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Christophe Benzitoun, Qui veut la peau du français? Paris : Le Robert, 2021, 282 pp., ISBN : 978-2-32101-688-5.

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Christophe Benzitoun, Qui veut la peau du français? Paris : Le Robert, 2021, 282 pp., ISBN : 978-2-32101-688-5.

Published online by Cambridge University Press:  14 March 2022

Diane de Saint Léger*
Affiliation:
School of Languages and Linguistics The University of Melbourne3010ParkvilleAustraliaddsl@unimelb.edu.au
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review
Copyright
© The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press

Cet ouvrage grand public est un plaidoyer en faveur du français ordinaire, c’est à dire du français tel qu’il est vraiment parlé et écrit dans la société d’aujourd’hui. Cette campagne de démystification que l’auteur décrit comme une « défense et illustration du français ordinaire » (p. 26) démontre que le français écrit normé, si difficile à apprendre du fait des nombreuses exceptions et irrégularités grammaticales et orthographiques, n’est en fait que le produit d’une construction idéologique méthodique, relayée au fil du temps par différents groupes d’acteurs sociaux. L’auteur démontre à partir d’exemples probants et accessibles que ce mythe par ailleurs bien connu des linguistes se pose à l’heure actuelle en jalon absolu et inflexible bloquant toute réflexion sur l’aménagement possible de la norme afin de mieux s’aligner sur les pratiques contemporaines réelles.

Pour cela, la tension entre idéologie de la norme basée sur une conception élitiste et statique du français standard écrit et les pratiques contemporaines est mise en exergue et s’articule autour de deux notions clés : carte et territoire. Selon une heureuse métaphore empruntée au philosophe Alfred Korzybski (cf. Korzybski, Reference Korzybski1933), l’auteur invite le lecteur à penser la norme écrite valorisée par la société et lʼécole en tant que représentation ou carte décrivant des « reliefs imaginaires, des lacs improbables, des chemins qui mènent nulle part » (p. 25). Cette carte s’opposerait aux pratiques langagières écrites et orales réelles que l’auteur propose de concevoir en tant que territoire.

Carte et territoire sont considérées tour à tour et forment les deux grandes parties de cet ouvrage. Chaque partie déconstruit méticuleusement et clairement le mythe de la norme en 12 étapes ou sous-parties. La première partie qui se concentre sur la norme propose notamment un tour d’horizon de l’histoire de la grammaire scolaire à partir des travaux d’André Chervel et met en lumière la façon dont cette histoire et les discours normatifs qui s’y rapportent sont étroitement imbriqués et ont peu évolué depuis le 19ième siècle.

La deuxième partie fait la synthèse des arguments produits depuis plus d’un siècle par de nombreux linguistes qui plaident en faveur d’une simplification de la langue. Le point fort de cette partie est de s’appuyer sur de nombreux travaux clés de linguistes et de grammairiens francophones (par exemple Ferdinand Brunot, Charles Bally, Claire Blanche-Benvéniste) et des données aujourd’hui accessibles grâce aux grands corpus de français écrit et oral du quotidien, afin de mettre en exergue les dimensions arbitraires, archaïques, discriminantes et néfastes de la norme telle qu’elle est conçue et appliquée depuis plus d’un siècle. La démonstration montre d’une part la récurrence de certains emplois dans le temps malgré leur condamnation systématique, mais aussi et surtout, la dimension foncièrement subjective des recommandations de l’Académie française au cours du temps. Cet écart entre norme prescrite et pratiques réelles est source de nombreuses insécurités linguistiques et provoque des « ravages sur des millions d’enfants » (p. 215), thématique clé de ce plaidoyer. La reprise et le retournement du topos puriste du péril imminent (p. 151), voire mortel (p. 262), où se trouverait la langue du fait du blocage idéologique de la société française vis à vis de la langue ne manquent certes pas de piquant et maintiennent, comme le titre de l’ouvrage, le lecteur en terrain discursif « connu ». Cette reprise qui mobilise le pathos est cependant à regretter car elle se combine difficilement avec la démonstration précise, stimulante et raisonnée que l’on trouve par ailleurs dans l’ouvrage.

La campagne de démystification de la norme du français que Christophe Benzitoun entreprend est à inscrire dans le prolongement de son engagement public lors de récentes polémiques en France, par le biais notamment des nouvelles plateformes. L’importance de cet ouvrage est donc double puisqu’il invite, d’une part le lecteur à sʼémanciper du discours d’autorité qui caractérise le rapport des Français à la norme et, d’autre part, vulgarise par une synthèse réussie les travaux dʼéminents linguistes qui n’ont eu cesse de plaider en faveur d’une simplification de la langue. Cette réhabilitation de l’expert dans le discours commun allant au-delà de l’entretien journalistique, du blog ou du podcast par nature plus succincts mérite que l’on s’y attarde. Espérons que ce plaidoyer saura convaincre.

References

Korzybski, A. (1933). Science and sanity: An introduction to non-Aristotelian systems and general semantics. The International Non-Aristotelian Library Publishing Company.Google Scholar