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Qui aide qui ? Une brève histoire de la solidarité internationale au Québec, Pierre Beaudet, Éditions du Boréal, Montréal, 2009, 200 pages.

Published online by Cambridge University Press:  28 May 2010

Yvan Conoir
Affiliation:
Université du Québec à Montréal
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Abstract

Type
Reviews / Recensions
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association 2010

La solidarité internationale a, comme tout mouvement social, une genèse, une histoire propre, jalonnée d'acteurs, d'institutions, de phases critiques – d'expansion ou de retrait –, de moments de doute comme de raison. Comme tout mouvement porté vers «l'Autre», elle cherche à comprendre qui est ce dernier, comment nous pouvons nous en sentir plus proches, comment mieux le comprendre pour mieux l'aider et, définitivement, associer son destin au nôtre, au nom de la morale, de la politique, de principes supérieurs ou, plus simplement, de la solidarité entre individus, peuples et causes qui évoluent au rythme de l'histoire. Dans le cas présent, celui de la solidarité internationale, l'enjeu est crucial : comment aider à nourrir, soigner, développer, rendre productifs les plus vulnérables, comment lutter pour l'émancipation des autres et le progrès social et économique de tous? La réponse est complexe et, pour ne pas nous faire oublier la vision, les mandats et la raison d'être des 60 organisations et plus, au Québec, qui sont reconnues par l'Association québécoise des organisations de coopération internationales et qui œuvrent dans le domaine de la solidarité internationale, Pierre Beaudet nous livre une réflexion qui est à la fois historique, sociologique, politique et nul doute porteuse de mémoire. Ce grand praticien (notamment en fondant Alternatives) est récemment devenu enseignant et le résumé très pédagogique et synthétique qu'il présente de sa «Brève histoire de la solidarité internationale au Québec» aidera ses étudiants, comme le grand public, à appréhender un phénomène de société qui est passé par des formes souvent diverses, sinon opposées.

Des missionnaires catholiques à Normand Béthune

Au tout début il y avait, évidemment, l'Église catholique. Inspirée par un prosélytisme clérical, puis anticommuniste et antirépublicain apparemment sans limites. Elle recrute, forme et déploie des milliers de missionnaires (plus de 5000 sont recrutés en 1959 et envoyés dans 68 pays (41)) en Chine (qui n'a pas alors acheté son «petit Chinois»?) et bientôt en Afrique. Elle s'oppose à un autre élan de solidarité, incarné par le plus grand d'entre eux, le Montréalais Normand Béthune, qui défend entre les deux guerres mondiales des valeurs de solidarité socialistes et républicaines qui vont bientôt mourir contre la montée des fascismes en Europe et dans le monde. Une fois terminée la Seconde Guerre mondiale, l'arrivée du Plan Marshall, du «Tiers Monde» (Sauvy), des théories de Rostow (sur les cinq phases de la croissance économique), ou encore du Plan Colombo, le Canada se dote, au début des années 1960, d'un premier «Bureau de l'Aide extérieure», lequel sera le premier à organiser l'aide au développement. L'«honnête courtier» qu'est alors le Canada de Pearson et des Casques bleus apporte une aide à près de 60 nouveaux États fraîchement décolonisés.

Au Québec, le ministre Gérin-Lajoie définit pour la première fois une doctrine internationale pour la province, laquelle se veut interventionniste et traitée d'égale dans la définition des conventions internationales par le gouvernement d'Ottawa. Mais le visionnaire Gérin-Lajoie sera bientôt recruté par un autre Montréalais, Pierre-Elliot Trudeau, qui le nomme, en 1970, directeur de la nouvelle (1968) Agence canadienne de développement international (ACDI). En quelques années, le Canada est vu comme un leader en matière de développement international, dispose de niveaux de financement jamais égalés depuis, et espère atteindre le fameux 0,7 pour cent du produit national brut (PNB) avant 1980. Plus de 50 pour cent de l'aide publique au développement (APD) canadienne est alors dépensée en Afrique, et elle se partage à 50 / 50 entre pays francophones et anglophones. Après le départ du plus célèbre Québécois à avoir dirigé l'ACDI, le gouvernement décide de remettre cette dernière dans l'alignement des impératifs commerciaux et diplomatiques du gouvernement. L'Agence ne retrouvera jamais sa liberté de manœuvre, ni son niveau de financement antérieur.

Ces années-là marquent l'heure où de nouvelles structures et organisations émergentes au Québec (Solidarité, union, coopération (SUCO), Organisation canadienne pour la solidarité et le développement (OCSD), Oxfam Québec) vont profiter largement de la mise en place de programmes de volontaires et de cofinancement développés par l'ACDI. Sur le terreau unique et vivifiant des traditions missionnaires et internationalistes, un grand nombre de groupes et organisations se structurent autour de causes diverses (Palestine, Apartheid, Vietnam, entre autres) qui exercent leurs pressions sur Ottawa, générant dans certains cas des oppositions marquées entre partenaires (à l'instar du «Québec-Angola, territoires à libérer» (85) lancé par SUCO!). L'Association québécoise des organisations de coopération internationale (AQOCI) est créée en 1978 pour coordonner certains efforts collectifs. Peu avant de prendre le pouvoir, le Parti québécois (PQ) affiche lui aussi la «solidarité du peuple québécois avec les autres peuples en vue du développement de la société internationale». Certains n'apprécient guère…

Les années 1980 – pensée économique libérale et assistance conditionnelle

Dans les années 1980, le ton comme la manière évoluent différemment. Une nouvelle priorité est d'assurer l'expansion des investissements canadiens à l'étranger. Il faut dire que le principe de «l'aide liée», associé à un grand nombre de programmes bilatéraux financés par l'ACDI, y fait pour beaucoup. Marcel Massé aligne les priorités de l'ACDI sur le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et ses fameux Programmes d'ajustement structurel (PAS). La dette des pays en développement explose et une partie de leur fonction publique et de leurs capacités (éducation, santé, services publics) est sacrifiée sur l'autel de la nouvelle religion des PAS. L'on déclare que les pays du Tiers Monde pourront se développer seulement s'ils s'appuient sur l'économie mondiale et non pas sur l'aide internationale. Auparavant liée, l'aide canadienne devient conditionnelle. L'aide bilatérale diminue d'autant pour lutter contre la mauvaise gouvernance, conduisant à la croissance du financement des agences multilatérales ainsi qu'à la multiplication des contrats avec les firmes privées. On observe une augmentation de ces derniers de 350 pour cent entre 1983 et 1989 (106)! La radicalisation des antagonismes politiques entre l'ACDI et certaines organisations non gouvernementales (ONG) québécoises mène à la rupture brutale avec SUCO, laquelle n'est pas sans rappeler certaines décisions de suspension de financement prises en 2009 par le gouvernement conservateur (suspension de financements d'ONG comme Kairos et Alternatives). Pourtant, l'ACDI continuera, dans les années 1980, d'appuyer indirectement des causes de libération nationale (Congrès national africain (ANC), Afrique australe), même si les ONG canadiennes se transforment de plus en plus en agences d'exécution de larges programmes.

Les années 1990 mettent de l'avant le «développement humain» et son indice phare, l'IDH. Elles marquent aussi le développement de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et la confirmation de la politique des PAS : 23 pour cent de l'aide canadienne de 1988 à 1993 est canalisée vers les PAS. Le rapport SECOR vient secouer certaines certitudes en critiquant ouvertement la dispersion géographique, l'éparpillement sectoriel, les coûts administratifs et la surutilisation de contractants extérieurs de l'ACDI, cela juste avant les «années Martin» qui voient l'agence perdre plus du tiers de ses fonds et le ratio aide / pourcentage du PNB descendre à des bas historiques (0,25 % du PNB, 0,06 % pour les pays moins avancés (PMA) en 1999). «Le Canada dans le monde» consacre l'alignement du programme d'aide en fonction des impératifs commerciaux et diplomatiques du Canada. L'aide est progressivement recentralisée, plus «disciplinée», et la gestion axée sur les résultats assure un meilleur contrôle de l'aide et de ses interventions. À l'heure de la Déclaration du Millénaire, l'ACDI reçoit le mandat de recentrer ses programmes sur les pays pauvres, notamment en Afrique. On développe une politique (évoluant au fil des ministres qui se succèdent) de concentration sur des «pays prioritaires» et Jean Chrétien promet une augmentation du budget de l'ACDI de huit pour cent par année. Certains pays de concentration (Haïti, Afghanistan) mobilisent des sommes conséquentes (plus de 100 millions par année). Les 30 pour cent des nouvelles ressources de l'ACDI sont canalisés vers l'Irak et l'Afghanistan. L'heure est au «réalignement des nouvelles questions de sécurité intérieure et d'intervention militaire dans le monde» (151), alors que le Canada ne cesse de descendre (14ème) dans la liste des 22 principaux donateurs de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Les Objectifs du Millénaire vont se transformer en illusion.

Dans ce tableau marquant d'une évolution des politiques très fluctuante et politique, les ONG québécoises doivent s'adapter. Le marketing corporatif se développe de manière importante, de nouvelles ONG intègrent le paysage, souvent en provenance de l'étranger (Médecins sans frontières, Médecins du monde, Action contre la faim, Handicap) et le recours aux appels d'offre internationaux permettent de moderniser le portfolio comme les méthodes de financement des agences canadiennes et québécoises. En parallèle au «délestage des ONG» (162), la démarche altermondialiste, l'implication dans des mouvements sociaux plus élargis et dans de nouveaux réseaux internationaux d'économie sociale et solidaire permettent aux ONG québécoises de développer une nouvelle expertise et un nouveau leadership. Le ministère des Relations internationales (MRI) du Québec n'est pas en reste, appuyant le déploiement de plusieurs milliers de jeunes en partance pour «le Sud», dans le cadre de projets qui alimentent un nouveau type de «coopération solidaire». Le Forum social québécois de 2007 rassemble quelque 1000 mouvements sociaux qui lancent un appel pour «L'avenir du Québec et du monde» qui affiche leur engagement envers une «mondialisation de la qualité de vie et non celle des privilèges et de l'exploitation» (168) et pour certains, le développement d'une «alter coopération».

2007 – «L'ACDI est inefficace, coûteuse et extrêmement bureaucratique»

À cinq années de l'atteinte supposée des Objectifs du Millénaire, que peut-on espérer pour la solidarité et l'aide au développement canadienne et québécoise? 2007 est une année charnière. Le Comité sénatorial des affaires étrangères déclare sans fioritures que «L'APD ne correspond pas aux conditions réelles des pays bénéficiaires», que «l'action de l'ACDI est inefficace, coûteuse et extrêmement bureaucratique» et que «l'aide canadienne est inefficace car elle demeure liée (43 % contre 8 % pour les pays de l'OCDE» (157). Elle est donc clairement orientée vers… des «besoins canadiens»! À Accra (2008), les décideurs répètent que 30 pour cent de l'aide revient aux pays riches. Dans un souci de redressement, la Chambre des communes à Ottawa vote un projet de loi préparé par les ONG qui stipule que «l'aide canadienne doit d'abord et avant tout contribuer à la réduction de la pauvreté». Vaste projet…

Tout en reconnaissant avec Beaudet que le personnel de l'ACDI tente «dans des conditions souvent surréalistes de répondre honnêtement aux besoins des communautés que l'aide est censée soutenir» (179), le bilan global dressé par l'auteur de ces années de solidarité internationale laisse perplexe. L'ACDI change de politiques et de pays de concentration quasiment autant que de ministres responsables de son destin. Son mandat s'est souvent plus voué à appuyer des orientations politiques nationales qu'à vraiment répondre au dessein de concentrer ses efforts sur la réduction de la pauvreté dans le monde. Un transfert accru de ses ressources vers les organisations multilatérales conduit incidemment à diminuer le potentiel de réalisation et de mise en œuvre des ONG canadiennes. Et l'absence de vrai débat public sur la nature de ce que devrait être la coopération internationale canadienne a de fortes chances de laisser les orientations de cette dernière être décidées par des politiques plus que sur la base de l'analyse des besoins et des réalités de terrain. Pour paraphraser l'ouvrage très synthétique, pédagogique et bien écrit de Pierre Beaudet : «Où sont passés les Gérin-Lajoie de ce monde?»