif au pouvoir judiciaire» (39). Mais ici le problème n'est pas, comme le reconnaît Montpetit, la judiciarisation du pouvoir en soi, la prééminence de la question des droits dans l'élaboration politique en général et le pouvoir des juges. Cette insatisfaction réside dans le fait que cette judiciarisation a été pensée, configurée et implantée, entre autres raisons, précisément dans le but de restreindre la capacité d'autodétermination, l'autonomie et l'intégrité nationales des Québécois.Footnote 7 Ainsi, une connotation de ce que l'on dit quand on affirme que les esprits se sont trudeauisés au Canada anglais est précisément qu'une nouvelle rhétorique a été inventée pour reconduire et réitérer le refus d'accepter l'autodétermination québécoise (évidemment, cette trudeauisation a eu plusieurs autres motifs et plusieurs autres conséquences notoires), pour la reformuler et la légitimer à nouveaux frais via une doctrine et des valeurs inédites.
Enfin, quand Montpetit affirme qu'un important journaliste montréalais l'a convaincu que «la voix solo des Slovaques n'est pas plus audible sur la scène internationale depuis que ce peuple a un état souverain» (111), réalise-t-il, d'une part, ce que ce type de raisonnement comporterait de suicidaire pour l'indépendance d'un pays secondaire comme le Canada, et d'autre part (et heureusement pour l'opportunité de l'indépendance canadienne) qu'André Pratte non seulement se trompe au sens factuel le plus strict, mais encore n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour le destin et l'amélioration du sort des Slovaques, à part cette déclaration que tout Slovaque jugerait aussi candide que perfide? Les Tchèques eux-mêmes, qui ont rapidement su évoluer sur la question, considèrent que notre éditorialiste se fourvoie. Je suis persuadé que Montpetit sera d'accord pour considérer que, quand on aborde des sujets aussi complexes et, malheureusement, aussi sensibles, il est raisonnable et avisé de maintenir à saine distance certaines déclarations opportunistes, puisque c'est exactement ce que Montpetit a réussi à faire dans son propre, et très valable, essai.