Hostname: page-component-7b9c58cd5d-wdhn8 Total loading time: 0 Render date: 2025-03-16T02:21:04.809Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les défis du pluralisme à l’ère des sociétés complexes Félix Mathieu Presses de l'Université du QuébecQuébec, 2017, 287 pages

Review products

Les défis du pluralisme à l’ère des sociétés complexes Félix Mathieu Presses de l'Université du QuébecQuébec, 2017, 287 pages

Published online by Cambridge University Press:  21 May 2018

Rémi Léger*
Affiliation:
Simon Fraser University
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 2018 

Les défis du pluralisme à l’ère des sociétés complexes est un ouvrage ambitieux qui se situe à l'intersection de la pensée politique, la politique comparée et la sociologie politique. Son propos est dense mais clair, rédigé avec une très belle plume, et son auteur, Félix Mathieu, engage les grands chercheurs et les grandes chercheuses de l'heure sur le pluralisme largement compris. Plus directement, l'auteur conçoit une feuille de route pour les sociétés traversées par la diversité nationale et ethnoculturelle. Dans les paragraphes qui suivent, plutôt que d'employer la formule classique du survol des chapitres, je soulève trois questionnements dans le but de souligner les forces et les faiblesses de l'ouvrage.

L'ouvrage est découpé en deux parties, une première qui s'attaque à l'aménagement de la diversité issue de l'immigration, une seconde qui analyse l'aménagement de la diversité nationale ou profonde. Mon premier questionnement ne se situe pas sur le plan de la décision de traiter séparément les deux grandes formes de la diversité. Cela me semble cohérent, en plus de correspondre à une tendance lourde dans les travaux de recherche sur le pluralisme. C'est plutôt la décision d'adopter deux démarches méthodologiques différentes qui me laisse perplexe.

La première partie fait un travail de clarification conceptuelle et propose une analyse comparative des modèles canadien, néerlandais et surtout britannique en matière de multiculturalisme. La deuxième partie élabore les contours d'une théorie de la justice à partir desquels découle une série de changements à l'architecture constitutionnelle et aux lois canadiennes. Il n'est pas question ici de contester l'une ou l'autre démarche méthodologique. Or, si les deux démarches sont légitimes, il faut néanmoins mieux expliquer et justifier son choix de ne pas adopter la même approche pour les deux formes de la diversité.

Un deuxième questionnement concerne le concept de « nations fragiles », qui recouvre des dimensions tant subjectives qu'objectives. Sur le plan subjectif, la fragilité s'exprime par la conscience, le sentiment, bref les représentations sociales que se font les individus de leur collectivité, de leur nation. Il faut donc comprendre que les nations minoritaires seraient marquées d'un « imaginaire de la fragilité » (153). La fragilité nationale se rapporte aussi aux institutions politiques, juridiques et sociales dont dispose la nation minoritaire pour protéger et consolider sa culture sociétale. Pour clarifier cette dimension objective, l'auteur identifie une série de leviers institutionnelles qui permettraient de réduire ou de surmonter le sentiment de fragilité.

Pour le dire simplement, l'angle d'analyse de la fragilité nationale est attirant, mais exige une attention plus soutenue. Pour l'instant, le concept de nation fragile soulève autant de questions qu'il en règle. D'une part, il faut mieux situer le concept par rapport aux concepts actuellement disponibles, la discussion d'une page et demi sur les nations minoritaires, les petites nations et les nations sans État étant incomplète (146-147). En quoi, par exemple, la fragilité des nations minoritaires (le Québec, la Catalogne, la Flandres) est-elle similaire ou différente de celle des petites nations souveraines (la Lituanie, la Slovénie, le Monténégro)? Je ne doute pas de la spécificité des nations minoritaires, mais les petites nations souveraines ont aussi, par le passé, exprimées des sentiments d'incertitude envers leur avenir. D'autre part, la distinction introduite entre les nations minoritaires fragiles et les nations autochtones fragiles mérite d’être approfondie. Est-ce parce que les unes sont plus fragiles que les autres? Ou doit-on plutôt comprendre que les nations minoritaires et les peuples autochtones sont des types de fragilité nationale, chacun soulevant des défis particuliers?

Mon dernier questionnement se situe dans la deuxième partie de l'ouvrage axée sur la diversité nationale ou profonde, où le propos de l'auteur est guidé par une théorie normative qu'il nomme la « dynamique de l'agir fédéral en contexte multinational » ou tout simplement, « l'agir fédéral ». Toute théorie de la justice se fonde sur des principes moraux desquels découlent des pratiques ou des mesures politiques. Félix Mathieu s'acquitte bien de la deuxième tâche (les pratiques qui découlent de la théorie), moins bien de la première (la justification morale de la théorie).

L'ouvrage consacre un chapitre entier à « l'ensemble des leviers juridiques, constitutionnels et politiques » (172) visant à permettre l’émancipation des nations fragiles. En effet, le chapitre 6 dégage six conditions pour les nations fragiles (le Québec et ses comparables significatifs) et quatre conditions pour les nations autochtones fragiles. La discussion de ces conditions est souvent éclairante et propose des pistes concrètes pour le renouvellement du fédéralisme canadien. Cependant, la théorie normative qui sous-tend ces conditions manque de clarté et surtout, ne fait pas l'objet d'un travail de justification. En une phrase, il n'est pas clair en quoi l'agir fédéral exige des droits linguistiques et des compétences en matière d'immigration pour les nations minoritaires fragiles, ou encore le fédéralisme par traités et le principe de personnalité pour les nations autochtones fragiles. Pour l'instant, la justification s'en tient à renvoyer des théories et des concepts connexes tels que la « dynamique pluraliste et hospitalière » (157), la « cohabitation pluraliste » (159), « l'agir hospitalier » (164), la « logique d'une culture fédérale multinationale » (171), le « libéralisme hospitalier envers la diversité » (174) et une « éthique politique hospitalière » (210). À mon sens, il aurait été opportun de consacrer un chapitre à l’édification de l'agir fédéral, en expliquant en quoi il s'inspire et se distingue du répertoire conceptuel ci-dessus.

En somme, malgré les quelques limites relevées dans ce compte rendu, j'ai pris un énorme plaisir à lire cet ouvrage qui constitue une belle contribution au débats autant intellectuels que politiques sur le vivre-ensemble dans les sociétés complexes.